Читать книгу Le vignole des architectes et des élèves en architecture - Charles Normand - Страница 7
ОглавлениеPRÉFACE DE VIGNOLE.
Je dois, cher lecteur, vous exposer le plus brièvement possible les motifs qui m’ont déterminé à faire ce petit Ouvrage, l’utilité publique d’abord, et ensuite le désir de satisfaire les personnes qui s’adonnent à l’Architecture.
Ayant exercé cet art pendant bien des années, et dans divers pays, je me suis toujours plu à en examiner l’ensemble, les effets et les détails; toutefois, je m’en suis référé, suivant ce qu’ils m’inspiraient, aux différens auteurs qui ont écrit sur les proportions et les ornemens des Ordres d’architecture antique, avant que de me déterminer à en former une règle certaine dans laquelle on pût avoir confiance, sinon en tout, du moins dans la plus grande partie, et je n’ai d’autre intention que de faciliter la connaissance de leurs diverses proportions, pour en faire l’usage que bon en semblerait.
Pour parvenir au but que je me proposais, je ne me suis pas embarrrassé des divers sentimens des auteurs que j’avais consultés, ne les ayant pas toujours trouvés d’accord entre eux. J’ai donc cherché à m’appuyer sur des autorités plus respectables. L’antique était devant moi, j’ai dû l’examiner, chercher à saisir les proportions exactes parmi les divers Ordres d’architecture que l’on voit à Rome. C’est ainsi qu’après avoir considéré avec attention les édifices dont ils sont le plus bel ornement, et après les avoir mesurés avec toute l’exactitude dont je suis capable, je me suis convaincu que les proportions qui, au jugement des connaisseurs, paraissaient les plus belles, et qui se présentaient aux yeux sous l’aspect le plus agréable, avaient entre elles une correspondance et un rapport sensibles; que les petits membres servaient à faire valoir les plus grands, qu’ils s’y trouvaient un plus grand nombre de fois, et contribuaient à la grande harmonie dont l’œil était satisfait. J’ai donc travaillé pendant plusieurs années, et avec tout le soin et la combinaison possible, pour présenter les cinq Ordres d’architecture sous une règle abrégée, constante, expéditive, et voici comment je m’y suis pris pour en venir à bout.
L’Ordre dorique, par exemple, me parut le premier que je pusse assujettir à ma règle, après avoir observé celui du théâtre de Marcellus à Rome, qui était regardé par les plus habiles architectes comme le mieux proportionné. L’ayant donc choisi pour fondement de cet Ordre, lorsque j’ai rencontré quelques-uns de ses plus petits membres qui ne me paraissaient pas se rapporter avec les proportions des nombres (ce qui arrive quelquefois par la faute du sculpteur, ou par quelques autres causes, qui cependant peuvent occasioner les différences considérables que je remarquais, surtout dans les plus petites parties), j’ai dû les assujettir à ma règle, dont je ne me suis jamais écarté pour les choses importantes. Dans ce dernier cas, j’ai pris le soin de justifier les petites licences que je prenais par l’autorité des autres Ordres de même espèce, qui avaient aussi l’assentiment des connaisseurs, et sur lesquels je rectifiais les esures du premier, et c’est de leur balance que je formai ceux qui font partie de ma règle pour cet Ordre.
C’est ainsi que, paraissant imiter Xeuxis, lorsqu’il forma sa Vénus d’après les plus belles filles de Crotone, je m’en suis cependant écarté en ce que je n’ai suivi, dans mon choix, que mon propre jugement. J’ai donc tiré de tous les Ordres anciens ce qui m’a paru le mieux pour en former l’ensemble de mes proportions, n’y ajoutant rien de moi-même, si ce n’est la distribution des moulures, que j’ai fondée sur les nombres les plus simples, Ainsi, renonçant à toutes les mesures connues, de palmes, de brasses, de pieds ou de toutes autres que ce soit, j’ai employé une mesure arbitraire que j’appelle module, que j’ai subdivisée en un certain nomhre de parties plus petites, suivant les Ordres, comme je l’expliquerai ci-après; par ce moyen, je crois avoir rendu facile l’étude de cette partie de l’Architecture, les mêmes Ordres antiques étant souvent si différens entre eux, qu’il m’a toujours paru impossible de se fixer sur un seul; mais par le moyen dont je me suis servi, pour peu qu’on ait du goût pour cet art, on pourra comprendre aisément les règles que je donne, et en faire usage dans l’occasion.
Je dois dire cependant que, malgré l’opinion que j’avais de mon ouvrage, je ne l’ai mis au jour qu’à la sollicitation de plusieurs de mes amis et de l’illustre cardinal Farnèse, qui m’honorait de sa confiance, et qui, par ses encouragemens et son goût pour les arts, m’en présageait le succès. Mais si pourtant il en était autrement, et qu’on voulût me faire des objections, je déclare d’avance que je n’y répondrai pas. Je laisse à l’ouvrage à répondre par lui-même, et s’il plaît aux gens de l’art, judicieux et connaisseurs, ils sauront bien prendre sa défense contre mes détracteurs; je dirai seulement que si quelqu’un jugeait que j’ai pris une peine inutile dans ces recherches, par l’idée qu’il aurait qu’on ne peut obtenir une règle constante pour les proportions des Ordres d’architecture, puisque, selon le sentiment de Vitruve, on est souvent obligé d’augmenter ou de diminuer celles de quelques-uns de leurs membres pour suppléer par l’art au défaut de la vue, ou par quelque cause que ce soit, je répondrai dans ce cas-là même qu’il est absolument nécessaire de connaître ces proportions par le moyen de la perspective, dont la pratique est nécessaire ainsi que pour la peinture, parce qu’elle représente les choses telles qu’elles doivent paraître à l’œil, et que cette règle est celle qu’on sera obligé de suivre dans de pareilles occasions.
Pour me faire entendre des personnes qui n’ont que peu ou point de connaissance de l’Architecture, j’exposerai les noms particuliers de chacun des membres en expliquant les Ordres, en ayant soin de les désigner par les noms mêmes que les architectes et les ouvriers leur donnent vulgairement. J’avertis, toutefois, que lorsque j’aurai expliqué les membres communs à plusieurs Ordres, en faisant la description des premiers, je n’en ferai plus mention en parlant des autres Ordres qui suivront ceux-ci.
Note. VIGNOLE ne fait aucune mention de l’Architecture des Grecs; il paraîtrait qu’elle était oubliée ou peu en faveur de son tems (celui de la renaissance des beaux-arts). Il vint en France avec Le Primatice, à son retour de Rome, où François Ier l’avait envoyé. Il aida l’artiste français dans plusieurs de ses ouvrages à Fontainebleau; mais l’on croit que rien n’y a été exécuté sur ses dessins. Son goût pour les Ordres d’architecture antique, qu’il avait étudiés à Rome, a été la base sur laquelle il a rédigé son Traité. D’autres architectes ont fait, comme lui, divers Traités sur les Ordres d’architecture; mais, soit qu’ils se livrassent trop à leur propre génie, sans s’assujettir, comme Vignole, aux ouvrages des anciens qu’ils prenaient pour modèles, soit que leur mérite ne pût balancer celui de notre auteur, qui s’en était le plus rapproche, son ouvrage a dû prévaloir sur les leurs.
Jacques BAROZZIO DE VIGNOLE était né l’an 1507, le 1er octobre, à Vignole, petite ville du marquisat de ce nom, qu’il prit lui-même par la suite, et sous lequel il est le plus connu. Il mourut en 1573.
Le Vignole original porte la date de 1617. La traduction en quatre langues, de même format, est datée de 1631,