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V

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Le dimanche, mon mari, pour m'être agréable, m'accompagnait à la messe de la petite église Saint-François-de-Sales, à quatre pas de chez nous: on n'avait pour ainsi dire qu'à traverser le Parc Monceau. J'avais gardé du couvent un goût particulier pour la messe matinale: elle ne ressemble pas aux autres; elle est plus intime et plus simple; beaucoup de femmes y communient; enfin, j'ai toujours eu l'impression qu'on s'y retrouve plus sûrement entre vrais chrétiens. Mais mon mari avait eu, lui, de tout temps, l'habitude de faire la grasse matinée le dimanche. Je m'aperçus promptement qu'il lui en coûtait beaucoup de ne pouvoir demeurer au lit, à sa guise, au moins un jour par semaine, et je n'eus pas le courage de lui imposer ce sacrifice plus longtemps. Ce n'était que prévenir un retour à ses vieilles coutumes, qui se serait effectué sans que j'y misse la main, mais en proposant moi-même à mon mari de nous contenter de la messe de midi, je m'épargnai la disgrâce d'être abandonnée, toute seule, un prochain dimanche, à celle du matin. Nous prîmes donc l'habitude de n'aller qu'à la messe de midi, c'est-à-dire à une réunion de gens distraits, pressés de déjeuner, ou de courir aux matinées, et qui semblent faire au bon Dieu une suprême concession: on sent que de tous leurs devoirs religieux, ce bout de messe-là est le dernier. Je me moquais de ces catholiques négligents, dans les débuts; peu à peu, comme les autres, je m'accommodai très bien de cette formalité réduite pendant laquelle ma pensée n'avait ni le loisir ni même le désir de descendre jusqu'à cet arrière-fonds de nous-mêmes où le sens religieux se retrouve. Ma piété, naturellement, diminua. Quelquefois, pendant cette messe de midi, mes souvenirs d'enfance, de pension, de jeune fille affluaient, et liés tout à coup au présent, me donnaient de la vie une image si incohérente que j'en étais étourdie: une si grande part faite à Dieu au commencement de la vie, une si misérable portion dès que la vie semble avoir adopté son sens définitif!..

Il m'arriva, avec ce régime de la messe de midi, où le prêtre ne nous dit pas un mot, d'oublier les Quatre-Temps, les Vigiles; de grandes fêtes se présentaient, nous surprenaient, sans qu'on leur fît plus d'honneur qu'à un dimanche. Un jour, en m'apercevant d'un pareil oubli, je dis à mon mari:

– Eh bien! vous qui vous félicitiez d'avoir épousé une femme dévote!..

Ah! mais, c'est qu'il ne trouva pas du tout cela drôle! Oui, certes, il avait entendu épouser une femme dévote! Sans doute, il ne fallait pas que cette dévotion l'incommodât ni se fît remarquer; mais bien plus encore il redoutait qu'elle diminuât jusqu'à menacer de s'éteindre. Ce qu'il fallait, c'était que ma religion me permît de figurer au dehors comme les femmes qui n'ont point de religion, mais qu'au dedans elle conservât toute sa chaleur avec ses avantages. Pour Noël, il me fit cadeau de quatre jolis volumes admirablement reliés en maroquin; c'étaient les Sermons choisis de Bossuet, de Bourdaloue et de Massillon, et les petits traités de morale de Nicole.

Il fut le premier à m'engager à revoir une ancienne compagne de couvent que j'avais rencontrée dès mon arrivée à Paris, chez une couturière de la rue Tronchet. Elle s'appelait autrefois Charlotte Le Rouleau, et elle avait épousé un M. de Clamarion. Elle habitait rue Monsieur, sur la rive gauche, comme les Du Toit.

Lorsque, entre autres confidences de jeunes femmes, je racontai à madame de Clamarion la vie que j'avais menée depuis mon mariage, en compagnie de mes cousins Voulasne, elle en fut épouvantée; elle me tint pour tombée vivante dans l'Enfer; elle ne connaissait, quant à elle, rien de pareil. Moi qui avais cru, naïvement, que l'on menait toutes les jeunes mariées dans les cabarets montmartrois!.. Son mari, grâce à Dieu, disait-elle, lui avait épargné les mauvaises connaissances; elle fréquentait un monde «exquis», affirma-t-elle, confiné dans le vieux faubourg et qui entretenait peu de communication avec «la population interlope de l'autre rive». Je me sentais toute honteuse d'habiter près du Parc Monceau. La description que Charlotte me faisait de son monde, si calme, si hostile à l'esbrouffe américaine qui déjà nous envahissait, si conservateur des bonnes manières françaises, m'attendrissait. Je lui demandai ce que faisait son mari. Elle eut presque l'air froissé: «Oh! mais, rien!» dit-elle. Il chassait une partie de l'année; il tirait aux pigeons; il avait son cercle. La fortune, selon toute apparence, devait être des plus ordinaires, mais on espérait en l'héritage d'une certaine tante; et les parents Le Rouleau, je le savais, étaient riches.

Charlotte était désolée de ne point me faire embrasser son bébé, que l'on promenait aux Tuileries. Elle me montra des quantités de photographies d'un marmot joufflu, à six mois, à un an, à dix-huit mois; puis celle du papa, un blondin frisé, de figure quelconque, en brigadier au 2e cuirassiers, puis épaulant à Monte-Carlo, puis à cheval dans une allée du Bois.

– Je suis bien contente, ma petite Charlotte, de vous trouver heureuse!

Tout à coup, Charlotte me passe un bras autour du cou, m'embrasse et se met à pleurer:

– Ma pauvre Madeleine! me dit-elle, mon mari ne m'aime pas!..

– Comment! est-ce possible?.. après trois ans de mariage à peine!..

– Oh! oh! dit-elle, les années n'y font rien, allez… Il a une maîtresse… Oh!.. il l'avait déjà avant la naissance de mon petit… Vous voyez!..

A mon tour d'être abasourdie et de m'indigner:

– Il y a à Paris de ces créatures!..

Je m'étais fait, depuis que je courais les petits théâtres, une idée à moi des femmes qui me semblaient destinées à détourner nos maris.

– Oh! m'interrompit Charlotte, ce n'est pas ce que vous croyez, c'est la comtesse de P… une femme du meilleur monde, âgée quarante-cinq ans, maigre et laide, une amie intime de ma belle-mère, presque de son temps, d'ailleurs, et que je suis obligée de recevoir ici!..

– Est-il possible?

– Oui, dit-elle simplement, d'un certain ton d'aînée qui signifiait, je crois: «Vous verrez que c'est possible!»…

Mon instinct se révoltait; sans prononcer une parole, j'eus un mouvement que Charlotte devina, parce que nous avions longtemps vécu ensemble, et qui voulait dire: «Mais il n'y a donc pas moyen de se révolter contre cette situation?»

Elle me dit:

– Mes larmoiements, mes récriminations, si vous saviez comme ces hommes-là ont une façon de vous en faire comprendre le ridicule… et la vanité! Quand cela m'a soulevé le cœur par trop fort d'être contrainte à voir ici cette pimbêche, j'ai cru pouvoir m'en ouvrir à ma belle-mère; mais ma belle-mère m'a fait signe de ne pas continuer et elle m'a dit en propres termes: «Dans notre famille, ma chère enfant, l'usage est de fermer les yeux, de se taire et d'élever nos enfants de notre mieux…» L'usage… Ce mot-là vous rabat le caquet, je vous prie de le croire, quand on n'est, comme moi, qu'une petite bourgeoise…

Pauvre Charlotte!.. Trois ans auparavant, nous étions sur le même banc, au Sacré-Cœur, ignorantes et prêtes à tout. Mais elle avait un demi-million de dot, et moi rien; et voilà les destins différents qui s'emparent de nous en s'appuyant sur ces chiffres! Elle a fait, elle, le mariage qui comblait certainement tous ses vœux: joli garçon, beau nom, noble faubourg! Et la voilà qui, pour les quinze ou vingt mille francs de rentes qu'elle apporte à une famille appauvrie, a acquis tout juste le droit de servir chez une madame de Clamarion, rue Monsieur! Je ne me trouvai pas, par comparaison, si à plaindre.

Je fis à mon mari le récit de ma visite. Il montra beaucoup d'intérêt pour le cas de mon amie, et il dit:

– Voilà des femmes admirables!

J'espérais revoir Charlotte qui avait paru trouver un soulagement à se confier à moi. Elle vint, longtemps après ma visite, déposer une carte chez mon concierge, et quand j'essayai par deux fois de la revoir chez elle, il me fut répondu qu'elle était sortie. Nous n'étions pas du même monde. Ceci était si vrai que, de moi-même, sans songer à Charlotte, je quittai, peu après, sa couturière. J'ai rencontré madame de Clamarion, des années plus tard, à une vente de charité. Elle me parla très gentiment. Je la complimentai parce que je voyais souvent son nom, dans les journaux, à la tête d'une quantité d'œuvres où elle payait, c'était probable, plus de sa personne que de sa bourse. Elle me parut, en effet, complètement absorbée par cette besogne et par son fils unique; elle était mise sans aucune recherche, comme une femme qui a oublié son sexe. C'était une résignée et elle semblait avoir trouvé la paix, même un bonheur.

Je me doutais bien que mon mari souhaitait me voir fréquenter quelques-unes de ces femmes jugées par lui «admirables». Il le souhaitait parce qu'il comprenait que je trouverais peut-être près d'elles l'agrément qui me manquait ailleurs, et il le souhaitait parce qu'il tenait avant toute chose à ce que je ne m'écarte point du type de femme qu'il avait voulu en moi. C'étaient des femmes qui ne l'amusaient pas, mais qu'il jugeait indispensables à la maison. Malheureusement, il en connaissait peu. Madame de Clamarion, c'en était une qui nous échappait. Je pensais, moi, toujours aux Du Toit, qui m'avaient fait les avances les plus caractérisées; mais il y avait interdit sur les Du Toit, au moins aussi longtemps que leur conflit avec les Voulasne n'aurait pas reçu de solution.

Madeleine jeune femme

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