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LA PETITE FILLE PARESSEUSE

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M. de Belcourt, riche propriétaire, venait de perdre sa femme, jeune encore et douée des plus aimables qualités; une seule fille, gage de cet hymen, faisait la consolation de son père. Pour elle seule, il avait combattu sa douleur, et se flattait de lui inspirer les vertus dont avait brillé la plus chérie des épouses.

Pour effectuer ce projet et se livrer sans contrainte à l’éducation de son Eugénie, il se retira dans une de ses terres à quelques lieues de Paris, et comme sa fortune le mettait à même de faire tous les sacrifices que nécessitaient ses intentions, il se fit suivre par différentes personnes dont les talents distingués et les qualités solides devaient entièrement remplir son but.

Eugénie, alors âgée de dix ans, n’avait encore acquis aucune connaissance. Élevée sous les yeux d’une mère tendre, la faiblesse de sa constitution avait paru un obstacle puissant au désir qu’on avait d’en faire de bonne heure une petite fille instruite; et l’enfant, accoutumée à voir cesser sur la moindre plainte les leçons qui la fatiguaient, les renouvelait sans cesse et n’apprenait rien.

Quelque dévouées que fussent à M. de Belcourt les personnes qu’il avait mises près de sa fille, la gentillesse de ses manières, la vivacité de son esprit, le ton caressant qu’elle prenait lorsqu’elle voulait obtenir quelque chose, rendaient inutiles leurs projets de sévérité, et elles restaient convaincues que ce serait vouloir la mort de cette enfant que de la tourmenter inutilement en la faisant travailler.

Le ton caressant qu’elle prenait lorsqu’elle voulait obtenir quelque chose rendait inutile tout projet de sévérité.


M. de Belcourt, voyant que les moyens qu’il avait crus infaillibles n’amenaient aucun des résultats qu’il attendait, se détermina à renvoyer pour quelque temps les personnes qui remplissaient si mal ses intentions, et ne s’en rapporta plus qu’à lui seul pour l’exécution de ses projets. Lorsque Eugénie voulait aller promener, son père prétextait toujours quelques occupations pressées qui l’empêchaient de souscrire à ses désirs; si, à son défaut, elle s’adressait à sa femme de chambre ou à quelque autre domestique, «jamais on n’avait le temps d’accompagner mademoiselle; monsieur avait ordonné telle ou telle chose, et comme il n’aimait pas à attendre, il fallait que cela fût prêt à l’heure dite». Eugénie, ne sachant que faire, jouait un moment avec sa poupée, regardait des estampes, faisait quelques tours dans le jardin, et revenait sans cesse à la charge pour voir si l’on ne s’occuperait pas d’elle; mais les ordres de M. de Belcourt étaient précis, et chacun s’en allait de son côté sans avoir l’air de prendre part à l’ennui de la pauvre Eugénie. Alors, elle retournait près de son père et le priait de lui lire quelques histoires amusantes, lui promettant d’être tout oreille tout attention, et de ne pas le quitter pour d’autres plaisirs; mais M. de Belcourt lui répondait froidement qu’il avait à régler d’importantes affaires, et que personne ne devait sacrifier un temps précieux à l’amusement d’une petite fille qui ne savait même pas en jouir. La triste Eugénie se retirait alors dans un coin, où elle faisait de pénibles réflexions sur la différence de vie qu’elle menait depuis son arrivée à la campagne.


Enfin l’ennui et le désœuvrement la rendirent réellement malade. Comme il n’y avait aucun danger pour les suites, on ne changea rien à la méthode que l’on employait. Tout le monde s’empressait de donner à la malade ce dont elle avait besoin, mais personne ne lui tenait compagnie, et chacun se retirait sans lui adresser le moindre mot de consolation.

Alors elle retournait près de son père, et le priait de lui lire quelques histoires amusantes.



A cette époque, une de ses tantes vint passer avec sa fille quelque temps au château de M. de Belcourt. La jeune Virginie était le contraste frappant de sa cousine. Malgré la vie dissipée que l’on menait chez elle, le goût de l’étude, du travail, des soins domestiques, s’était tellement fortifié en elle, que tout le monde était surpris à la fois de ses connaissances étendues et de la simplicité de ses manières. Lorsqu’elle entra dans la chambre d’Eugénie et qu’elle la vit nonchalamment couchée sur une bergère, elle courut l’embrasser en lui disant: «Tu es donc bien malade, mon Eugénie? — Sans doute, je le suis, répondit-elle; mais je le deviendrai bien davantage, si l’on continue à me laisser ainsi entièrement à moi-même. Je ne vois mon père qu’à l’heure des repas, les gens de la maison sont toujours occupés quand il faudrait me tenir compagnie et je me meurs d’ennui. — Mais que ne t’amuses-tu à lire ou à étudier? — Ce n’est pas un amusement, cela. — Tu crois? Oh bien! je t’assure, moi, que je ne m’ennuie jamais quand je suis seule, et que je préfère mes livres, ma musique, mes dessins, à la fatigante conversation de gens dénués de connaissances. — C’est possible, mais je ne me suis pas encore livrée à l’étude, et jusqu’à présent l’écriture, la lecture même m’ont tellement rendue malade, qu’on a résolu de ne pas me tourmenter à ce sujet. — En ce cas, ma chère, il faut que tu t’accoutumes à t’ennuyer, car il est impossible, comme tu ne le vois que trop, d’exiger que les gens qui t’environnent soient continuellement l’instrument de tes plaisirs, et celle qui ne sait pas se créer des occupations et des délassements devient dans la société un fardeau pour les autres et pour elle-même. — Mais songe donc aux peines qu’on doit éprouver avant d’être en état de jouir des avantages de l’étude! — Tu te les exagères beaucoup, je t’assure; je ne suis que de deux ans plus âgée que toi, et le peu de connaissances que j’ai acquises me suffit déjà pour me défendre de l’ennui et n’être plus à charge aux autres. C’est quand on a su vaincre les difficultés du travail qu’on en sent tout le prix, et qu’on redouble de courage. — Eh bien! s’il en est ainsi, ma Virginie, je veux essayer de ce remède pour ma maladie, mais à condition que tu seras ma première maîtresse. — Tu ne pouvais me faire une proposition qui me fût plus agréable, et nous commencerons quand tu voudras.»




En effet, de ce moment Eugénie abjura sa paresse. Les commencements furent un peu plus pénibles à cause des habitudes qu’elle avait prises; mais l’exemple et les conseils de sa cousine la soutinrent dans ses bonnes résolutions. M. de Belcourt, enchanté de ce changement, rappela près de lui les maîtresses qu’il avait éloignées, et vit en peu de temps sa fille bien-aimée marcher sur les traces de l’aimable Virginie. Si quelquefois ses anciens défauts se sont remontrés, ils n’ont eu qu’une influence passagère, et ont enfin disparu pour toujours.


Les contes de ma mère, recueillis et illustrés par Bertall

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