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CHAPITRE TROIS

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L’hôpital s’assurait que la chambre de Ryan reste sombre et fraîche. Le sifflement du respirateur artificiel produisait un rythme régulier. Jessie aurait presque pu le trouver apaisant si elle avait pu oublier pourquoi il était là. L’infirmière lui avait dit que le Dr Badalia arriverait bientôt. En attendant, Jessie examina Ryan.

Il avait meilleure mine qu’avant. Son visage était un peu moins pâle que lors de la dernière visite de Jessie et il avait un teint moins cireux. Si elle plissait les yeux, elle pouvait imaginer qu’il était juste assoupi. Il avait encore son charme ténébreux et, avec le drap qui le couvrait jusqu’au cou, on ne voyait pas que le corps qu’il avait entretenu de son mieux avait déjà commencé à s’atrophier.

Cependant, c’était juste une illusion. Guère plus de deux semaines auparavant, Ryan Hernandez avait été le meilleur inspecteur de la SSH, la Section Spéciale Homicides de la Police de Los Angeles, celle qui enquêtait sur les affaires bien en vue ou très suivies par les médias, souvent avec plusieurs victimes et des tueurs en série. Maintenant, il était allongé dans un lit d’hôpital, sans défense, poignardé à la poitrine par l’ex-mari de Jessie pendant qu’il était chez eux. C’était un souvenir trop lourd et elle l’écarta de ses pensées.

Le Dr Badalia arriva à la porte et elle se leva pour aller le retrouver dans le hall. C’était un homme grand et mince qui approchait de la quarantaine. Comme il avait toujours une expression austère, Jessie ne pouvait jamais dire s’il allait lui annoncer de bonnes ou de mauvaises nouvelles.

– Merci d’être venue, Mme Hunt, dit-il doucement.

– Pas de problème. Avez-vous des nouvelles ?

– Oui. Comme vous le savez, nous avons sorti Ryan de son coma artificiel la semaine dernière. La nuit dernière, pour la première fois, il a un peu réagi aux stimuli. Donc, nous avons légèrement réduit sa sédation pour voir si nous pouvions répéter l’expérience. Nous avons réussi. Il a pu ouvrir les yeux et répondre à quelques questions fermées en clignant des yeux. Nous avons pu lui expliquer brièvement sa situation, pourquoi il était en respiration artificielle et ainsi de suite.

D’abord, Jessie ne put rien dire. L’émotion du moment la submergea de manière inattendue et une boule lui remplit la gorge. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se rendit compte à quel point elle avait refoulé son anxiété et sa terreur pendant toutes ces semaines. Ce qui ne s’était introduit dans sa conscience qu’à ses moments de fatigue ou d’énervement venait maintenant de s’y déverser en force.

– Vous êtes sérieux ? dit-elle. C’est fantastique. Pourquoi ne m’a-t-on pas appelée ?

– Il était très tard, après minuit. De plus, honnêtement, l’effort a semblé l’épuiser. Au bout d’environ six minutes, il s’est endormi.

– Oh. Et ce matin ? S’est-il réveillé, aujourd’hui ?

– En fait, nous avons diminué le niveau de sédation il y a environ une heure parce que nous voudrions réessayer. C’est pour cela que nous vous avons appelée. J’espère que, s’il reprend conscience et si vous êtes là, il pourra communiquer un peu plus.

– Ça serait formidable, dit Jessie. On le fait dans combien de temps ?

Le Dr Badalia jeta un coup d’œil dans la chambre.

– Pourquoi pas maintenant ? proposa-t-il. On dirait qu’il est en train d’essayer de se réveiller.

Jessie se tourna et vit que Ryan était effectivement en train d’ouvrir les yeux. Il semblait avoir du mal, comme s’ils étaient collés et qu’il essayait de les ouvrir par la seule force de sa volonté. Cependant, cela semblait fonctionner. Ils retournèrent dans la chambre.

– Ryan, dit le Dr Badalia, vous avez de la visite.

Les yeux plissés, Ryan regarda Jessie traverser la pièce et approcher de lui. Alors, elle prit sa main droite dans les siennes.

– Salut, mon chéri, chuchota-t-elle. Je suis heureuse de te voir réveillé. Est-ce que tu m’entends ?

Il sembla avoir envie de hocher la tête mais, que ce soit à cause du gros tube qu’il avait dans la bouche ou par faiblesse, il n’y arriva pas.

– Un clin d’œil pour oui et deux pour non, lui rappela le Dr Badalia.

Il cligna des yeux une fois. Jessie toussa pour cacher le sanglot de joie qui lui monta dans la gorge.

– Je sais que c’est un long chemin, dit-elle, mais nous allons te sortir d’ici. Il va juste te falloir un peu de patience, d’accord ?

Ryan cligna à nouveau des yeux. Le Dr Badalia avança.

– Ryan, accepteriez-vous d’essayer un petit exercice ?

Ryan cligna des yeux une fois.

Jessie était légèrement agacée. Elle avait espéré qu’elle pourrait avoir un peu de temps pour parler à Ryan en privé, mais elle refoula son irritation. L’exercice était plus important. Le Dr Badalia poursuivit.

– Je vais demander à Jessie de poser la paume de sa main à plat et de poser votre paume par-dessus. Ensuite, je vais vous demander de lever un doigt précis. Est-ce que ça vous semble faisable ?

Ryan cligna des yeux. Jessie sortit sa main de celle de Ryan, posa la paume de sa main gauche sur le matelas puis celle de Ryan directement sur la sienne. Elle leva les yeux vers lui et sourit. Il plissa les yeux et elle considéra que cela signifiait qu’il essayait de sourire lui aussi.

– J’aimerais que vous essayiez de lever l’index droit en l’air. Pouvez-vous le faire ?

Au bout de ce qui leur parut être une attente interminable, il leva légèrement le doigt avant de le laisser retomber.

– C’est formidable, Ryan. Maintenant, pensez-vous que vous pourriez essayer de faire la même chose avec seulement votre petit doigt ?

Ryan plissa les yeux et Jessie sentit sa paume appuyer faiblement contre la sienne. Alors, il réussit à lever le doigt juste un petit peu avant de le laisser retomber.

– Vous vous débrouillez très bien, Ryan, lui assura le Dr Badalia. Pourrions-nous essayer un autre exercice ?

Ryan cligna une fois des yeux.

– OK. Celui-là est un peu plus difficile. J’aimerais que vous essayiez de retrousser tous les doigts de votre main droite pour serrer le poing sur la paume de Jessie. Commencez quand vous êtes prêt.

Jessie sentit la main de Ryan trembler légèrement quand il essaya de crisper les doigts afin de serrer le poing. Cependant, rien ne se produisit. Il ferma les yeux. Visiblement, il faisait un gros effort. Un des moniteurs qui se trouvaient à côté commença à biper plus vite qu’avant.

– C’est bon, Ryan, dit le Dr Badalia d’un ton apaisant. Vous avez fait un grand effort. Ça viendra, avec le temps. Vous pouvez vous reposer, maintenant.

Cependant, il était clair que Ryan refusait de s’arrêter. Il avait encore les yeux plissés et sa paume ouverte vibrait sur celle de Jessie. Il ouvrit les yeux et Jessie vit immédiatement que la frustration le rendait furieux. Le moniteur bipait encore plus vite.

– OK, Ryan, dit le Dr Badalia d’une voix aussi calme que toujours en allant vers la série de machines. On dirait que vous vous agitez un peu. Donc, je vais vous donner quelques sédatifs pour vous détendre et vous aider à dormir.

Ryan tourna les yeux vers Jessie. Il avait l’air paniqué, comme s’il la priait silencieusement de ne pas accepter qu’on le replonge dans le sommeil.

– Ne t’en fais pas, mon chéri, dit-elle en essayant de cacher son angoisse intérieure. Il faudra juste être patient. Repose-toi un peu. Nous pourrons réessayer plus tard.

Il cligna deux fois des yeux, s’arrêta puis recommença à plusieurs reprises. Ce ne fut que la quatrième fois où il essaya désespérément de lui demander d’interdire qu’on le replonge dans le sommeil que les sédatifs commencèrent à faire effet. Son clignement des yeux ralentit avant de s’arrêter complètement. Ses yeux se refermèrent.

Jessie se tourna vers le docteur en s’essuyant les larmes des yeux.

– On va parler dehors, dit-il gentiment. On ne sait jamais ce qu’ils entendent.

Jessie le suivit dans le hall et jusque dans la salle d’attente, où il s’assit. Elle l’imita.

– Comment tenez-vous ? demanda-t-il.

– Je me débrouille, dit-elle vite. Vous n’avez pas besoin de me réconforter ou de minimiser les faits, docteur. Dites-moi seulement où nous en sommes.

– OK. Ce que nous venons de voir a été prometteur. Je sais que Ryan s’est agacé à la fin. Cependant, vu ce qu’il a subi, avoir de la mobilité à ce stade est un signe positif. Cela dit, une route longue et difficile l’attend. Même s’il ne subit aucun dégât à long terme, rien que le fait d’être alité et sous respiration artificielle si longtemps peut entraîner des séquelles. Il aura besoin de beaucoup de kinésithérapie pour récupérer son habileté motrice de base. Il aura beaucoup de mal à marcher. Cela lui prendra peut-être de nombreux mois. De plus, il risquera d’avoir des dégâts permanents aux cordes vocales.

Jessie soupira mais, comme elle ne dit rien, le Dr Badalia poursuivit.

– C’est le scénario le plus optimiste, mais il faut que vous vous prépariez à d’autres. Il pourra subir d’autres dégâts que nous ne sommes pas encore capables de déterminer.

– Comme quoi ?

– Comme des affections nerveuses dues à la blessure causée par le couteau. De plus, il pourrait souffrir de lésions permanentes aux poumons. Certaines personnes guérissent complètement de cette sorte de chose, mais d’autres ont besoin d’une assistance constante, comme des réservoirs d’oxygène, des tuyaux respiratoires, cette sorte de chose. Enfin, il reste le risque qu’il ait subi une certaine quantité de lésions cérébrales.

Jessie le regarda, interloquée. C’était la première fois qu’elle entendait quelqu’un dire ça.

– Avez-vous vu des signes de cela ?

– C’est encore trop tôt pour le dire. Je sais que vous avez commencé à effectuer un massage cardiaque peu après son coup de poignard mais, au moins quelques fois, il a eu un accès limité à l’oxygène. Ses réactions de la nuit dernière et d’aujourd’hui sont prometteuses. Il a semblé comprendre ce que nous disions et répondre en conséquence, mais nous lui avons posé des questions simples et demandé d’effectuer des tâches élémentaires. Nous devrons attendre longtemps avant de pouvoir vérifier s’il a subi des pertes dans ses fonctions cérébrales supérieures ou dans sa mémoire.

– Dans sa mémoire ? répéta Jessie, de plus en plus choquée.

– Oui. Parfois, les blessures traumatiques, les comas artificiels ou la privation d’oxygène peuvent causer une perte de mémoire à court terme ou même permanente. Comme il a subi ces trois choses, nous ne pouvons pas éliminer ces risques.

Jessie resta assise en silence et essaya de digérer toutes ces terribles éventualités.

– Écoutez, vous m’avez demandé de ne pas minimiser les faits, donc, je vous ai tout dit. Cependant, aucune de ces issues n’est certaine. Il pourrait repartir travailler dans la police, en pleine forme, dans huit à douze mois.

– Ou alors ? insista Jessie, sentant qu’il n’avait pas tout dit.

– Ou alors, il pourra avoir besoin de soins permanents et continus dans un établissement de soins de longue durée. De plus, il peut aussi régresser et nous serions confrontés au pire des scénarios. La période actuelle est très imprévisible.

– Ouah, dit Jessie en secouant la tête, incrédule. J’ai pu lui tenir la main et le regarder dans les yeux. Je ne m’attendais pas à découvrir des perspectives aussi sombres.

Ils restèrent silencieux pendant un moment.

– Mme Hunt, puis-je vous donner un conseil ?

Jessie leva les yeux. L’expression habituellement austère du docteur s’était légèrement adoucie.

– Bien sûr.

– Je connais votre métier et je sais donc que vous avez l’habitude d’analyser vos problèmes actuels de manière méthodique et d’avoir au moins un certain degré de contrôle sur votre situation. En tant que docteur, j’aime moi aussi contrôler la situation. Cependant, en vérité, dans cette situation-là, on a très peu de contrôle. Vous pouvez venir, le soutenir, lui montrer que vous l’aimez et que vous êtes là pour lui mais, à ce stade du processus, vous n’avez aucun intérêt à vous inquiéter de ce qui pourrait se passer. Vous n’y pouvez rien. De plus, toute cette inquiétude vous épuiserait et vous auriez du mal à être là pour Ryan de la façon dont il en a besoin.

– Donc, voici ce que je vous conseille : quand vous êtes avec lui, soyez entièrement dans le moment présent mais, quand vous n’êtes pas avec lui, vivez votre vie. Voyez vos amis. Buvez du vin. Partez en randonnée. Enfin, ne vous sentez pas coupable de le faire. Ces moments de repos vous donneront la force d’être là pour lui quand il aura vraiment besoin de vous. Selon mon expérience, la meilleure façon que vous ayez de prendre soin de lui, c’est de prendre soin de vous-même.

Il sourit presque chaleureusement.

– Merci, docteur, dit-elle.

– Pas de problème. Il faut que j’y aille, mais je vous tiendrai au courant.

Il quitta la salle d’attente. Jessie y resta et regarda autour d’elle d’un air distrait. Il y avait une demi-douzaine d’autres personnes et elles donnaient toutes la même impression d’être sous le choc qu’elle, comme elle le savait. Elle se demanda brièvement quelle horreur personnelle les avait emmenées là. Est-ce que l’une d’entre elles avait perdu son mentor et presque perdu son âme-sœur dans la même semaine ? Avant qu’elle n’ait pu broyer du noir plus longtemps, son téléphone sonna. C’était le capitaine Decker, qui avait encore été son patron trois jours auparavant. Elle refusa l’appel, se leva et se rendit au parking couvert.

Alors qu’elle montait dans sa voiture, elle sentit la vibration qui indiquait qu’elle avait un message vocal. Elle fut tentée de le supprimer sans l’écouter mais ne put s’y résoudre. Cela aurait été vraiment impoli et, de plus, une partie d’elle-même avait très envie de savoir ce que le capitaine voulait. Elle écouta le message.

– Bonjour, Hunt. J’espère que vous allez bien. Je prévois d’aller rendre visite à Hernandez à l’hôpital cet après-midi. J’ai entendu dire qu’il s’était brièvement réveillé la nuit dernière. C’est une bonne chose, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’appelle. Je sais que vous nous avez quittés vendredi et je m’excuse de vous demander ça, mais j’ai besoin d’aide. On vient de nous confier une affaire énorme, incroyablement médiatisée. Normalement, j’y aurais assigné Hernandez mais, comme il n’est pas disponible, je vais y assigner Trembley, qui n’a jamais eu d’affaire aussi importante. De plus, la section a beaucoup trop peu de profileurs qualifiés depuis que vous êtes partie et depuis que … vous savez … Moses. Si vous pouviez juste m’aider sur cette affaire-là, même à titre consultatif, je vous en serais éternellement reconnaissant. Tenez-moi au courant.

Jessie effaça le message, rangea son téléphone et sortit du parking couvert.

Elle avait de la peine pour Decker, mais il y aurait toujours une autre grande affaire qu’il faudrait résoudre. Jessie voulait préserver sa santé mentale et cela supposait ne plus effectuer ce travail-là.

En outre, pour l’instant, elle avait une autre tâche à accomplir, une tâche qu’elle redoutait.

Le Déguisement Idéal

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