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LES TROIS PERSONNES

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A Émile Henriot.

A la Potinière d'une ville d'eaux, entre midi et une heure, trois messieurs se trouvèrent pressés, et, comme ils causaient là, ventre à ventre, ils convinrent d'aller déjeuner ensemble.

Ils avaient passé la cinquantaine et modifié leur visage depuis peu, s'étant rasés à la manière des générations neuves et ayant rejeté vers l'occiput ce qu'il leur restait de cheveux grisonnants ou gris. Ils étaient nu-tête et en pantalon blanc.

Ils convinrent d'aller déjeuner près de là, sous les arbres de l'auberge à la mode, entre une verte pelouse de la largeur d'un mouchoir et un orchestre excellent. Les automobiles passaient, bruissaient, empestaient; le vent d'est secouait tentes et parasols et rabattait la nappe sur les assiettes. Les trois messieurs, en léger costume d'été, s'installèrent fermement.

De quoi parler, entre quinquagénaires, lorsqu'on mange bien et que le vacarme des machines, uni d'une façon paradoxale aux langueurs de la valse-hésitation, stupéfie vos pensées? De quoi parler, sinon de souvenirs?

Remembrances gaillardes, aventures de régiment, de chemin de fer ou de chasse, l'écume de la mémoire, sont mises en commun tout d'abord; puis, à mesure que l'intimité naît en dépit du tintamarre, et si la musique, par hasard perçue, vient à vous caresser les nerfs, voilà des sources plus limpides qui jaillissent, et vous éprouvez le besoin d'exprimer enfin quelque chose qui compte.

Tout beau! Au premier geste de confidence, l'un des trois hommes, M. de Soucelles, leva la main comme un chef d'orchestre qui arrête net ses musiciens:

—Messieurs, dit-il, nous glisserions trop vite à l'épanchement mensonger qui embellit une aventure dans le temps même que celle-ci prend consistance! Interdisons-nous de toucher à aucune affaire où nous ayons joué un rôle avantageux. Il faut à tout prix, si l'on veut bien dire, limiter son discours. Et que penseriez-vous, pour écarter les vantardises, de raconter exclusivement des mésaventures? Chacun de nous, que diable! connaît bien une femme qu'il ait un jour voulu attaquer, ou qu'il ait attaquée, et sans succès, s'étant heurté, comme dit mon fils, guerrier, «à un bec de gaz»!...

—Ne reste que l'embarras du choix! dit modestement M. Bernereau.

M. Briçonnet, le troisième, se souvint aussitôt d'avoir goûté un amer plaisir, au moins une fois, près d'une femme qu'il eût aimée plus qu'aucune, mais qui était éprise, à la folie, de son mari.

—Oh! fit M. de Soucelles, s'il s'agit d'une amoureuse légitime, à vous l'honneur, ô Briçonnet: la mienne aimait son amant.

—La mienne aussi, dit M. Bernereau.

Le dangereux jeune homme

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