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PRÉFACE

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Table des matières

LES PRIMITIFS. — L’ÉCOLE DES PARISIENS AU XIIIe SIÈCLE. — LA DIFFUSION DE L’ART PARISIEN PAR L’ARCHITECTURE, LA SCULPTURE, LES TRAVAUX D’ORFÈVRERIE. —HESDIN ET MAHAUT D’ARTOIS. — LES MINIATURISTES DU XIVe SIÈCLE ET LES PEINTRES. — LES PRIMITIFS FLAMANDS ET LES PRIMITIFS FRANÇAIS. — LISTE DE PEINTRES FRANÇAIS 1292-1500.

Par ce mot de Primitifs, détourné un peu de son acception juste, entendons les premiers peintres nationalisés, — c’est-à-dire sevrés de la tradition byzantine imposée par les cloîtres, —et se formant, dans chaque région, suivant les conditions sociales, physiques, ethnographiques. A ce compte les premiers peintres de France ne ressemblent guère à ceux de l’Italie, encore moins à ceux de la Néerlande ou de l’Allemagne. Ce qui nous est resté des œuvres de plate peinture exécutées en France, dans le XIIIe siècle trahit des tempéraments-et des goûts très différents de ceux des voisins. Les Français, laïcisés de bonne heure, grâce aux communes, se créent des canons spéciaux, des usages à eux. Leurs thèmes graphiques, empruntés à l’enluminure et à la sculpture des maîtres gothiques, trahissent un personnalisme singulier et puissant. Alors que Cimabué et ses contemporains s’ingénient à grandir au carreau les miniatures des moines orientaux, et se condamnent aux redites, les artistes de l’Ile de France, sans direction traditionnelle, s’émancipent et se cherchent des modèles à leur portée.

D’abord ce seront de maigres artisans. Au commencement du XIIIe siècle, dès Philippe-Auguste, ils sont plutôt peintres décorateurs; ils couvrent les statues de leurs contemporains les sculpteurs, d’or fin ou de peintures voyantes. Ce sont les peintres-imagiers. D’autres s’avisent de reporter en petit sur les meubles, sur les ustensiles du culte ou les châsses de reliques, les figures appliquées en grand sur les murs des églises. Ce sont les peintres-selliers. Ils empruntent parfois aux miniaturistes des manuscrits les sujets les plus populaires et les répètent, sur les ais de bois qu’ils sont chargés d’ «historier», c’est-à-dire de peindre à histoires, de décorer de compositions ou de fleurettes. Leur métier a ses lois. Ces peintres doivent, avant toutes choses, enduire leur bois d’une colle, mettre sur cette colle une toile ou un canevas, et, sur le canevas, du plâtre convenablement séché et poli. Suivant le cas, ils peignent leurs compositions à même ce plâtre, ou ils le recouvrent d’une lamelle d’argent, et, sur cet argent, ils ajoutent de l’or. L’or étant préparé et poncé, ils dessinent à l’encre noire le sujet, l’arrêtent dans ses contours, et ensuite appliquent la couleur au pinceau. Cette technique retrouvée chez les Primitifs parisiens, dès le XIIIe siècle, consacrée dans le Livre des Métiers d’Etienne Boileau vers 1250, montre péremptoirement que la prétendue découverte de Margaritone d’Arezzo est une de ces fables comme il en court sur les origines des arts en Europe, à peu près dans tous les livres spéciaux.

Il nous est resté de ces pratiques de curieux spécimens antérieurs à la date que notre exposition s’est fixée. Une châsse à Albi, une autre à la Cathédrale de Noyon, des panneaux égarés ici ou là, datés par leurs figures ou leurs attributs, un tableau du Musée de Cluny, de rares peintures murales fixent, par leur témoignage, l’affirmation du Livre des Métiers. La question est donc maintenant de rechercher qui, des Parisiens ou de Margaritone, et surtout des Siennois, a commencé à peindre sur panneaux de bois, et à faire œuvre de plate peinture mobile et portative. Et le fait de priorité une fois établi, nous devrons rechercher et savoir, quels, des gens de France ou d’Italie, se sont émancipés les premiers, se sont cherché des moyens propres en s’affranchissant de l’imitation et de la redite. En d’autres termes, l’École de Paris du XIIIe siècle — groupement de volontés concurrentes, de talents rencontrés chez les architectes, les sculpteurs, les verriers, les miniaturistes et les peintres selliers — a-t-elle subi la loi des Italiens ou des Néerlandais à ses origines, ou bien ceux-ci sont-ils venus lui demander certaines recettes, certains jeux qu’ils adaptèrent ensuite à leur esthétique particulière? Toutes les constatations paraissent en faveur des Parisiens. Ils ont les premiers constructeurs, les premiers modeleurs d’Europe; leurs verriers et leurs orfèvres n’ont rien à emprunter aux autres. Lorsque Hugues de Plailly élève à Corbeil une tombe splendide à Ingeburge de Danemark et qu’il la signe, dans le commencement du XIIIe siècle, il n’a rien demandé ni à Rome, ni à Athènes, ni à Haarlem, ni à Cologne . C’est un primitif, naturaliste déjà, copiant le vrai, l’effigie de la reine morte, sans aller prendre aux moines du Mont Cassin, grecs décadents, le secret utile à son œuvre. Et les sculptures des cathédrales, les vitraux de Chartres, les manuscrits français en sont là, bien longtemps avant que Cimabué paraisse dans le monde. Le mot de Primitifs français, si on l’entend à son vrai sens, n’est donc pas une expression hasardée, ni un «petit jeu». Que des guerres incessantes, des bouleversements politiques, de grandes misères eussent arrêté l’essor, il serait puéril de le nier. L’homme de génie que fut Giotto nous manqua, comme les statuaires de génie, pareils à nos trecentistes, manquèrent à l’Italie. Cependant les artistes du porche de Reims, contemporains de Giotto, ne le valent-ils point? Nous dissocions les arts volontiers, mais nous allons à l’encontre du juste, en classifiant les talents, en mettant de parti-pris certains travaux au-dessus de certains autres.

D’ailleurs, que discutons-nous? Une grande part a été ruinée chez nous. Nos anciennes peintures ont péri; savons-nous ce qu’Étienne d’Auxerre ou Pierre de Broiselles avaient exécuté sur les murailles du château de Hesdin, pour la comtesse Mahaut d’Artois, nièce de saint Louis? Pourrions-nous dire que les œuvres de cet Étienne, envoyé à Rome par Philippe-le-Bel, fussent tellement inférieures aux fresques de Giotto? Tout en est anéanti; pas un vestige n’en subsiste. Hesdin fut longtemps une sorte de Fontainebleau du XIVe siècle naissant: Mahaut y avait appelé tous les artistes parisiens les uns après les autres ceux dont les noms nous ont été gardés par les livres de l’impôt, et parmi lesquels Étienne d’Auxerre et Évrard d’Orléans. D’eux aux Flandres, par un commerce persistant, la pénétration se fit. Il n’est point malaisé de suivre, dans les comptes de Mahaut d’Artois, publiés par M. Richard, le peu d’importance des Néerlandais à cette époque. On a fait de Pierre de Broiselles un Pierre de Bruxelles, sans tenir compte de la qualification de bourgeois de Paris dont on le gratifie. Et jamais aucun des artistes, employés à Hesdin pendant plus de vingt ans, ne va chercher en Flandre la moindre recette ni le moindre ouvrier; l’huile, les matières utiles aux travaux, les «estoffes» comme on dit, se prennent à Paris ou bien à Arras. Rien à Bruxelles, rien à Tournai, à Valenciennes, ni à Bruges. Dans le cas où les Néerlandais eussent été les initiateurs, le contraire se fût sûrement produit. Lorsque nous verrons paraître, à un demi-siècle de là, le peintre Jacquemard de Hesdin à la cour de France, Beauneveu de Valenciennes ou Jean de Bruges, si particulièrement influencés par nos artistes du commencement du XIVe siècle, et plus Français que nos peintres, si l’on peut dire, ne sommes-nous point fondés à prétendre que les travaux de Hesdin n’ont pas été pour rien dans l’éducation de ces gens? Et quand nous verrons Jacquemard de Hesdin, dans un manuscrit du duc de Berry, s’inspirer formellement du miniaturiste Pucelle de Paris, qui eût été son grand-père, que nous le verrons lui prendre ses plus jolies inventions du Bréviaire de Belleville, n’est-ce point que les nôtres ont été étudiés, copiés à outrance?

Ce sont ces faits nouveaux qu’il faudra reprendre un à un, remettre à leur point, discuter sur pièces authentiques, avant de se prononcer formellement sur les origines comme on le voit faire. Et ce qui s’est montré dans le Nord s’est produit aussi dans le Midi, à la cour des Papes d’Avignon, où de curieux mélanges s’élaborèrent, commençant de France en Italie et d’Italie en France, un mouvement d’infiltrations réciproques, dont le Duc de Berry devait être l’un des patrons les plus qualifiés. Ainsi s’expliquent des faits singuliers, dont les petits panneaux. à fond d’or de Madame Lippmann donnent l’idée, dont le Martyre de Saint-Denis consacre l’importance dont le manuscrit des Très riches Heures de Chantilly constate l’étrangeté. De là sortiront les Van Eyck dans le Nord, un inconnu de l’Artois, dit le Maître de Flémalle, puis le Tourangeau Jean Fouquet, le Picard Charonton, le Provençal Froment, résultante de la précieuse fermentation d’un demi-siècle, Français, Flamands et Italiens tout ensemble, reconnaissables seulement à un accent de terroir, quoique parlant à peu près le même langage. Ce point de vue une fois perdu ou insoupçonné, tout redevient mystère. Fouquet est alors accusé de parodier Van Eyck, Froment de copier Van der Goes; plus rien ne se comprend de ce qui est cependant la chose la plus simple et la plus limpide. Fouquet ressemble à Van Eyck, parce que tous deux ont suivi le même enseignement, l’un dans les Flandres par Jean de Bruges ou tout autre; le second par les artistes du duc de Berry, élevés à pareille école. L’un a plus de génie, l’autre plus d’esprit; ne se valent-ils point au fond? Et ce qui sortira d’eux, dans le Nord, La Pasture ou Memling, chez nous l’admirable et merveilleux peintre que nous nommons le maître de Moulins, Bourdichon ou Perréal, Clouet même encore, s’annonceront comme le prolongement d’un même rameau d’origine. Accordons aux amoureux d’Italie que ces hommes eussent regardé les Italiens; ce n’est pas d’eux qu’ils ont pris leur esprit, ni leur splendide naïveté ; les Italiens n’ont rien de semblable, ce sont des décorateurs païens.

La peinture en France sous les Valois

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