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CHAPITRE VII.
1674-1675

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M. et madame de Grignan viennent à Paris.—M. de Grignan retourne en Provence.—Madame de Grignan reste avec madame de Sévigné pendant quinze mois.—Correspondance de madame de Sévigné avec Guitaud et avec Bussy.—Bussy obtient la permission de venir à Paris, et vit pendant six mois dans la société de madame de Sévigné et de madame de Grignan.—Ouverture de l'assemblée des communautés de la Provence le 3 novembre.—L'évêque de Toulouse forme opposition à M. de Grignan.—Grignan est soutenu par Guitaud, gouverneur des îles Sainte-Marguerite.—Correspondance de Bussy et de madame de Sévigné.—Détails sur la femme et les enfants de Bussy.—Sur l'aîné de ses fils, Nicolas, marquis de Bussy.—Sur Marie-Thérèse de Bussy, marquise de Montalaire.—Sur Michel-Celse-Roger de Bussy, évêque de Luçon.—Sur Louise de Rouville de Clinchamps, seconde femme du comte de Bussy-Rabutin.—Sur Diane de Rabutin, chanoinesse.—Sur Louise-Françoise de Bussy.—Sur le mariage de celle-ci avec Gilbert de Langheac, marquis de Coligny.—Coligny est tué.—Sa veuve se remarie.—Elle ne prend pas le nom de son nouveau mari, et se fait nommer comtesse de Dalet.—Son fils, le comte de Langheac, meurt sans postérité mâle.

Ce fut dans cette belliqueuse année, et lorsque la France était assiégée par cette multitude d'ennemis que lui avaient faits l'ambition et la despotique arrogance de son monarque, que madame de Sévigné put goûter, plus complétement qu'elle ne l'avait fait depuis longtemps, les douceurs de l'amour maternel et celles de l'amitié. Elle en éprouvait le besoin pour se consoler de l'ennui et de la fatigue qu'entraînent avec eux les plaisirs du monde, les liaisons passagères de la société et les intrigues de la cour.

Elle était enfin parvenue à obtenir un congé pour M. de Grignan284; il arriva à Lyon avec sa femme au commencement de février285 et à Paris vers le 15 du même mois (1674).

Le comte de Grignan retourna au mois de mai suivant en Provence286, mais madame de Grignan ne se sépara de sa mère qu'un an après: leur commerce de lettres fut donc interrompu pendant quinze mois entiers Dans cet intervalle de temps, madame de Sévigné entretint une correspondance active avec son cousin Bussy, le comte de Guitaud et M. de Grignan. Elle n'eut pas non plus, durant toute cette année et les six premiers mois de l'année suivante, besoin d'écrire à celui qu'elle nommait son bon cardinal. Retz résida pendant tout ce temps à Paris, passant de longues heures avec madame de Sévigné et avec sa fille287, dont il préférait la société à toutes les autres. De son côté, madame de Sévigné trouvait qu'il était l'homme de France dont la conversation était la plus agréable, l'homme le plus charmant qu'on pût voir; et ce qui contribuait surtout à le lui faire trouver tel, c'est qu'il semblait partager son admiration pour madame de Grignan et sympathiser à ses faiblesses maternelles288. Sévigné était à l'armée, mais il venait par intervalle se réunir à sa mère et à sa sœur et jouir avec elles des plaisirs de la cour289. Le petit-cousin de Coulanges et Corbinelli le fidèle Achate, l'officieux d'Hacqueville étaient aussi alors à Paris; et Gourville et Guilleragues, et les hommes de lettres qui fréquentaient les hôtels des la Rochefoucauld et des Condé, et toute la brillante jeunesse de ces sociétés montraient d'autant plus d'empressement encore à se rapprocher de madame de Sévigné qu'ils étaient certains de rencontrer toujours près d'elle la belle comtesse de Grignan, la reine de la Provence, si longtemps regrettée, si ardemment attendue.

Il semble que rien ne manquait au bonheur de madame de Sévigné; mais elle était arrivée à un âge ou les joies les plus vives sont amorties par tout ce que l'existence humaine a de triste et de sérieux. Elle n'avait que quarante-huit ans; et aux souhaits que, selon l'usage, sa fille lui exprimait au premier jour de l'an (1674) elle répondit290:

«Vous me dites mille douceurs sur le commencement de l'année: rien ne peut me flatter davantage; vous m'êtes toutes choses, et je ne suis appliquée qu'à faire que tout le monde ne voie pas toujours à quel point cela est vrai. J'ai passé le commencement de l'année assez brutalement; je ne vous ai dit qu'un pauvre petit mot; mais comptez, mon enfant, que cette année et toutes celles de ma vie sont à vous: c'est un tissu, c'est une vie tout entière qui vous est dévouée jusqu'au dernier soupir. Vos moralités sont admirables; il est vrai que le temps passe partout, et passe vite. Vous criez après lui, parce qu'il vous emporte quelque chose de votre belle jeunesse; mais il vous en reste beaucoup. Pour moi, je le vois courir avec horreur, et m'apporter en passant l'affreuse vieillesse, les incommodités et enfin la mort. Voilà de quelle couleur sont les réflexions d'une personne de mon âge; priez Dieu, ma fille, qu'il m'en fasse tirer la conclusion que le christianisme nous enseigne.»

Quoique madame de Grignan, pour sa propre tranquillité, blessât souvent le cœur de madame de Sévigné en tâchant de renfermer dans de justes bornes les soins et les inquiétudes maternelles, pour elle gênantes et importunes, cependant il est probable qu'elle ne fît jamais de bien ferventes prières pour la guérir entièrement de cette tendance passionnée et pour la lui faire reporter vers Dieu, comme le christianisme le lui ordonnait; ou si elle fit de telles prières, elles eurent bien peu d'efficacité: nous en avons la preuve dans la seule lettre qui soit restée de madame de Sévigné à sa fille pendant le séjour que celle-ci fit auprès d'elle291. Voici quelle fut l'occasion de cette lettre:

Madame de Grignan, aussitôt son arrivée à Paris, devint grosse, fit une fausse couche, et mit au monde au bout de sept mois un enfant qui ne naquit pas viable292. Dans les deux derniers mois qui précédèrent cet accouchement, madame de Grignan fut souvent souffrante et langoureuse, et madame de Sévigné, moins que jamais, ne pouvait être disposée à la quitter d'un seul instant. Cependant le Bien bon, qui suivait partout madame de Sévigné, s'en était séparé pour se transporter à Livry, où il se trouvait à la fin de mai avec sa société, composée de plusieurs de ses parents et de ses amis. Madame de Grignan, que le monde et les affaires retenaient à Paris, sachant bien que sa mère ne restait en ville qu'à cause d'elle, la pressait toujours d'aller à Livry, comme elle avait coutume de faire dans la belle saison. Madame de Sévigné s'y détermina, et c'est alors qu'elle écrivit à sa fille293:

«De Livry, le 1er juin 1674.»

«Il faut, ma bonne, que je sois persuadée de votre fonds pour moi, puisque je vis encore. C'est une chose bien étrange que la tendresse que j'ai pour vous! Je ne sais si, contre mon dessein, j'en témoigne beaucoup; mais je sais bien que j'en cache encore davantage. Je ne veux pas vous dire l'émotion et la joie que m'ont données votre laquais et votre lettre. J'ai eu même le plaisir de ne point croire que vous fussiez malade; j'ai été assez heureuse pour croire ce que c'était. Il y a longtemps que je l'ai dit: quand vous voulez, vous êtes adorable; rien ne manque à ce que vous faites. J'écris dans le milieu du jardin, comme vous l'avez imaginé; et les rossignols et les petits oiseaux ont reçu avec un grand plaisir, mais sans beaucoup de respect, ce que je leur ai dit de votre part; ils sont situés d'une manière qui leur ôte toute sorte d'humilité. Je fus hier deux heures toute seule avec les hamadryades; je leur parlai de vous; elles me contentèrent beaucoup par leur réponse. Je ne sais si ce pays tout entier est bien content de moi, car enfin, après avoir joui de toutes ses beautés, je n'ai pu m'empêcher de dire:

Mais, quoi que vous ayez, vous n'avez point Caliste;

Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.


Cela est si vrai que je repars après dîner avec joie. La bienséance n'a nulle part à tout ce que je fais; c'est ce qui est cause que les excès de liberté que vous me donnez me blessent le cœur. Il y a deux ressources dans le mien que vous ne sauriez comprendre. Je vous loue d'avoir gagné vingt pistoles; cette perte a paru légère, étant suivie d'un grand honneur et d'une bonne collation. J'ai fait vos compliments à nos oncles et cousins. Ils vous adorent, et sont ravis de la relation…»

Il est probable que les oncles et les cousins dont parle ici madame de Sévigné sont l'abbé de Coulanges, son frère de Chezière, de Coulanges, sa femme, le comte et la comtesse de Sanzei et madame d'Harouis.

Le principal motif du voyage de M. et de madame de Grignan à Paris avait été d'obtenir, du roi et des ministres, des gardes comme lieutenant général gouverneur et une allocation de fonds pour cette dépense. Mais tout le crédit de madame de Sévigné, de tous les Grignan et du comte de Guitaud échoua contre l'opposition de Forbin d'Oppède, évêque de Toulon, opposition qui fut aussi forte et aussi efficace qu'avait été celle de Forbin-Janson, évêque de Marseille, alors absent294.

Le comte de Guitaud était plus fortement dévoué aux intérêts de madame de Sévigné depuis le voyage qu'elle avait fait à Bourbilly295. Il est dans la vie des époques où l'amitié fait plus de progrès en quelques heures que durant le grand nombre d'années d'une liaison que la communauté des intérêts, les liens de parenté ou les convenances ont prolongée sans la renforcer, sans l'affaiblir et sans la rompre. C'est lorsqu'après des joies inespérées ou des malheurs accablants, une circonstance fortuite ou les loisirs de la solitude forcent des personnes ainsi unies selon le monde à se rapprocher, et déterminent entre elles des explications franches, des confidences intimes, de longs et sympathiques entretiens où le cœur se dénude, où l'âme s'exhale, où rien de nos craintes, de nos projets, de nos espérances, de nos aversions, de nos préférences, de nos qualités, de nos défauts n'y est dissimulé. Alors l'estime se fonde sur le respect qu'inspire la loyauté du caractère; la confiance s'établit, et l'amitié se fortifie par une tendresse mutuelle que l'on sait être capable de dévouement. Tel était l'effet qu'avait produit sur le comte et la comtesse de Guitaud le court séjour de madame de Sévigné. Leur correspondance le prouve296.

Le comte de Guitaud avait été nommé gouverneur des îles Sainte-Marguerite; il avait donc, comme tel, de l'influence en Provence, et il s'en servait pour soutenir le parti du lieutenant général gouverneur. Non-seulement son amitié pour madame de Sévigné et pour M. de Grignan l'y portaient, mais il y était encore excité par un intérêt personnel. Il était en procès avec un Forbin: il n'en fallait pas tant pour réveiller dans le cœur de madame de Sévigné son antipathie contre les Forbin. Elle les appela toujours les Fourbins

284

SÉVIGNÉ, Lettres (19 janvier 1674), t. III, p. 315, édit. G.; t. III, p. 217, édit. M.

285

SÉVIGNÉ, Lettres (5 février 1674), t. III, p. 336, édit. G.; t. III, p. 235, édit. M.

286

SÉVIGNÉ, Lettres (22 mai 1674), t. III, p. 341, édit. G.; t. III, p. 237, édit. M.; t. III, p. 19 et 20 de l'édit. de 1754.

287

SÉVIGNÉ, Lettres (27 mai et 15 juin 1674.), t. III, p. 393-409, édit. G.; t. III, p. 237, édit. M.—Ibid. (25 mai et 19 juin 1675), t. III, p. 386, 391 et 422, édit. G.; t. III, p. 267, 272, 299, édit. M.—Suite des Mémoires de BUSSY, ms. (lettre à madame de Grignan, datée du 12 mai). C'est la même que celle qui est datée du 10 mai dans les édit., t. III, p. 386.

288

SÉVIGNÉ, Lettres (15 octobre 1674), t. III, p. 361, édit. G.; t. III, p. 248 (27 mai 1675), p. 304, édit. M.

289

SÉVIGNÉ, Lettres (2 février 1674), t. III, p. 333, édit. G.; t. III, p. 212, édit. M.—Ibid. (22 mai 1674), t. III, p. 238, édit. M.; t. III, p. 343, édit. G.; t. III, p. 275, édit. M.—Ibid. (5 février 1674), t. III, p. 337, édit. G.; t. III, p. 235, édit. M.

290

SÉVIGNÉ, Lettres (8 janvier 1674), t. III, p. 297, édit. G.; t. III, p. 201, édit. M.

291

Conférez la 3e partie de ces Mémoires, ch. XVIII, p. 348 et 349.

292

Conférez Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, ms. autographe de l'Institut, p. 79 verso (lettre du 16 août 1674 à madame de Sévigné).—BUSSY-RABUTIN, Lettres (16 août 1674), t. I, p. 127, édit. de 1737, in-12.—SÉVIGNÉ, Lettres (16 août 1673), t. III, p. 242, édit. M.; t. III, p. 351, édit. G. Dans ces deux dernières éditions cette lettre est tronquée.—Lettres inédites de madame DE SÉVIGNÉ, Paris, Klostermann, 1814, in-8o, t. III et IV, p. 8 et 10.—Ibid., Paris, in-12, édit. Bossange et Masson (Paris, juin et juillet 1674), fausse date, p. 8 et 9.—SÉVIGNÉ, Lettres (18 juin et 10 juillet, vraie date), t. III, p. 347 et 348, édit. G.

293

SÉVIGNÉ, Lettres (1er juin 1674), t. III, p. 343, édit G.; t. III, p. 239, édit M.—Lettres de madame DE RABUTIN-CHANTAL (samedi, juin 1674), la Haye, Gosse, 1726, in-12, t. II, p. 7.—Ibid. (à Livry, ce 1er juin 1674), édit. 1726, sans nom de lieu, dite de Rouen, t. II, p. 23. La date du samedi de l'édition de la Haye, si on la complétait par l'édition de Rouen, reporterait cette lettre à l'année 1675, ce qui n'est pas; il faut mettre: Vendredi 1er juin 1674.

294

SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 357, 359, 361 et 362.

295

Voyez ci-dessus, ch. I, p. 8-17, et dans les précédentes parties, t. I, p. 195, 198, 203, 365, 429; t. II, p. 35, 295; t. III, p. 94, 410; t. IV, p. 68, 127, 132.

296

SÉVIGNÉ, Lettres inédites, 1814, in-8o (lettres de M. le comte de Guitaud, p. 1 à 110, à la comtesse de Guitaud), p. 111, 196; éd. 1819, p. 1-110, et p. 111 à 194.

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5

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