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PREMIÈRE VISITE
Оглавление4 janvier 1864.
M. THÉODORE DELAMARRE, NÉ A PARIS, ÉLÈVE
DE MM. BOURET ET A. LOYER.
Chercher du nouveau est, à notre avis, le meilleur moyen d’assurer la renaissance dans les arts. Sans doute les classiques ont laissé de grands modèles, et notre école française ne peut ni renier leur méthode, ni rejeter leurs principes: ce qui est conforme au beau idéal est invariable comme une vérité mathématique. Mais, tout en admettant une règle inflexible, on peut en multiplier les applications. Voilà, croyons-nous, le point qui doit fixer l’attention générale. Les sciences marchent, la civilisation progresse: pourquoi donc les arts, dont le champ n’a d’autres bornes que celles du monde visible, resteraient-ils seuls stationnaires? Il est des horizons inconnus à exploiter, et la nature renferme bien des merveilles à chanter! Pourquoi le peintre négligerait-il de les mettre sous nos yeux en leur prêtant une forme palpable? Le talent s’étiole à copier servilement autrui. Qu’il s’inspire auprès des maîtres anciens, qu’il puise chez eux de saines leçons, rien de mieux; mais qu’ensuite il vole de ses propres ailes, qu’il regarde en avant et marche à la découverte.
Decamp et Marilhat comprirent la nécessité d’abandonner les chemins battus, quand ils demandèrent à l’Orient ce coloris éclatant, cette lumière éblouissante dont leurs toiles conservent un reflet. Le public, amoureux des innovations artistiques, applaudit à leur pensée comme nous avons applaudi nous-même aux travaux de MM. Berchère, Fromentin, Pallière, etc., sur l’Egypte, le désert et le Mexique, comme nous voulons applaudir aujourd’hui aux études de M. Théodore Delamarre sur des contrées plus lointaines, sur la Chine. Cette fois ce n’est pas au peintre de la nature que nous allons nous adresser, c’est au peintre ethnographe qui, sondant avec son crayon les différentes familles de la grande race humaine, s’attache à nous en faire connaître minutieusement, scrupuleusement toutes les variétés. En attendant la race noire qu’il nous promet, M. Théodore Delamarre dirige tous ses efforts du côté de la race mogole, et Je succès obtenu est un gage du succès futur.
Pour juger un artiste, il est utile d’examiner l’ensemble de son œuvre, de le suivre pas à pas dans sa carrière, de savoir ce qu’il a entrepris dès l’origine, et la marche qu’il tend à suivre. Puisque M. Delamarre nous a permis de visiter son atelier, nous en profiterons pour noter en passant tous les tableaux ou dessins qu’il renferme.
C’est comme peintre de paysage que M. Delamarre débuta. Les nombreux échantillons de ce genre que présente son atelier nous donnent la mesure de ses travaux persévérants Au salon de 1859 figuraient une vue de la Via mala (canton des Grisons), qui appartient à M. Maurice Lee; puis un Saint Jérôme dans le désert de Syrie, dont nous avons vu l’esquisse et que possède le musée de Besançon. C’était un heureux commencement. Depuis l’artiste s’adonna à la peinture de caractère. L’an passé, il exposait la Leçon de lecture et deux têtes d’étude que le public accueillit favorablement, mais sur lesquelles nous ne reviendrons pas, désirant parler de sujets inédits.
Pour le salon de 1864, M. Delamarre achève une petite scène douloureuse, mélancolique, dont nous espérons quelque chose. Un jeune malade reçoit de sa sœur tout enfant de tendres soins. Son visage est pâle, son œil languissant; il appuie sur les bras d’un grand fauteuil ses mains sèches et amaigries. Demain peut-être il ne sera plus! A la muraille est suspendu un violon, le gagne-pain de la famille. L’idée est pleine de poésie. L’âge des personnages, leur attitude, leur physionomie, tout, jusqu’à la combinaison douce et harmonieuse des couleurs, contribue à jeter le spectateur dans une triste rêverie. Un autre sujet, dont nous avons eu les prémices, représente une gracieuse petite fille souriant à sa tartine de confitures.
Maintenant envisageons M. Delamarre sous un point de vue plus exclusif; sous le jour où il se place lui-même comme interprète de l’espèce humaine. Au salon de 1861, l’artiste exposait: le Peintre de lanternes, l’Occidentaliste de Shang-haï et le Marchand de thé, tableaux à l’huile; plus, un dessin qui appartient maintenant à M. Francis Petit: les Pêcheurs chinois. Nous mentionnons la seule toile que nous ayons vue dans notre visite chez M. Delamarre pour rappeler le succès légitime qu’elle obtint. Cette œuvre, c’est le Peintre de lanternes.
Comme exemple à présenter au lecteur, nous choisirons un autre sujet que l’artiste destine, avec le Jeune malade, à la prochaine exposition: Un Intérieur chinois. A droite du spectateur, et lui faisant face, un mandarin lettré, assis devant sa table, paraît absorbé par la lecture de la Gazette de Pékin, tandis qu’à gauche, timide et craintive, sa femme avance doucement la tête à l’entrée de la chambre et contemple respectueusement son mari. Nous ne saurions trop recommander à l’examen ce petit cadre qui résume de longues années de recherches préparatoires. Sans parler des physionomies que M. Delamarre a prises sur nature, vous remarquerez qu’aucun objet ne figure dans le tableau qui n’ait sa valeur réelle, sa couleur locale. Le bouton bleu, surmontant la toque du mandarin, indique sa dignité. Au-dessus de sa tête, deux lettres chinoises sont écrites; elles signifient grand homme. Dans la bibliothèque, dont les planches, contournées, irrégulières, forment cependant un tout régulier, réposent quelques livres, du jade vert et divers objets du pays. Aucune porte ne sépare les deux chambres. M. Delamarre n’eût pas commis cette erreur grossière, et le spectateur peut, à son aise, examiner la structure singulière des meubles de la seconde pièce, au fond; et surtout les barreaux inégalement dessinés de la fenêtre qui, par leur agencement bizarre, présentent encore une curiosité ethnographique. Si de la disposition générale nous passons à l’exécution, nous dirons que l’artiste est entré dans le style original par la combinaison même des couleurs qu’ils a constamment mises en opposition: le rouge et le vert, par exemple; et nous ferons observer un détail de mœurs qu’il a convenablement rendu: l’épouse chinoise ne s’appuie pas négligemment sur l’épaule de son mari, comme le ferait une Européenne; les habitudes locales s’opposeraient à cette familiarité. Elle est femme légitime et ose à peine se présenter à l’entrée de la chambre: femme debout ou deuxième femme. elle eût regardé par les grillages pratiqués en haut de la cloison. Ces renseignements ne sont pas indifférents, ils témoignent des recherches de M. Delamarre pour acquérir la perfection dans la spécialité de son choix.
Nous avons encore trouvé chez le peintre plusieurs tableaux chinois non terminés; entre autres, deux toiles de nature morte, un épisode du siège de Canton, etc., et nous croyons savoir que M. Delamarre traduira plusieurs scènes de l’histoire de Chine ou de romans indigènes; mais ne soyons pas indiscret en anticipant sur l’avenir. Nommons plutôt une riche collection de dessins au crayon noir qui ne demandent que le grand jour. Les plus remarquables sont: les Bateliers, les Teinturiers, les Portefaix de Canton, puis le Marché et le Retour de la pêche; série d’études où l’artiste a prêté aux personnages le caractère, le type qui leur est personnel.
Le public assurément donnera aux futures productions les mêmes éloges qu’à celles dont il a récemment apprécié le mérite, et nous demeurons son interprète en encourageant M. Delamarre dans la voie qu’il poursuit. C’est une voie toute nouvelle où nous l’accompagnerons avec d’autant plus d’intérêt que nous avons tout à y apprendre, et que nous sommes convaincu de la sincérité de notre guide. Précis et correct dans la forme, fidèle et vrai dans l’exécution, M. Delamarre est plus difficile pour lui-même que le plus sévère de ses juges.