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CHAPITRE DEUXIEME.
Le Radeau.

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Table des matières

Le navire s’était si bien engagé entre les écueils qu’il y était pris comme dans un étau. La proue plongeait plus avant que la poupe, ce qui lui donnait une direction tellement inclinée d’arrière en avant et de haut en bas que les objets mal assurés eussent nécessairement roulé d’une extrémité à l’autre. Cette position qui, dans toute autre circonstance, nous eût beaucoup effrayés, nous inspirait alors une plus grande sécurité. Puisqu’il avait ainsi résisté à tout l’effort de la tempête, nous n’avions plus à craindre qu’il fût emporté au large par le vent, les vagues ou le courant.

Nous étions tout au plus à un quart de lieue du rivage, mais la brume n’avait pas permis la veille de l’apercevoir; aussi nos malheureux compagnons des chaloupes, à en juger par la position de certains rochers à fleur d’eau, qui n’avait pas changé comme celle du vaisseau, s’étaient-ils dirigés tout à l’opposé vers la haute mer. Nous en concluions que tous avaient vraisemblablement péri. S’ils fussent restés ici, pensions-nous, nous n’aurions pas maintenant à déplorer leur perte. Leur vie serait hors de danger, ils pourraient aussi toucher le rivage; mais, hélas! ils sont morts, et voilà que les mouettes et les goëlands déployant leurs longues ailes rasent la surface de l’eau et cherchent leurs cadavres à dévorer.

Après avoir donné des larmes à leur tragique destinée, nous songeâmes aux moyens d’atteindre la côte. L’idée de construire un radeau se présentait naturellement à l’esprit, car c’est ainsi que la plupart des naufragés, quand Ils ont perdu leurs chaloupes, gagnent ordinairement la terre. Sans le secours néanmoins du maître charpentier de l’équipa je, nous aurions eu bien de la peine à le faire as ez solide pour oser nous y confier. David prit de lui-même la direction du travail, il nous indiqua les matériaux que nous devions lui apporter ainsi que la manière de les disposer, et nous lui obéîmes sans faire la moindre objection, sans même lui demander aucune explication, car si nous avions fait de longues études, si nom avions passé une partie de notre vie à cultiver notre esprit, nous n’en sentions que mieux toute la supériorité qu’il avait sur nous en cette circonstance.

Depuis vingt-quatre heures au moins nous étions préoccupés de la mort au point qu’aucun de nous n’avait songé à prendre de nourriture. Nous n’en avions même pas éprouvé le besoin; mais lorsque l’espérance nous eut été rendue et que nous nous mîmes à charrier les premières pièces nécessaires à la construction du radeau, nous sentîmes dans tous les membres une grande tasitude. A peine si nous avions la force de soulever les moindres fardeaux. Nous nous regardions tristement les uns les autres, comme si nous eussions été menacés d’un nouveau malheur, quand le docteur qui avait un instant partagé nos craintes se mettant à rire: Eh! parbleu, messieurs, nous dit-il, sans recourir à la pharmacie, nous trouverons bien ici, j’espère, quelque bon spécifique contre le mal qui nous effraie. Que ceux qui veulent se faire traiter me suivent.

A ces mots il prit le devant, descendit aussi vivement que son état de faiblesse put le lui permettre, se dirigea vers les soutes, revint avant que nous eussions quitté le pont, et nous montrant une bouteille de vin et un pain long qu’il brandissait joyeusement au dessus de sa tête e: Voilà, voilà, s’écria-t-il, le véritable remède., le remède souverain qui doit nous rendre la vie. David, qui connaissait mieux la disposition de chaque chose sur le navire, descendit à son tour, rapporta des couteaux, des verres, des viandes, une petite caisse de liqueurs; et si le repas que nous fîmes n’était pas des plus délicats, il était du moins assaisonné d’un excellent appétit. Le médecin fut obligé de se faire violence à lui-même pour nous exhorter à ne pas satisfaire entièrement notre besoin de nourriture. Après une diète aussi prolongée, nous dit-il, l’estomac a moins de force et ne supporte pas aussi facilement le poids dont on le charge; ne lui donnons donc pas trop de viande et de pain, si nous ne voulons pas avoir sujet de nous en repentir.

David eut plus tôt que nous fini de manger, car il était accoutumé à prendre ses repas en fort peu de temps. Allons, messieurs, nous dit-il, les momens sont précieux, la journée est longue, mais elle ne le sera pas trop pour faire notre radeau, le charger, nous rendre à terre et y faire nos dispositions pour passer enfin une bonne nuit.

Nous lui apportâmes une dizaine de grandes vergues ayant chacune environ vingt pieds de longueur; puis d’autres pièces de bois moins longues mais fort épaisses, de grands clous, des cordages, des planches, tout en un mot ce qu’il nous demanda. Il étendit parallèlement sur le pont les grandes vergues à deux pieds de distance les unes des autres, et plaçant aussi paral1lèlement mais en travers les autres pièces de bois, il les lia fortement aux premières aux endroits où elles se croisaient. De longues planches clouées ensuite sur cette charpente formèrent une espèce de parquet assez uni, très solide, ayant seulement l’inconvénient de présenter des jours où pouvaient aisément passer les pieds, inconvénient du reste auquel nous remédiâmes comme je le dirai tout à l’heure.

Le maître charpentier employa un temps considérable à ce travail il; nous essayâmes bien à la vérité de l’aider à lier les pièces de bois entre elles, mais comme les cordages dont il faisait usage étaient fort gros, qu’à l’exception d Eugène Dampierre e, nous n’avions ni assez de force ni assez de de Mérité, et qu’il était obligé de reprendre en sous-œuvre ce que nous avions déjà fait, nous quittâmes cette besogne pour parcourir le vaisseau et voir quels objets il nous conviendrait le mieux d’emporter.

Madame Barcel et sa fille avaient eu déjà la même pensée. Nous les trouvâmes dans l’entrepont; les manches relevées jusqu’aux coudes, elles pétrissaient du son dans de grands haquets: Le docteur se prit à rire eu les voyant. C’est faute de pâte d’amande, sans doute, leur dit-il, que vous vous lavez les mains et les bras avec du son? Nous ne songeons guère en ce moment, je vous assure, reprit son épouse, aux soins de propreté; mais tandis que là-haut nous déjeunions fort à notre aise, il y avait ici de pauvres animaux qui jeûnaient et se mouraient de faim; il fallait voir dans quel piteux état nous les avons trouvés. Oh ! vraiment, nous aurions eu le cœur bien dur si nous n’eussions pas été touchées de leur misère.

En parlant ainsi elle remplissait de petites auges que sa fille allait porter dans les cages où l’on avait renfermé dès oies, des poules, des canards et. toutes sortes d’animaux de basse-cour. Car le capitaine ayant pris à bord plusieurs personnages de distinction, s’était arrangé de manière qu’ils pussent, durant toute la traversée, avoir de la volaille sur table comme s’ils eussent été à terre. Il avait de même embarqué une cinquantaine de moutons, de chèvres, de cochons, et jusqu’à deux ânesses qui devaient fournir leur lait à la femme du vice-consul du Mexique, femme très délicate, qui allait en Amérique rejoindre son mari, parce qu’on lui avait prescrit pour sa santé de voyager dans les pays chauds.

Ces divers animaux n’étaient pas comme la volaille logés dans l’entrépont; on les avait, contre la coutume, placés plus bas et plus près de la proue du navire, aussi n’avaient-ils point encore été visités; nous laissâmes donc madame Barcel et sa fille donner la pâture aux poules, aux oies, aux canards, et nous courûmes vers l’écurie, où nous supposions que les bêtes qui s’y trouvaient réclamaient de notre part de pareils soins.

Elle était divisée en plusieurs compartimens par des cloisons percées de portes, afin que l’on pût communiquer de l’un à l’autre. Nous trouvâmes que l’eau y avait pénétré, et que dans le fond, vers la partie la plus rapprochée de la proue, elle s’était même élevée assez haut pour noyer cinq ou six moutons; les autres se tenaient blottis dans le coin le plus exhaussé, ce qui n’empêchait pas qu’ils eussent encore de l’eau jusqu’au ventre. Ils étaient tristes, transis de froid, mourant de faim. Nous les fîmes sortir; nous ramenâmes pareillement les autres animaux du second compartiment dans le troisième, et lorsque nous les eûmes réunis au dessus du niveau de la mer, nous leur donnâmes de suite de la nourriture pour plusieurs jours.

Nous fîmes, en visitant les écuries, une découverte qui nous fut très agréable, bien que nous ne prévissions pas encore quelle en serait pour nous l’utilité; ce fut celle d’un cheval étalon et d’une superbe jument destinés en présent au vice-roi des possessions espagnoles en Amérique.

En ouvrant la porte de l’écurie aux chevaux, deux chiens de chasse s’en échappèrent et se mirent à la recherche de quelques débris de viande ou de biscuit que vraisemblablement ils n’eurent pas de peine à trouver, le bâtiment présentant un affreux désordre. Ici étaient des tonneaux de vin défoncés, des caisses brisées, là des sacs de farine imprégnés d’eau, partout des objets déplacés ou renversés. La tâche assurément eût été longue et laborieuse, s’il eût fallu remettre chaque chose à l’endroit occupé avant la tempête, et il eût été impossible de réparer les avaries de tout genre que nous envisagions avec douleur.

Lorsque Eugène et David, qui travaillaient au radeau, l’eurent à peu près achevé, ils nous appelèrent pour les aider à le lancer à l’eau. Ce n’était certainement pas trop de nos efforts réunis, car il était extrêmement lourd, et il ne fallait pas le lancer de côté de crainte qu’il ne se brisât sur les écueils, mais le conduire et le faire passer par l’arrière du bâtiment, c’est-à-dire au dessus de l’endroit le plus élevé.

Pour passer plus facilement les cordages qui devaient lier entre elles les diverses parties de la charpente, David avait placé les vergues sur des rondins s; grâce à ces rondins, nous n’eûmes d’abord qu’à pousser fortement le. radeau pour le faire avancer; mais quand il fut arrivé au pied de la rampe, nous craignîmes après les premières tentatives de ne pouvoir parvenir à lui faire franchir ce pas difficile. N’ayez pas d’inquiétude, nous dit David, placez-vous tous de ce côté, levez tant que vous pourrez, et surtout de l’ensemble.

Nous fîmes ce qu’il nous disait, nous engageâmes nos leviers sous le radeau, et quand nous l’eûmes soulevé de six pouces environ, il plaça dessous une pièce de bois qui le maintint dans cette position. Maintenant il faut en faire autant de l’autre côté, poursuivit-il. Nous répétâmes de l’autre côté la même opération, nous soulevâmes le radeau de six pouces, et il plaça encore dessous une pièce de bois.

Nous continuâmes long-temps de la sorte; chaque fois que nous soulevions le radeau, David passait de nouvelles et plus grosses pièces de bois; il fallut bientôt en mettre plusieurs les unes sur les autres, et quand nous eûmes atteint la hauteur de la rampe, nous n’éprouvâmes plus que très peu de difficulté pour le jeter à la mer.

Sa chute fit jaillir l’eau de toutes parts, il enlaça a, disparut, et revenant l’instant d’après sur la surface liquide, il nous offrit un plancher solide de vingt pieds de longueur sur dix de largeur.

Une échelle de cordes était à l’avance fixée à la rampe du navire; David descendit lestement, sauta sur le radeau, puis nous ayant demandé un câble, il amarra le plus près possible, afin qu’on pût aisément charger.

Nous imaginions n’avoir plus qu’à descendre les objets que nous devions emporter, mais le maître charpentier, notre architecte, et en quelque sorte notre seconde Providence, jugea convenable de nous tailler d’abord une nouvelle besogne. Maintenant, nous dit-il, videz les barriques d’eau, fermez-les bien et descendez–m’en une vingtaine.

Nous le fîmes, et à mesure que nous les lui passions, il les fixait solidement avec des cordes tout autour et en dehors du radeau, ce qui lui permit de porter, en sus de ce qu’il aurait fait d’abord, un poids égal à ce que pesaient les vingt barriques quand elles étaient pleines. Il fit enluite au milieu du radeau, dans l’épaisseur des plus grosses pièces de sa charpente, un trou large et profond, dans lequel il enfonça une longue vergue; une seconde vergue moins forte, mise en travers de la première, reçut une voile que cinq ou six cordes permettaient de présenter au vent, tantôt de face, tantôt obliquement, selon que nous voudrions marcher en ligne droite ou courir des bordées.

Pour que rien ne manquât au radeau, nous dit David en remontant sur le navire quand il eut fini de disposer les agrès, il serait bon de lui donner un gouvernail; mais ce serait une opération trop longue; d’ailleurs, nous y suppléerons avec les rames. Si vous m’en croyez, nous allons donc le charger et le monter tel qu’il est, le vent porte à la côte, la marée montante nous y pousse, et si nous avons le bonheur d’éviter Iesécueils que nous trouverons sur notre route e, nous arriverons en bien peu de temps.

Au mot d’écueils à éviter, madame Barcel parut vivement effrayée. Nous aurons donc encore des dangers à courir dans cette courte traversée? demanda-t-elle.

Nous nous efforçâmes de dissiper ses inquiétudes à cet égard. David, moins scrupuleux alors qu’il le devint par la suite, glissa même dans son discours deux ou trois mensonges bien conditionnés, qui ne contribuèrent pas peu à la rassurer. Mais, dit Caroline en montrant du doigt le radeau à sa mère, est-ce que nous ne pourrions pas tomber dans ces grandes fentes? C’est vrai, reprit David, je ne pensais plus que nous avions l’honneur d’avoir des dames avec nous. Et se chargeant aussitôt les épaules d’une énorme masse de toiles, il descendit les étendre sur le plancher du radeau.

Si personne ne se montre sur le rivage quand nous y arriverons, dit alors le baron, si les indigènes demeurent au loin dans l’intérieur des terres, les voiles nous seront indispensables pour nous construire des tentes, on pourrait donc en descendre et en étendre encore quelques autres, les objets dont on les chargera les empêcheront d’enfoncer quand on posera le pied au dessus des fentes, et ces dames n’auront plus rien à i craindre.

Nous nous mîmes tous à l’œuvre. Nous tirâmes ) du vaisseau tout ce qui nous sembla d’une plus grande utilité pour l’établissement que nous allions former à terre, beaucoup de toiles destinées a la voilure du bâtiment, des cordages, des draps de lit, des couvertures, des matelas, du bœuf et du porc salés ou fumés, du biscuit, tout le pain que nous trouvâmes dans les soutes, des marmites pour cuire nos alimens, de la vaisselle, des couverts, dix fusils à deux coups, des balles, trois barils de poudre, plusieurs scies, des marteaux, des haches et des clous, une douzaine de chaises, une table ovale dont les côtés à charnières se repliaient sur eux-mêmes et qu’on pouvait alonger à volonté en écartant les pieds et plaçant au milieu diverses pièces soigneusement numérotées, etc., etc.

Telle était la force de notre radeau, que malgré tant d’objets il ne tirait qu’une très petite quantité d’eau. Nous le chargeâmes encore d’un tonneau de vin que nous descendîmes à l’aide de grosses cordes, dont l’une des extrémités était fixée à la rampe du bâtiment, de six paniers de liqueurs, de plusieurs coffres remplis de vêtemens, et comme il y avait place encore, nous nous mîmes à faire de nouvelles recherches sur le vaisseau.

Personne ne revint les mains vides, le docteur rapporta une grande caisse contenant des livres de médecine, des instrumens de chirurgie et une petite pharmacie, le tout appartenant sans doute à l’officier de santé du bord. Le baron rapporta des lignes à pêcher et des filets; Eugène, une demi-douzaine de sabres et des pistolets; madame Barcel et sa fille, deux sacs contenant du fil, des aiguilles, des rasoirs, du savon et autres objets de toilette, tels que brosses, peignes, etc. David revint chargé de beaucoup d’outils de menuiserie, et moi enfin, je rapportai trois bréviaires, une pierre sacrée et deux calices que j’avais trouvés en visitant les porte-manteaux des malheureux prêtres condamnés à la déportation.

Nous aurions encore augmenté la charge du radeau, si nous n’eussions craint d’être surpris par la nuit et obligés de remettre notre départ au lendemain; cette crainte, l’impatience où nous étions d’arriver à terre, nous firent donc prendre place sur le radeau. Madame Barcel et sa fille s’assirent sur des coffres au pied du mât, le baron se mit à l’arrière et prit en main la rame qui, passée dans un anneau de fer, devait tenir lieu de gouvernail, car bien qu’affaibli par l’âge et les souffrances endurées sur la Capricieuse, il n’avait pas voulu demeurer inactif spectateur. Le docteur, Eugène, David et moi, nous nous plaçâmes sur les côtés, disposés à ramer aussitôt que serait coupé le câble qui nous retenait au navire.

Nous étions au fond d’un canal formé par une double rangée de rochers à fleur d’eau et long d’environ cinquante vergues; il fallait par conséquent naviguer en droiture sans dévier le moins du monde; aussi ne fîmes-nous d’abord usage que de nos rames et avançâmes-nous très lentement; mais l’embouchure du canal une fois dépassée, David déploya la voile et notre marche devint plus rapide, en pleine mer nous aurions au moins filé huit nœuds à l’heure.

Près du rivage nous eûmes à prendre de grandes précautions, d’abord pour éviter de nouveaux écueils qui bordaient la côte, ensuite pour ne pas être entraînés par un très fort courant qui nous éloignait du but que nous voulions atteindre. Ce fut alors que le gouvernail du baron et l’habileté de David à manœuvrer la voile nous furent d’un grand secours s; au lieu de nous conduire directement à terre le radeau obliquait tantôt à gauche, tantôt à droite, et de la sorte s’en approchait insensiblement.

Déjà nous cherchions de l’œil un endroit favorable pour débarquer, une anse, une baie dans laquelle pût entrer notre radeau, et à notre grand déplaisir nous ne découvrions nulle part ce que nous cherchions. Ici la côte, terminée par des falaises, se dressait comme une muraille infranchissable, là elle offrait une plage unie, mais un banc de brisans ne permettait pas de l’aborder. La nuit cependant approchait, nous nous voyions menacés de la passer sur notre radeau, et le cœur commençait à nous manquer; David continuait à manœuvrer, mais toujours sans succès; allions-nous donc encore une fois nous trouver aux prises avec la mort? Non, Dieu ne nous ménageait cette nouvelle épreuve que pour nous faire mieux sentir le prix du bienfait qu’il allait nous accorder.

Tandis que nos craintes, notre anxiété étaient au comble: Voici enfin une rivière, un golfe, une baie! s’écria le docteur transporté de joie.

Où? demandâmes-nous tous ensemble.

Là-bas entre ces rochers! Ne remarquez-vous pas que l’ombre que projette la côte est en cet endroit interrompue par une large nappe de lumière? Il doit y avoir là, j’en suis sûr, un port où il nous sera sans doute facile d’entrer.

Frappés de la vraisemblance de cette conjec ture, nous nous dirigeâmes vers l’endroit indiqué, et quand nous l’eûmes atteint, nous vîmes avec la plus vive satisfaction que le docteur ne s’était pas trompé. Nous étions en face d’une baie profonde, demi-circulaire, entourée de grèves dont la pente insensible nous paraissait de très facile accès. Nous y entrâmes, et l’instant d’après nous rendîmes à terre grâces à Dieu de nous avoir enfin permis d’aborder.

Tandis que nous fichions nos rames dans le sable pour y amarrer le radeau, et que nous nous occupions de le décharger, le baron, madame Barcel et sa fille avaient gravi les rochers voisins et cherchaient à découvrir quelques habitations. N’en apercevant aucune, ils revinrent nous aider à débarquer; ensuite nous fîmes nos dispositions pour passer la nuit le plus commodément qu’il nous serait possible.

De jeunes palmiers droits, élancés, rapprochés les uns des autres, croissaient à cent pas environ du rivage e; nous en coupâmes plusieurs au niveau du sol, de manière à former au milieu une vaste salle. Le corps du palmier renferme, comme on sait, une grande quantité de moelle, les parois de l’étui qui la contient sont assez minces, et dans la jeunesse surtout n’opposent que très peu de résistance ce; aussi cette première besogne ne fut-elle pi longue ni fatigante; chaque coup de hache pénétrait jusqu’au cœur, et les arbres, emportés à mesure qu’ils tombaient, nous abandonnèrent un fort bel emplacement abrité de toutes parts. Nous n’eûmes plus ensuite qu’à clouer autour, sur les palmiers restés debout, quelques unes de nos voiles, et à jeter sur une corde tendue, à dix pieds de hauteur, une autre voile qui pût faire l’office de toiture. Vue à l’extérieur, cette tente ressemblait alors assez exactement aux baraques que les saltimbanques construisent sur les places publiques aux jours de foire.

A l’aide de cordages et de toiles, nous la divisâmes en deux pièces, une pour la famille Barcel, l’autre pour le reste des naufragés; nous y transportâmes draps, matelas, couvertures, les vivres que les animaux auraient pu dérober durant notre sommeil, la poudre, les armes et tous les objets que la pluie aurait endommagés si le temps eût changé; puis après avoir dressé nos lits et nous être assurés que les bêtes féroces, dans le cas où le pays en renfermerait, ne pouvaient pénétrer jusqu’à nous, nous nous abandonnâmes au repos que la fatigue nous rendait si nécessaire.

La colonie chrétienne

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