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Hiver de l'année 1108.

Puis vient une longue et complaisante énumération de ces prodiges. Ici ce sont des éclipses qui frappent l'imagination populaire; là on voit dans les airs deux armées de flammes qui s'entre-choquent avec un bruit étrange; ailleurs c'est un pain qui, en sortant du four, laisse écouler une grande quantité de sang; enfin, dans un autre endroit, une mère porte son enfant pendant deux ans, et cet enfant parle en naissant. Et l'historien, dont la crédulité dépasse toute imagination, ajoute naïvement: «J'obmets plusieurs autres prodiges, parce qu'ils ne paroîtroient pas vray-semblables, quoique peut-être ils fussent vrais.»

Et voilà pourtant sur quelles autorités nous devons nous appuyer pour tracer l'histoire des grandes intempéries anciennes! Dans les témoignages que nous rapporterons, nous devons donc faire une large part à la fable et à l'invention.

On pense bien que de si terribles calamités n'étaient pas sans porter une rude atteinte à la santé publique. Outre les gens qui mouraient de faim, et ils étaient souvent en fort grand nombre, il y avait ceux qui étaient victimes des épidémies causées par la misère et la mauvaise nourriture. Ces victimes-là étaient encore les plus nombreuses. La cause première de la mort était la même pour tous, c'est seulement le mode qui différait.

Mézeray décrit une de ces épidémies. C'était sous François Ier; plusieurs années s'étant écoulées successivement presque sans hiver, il en résulta une perturbation profonde dans la végétation, et une horrible famine. La misère était générale: «La nécessité, mère de toutes les inventions, fit enfin trouver le moyen aux indigents de faire du pain de gland et de racines de fougères, les fruits et les herbes n'étant pas capables de les sustenter. Mais de cette mauvaise nourriture s'engendra une nouvelle maladie, inconnue aux médecins, qui était si contagieuse qu'elle saisissait incontinent quiconque approchait de ceux qui en étaient frappés. Elle portait avec soi une grosse fièvre continue qui faisait mourir son homme en peu d'heures, d'où elle fut dite trousse-galant

Quels moyens employait-on à cette époque pour mettre fin à de telles calamités? D'abord les aumônes, la charité publique; mais le remède était mince et ne servait qu'à un bien petit nombre. Du reste, que peut faire la charité dans de semblables circonstances? La famine se déclare quand un pays n'a pas, par suite d'événements malheureux, produit de quoi suffire à son alimentation. La charité publique a beau se multiplier, elle ne peut créer des subsistances, elle ne peut rien contre la famine. Mieux vaudraient quelques sacs de blé amenés dans un pays affamé, que tout l'or du monde.

Le second moyen, à peine plus efficace, était la perquisition à domicile, la réquisition des grains. Dans toutes ces famines nous voyons intervenir des arrêts ordonnant un recensement général de tous les grains en magasin, interdisant aux détenteurs d'en faire le commerce en gros, les obligeant, sous les peines les plus sévères, à les conduire au marché pour y être vendus en détail aux pauvres gens. Mesure excellente, mais absolument insuffisante.

Il faut dire, pour rendre hommage à la vérité, qu'on voyait vaguement le véritable remède, mais sans avoir le moyen ni peut-être la ferme volonté de l'employer. On faisait venir du blé des pays voisins; mais, à cause de l'insuffisance des moyens de transport, et du retard apporté à la prise de ces mesures, on ne ressentait qu'un bien faible soulagement.

De plus, les famines étant dues beaucoup plus souvent à la guerre civile ou étrangère qu'aux intempéries des saisons, la cause même qui l'avait fait naître empêchait qu'on pût même songer à y porter remède.

La dernière ressource, comme les autres inefficace, mais qui donnait au moins aux malheureux quelque espérance, était celle des prières publiques.

Félibien, dans l'Histoire de Paris, fait le récit d'une procession qui eut lieu dans la capitale en 1587, dans le but de faire cesser la famine et la contagion qui décimaient la population. Nous allons voir avec quelle pompe ces cérémonies étaient faites:

«Après avoir employé tous les secours humains, on eut recours aux prières publiques pour fléchir le ciel sur tant de misères. On fit, le 9 de juillet, une procession générale, où fut portée la châsse de Sainte-Geneviève, avec toutes les cérémonies accoutumées. Cette procession fut bientôt suivie d'une autre plus particulière et aussi solennelle. Le mardi 21 du même mois, le cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Germain des Prés, qui avoit commencé l'année précédente à bâtir son palais abbatial, fit faire la procession en cet ordre. A la tête de la procession paroissoient les enfants du faubourg, garçons et filles, la plus part vêtus de blanc et pieds nuds, et tant les uns que les autres avec un cierge à la main. Venoient ensuite les Capucins, les Augustins, les Cordeliers, les Pénitents blancs, et le clergé de Saint-Sulpice. Tout cela précédoit les religieux de l'abbaye qui marchoient les derniers. Plusieurs d'entre eux tenoient en leurs mains des reliques. Les autres reliquaires, au nombre de sept châsses, étaient portés par des hommes nuds en chemise et couronnés de fleurs. La châsse de S. Germain faisoit la huitième. Elle étoit précédée de douze autres hommes aussi couronnés de fleurs, et portée de même que les sept premières. Le chœur étoit secondé d'une musique très harmonieuse. Le roi assistoit à la procession et étoit mêlé avec ceux de sa confrérie. Les deux cardinaux de Bourbon et de Vendôme y étoient aussi dans leurs habits rouges, suivis d'un grand concours de toute la ville.»

L'historien oublie de nous rapporter si cette imposante cérémonie eut l'effet qu'on en attendait et si elle fit cesser les souffrances du peuple. Mais il remarque que tout s'y passa avec tant d'ordre que le roi en parla le même jour à son dîner, et dit que le cardinal de Bourbon son cousin en avait tout l'honneur. Il ne manque pas ensuite de parler de l'achèvement du palais abbatial de Saint-Germain des Prés, qui lui tient plus au cœur que les famines, dont il n'est plus question.

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