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MADEMOISELLE CAPRICE

Table des matières


Rosalie de Versanges, malgré les tendres avis de ses parents, s’était tellement laissé vaincre par un défaut auquel l’enfance est sujette, qu’il ternissait en partie les bonnes qualités qu’on remarquait en elle. Elle était capricieuse mais à un tel point, que les domestiques, ses petites amies, ses parents mêmes, n’étaient pas à l’abri de l’inconstance de son humeur. Un jour, elle les aimait à l’excès; le lendemain, elle ne pouvait souffrir qu’ils lui rendissent les moindres soins ou qu’ils partageassent ses jeux. Un moment, elle était douce, gracieuse, prévenante; l’instant d’après, grognon, querelleuse et méchante. Elle apportait les mêmes caprices dans ce qui concernait ou sa toilette, ou ses joujoux. Du moment où ses désirs étaient satisfaits, l’objet en était dédaigné, et tout ce qu’on avait entrepris jusqu’alors pour la corriger n’avait servi qu’à augmenter ses dispositions à la contrariété. Cependant Rosalie grandissait, devenait jeune fille, et ses caprices grandissaient en même temps qu’elle.


Un moment elle était douce, gracieuse, prévenante.


Madame de Versanges avait placé près de ses filles une gouvernante sage et prudente, dont la sévérité bien entendue avait déjà amélioré le caractère de Rosalie. Elle s’entendit avec elle afin de trouver un moyen efficace de la guérir de ce défaut, et quand elles crurent l’avoir trouvé , Rosalie fut appelée dans la chambre de sa mère, qui lui dit: «Nous partons demain, ton père et moi, pour quelques semaines. Comme tu es maintenant assez grande pour disposer toi-même de l’argent que je remets à ta gouvernante pour ta toilette et tes menus plaisirs, je l’ai autorisée à t’en confier l’emploi; tu peux donc en faire ce que tu voudras; mais je t’avertis que je ne te donnerai rien au delà de la pension que j’ai fixée pour cet objet. Réfléchis à cela, tâche de ne t’en servir que pour des choses utiles et de modérer tes caprices. Ta sœur Adèle, bien que de deux ans plus âgée que toi, n’a pas davantage à sa disposition. Songe que mes promesses sont irrévocables!»

Madame de Versanges prononça ces derniers mots d’un ton ferme, et laissa Rosalie faire de légères réflexions qui ne lui furent d’aucune utilité, car tout disparaissait devant l’idée d’avoir de l’argent en propriété, et d’être maîtresse de le dépenser à son gré. Pendant quelques jours cependant, elle parut n’avoir aucune fantaisie, et lorsque M. et madame de Versanges partirent pour la Belgique, ils espéraient trouver à leur retour cette enfant à peu près corrigée; mais il fallait plus que des avis pour détruire un défaut qui avait jeté de si profondes racines: aussi Rosalie reprit-elle bientôt et ses caprices, et les travers qu’ils occasionnent.

Les personnes attachées à la maison de madame de Versanges étaient tellement fatiguées de l’humeur changeante de Rosalie, des allées et venues qu’elle leur faisait faire à tous les instants, du dégoût qu’elle témoignait pour la chose qu’elle venait de demander avec opiniâtreté, de l’aigreur que la moindre lui donnait, et du peu d’attachement qu’elle témoignait à d’anciens serviteurs qui l’avaient vue naître, que tous, d’un commun accord, résolurent de ne plus obéir à ses ordres bizarres, et de ne plus s’occuper de ses impatiences ni de ses importunités.

Le bon Antoine.


La bonne Marguerite.


Enfin madame de Versanges revint, et pour célébrer son retour, elle promit à ses filles de donner une fête brillante où tout ce qu’il y aurait de mieux dans la ville serait invité. Quelle que fût la légèreté de Rosalie, l’arrivée de sa mère lui causa une joie très-vive, et les plaisirs qu’elle se promettait augmentèrent encore sa satisfaction.

Madame de Versanges ayant désigné le jour du bal, les apprêts de la toilette devinrent pour les femmes une véritable occupation, et chacune se hâta de faire ses préparatifs.

Plus l’instant approchait, et plus Rosalie, naturellement si vive, si folle, paraissait mal à l’aise et préoccupée. On avait beau étaler devant ses yeux des parures fraîches, élégantes, rien ne semblait la flatter, et elle ne faisait aucune disposition pour cette fête si vivement désirée. Sa mère, qui avait deviné les motifs de son apparente apathie, la fit appeler un matin, et lui demanda si ses arrangements pour le bal étaient terminés. Rosalie rougit à ces mots: elle avoua qu’ayant disposé de la plus grande partie de son argent, il ne lui restait qu’une somme très-insuffisante pour cette occasion. «Tu sais, ma fille, que je ne suis pas d’une sévérité ridicule. Si j’acquiers la certitude que c’est à des objets utiles ou à de bonnes œuvres que tu as employé ce qu’on avait mis à ta disposition, je m’empresserai de t’avancer sur ta pension ce dont tu vas avoir besoin. La première des vertus est la bienfaisance, et lors même que tu ne saurais pas encore la pratiquer, je serais trop heureuse de t’en voir le penchant pour te punir d’avoir enfreint mes ordres. Je vais trouver ta gouvernante pour m’éclairer sur ce point. Attends mon retour.»

Avait-elle employé son argent à des objets utiles ou à de bonnes œuvres?


Pendant cette conférence, Rosalie fut à la torture, et quand sa mère rentra, elle vit sa condamnation écrite sur sa figure: «Rosalie, lui dit-elle sévèrement, ta conscience a dû prévoir ce qui arrive. Je t’avais assez prévenue; tu paraîtras au bal avec tes vêtements ordinaires. Je ne veux pas que tu t’en dispenses; mais comme j’ai des devoirs à remplir envers les malheureux, ce serait y manquer que de te donner l’argent que je leur destine pour satisfaire à tes innombrables caprices!»

La jeune personne se retira confuse, affligée, mais sans se plaindre. Elle n’était pas méchante, et lorsqu’elle voulait réfléchir, la folie de sa conduite s’offrait à ses yeux dans tout son jour. Sa sœur vint la trouver, et la voyant baignée de larmes, elle s’informa tendrement du motif qui les faisait couler. «Qu’as-tu donc, ma chère Rosalie? Depuis quelques jours, je ne te reconnais plus. Tu as du chagrin, et tu m’en caches le sujet: c’est très-mal. Ne suis-je plus ta sœur, ton amie? — Oh! sans doute, tu l’es toujours; mais en te confiant mes peines, je t’affligerais inutilement, puisque tu ne peux y remédier. — N’importe, je veux les connaître, ou je vais trouver maman; peut-être sait-elle ce qui t’afflige si fort. — Certainement, elle le sait: seule, elle pourrait me consoler; mais je n’ai pas mérité tant d’indulgence de sa part, puisque j’ai négligé les avertissements qu’elle m’avait donnés.» Alors elle raconta à sa sœur tout ce qui s’était passé entre elle et madame de Versanges. «Je pourrais, ajouta-t-elle après ce récit, feindre une forte indisposition pour ne pas assister au bal, où se trouveront réunies les plus jeunes, les plus élégantes personnes, et où la punition qui m’est imposée paraîtra à tous les yeux; mais j’ai résolu de me corriger d’un défaut dont je vois tout le désagrément, et je sens que mon amour-propre blessé, la honte de paraître d’une manière aussi simple dans cette fête où je devais être une des mieux parées, l’effet que cela produira sur la plus grande partie de la société, tout cela est essentiel à la leçon qui se prépare, et je ne chercherai pas à l’éviter.»

Madame de Versanges, qui d’un cabinet voisin avait entendu la conversation de ses filles, fut délicieusement émue de la généreuse résolution de Rosalie: elle balança même si elle lui laisserait consommer un tel sacrifice au moment où elle semblait n’en avoir plus besoin; mais réfléchissant qu’il faut à la jeunesse de fortes leçons, elle ne changea rien à ses projets et feignit la plus grande insouciance sur le déplaisir qui attendait la jeune coupable au jour indiqué.

Il arriva enfin. Adèle avait tout mis en usage pour soutenir le courage de sa soeur; mais il faillit échouer quand il fallut entrer au salon. En effet, rien ne contrastait autant que la toilette des deux sœurs. Adèle avait instamment prié sa mère de la laisser s’habiller aussi simplement que Rosalie, afin qu’elle fût moins affligée. «Non, ma fille, avait répondu cette sage mère. Plus tu aimes ta sœur et plus tu dois travailler à lui enlever cet affreux défaut qui détruit tout le charme de ses bonnes qualités. Si tu partageais sa punition, personne ne s’en apercevrait,, et mon but serait manqué. Retourne près d’elle, et ne m’en parle plus.»

Rien ne contrastait autant que la toilette des deux sœurs.


Madame de Versanges avait confié à quelques amis le secret du jour, et, le mot donné, la leçon fut complète. Un feint étonnement, des questions multipliées, des chuchoteries, des regards malins, tout fut mis en jeu, et la pauvre Rosalie fut si peu ménagée que, malgré sa vertueuse résolution, elle ne put rester au bal jusqu’à la fin. Elle se retira dans sa chambre, où, après avoir donné un libre cours à ses larmes, elle fit de sérieuses réflexions sur le danger des caprices que l’on ne peut contenter dans le monde qu’en s’imposant par la suite des privations pénibles. Déterminée à tout mettre en usage pour se corriger, elle s’abandonna entièrement aux conseils de sa mère, qui, heureuse d’un tel changement, ne négligea rien pour le maintenir. Elle y réussit, et au bout de six mois Rosalie était la jeune personne la moins capricieuse et la plus raisonnable.


Madame de Versanges, pour la récompenser de son courage, donna une fort belle fête où l’on vit paraître Rosalie dans un éclat qui effaça le souvenir du dernier bal; mais ce qui la fit plus remarquer que l’élégance de sa parure, ce furent la grâce et la modestie avec lesquelles elle reçut les félicitations sans nombre qui lui furent adressées.


Les contes de ma mère, recueillis et illustrés par Bertall

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