Читать книгу Les Ateliers de peinture en 1864 - Charles Gueullette - Страница 5

DEUXIÈME VISITE

Оглавление

Table des matières

12 janvier 1864.

M. BONNAT (LÉON-JOSEPH-FLORENTIN), NÉ A BAYONNE,

ÉLÈVE DE MM. FRÉDÉRIC DE MADRAZO ET LÉON COGNIET.

MÉDAILLE DE 2e CLASSE, HISTOIRE, 1861. RAPPEL EN 1863.

C’est une bonne fortune pour la critique quand elle assiste aux débuts du talent, et qu’elle peut offrir au public la primeur d’une réputation nouvelle. Nous ne craignons pas d’être démenti par l’avenir en présentant à nos lecteurs aujourd’hui un jeune peintre sur lequel nous sommes fondé à concevoir de sérieuses espérances. Ceux qui le connaissent partageront notre avis; quant aux autres, nous les prions d’enregistrer nos promesses et de consigner notre assertion. Ils jugeront plus tard si nos éloges dépassent leur but, et si nous sommes faux prophète.

M. Léon Bonnat entre dans la carrière; il a produit fort peu, et cependant tous ses tableaux ont été marqués par un succès. Né à Bayonne, il appartient à une famille moitié espagnole moitié française. Tour à tour élève de MM. Frédéric de Madrazo et Léon Cogniet, nous pouvons ajouter que, par son éducation artistique, il se rattache à la fois aux écoles des deux pays. Faisant néanmoins la plus belle part à l’école française, nous rappellerons que M. Frédéric de Madrazo, une des lumières de l’école espagnole contemporaine, reçut les leçons de M. Ingres, comme son père don José avait jadis suivi celles de notre célèbre David.

M. Léon Bonnat passa les vingt premières années de sa vie en Espagne, et fit de rapides progrès sous la direction de M. Frédéric de Madrazo; mais comme il ne pouvait en qualité d’étranger profiter des faveurs que le gouvernement accorde à ses lauréats, le maître l’encouragea lui-même à venir en France pour y tenter le concours. Ce fut après avoir passé trois ans dans l’atelier de M. Léon Cogniet, et s’y être perfectionné que M. Bonnat obtint le second prix de Rome et partit pour l’Italie (1858), où il demeura jusqu’ en 1862. Là encore il travailla sans relâche, et put envoyer aux Salons de 1859 et 1861, à Paris, des tableaux qui gagnèrent à leur auteur tous les suffrages du public. En 1859 figurait une toile religieuse, le bon Samaritain. En 1861, trois sujets également remarquables, bien que de genres différents: Un portrait, une toile historique représentant Adam et Ève découvrant le corps d’Abel; enfin une ravissante étude d’enfant, Pasqua Maria. Le jury récompensa le mérite de ces premières œuvres en gratifiant M. Bonnat d’une médaille de seconde classe. Le musée de Lille acquit le tableau historique, et madame la princesse Mathilde acheta Pasqua Maria, ainsi que son pendant, une gracieuse étude que nous regrettons vivement de ne pas avoir vue au Salon.

L’exposition de 1863 n’est pas encore assez loin de nous pour que le public ait perdu souvenir des travaux qu’y envoyait M. Bonnat. C’était d’abord un portrait de femme, rappelant, par sa netteté de forme, sa précision de trait, sa richesse de couleur, les qualités éminentes de M. Frédéric de Madrazo. Ensuite c’était le Martyre de saint André, exécuté avec cette hardiesse de conception, cette vigueur de pinceau dont l’Espagnolet donna le secret; et enfin une troisième Pasqua Maria, qui fit merveille au Salon, et pour laquelle l’artiste reçut plus de douze demandes d’achat. M. Bonnat obtint, en 1863, un rappel de médaille. Son Martyre de saint André fut acquis par le ministère, et donné à Bayonne, sa ville natale; sa Pasqua Maria fut cédée par lui à madame de Cassin; la troisième copie était encore plus gracieuse que les deux autres, et cependant c’étaient les mêmes traits, le même visage. Inutile de la rappeler à nos lecteurs; ils la connaissent, la petite Maria, telle que l’a représentée M. Bonnat. Un jour, tout enfant, elle mendiait son pain dans les rues de Rome; le peintre remarqua sa physionomie candide, sa figure d’une pureté angélique, et alors il offrit au père de la conduire dans son atelier; les bénéfices séduisirent le mendiant; il accepta, et la petite, tremblante et embarrassée, suivit l’artiste, qui fit sa réputation. Depuis, on s’arracha le séduisant modèle. MM. Hébert et Jalabert nous la montrent toujours fidèlement copiée sur nature, mais chacun d’eux ajoute à la physionomie de l’enfant le trait de son propre caractère; Pasqua Maria devint maladive, souffreteuse avec le premier; sa beauté a quelque chose de plus vaporeux et de plus fugitif avec le second. M. Bonnat est moins idéaliste, mais plus vrai. Sa touche est plus ferme, et son coloris a plus de consistance. Pourtant le visage de la petite Italienne ne perd rien de sa délicatesse ni de sa pureté avec lui; nous voulons nous en rapporter à ceux qui ont pu faire la comparaison l’année dernière à l’Exposition.

Trois tableaux encore inachevés figurent dans l’atelier de M. Bonnat.

Le premier, encore à l’état d’esquisse, représente Samson terrassant un lion au milieu des rochers. Nous ne pouvons guère juger une ébauche; cependant, s’il nous était permis de formuler un rapprochement anticipé, nous dirions que la combinaison générale du sujet tient un peu de la manière de M. Cogniet par la netteté avec laquelle les grandes masses du premier plan se détachent et arrêtent leurs lignes extrêmes sur un fond bien clair, bien lumineux. A droite du spectateur est le héros, qui lutte contre un lion gigantesque; à gauche, ses parents, indifférents à la scène, descendent la montagne à travers les rochers.

Les deux autres toiles que nous avons distinguées chez M. Bonnat sont presque achevées: l’une représente un jeune Mendiant romain, et l’autre déroule à nos yeux l’Intérieur de la chapelle Saint-Pierre à Rome. Le petit mendiant est debout et demande l’aumône au spectateur; ses yeux sont bien grands, bien éveillés; ils expriment la douceur en même temps que l’insouciance; sa bouche, légèrement plissée, a quelque chose de mutin et de suppliant à la fois; une abondante chevelure blonde retombe en désordre sur le front. Comme vêtement, il porte un gilet rouge et un misérable haut de chausse brun; des linges d’une couleur douteuse s’enroulent autour de ses pieds. Les ombres très-bistrées du fond et l’attitude du personnage nous ont remis en mémoire une toile de Ribera, un mendiant aussi, que nous avions admiré dans la galerie de M. Lacaze. M. Bonnat, certes, ne s’en est pas inspiré ; il ne connaît même pas le tableau dont nous parlons, et Pourtant il s’en est, à plusieurs points de vue, rapproché. Ce ne sera pas nous, assurément, qui nous Plaindrons d’une analogie quelconque avec l’illustre Espagnol.

L’intérieur de la chapelle Saint-Pierre à Rome nous offre une scène complète, où chacun joue son rôle et conserve son type distinctif. Le décor en est simple: dans le fond, la statue du saint titulaire, dont nous avons une mauvaise reproduction à l’église Notre-Dame des Victoires; de chaque côté du saint, des candélabres de bronze massif, style du XVe siècle. Une jeune Romaine, le dos tourné au public, embrasse le socle de la statue, usé par les baisers des fidèles. A notre gauche, dans le fond, se tient la petite Maria, notre gentille amie, et, plus près de nous, deux Moines, dont un seul est vu en entier: sa physionomie est noble et distinguée. Une femme du monde, en costume d’apparat, nous voulons dire en grand noir, se prosterne à terre; elle sert d’antithèse aux filles du peuple, que l’artiste place à notre droite; ce dernier groupe appelle toute notre attention. M. Bonnat s’est appliqué à rendre, sur les différents visages, les contrastes de caractères les plus opposés; à côté de la jeune fille qui, mélancolique et rêveuse, lève au ciel son regard humide et inspiré, nous voyons la bouillante Romaine à l’œil ardent et fier, au visage large, aux pommettes saillantes, à la physionomie dédaigneuse. Toutes les sensations, tous les sentiments sont rendus avec la précision et la netteté que le sujet comportait.

Nous n’insisterons pas davantage sur les œuvres de M. Bonnat; nous les avons nommées toutes, et nous répétons que, jusqu’ici, toutes ont été remarquées. On ne peut donc pas nous accuser de partialité quand nous venons nous porter garant de sa réputation future.

M. Bonnat est un de ces peintres qui font de leur art un sacerdoce; il ne craint jamais d’apporter trop de soin à l’exécution d’un tableau. Son style est noble sans être exclusivement idéaliste. Sa touche est délicate sans être tourmentée; il ne vise pas à l’effet, et trouve le beau sans sortir du domaine de la vérité !

Maintenant, ferons-nous à M. Bonnat un mauvais compliment en disant que nous découvrons chez lui Plusieurs traits de ressemblance avec Ribera? Nous avons quelque raison de croire le contraire, et si l’artiste ne nous avait pas fait connaître l’objet de sa prédilection, une simple visite à son atelier nous l’eût révélé. De tous côtés sont des gravures, des esquisses et des copies d’après le maître. Pour M. Bonnat, l’Espagnolet demeure le premier peintre de l’école espagnole. Respectons son enthousiasme, d’autant qu’il ne lui a rien retiré de son indépendance de jugement; qu’en un mot, enfin, l’artiste n’abdique pas son initiative personnelle quand il emprunte à ses devanciers les qualités qu’il sait apprécier chez eux.

Les Ateliers de peinture en 1864

Подняться наверх