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AVANT-PROPOS

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Table des matières

Un universitaire a pris la peine de composer tout un gros volume, afin d’établir que Renan est le type de «l’égoïste intellectuel». Egoïste et intellectuel, cela jure, quel que soit le sens qu’on donne à égoïste: il faut choisir. On ne saurait, en effet, être égoïste en tant qu’intellectuel, si connaître c’est d’abord sortir de soi-même pour pénétrer l’objet. Et si l’on entend que l’égoïsme, c’est l’amour de soi, «l’amour-propre», poussé jusqu’à la passion, alors on peut dire que l’intellectuel n’est pas égoïste. Car il ne peut aimer beaucoup son prochain, mais il ne peut non plus s’aimer passionnément; peut-être ne peut-il rien aimer beaucoup. Cette intelligence divine des penseurs est un Moloch qui dévore une grande part de leurs sentiments; leur cœur n’est qu’un esclave chétif, taciturne. Chérir? Si quelque amour naît par surprise, elle travaille puissamment à en faire un concept ou un devoir. L’action, qu’est-ce pour eux? Une démonstration par le fait, un exemple, tout au plus un sport. L’intellectuel a conscience de son Moi donné, et, d’autre part, conscience d’en avoir conscience, conscience d’un Moi qu’il crée ou d’un pouvoir de le créer; il a, comme on l’a dit, «un jugement de sa nature et un sentiment de son artifice». Il se sent l’un de nous et, à la fois, il sent en lui quelque chose de plus universel. Telle est sa «pluralité», dirait M. Pierre Lasserre. Le «bien-être», la vie même, qu’est-ce pour lui, quand il ne saurait oublier que son corps est aussi l’abri de la Divine, quand une part des soins qu’il en prend, c’est pour elle? Si vous dites que l’intellectuel est égoïste, ajoutez que c’est à la façon des voués. Renan eût-il un peu sacrifié tous les siens à sa pensée (ce qui n’est pas vrai, tant s’en faut, il fut un fils, un mari, un père normaux), ce serait là un genre d’«égoïsme» tout semblable à celui d’un philanthrope qui, par dévouement à son œuvre, négligerait trop sa famille. Prétendez-vous qu’il a travaillé, non pour atteindre la vérité, mais pour se procurer d’agréables «sensations intellectuelles»? En ce cas, ne l’appelez pas intellectuel. Un penseur ne peut travailler pour son bonheur qu’en s’efforçant vers le vrai, comme un artiste vers le beau: sciemment penser le faux, raisonner mal, cela ne saurait lui procurer aucun plaisir. Et Renan a renoncé toutes les joies sensuelles: si quelque volupté s’attache à l’exercice de l’intelligence, il faudrait être bien inhumain pour lui reprocher de l’avoir goûtée. Est-il rien de plus noble, de plus permis que les passions de la raison?...

Laissons donc ceux que leur préjugé contre Renan prive d’une bienveillance, sans laquelle on ne saurait entendre une pensée complexe et qui s’exprime avec toutes les ressources des plus merveilleux artistes. Laissons aussi ces esprits plus géométriques que fins, que déroutent les politesses que l’auteur de la Réforme intellectuelle et morale a abondamment réparties à tout le monde. Une politesse achevée suppose toute une morale, et elle est la marque de la délicatesse d’esprit: une légende, mais pleine de sens, affirme que c’est en écoutant le chevalier de Méré que Pascal, qui avait peut-être retrouvé seul la géométrie, découvrit un monde d’idées qui, tout génial qu’il était, lui avait été jusque-là fermé. Et gardons-nous surtout de reprocher à Renan le souci qu’il a toujours montré des solutions opposées, le scrupule qu’il a eu de rien sacrifier de sa vérité, l’attention avec laquelle il s’est préservé de tout dogmatisme. Lui faire grief de ses «contradictions» partielles, en effet, c’est se méprendre du tout au tout sur le caractère, la nature même de son œuvre, et, du même coup, sur un des aspects les plus exquis de la pensée française.

Renan et ses critiques

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