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CHAPITRE PREMIER

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Chastity Ronin s’installa sur le sofa.

Elle avait son pop-corn, son vin blanc et sa télécommande. Elle appuya sur la touche « Play » et tira sa couverture jusqu’à sa poitrine pendant que le générique d’ouverture de son émission préférée commençait.

Elle avait baissé les lumières dans le salon et il faisait complètement noir dehors. C’était l’ambiance parfaite pour regarder une sitcom légère et oublier son petit ami, Brad, qui ne l’avait pas rappelée à propos de ce soir. À trente-quatre ans, Chastity pensait qu’elle avait finalement décroché le gros lot après avoir passé des années à collectionner les ratés, les bons à rien, les tarés et, dans deux ou trois cas, des malheureuses victimes de meurtre.

Cependant, maintenant, il semblait que Brad se soit avéré être un autre échec, car il n’était pas venu à leur soirée et ne l’avait même pas prévenue. De toute façon, dans sa vie, Chastity avait connu bien pire qu’un petit copain foireux.

Alors qu’elle commençait à s’intéresser à l’émission, son téléphone sonna. C’était Brad. Une partie d’elle-même aurait voulu laisser la messagerie lui répondre, mais elle décida de lui accorder une dernière chance.

– J’espère que tu as une bonne raison, dit-elle sèchement après avoir décroché.

Pendant plusieurs secondes, elle n’entendit aucune réponse, seulement un son qui ressemblait à une respiration laborieuse.

– Brad ? C’est toi ?

– Sors, dit une voix rauque.

– Quoi ? demanda-t-elle, exaspérée.

– Sors de la maison.

C’était Brad, mais sa voix paraissait faible, hésitante.

– Il est à l’intérieur.

Soudain, il y eut un léger choc à l’autre bout de la ligne et elle l’entendit aussi dans le couloir. Elle se leva et alla dans sa direction.

– Brad, dit-elle doucement, arrête de te foutre de moi. Tu connais mon passé. Ce n’est pas drôle.

– Dépêche-toi, gémit Brad à voix basse. Il approche.

Chastity se tenait devant la penderie de son couloir. Elle entendait la même voix que celle qu’elle entendait au téléphone résonner derrière cette porte. Sans prendre le temps de trop réfléchir, elle ouvrit brusquement la porte, mais ne trouva que des manteaux. Alors qu’elle allait la refermer, elle remarqua qu’il y avait du mouvement près du sol.

Deux pieds en mocassins dépassaient sous les manteaux, où ils s’agitaient mollement. Le choc des chaussures contre la fine porte de la penderie avait dû être le bruit qu’elle avait entendu. Elle déplaça les cintres et leurs vestes de côté. Devant elle, sur le sol, assis contre le fond de la penderie avec un couteau qui lui dépassait du ventre et des bulles sanguinolentes aux lèvres, elle vit Brad.

– Fuis, gémit-il une dernière fois avant que ses yeux ne perdent toute vie et que sa tête ne s’avachisse sur sa poitrine.

Ça recommence.

Chastity se retint de hurler. Si la personne qui avait fait ça était dans la maison, il fallait qu’elle sorte vite et discrètement. Elle avait déjà vécu ce type de situation et elle savait que la panique était la pire action imaginable.

Au lieu de cela, elle saisit la première arme qu’elle vit, un parapluie dans la penderie, et partit dans le hall en direction de la porte d’entrée. Alors, elle s’arrêta sur place.

C’est ce à quoi il s’attend.

Elle fit rapidement demi-tour et repartit dans le salon, ignora la télévision et se précipita vers la baie vitrée coulissante qui menait dans sa cour de derrière. Elle était à quelques pas et allait la déverrouiller quand elle sentit qu’elle n’était pas seule dans la pièce. Elle se retourna.

Debout dans le couloir, de ses yeux froids et sombres qu’elle voyait par les trous d’une cagoule noire, le Maraudeur la contemplait. Elle avait cru s’être finalement libérée des horreurs qu’il lui avait infligées, mais elle s’était trompée. Il était de retour.

Chastity se tourna et fonça vers le verrou de la porte coulissante. Elle la déverrouilla et l’ouvrit brusquement. Alors qu’elle était presque sortie, il lui sauta dessus, la retourna vers lui et lui serra la gorge de ses mains en lui arrachant sa vie souffle après souffle.

– Bon sang, Terry ! cria-t-elle, exaspérée. Combien de fois faudra-t-il que je te dise d’y aller moins fort ? J’attrape facilement des bleus. Tu ne peux pas faire semblant de m’étrangler ? Ça s’appelle être un acteur, crétin.

– Coupez ! cria une voix de l’autre côté de la pièce.

Le réalisateur poussa un soupir profond. Anton Zyskowski était un Polonais de la quarantaine qui réalisait son premier film en anglais après avoir obtenu un succès moyen avec plusieurs films à suspense polonais. Il était assez petit, avait les cheveux fins et clairsemés et une attitude sans prétention. Quand il approcha de Corinne Weatherly, elle sourit méchamment.

Après tout, si l’on avait choisi Anton pour réaliser ce film, c’est avant toute chose parce que, comme il était presque nouveau dans les studios de Hollywood, il était désavantagé en ce qui concernait ces points de discorde. En tant que star de Le Maraudeur : Renaissance et étant aussi l’actrice qui avait porté Chastity Ronin à l’écran pour la première fois, Corinne pouvait gâcher la vie à Anton si elle le décidait et elle l’avait décidé.

– Anton, siffla-t-elle quand il approcha, il se passe quoi, là ? Faut-il vraiment que je supporte cet idiot ? C’est la troisième prise que ce mec gâche en me brutalisant. Je veux dire, on ne peut pas demander à n’importe quel imbécile musclé de jouer ce rôle ? Après tout, on ne voit jamais son visage !

– Corinne, dit Anton en mauvais anglais d’un ton mal assuré, tu sais que Terry est important pour les scènes sans cagoule tant que Chastity ne sait pas encore qu’il est un tueur. Nous avons besoin d’un acteur fort. Ce sera peu crédible si le tueur encagoulé est un autre acteur. Les spectateurs le verront. Bon, je vais lui rappeler de t’appuyer moins fort sur le cou.

Corinne ne fut pas convaincue.

– Combien de fois faudra-t-il le rappeler à ce crétin ? demanda-t-elle. Je jure que je suis entourée de débiles ! Et moi qui croyais que tu étais censé être le plus grand réalisateur de films d’horreur polonais !

Du coin de l’œil, elle vit des membres de l’équipe de tournage secouer la tête. Derrière elle, quelqu’un grommela de manière tout juste intelligible.

– À force, on va finir par avoir une autre crise de nerfs style Olivet.

Elle virevolta, prête à engueuler ce créateur de rumeurs aussi vertement que le réalisateur mais, avant qu’elle n’ait pu l’identifier, Anton avança.

– Corinne, je t’en prie … commença-t-il.

– Tais-toi, je t’en prie, interrompit-elle. Voici ce qui va se passer. Je vais décompresser dans mon mobile home. Toi, tu vas trouver quelqu’un d’autre que Terry Slauson pour m’étouffer sans causer des contusions permanentes à ma trachée. Si ce n’est pas fait ce soir, on devra recommencer la scène demain. De toute façon, il se fait tard. Et puis, tant que tu y es, tu pourras peut-être ordonner à ton équipe de taire ses railleries et ses récriminations jusqu’à ce que j’aie quitté le plateau. Je suis peut-être une garce, Anton, mais je suis la garce qui commande. Ne l’oublie pas.

Elle quitta furieusement le studio, hâtivement suivie par Monica, son assistante. Corinne se retourna vers elle avec mépris.

– Tu devrais peut-être faire un peu plus de sport, Monica, dit-elle pour la réprimander. Comme ça, tu arrêterais de souffler comme un phoque. Et puis, ce pantalon t’irait mieux. On croirait que tu caches une miche de pain, sous cette ceinture.

Monica ne dit rien, ce qui rendit Corinne heureuse. Cette fille était boulotte, mais elle apprenait vite les leçons les plus importantes : obéis et tais-toi.

Ils atteignirent le mobile home Star Waggon de Corinne juste derrière le studio 32, à côté du quartier de New York installé au fond des Studios Sovereign. Corinne ouvrit la porte, monta, se retourna vers Monica et leva une main pour lui interdire d’entrer.

– Tu dis à Anton qu’il a dix minutes pour trouver un nouveau Maraudeur pour la scène. Après ça, je rentre chez moi.

– Mais, Mme Weatherly, supplia Monica.

– Le compte à rebours est enclenché, dit Corinne en levant son téléphone avant de claquer la porte au nez de l’idiote.

Elle alla à sa table à maquillage, s’assit et se regarda dans le miroir. Ses cheveux blonds teints avaient l’air cassants. Dans la lumière crue, toutes les rides qu’elle avait si désespérément tenté de cacher semblaient briller. Son corps était encore ferme, mais elle avait de plus en plus de mal à ce qu’il le reste. Cela faisait maintenant cinq ans qu’elle se retenait d’avoir recours à la chirurgie esthétique. Même si le chirurgien était très bon, quand un visage était affiché sur un écran de cinéma de grande taille, elle voyait presque toujours quelle actrice s’était fait opérer. Cependant, il était peut-être temps d’appeler finalement quelqu’un.

Ça dépendrait beaucoup de ce film. S’il marchait bien, elle pourrait attendre quelques années de plus avant de se soumettre au bistouri. Si c’était un échec commercial, dans un avenir proche, il faudrait qu’elle se fasse opérer. Quand elle avait été la nouvelle ingénue sexy d’Hollywood, elle n’avait jamais eu ces sortes d’inquiétudes.

Il y a dix ans, elle était devenue célèbre grâce à la comédie romantique Pétales et Irritabilité. Alors, elle avait obtenu le précieux premier rôle dans Maraudeur, le thriller intellectuel et psycho-sexuel. Son personnage, Chastity Ronin, était à la base une victime, mais elle était aussi une coriace qui finissait par se rebeller contre l’assassin qui la poursuivait.

Ce film avait été un succès financier et critique et, comme il était venu juste après Pétales et Irritabilité, il avait fait d’elle une véritable star montante. Malheureusement, la suite avait été un flop. Dans les onze ans qui avaient suivi, Corinne n’avait obtenu que des rôles moins glamour puis plus aucun rôle. Récemment, elle avait dû se contenter de devenir l’animatrice d’un jeu télévisé de première partie de soirée au cours duquel elle avait dû prétendre qu’elle trouvait des enfants aux talents moyens absolument adorables.

Cependant, ensuite, elle avait découvert cette pépite d’or fugace, avec quelque assistance et en mettant la pression sur les bonnes personnes, certes. On relançait la franchise Maraudeur et un réalisateur de films d’horreur acclamé qui venait d’Europe, Zyskowski, avait été nommé réalisateur d’un film qui aurait l’esprit de l’original très sophistiqué. Enfin, on allait redemander à Corinne de jouer Chastity. C’était très intéressant, la sorte de rôle susceptible de la replacer sous les feux de la rampe si tout se passait bien.

Cependant, les gens comme Terry Slauson foutaient le bordel. Comme elle était entourée d’incompétents et comprenait peu à peu que le script n’avait pas le punch qu’elle avait attendu à l’origine, ce film ne lui semblait plus être gagné d’avance. De plus, alors qu’elle aimait contrôler la situation, elle commençait à se demander si insister pour que le studio embauche un réalisateur manipulable n’était pas une erreur. Si le film n’était pas un succès, elle en serait réduite à jouer dans des téléfilms du style le plus pitoyable qui soit.

J’aurais peut-être dû les laisser choisir un réalisateur doté non seulement d’une vision mais aussi d’une autorité suffisante.

Son moment d’introspection fut interrompu quand quelqu’un frappa à la porte.

– Qui c’est ? beugla-t-elle.

– Monica, dit une voix timide.

Cette fille devrait apprendre à s’affirmer.

Elle se leva et ouvrit la porte du mobile home.

– Que se passe-t-il ?

La fille avait l’air au bord des larmes.

– Anton dit qu’on arrête pour aujourd’hui. Quand il a dit à Terry qu’il ne finirait pas la scène, Terry a quitté le plateau. Quand il est parti, je l’ai entendu dire qu’il allait porter plainte.

– Qu’il le fasse, répliqua Corinne. De mon côté, je porterai plainte parce qu’il m’a maltraitée.

Monica hocha humblement la tête. Visiblement, elle ne voulait pas protester.

– Anton a dit que nous ne pourrions pas avancer tant que les producteurs n’auraient pas résolu le problème …

– Je suis productrice, répliqua Corinne.

– Je crois qu’il voulait parler des producteurs du studio, ceux qui paient les factures. De toute façon, il a dit qu’on en avait fini pour aujourd’hui. Il dit que vous recommencez demain matin à neuf heures et qu’il espère qu’il aura tout résolu à ce moment-là.

– Bien. J’ai besoin de sommeil, de toute façon.

Monica hocha la tête. Visiblement, elle avait envie de dire autre chose mais avait peur de le faire.

– Dites-le, dit Corinne d’un ton irritable.

– C’est juste que … Avez-vous besoin d’autre chose ce soir, Mme Weatherly ? J’espérais passer à la pharmacie pour y récupérer mes médicaments. Ils ferment dans vingt minutes.

Corinne se retint de dire quelque chose de narquois sur la nature probable du médicament en question. Quand elle baissa les yeux, elle vit que la fille tremblait légèrement, apparemment terrifiée. Pendant un très bref moment, Corinne se sentit coupable. Elle voulait que Monica lui obéisse mais, en la voyant trembler de peur, elle se demanda si elle n’était pas allée un peu trop loin.

– Allez-y, dit-elle en essayant de ne pas avoir l’air trop compatissante, mais je veux que vous soyez là avant moi demain, avec mon café glacé. Vous savez comment je l’aime, maintenant, n’est-ce pas ?

– J’ai la commande pré-remplie sur l’appli, lui assura Monica.

– Bien. Je suis contente de voir que vous apprenez.

Elle referma la porte avant que Monica n’ait pu répondre.

Poussant un soupir profond, elle passa rapidement aux toilettes puis récupéra ses affaires sur le lit, qui se trouvait à l’autre bout du mobile home.

Elle se rendit compte qu’elle aurait dû dire à Monica d’amener sa voiture du garage. Pour y aller, il fallait traverser les studios et ça prenait cinq minutes. Elle envisagea de la rappeler mais décida de la laisser aller tranquille à sa pharmacie. Elle ne voulait pas que la fille s’effondre sous les effets de sa maladie pitoyable quelle qu’elle soit puis que les tabloïds le reprochent à son employeuse.

Elle éteignit le plafonnier et se tourna pour éteindre aussi la lumière du miroir de sa table à maquillage. Ce fut à ce moment-là qu’elle le vit. Écrit sur le miroir en lettres d’imprimerie bien nettes et avec ce qui semblait être son propre rouge à lèvres, il y avait un mot, un nom, en fait. Elle le reconnut immédiatement, bien sûr. Comment aurait-elle pu ne pas le connaître ? Elle pensait à cette personne tous les jours depuis dix ans. Cependant, elle ne savait absolument pas comment ce nom avait pu apparaître sur son miroir. Quand elle avait examiné ses rides, le miroir avait été propre.

Elle regarda autour d’elle, perplexe. Alors, derrière elle, dans la pénombre, elle vit du mouvement, quelqu’un qui arrivait vers elle en tenant une corde tendue. Avant qu’elle n’ait pu se retourner ou réagir, elle sentit la corde s’enrouler autour de son cou et se serrer. Dans le miroir de maquillage, elle vit que son agresseur portait une cagoule noire, exactement comme celle que le Maraudeur portait dans la scène où elle venait de jouer.

Elle se débattit pour se libérer, mais cela sembla tendre la corde encore plus. Elle essaya d’inhaler de l’air mais rien n’entra. Quand elle commença à tomber par terre, le cœur battant la chamade sous l’effet de la peur, le cerveau envahi par la panique, elle eut une pensée bizarre et inattendue : par rapport à ça, quand Terry Slauson avait maladroitement tenté de lui tordre le cou, son geste avait paru presque tendre.

Elle mourut avant d’avoir pu apprécier l’ironie de la chose.

Le Déguisement Idéal

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