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II
Оглавление—Messieurs, la difficulté que j'éprouve en commençant, est de me conformer à la règle qui veut que nous donnions à nos personnages des noms supposés. Je ne suis pas un romancier; je n'ai aucune imagination. J'aimerais, je l'avoue, conserver a mon héroïne ce nom de «madame des Gaudrées» auquel nous sommes déjà accoutumés.
—C'est impossible! s'écria Briçonnet, c'est inconvenant à l'égard de mes propres souvenirs. Eh! sais-je de quel opprobre vous allez charger vos personnages? En outre, c'est tendancieux, car par là vous favorisez votre thèse de l'identité entre ma brune et votre blonde!
—Soit, dit Bernereau. Dire qu'il va me falloir baptiser tout mon monde! J'ai envie d'appeler ces gens-là Un, Deux, Trois, etc.
—Non, non! cela est disgracieux, cela ne parle pas à l'esprit.
—Je donnerai donc à ma Dulcinée le nom d'un hameau où j'ai pris hier un bol de lait et qui s'appelle les Noullis.
—Va pour madame des Noullis!
—Vous savez, messieurs, que je me suis, comme le vicomte d'Espluchard, beaucoup occupé d'automobile, surtout dans les débuts de ce sport. Mon histoire se place un peu plus tard que celle de Briçonnet. Pour moi «le siècle avait deux ans». C'était après ce qu'on nomme en termes d'automobilisme «l'année de Berlin», à savoir lors du grand «Circuit de Vienne», un fameux tournoi international où notre industrie tenait le premier rang. Je suivais avec un vif intérêt les épreuves. Nous étions, sur le chemin de feu l'Autriche-Hongrie, un certain nombre de Français. Pendant la toute première partie du voyage vertigineux, j'avais fait la connaissance d'une jeune femme tout à fait selon mon goût, une «sportive» que nulle difficulté du raid n'avait privée de son heureuse humeur. Je n'ai pas rencontré depuis lors une femme animée à ce degré de l'ivresse du mouvement. Elle ne conduisait pas elle-même, il est vrai, car cela n'était guère encore d'usage chez les dames, mais il lui suffisait d'être en voiture pour se déclarer satisfaite. Jolie? Ah! messieurs, à tel point que, jusque sous les horribles lunettes, elle vous eût séduits, dès le premier abord.
—Grande? fit M. Briçonnet.
—Briçonnet, vous nous avez caché la taille de madame des Gaudrées; je réserve celle de madame des Noullis. Vous savez déjà que cette femme séduisante était blonde; elle était blonde comme les blés. D'instinct, j'avais été attiré vers elle, et cela, dès le premier relais. Je la perdis au second, mais le troisième jour, durant la traversée de la Suisse, je reconnus ses cheveux d'or sur le bord de la route. La voiture qui la portait était en panne. Les pannes, fréquentes à cette époque, étaient l'occasion de maints épisodes romanesques. Je stoppai, et offris mes services. Par hasard, ils ne se trouvaient pas superflus. On travailla donc; on causa; puis, comme on se lavait les mains dans l'eau glacée d'un torrent, on se présenta.
»Madame des Noullis avait pour mari un homme ni grand ni petit, ni bien ni mal. Je regrette de ne vous point offrir un mari aussi affreux que celui qui exaspéra Briçonnet... Les Noullis étaient accompagnés d'un autre couple, celui-là composé d'un homme évidemment beaucoup mieux que M. des Noullis, et d'une personne nettement disgracieuse, à figure de chèvre; et c'est à cause de ce détail que je les appellerai, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, monsieur et madame de la Biquerie. Je leur octroie la particule pour ne pas demeurer en reste sur le précédent narrateur.
»Je ne m'occupai pas beaucoup de toute cette Biquerie, mais je fis aussitôt la cour à madame des Noullis qui, sur ma foi, ne fut pas décourageante.
»Une fois remis en marche, nous ne nous perdîmes presque pas de vue. Je voyageais seul avec un mécanicien qui put, à plusieurs reprises, donner un coup de main à mes nouveaux amis, ces messieurs n'étant point secondés. Des Noullis était maladroit et paresseux; la Biquerie, lui, très rompu à toutes les exigences de l'automobile, mais ayant oublié quelques outils indispensables, lors de sa première étape, à Dijon. Ma grande surprise fut, à un relais, de trouver madame des Noullis les mains à la pâte, si l'on peut s'exprimer ainsi en parlant d'une femme qui a retroussé ses manches sur ses bras charmants, qui a endossé la salopette ouvrière, et qui, penchée sur le capot béant, tripote et tourne les écrous à l'aide de ses petits doigts noircis et poisseux, qui de plus, au moment où je fais halte, quelques pas derrière sa voiture, crie à son mari d'un ton résolu: «Allons, ouste! tu n'y entends rien!» A la vérité, elle et la Biquerie étaient seuls dignes d'entreprendre un voyage de cette sorte; eux seuls le paraissaient apprécier. Quand j'arrivais avec mon mécanicien, madame des Noullis n'acceptait pas toujours volontiers de se faire suppléer dans sa tâche, mais elle se montrait aimable, extrêmement. Je passe sur des incidents de route où vous verriez, entre autres choses, s'accroître mon intimité avec l'adorable blonde, mais qui allongeraient inutilement mon récit.
»A Vienne, nous descendîmes, les Noullis, les la Biquerie et moi, au même hôtel. On était au milieu de juillet. Il faisait une chaleur accablante. Ces messieurs, qui dormaient mal la nuit, se rattrapaient le jour. Ce n'était pas que je n'eusse grand besoin de faire comme eux, mais j'étais agité à l'excès par la présence, si proche de moi, de madame des Noullis, et je m'évertuais à découvrir le stratagème qui me permît un rapprochement plus étroit encore. Il devenait évident que nous nous entendions, elle et moi, à merveille. Nous nous entendions si bien, que j'en vins, un moment, à me demander si la belle n'était point femme légère! ou,—que j'étais donc jeune!—si elle ne me laissait point voir trop innocemment que j'avais fait sa conquête. Tout marquait que j'étais tombé au sein d'une famille honnête: de petits hobereaux d'excellente éducation, l'esprit tourné plutôt en arrière qu'en avant. Le mariage des la Biquerie ne remontait qu'à une date récente, puisqu'ils disaient faire leur voyage de noces. Couple mal appareillé, comme vous l'avez vu, ils tenaient aux Noullis bien avant leur union, elle étant la sœur aînée de Noullis et lui,—oui, mon cher Briçonnet,—le propre cousin de mon très gracieux flirt.
—Fichtre! dit Briçonnet.
—C'est ainsi, cher ami. Oui, mes figures et les vôtres coïncident de telle façon que j'en suis même un peu gêné: ne vous ai-je pas averti que j'allais prendre la suite de vos affaires?...
—Elles étaient bonnes, observa M. de Soucelles, et c'est cette succession qui vous amusait: comment se fait-il, Bernereau, que vous ne paraissiez pas précisément triomphant?
—C'est qu'à mesure que je vous fais toucher davantage les rapports entre l'un et l'autre récit, les objections qu'on peut opposer à leur coïncidence exacte se présentent et s'accumulent dans mon esprit. Bizarre phénomène: avant de prendre la parole, j'étais sur de nouer mon épisode au précédent: je parle à présent; je donne à Briçonnet lui-même la croyance que je tiens son propre fil, et voilà que je sens que, pour la moindre effilochure, ma prétention première est rompue. Mais elle n'est qu'accessoire dans l'affaire... Je poursuis. Il faisait chaud, disais-je, et je cherchais mon stratagème... Voici celui que je crus délicat et du dernier fin.
»Mon agitation m'ayant mené, durant les heures torrides, jusqu'au musée de peinture, j'avais eu la surprise de trouver, dans ce vaste et magnifique monument, de la fraîcheur. J'en fis la confidence à madame des Noullis, ne doutant guère qu'elle ne saisît l'occasion à la fois d'échapper à la fournaise et de passer deux heures en ma compagnie. A ma stupeur, elle fit exactement comme si elle n'avait pas entendu ma proposition. Ce n'était pas une femme si facile! C'était une provinciale timorée, soumise aux convenances, et qui témoignait hardiesse et même témérité en présence des siens, quitte à redevenir petite pensionnaire dès qu'elle avait hasardé le pied hors de ses fortifications naturelles.
»Je renonçai à la fraîcheur des pinacothèques, et ne gagnai même pas à cette abstention cinq minutes de tête-à-tête avec ma délicieuse mijaurée. Comment donc employait-elle les lourdes heures de l'après-midi? Car elle prétendait ne pas dormir.
»A peine madame des Noullis avait-elle reçu le renfort de son mari, de sa belle-sœur ou de son cousin, elle redevenait avec moi coquette, mais d'une coquetterie que j'estimais regrettable en tant qu'elle était, d'une part, excessive en vérité, et, d'autre part, sans but. Cette femme n'allait-elle pas, un de ces jours, me demander de m'accompagner au musée? Je fus autorisé à le croire. Comme elle ne s'y décidait point, ce fut moi qui lui en osai faire publiquement la proposition. Surprise, explosion, scandale! La belle-sœur ébaubie; le mari riant jaune; la dame elle-même empourprée, et pudique tout de bon. Le cousin seul demeurait impassible. Mais, en chœur, les quatre fossiles m'accusèrent de faire montre d'une immoralité «babylonienne». Cependant les aguichements de madame des Noullis à mon endroit déconcertaient le cynique débauché que l'on voulait que je fusse. Beaucoup de puérilité, en somme, comme vous voyez; un peu de ridicule aussi; mais, messieurs, quelle femme!...
»La vie presque commune avec la provinciale tribu n'était pas très aisée, car si mon idole, tout en m'attirant, me repoussait, elle aboutissait, par son manège, à rendre des Noullis ombrageux. Un exemple: j'avais pris le parti, non pas tout désintéressé, de me rendre, seul, au musée, durant les heures trop chaudes. Madame des Noullis ne vint jamais au musée, cela va de soi; mais elle ne consentit pas une fois à monter en voiture pour le Prater, entre cinq et six, avant que je ne fusse rentré à l'hôtel et en état de faire la classique promenade viennoise avec la tribu. Tout exprès, je me mettais en retard; je me faisais attendre. On m'attendait. La tribu enrageait; madame des Noullis piétinait. J'arrivais, d'un pas lent; j'affrontais allégrement l'impatience générale: n'étais-je pas le monsieur sans qui madame des Noullis refusait d'aller au Prater?
»Remarquez que la question de la promenade au Prater s'aggravait du fait qu'en mon absence une seule voiture eût suffi. A cause de moi, deux voitures étaient nécessaires. Et il y avait dispute quotidienne, avant de monter, touchant la répartition des personnes, dispute qui se terminait non moins régulièrement par loger M. des Noullis et sa laide sœur dans un carrosse, madame des Noullis, son cousin et moi dans un autre.
»La famille me maudissait; mais celle qui consentait à se dire mon flirt tenait bon; et, comme aucun des trois autres membres ne se fût privé d'elle, l'on en passait finalement par le caprice de la belle. Le frère et la sœur dévoraient leur dépit dans leur voiture à deux chevaux, et m'envoyaient à tous les diables. Vous m'entendez bien. Or, quand nous nous trouvions tous réunis, soit chez un pâtissier, soit au restaurant, de quoi supposez-vous qu'il était question? Mais du retour vers la mère patrie avec moi, du retour imminent, d'ailleurs, du long parcours en automobile, dont on fixait les étapes, soit dans le Tyrol, soit en Bavière, soit en Alsace-Lorraine, en me consultant bénévolement, et avec déférence, sur chaque halte, attendu qu'il semblait inconcevable que ce retour pût s'effectuer sans mon aide!
»Un soir, au Kahlenberg, une colline dominant la ville, où nous allions dîner pour goûter un peu d'air, je me trouvai accoudé auprès de madame des Noullis à une balustrade rustique. Des Tziganes jouaient derrière nous, furieusement, à briser leurs chanterelles. La nuit était superbe; la famille quasi écartée. Je fis à l'objet de mes amours une solennelle déclaration. Ah! était-ce enfin cela qu'il fallait à cette Célimène soumise au formalisme? Elle ne fit pas un mouvement, son visage demeura sans expression aucune. Alors, prenant la chose en souriant, je simulai que je frappai à un guichet: «Pan, pan!» Elle prononça un mot allemand que nous avions eu l'occasion de lire et d'entendre en maint endroit: «geschlossen», c'est-à-dire «fermé». Je grommelai en m'efforçant d'imiter un public mécontent. A la descente du Kahlenberg, nul souvenir de l'incident; aménité habituelle à mon égard, et coquetteries provocantes, comme si de rien n'était.
»Le lendemain, à midi, dans la grande cour du Hofburg où nous nous traînions, en désœuvrés, pour entendre l'aubade que donnait à l'empereur la musique de la garde, et comme la chaleur s'annonçait pire encore, je dis à madame des Noullis en la regardant d'une manière plus impérative que suppliante:
«—Je vais passer une fraîche après-midi au musée.»
»Elle adopta un air sérieux; puis elle sourit avec une grâce inoubliable qui pouvait être autant ironie compatissante qu'espèce de promesse.
»Et j'allai au musée, ce jour-là, en un si parfait espoir de la rencontrer, que, ne la rencontrant, au bout d'une heure, dans aucune des salles à température exquise, je revins, dépité, à l'hôtel, par la plus grande chaleur du jour.
»Et je me souviens que, dans l'escalier qui conduisait au deuxième étage occupé par nous, je m'arrêtai aux avant-dernières marches afin de m'éponger le front et de me remettre un peu la figure en ordre, de peur de paraître ridicule à madame des Noullis si un hasard voulait que je la rencontrasse avant d'atteindre ma chambre.
»Dans l'instant où je posais le pied afin de me livrer à cette opération d'homme épris, je la vis, elle, tout entière: ses cheveux blonds, sa nuque, sa taille, et un kimono soyeux sous les plis duquel elle m'était déjà précédemment apparue... Et, tout entière, reconnaissable à ne pouvoir s'y méprendre, je la vis entrer dans une chambre qui n'était ni la sienne, ni celle de son mari, ni celle de monsieur, ni celle de madame de la Biquerie... Rassurez-vous! ce n'était pas non plus la mienne.
»Je restai là, sidéré, mon mouchoir à la main et le front ruisselant. Je poussai un juron, et puis, tout à coup, bondis jusqu'à ma chambre dont j'eus soin de ne pas fermer la porte, afin de rester attentif au moindre bruit du corridor. Je me lavai, me changeai, venant à tout instant à ma porte entr'ouverte, risquant un œil au dehors, jusqu'à la chambre numéro 125,—hundert fünf und zwanzig—dont je me répétais mentalement le chiffre, en français et en allemand, je ne sais absolument pas pourquoi.
»J'étais depuis beau temps remis en état, essuyé, lavé et habillé pour la promenade au Prater, quand, à la suite de nombreuses alertes dans le corridor, je vis de nouveau madame des Noullis qui regagnait tranquillement sa chambre. Elle me tournait le dos et ne me vit point. J'étais tout habillé pour la promenade. Je m'apprêtai à descendre, ne tenant pas outre mesure à éclaircir un mystère probablement banal. Mais, comme je passais devant la chambre numéro 125,—hundert fünf und zwanzig,—j'en vis sortir... M. de la Biquerie.
»Je regardai encore une fois, involontairement, le numéro 125,—hundert fünf und zwanzig,—et je dis au beau cousin:
«—Tiens, vous avez changé de chambre?»
»Il ne me dit ni oui ni non, et poursuivit son pas tranquille et mesuré dans le corridor. Ah! j'eus tout loisir d'aller réfléchir dans le hall, car je m'étais mis en une folle avance sur l'heure de la promenade.
»Vous jugez que ma dignité me commandait de battre en retraite et par le plus court? Messieurs, c'est faire injure à la puissance de séduction de madame des Noullis. Une heure après les petits événements que j'ai rapportés, consentez à me voir assis, je vous prie, dans une voiture à deux chevaux, en compagnie des personnages que j'avais vus l'un et l'autre sortir de la chambre numéro 125. Je me niais à moi-même un dépit atroce, mais que sa grandeur précisément rendait apte à atténuer ses propres ravages.
»Vous me voyez donc sur la banquette, à côté de madame des Noullis et vis-à-vis de M. de la Biquerie, bons cousins. Nul motif de rien modifier à nos attitudes respectives. Madame des Noullis me demanda:
«—Eh bien, faisait-il frais au musée?»
»Et elle continua avec moi son habituel et galant manège. J'y répondis en badinant, avec une ardeur que fouettait ma fièvre. Mais du galant manège je comprenais désormais l'abominable malignité.
»Toute la question était pour moi de décider si je continuerais à me prêter au jeu, ou si j'attendrais une occasion propice à montrer que je l'avais découvert. Entre nous, il est vraisemblable que j'eusse prolongé l'état d'expectative, moitié pour le plaisir de contempler plus longtemps de beaux yeux, moitié pour le ragoût de constater jusqu'à quel bas usage une femme pouvait domestiquer un quidam. Oui, sans doute, j'eusse honteusement temporisé, si, le soir même, sous des traits surprenants, la divinité protectrice des familles ne m'était apparue.
»Nous avions à peine réintégré nos cellules, après l'échange des «bonne nuit», dans le corridor, que j'entendis frapper à ma porte. Ho! Ho!...
»Je me précipitai. Je vous laisse à deviner qui frappait à ma porte... Non. Vous ne brûlez pas...
»C'était madame de la Biquerie.
»Madame de la Biquerie, émue, hésitante à la fois et résolue, roulant des yeux, portant la main à son cœur, son mouchoir à ses yeux avant que la pluie en tombât, enfin plus laide que jamais, venait m'exposer qu'il n'échappait ni à elle, ni à son cher mari, ni à son frère, que je me livrais avec la trop charmante des Noullis à un divertissement dangereux. A croire ma visiteuse, la jeune des Noullis était une femme qui avait semé jusqu'ici le bonheur autour d'elle, qui avait choisi son mari entre cent soupirants, contracté par conséquent un mariage d'amour, et donné l'exemple de la plus touchante tendresse. M. des Noullis souffrait, paraissait-il, de voir sa femme bien-aimée se livrer à de petites «excentricités de voyage» qui, hélas! étaient de nature à leurrer un étranger (à qui le disiez-vous, ma belle!...). M. des Noullis n'eût pas voulu, par une intervention personnelle, donner de l'importance à ce qui n'en saurait avoir, aussi la sœur, compatissante avait-elle pris sur soi de me venir avertir, «quitte à se compromettre», prononça-t-elle sérieusement, assurée qu'elle était qu'un galant homme de ma sorte renoncerait à jeter la perturbation en une famille aussi exemplairement unie...
»Cette dernière expression allait me faire pouffer au nez de madame de la Biquerie, quand je pensai que rien n'était plus exact que les termes employés par elle, attendu que c'était pour que le contact demeurât plus intime et parfait entre les membres de sa famille, que madame des Noullis s'était servi de moi comme chandelier.
»Je reconduisis donc poliment jusqu'à ma porte madame de la Biquerie en lui faisant grâces et salamalecs et lui jurant que sa «famille exemplairement unie» ne me retrouverait plus sur son chemin.
»Et en effet, le lendemain, dans la matinée, je quittai Vienne avant qu'eût ouvert l'œil aucun Biquerie, aucun Noullis.
»Vous vouliez une mésaventure. La mienne est cuisante.
—Elle ne l'est pas que pour vous! dit M. Briçonnet, car elle prouve que mon Hélène des Gaudrées, deux ans après mon séjour en son manoir, avait bel et bien un amant.
—Rien n'est moins certain que cette dernière proposition, dit M. Bernereau, et malgré de remarquables coïncidences. Songez que jamais je n'entendis parler d'une vieille mère, et que la musique ne parut pas un moment tenir quelque place dans les préoccupations de mes Biquerie. Outre cela, qu'une femme s'élance des bras de son mari en ceux de son cousin, voilà qui ne dérange rien aux lois de la nature, mais qu'elle passe du goût éminemment sédentaire de la pêche, à la frénésie de la locomotion rapide, quelle entorse à la logique! Les goûts ne sont-ils pas une des rares choses stables du monde? On les apporte en naissant, on les tient de famille, et on les transmet à ses héritiers.
—Heu...! heu!... fredonna M. de Soucelles.