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L’ENFANT COLÈRE

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Madame de Sénicourt, restée veuve à trente ans, avait refusé de se remarier pour se livrer sans contrainte à l’éducation de deux enfants, objet de sa plus vive tendresse. Édouard et Sophie, semblant apprécier le sacrifice que leur mère s’imposait, l’aimaient avec idolâtrie, et l’on voyait se développer en eux le germe des plus aimables qualités. Obéissants, attentifs, studieux, jamais le moindre mensonge n’avait souillé leurs lèvres. On les offrait pour modèles à tous les enfants du voisinage, et chaque mère enviait le bonheur de madame de Sénicourt. Malheureusement Édouard ternissait tous ses avantages par une violence que rien ne pouvait contenir. La moindre contrariété le révoltait. Les gens de la maison, sa sœur, sa mère elle-même, n’étaient pas à l’abri de ses emportements. En vain avait-on employé les moyens qu’on avait crus les plus efficaces, rien n’avait encore modifié cette irascibilité de caractère, et madame de Sénicourt tremblait de voir par ce seul défaut crouler l’édifice qu’elle prenait tant de peine à élever. Lorsque l’enfant était rendu à lui-même, la voix de la raison ne frappait pas inutilement son oreille: il sentait l’inconvenance de sa conduite, il gémissait sur le chagrin qu’elle occasionnait à sa mère, il formait les meilleures résolutions; mais quelqu’un s’opposait-il à sa volonté, trouvait-il un obstacle à ses desseins, elles étaient anéanties sur l’heure, jusqu’à ce qu’il les reformât de nouveau.



A la suite d’un emportement qui avait ameuté en quelque sorte toutes les personnes de la maison, sa mère le prit en particulier, et après lui avoir fait envisager l’énormité de sa faute, elle ajouta: «Je m’étais promis, mon cher Édouard, de ne jamais me séparer d’aucun de mes enfants. A l’âge où mes leçons te seraient devenues insuffisantes, j’aurais mis près de toi un homme prudent et éclairé pour diriger tes études et te guider dans la vocation qu’il te plaira d’embrasser; mais cette violence à laquelle tu te livres chaque jour davantage me force à t’éloigner. De nouveaux maîtres, la crainte de justes châtiments, produiront sur toi sans doute une crainte plus salutaire que celle de m’affliger cruellement et de détruire l’une des plus douces espérances de ma vie. — Ah! maman, peux-tu croire que rien l’emporte sur le chagrin que j’éprouve en te voyant affligée? La plus sévère punition est, pour moi, de voir couler tes larmes, et s’il faut que je te quitte, je mourrai de douleur. — Puisqu’il en est ainsi, pourquoi te livres-tu sans cesse au défaut le plus funeste qu’on puisse avoir? Non-seulement tu troubles la paix de notre existence, tu deviens pour tout autre que pour ta mère un objet d’aversion, mais encore tu compromets ta santé, qu’une pareille irritation finirait par détruire. Plus j’ai de tendresse pour toi, plus je dois employer de moyens pour te corriger. Tu sais que mes promesses, de quelque nature qu’elles soient, sont inviolables; ainsi le premier accès de colère auquel tu te livreras sera le dernier moment que nous passerons ensemble, jusqu’à ce que tu deviennes assez raisonnable pour sentir les conséquences qui peuvent résulter d’un semblable caractère. Si ton désir de te corriger est réel, tes efforts pour y parvenir ne seront pas longtemps impuissants, et ma justice t’en tiendra compte. C’est alors que tu me donneras une véritable preuve de ton affection.»



Sophie est trop tranquille; ce n’est pas elle qui a mutilé le cheval d’Édouard.


Comme Édouard aimait véritablement sa mère et qu’il connaissait la fermeté de ses résolutions, il forma les plus beaux plans de modération, de douceur et de retenue. Pendant une semaine entière, il n’eut même que de légères impatiences. Sa mère, heureuse de voir jusqu’à quel point la crainte de la quitter agissait sur ce caractère emporté, le complimentait chaque soir de l’empire qu’il commençait à prendre sur lui; mais ce changement subit ne fut pas de longue durée. Un jour que sa petite sœur était restée seule dans la pièce où l’on rassemblait leurs joujoux, un beau cheval de carton avec lequel il faisait admirablement le manège se trouva une jambe de moins. Le pauvre Édouard, rouge d’indignation et de colère, cherchait en vain à la modérer. La tranquillité de Sophie, qui l’assurait que ce n’était pas elle qui avait mutilé le cheval, mais Médor qui avait pénétré dans l’appartement, loin d’apaiser sa fureur naissante, l’exalta à un tel degré, que les cris, les trépignements de pieds, les renversements de tables et de joujoux, attirèrent tous les domestiques et madame de Sénicourt elle-même, qui devina trop bien ce que ce pouvait être. A l’aspect de sa mère, le coupable voulut s’enfuir pour échapper à sa clairvoyance; mais dans le trouble qui l’agitait, il ne mesura pas la distance qu’il y avait de la porte à l’escalier, et s’élançant avec force, il roula jusqu’au bas des degrés: la tête avait gravement porté. Les médecins furent appelés aussitôt: ils déclarèrent la blessure dangereuse, et enjoignirent au malade le silence le plus rigoureux. Pendant tout le temps que dura le danger, madame de Sénicourt ne quitta pas un seul instant le chevet du lit de son fils. Elle ne lui fit aucun reproche, mais les larmes amères qu’elle répandait retombaient sur le cœur d’Édouard. Pendant le long silence qu’il fut obligé de garder, il se pénétra des vérités que sa mère lui avait fait entendre tant de fois, et lorsque, après son parfait rétablissement, madame de Sénicourt vint lui apprendre que tout était disposé pour son départ:

«Ajourne-le encore, ma bonne. mère, lui dit-il, et si je retombe une seule fois dans de tels égarements, je me soumets sans murmure à ta juste punition.» Cet essai lui fut permis, et fut couronné du plus étonnant succès. Chaque fois qu’Édouard se sentait disposé à la colère, il se reportait à la scène affreuse qui avait menacé ses jours, à la douleur de sa mère, et se modérait à l’instant même. De cette manière, il devint l’enfant le plus doux, le plus patient qu’on pût rencontrer, et lorsqu’on racontait son histoire aux personnes qui ne Pavaient pas connu alors, à peine voulaient-elles y ajouter foi.



Le docteur.




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