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AUX JEUNES LECTEURS DES CONTES DE FÉES ET AUSSI UN PEU A LEURS PARENTS
ОглавлениеAvant de donner la coupe à boire à l’enfance, trempez-y la lèvre et goûtez le breuvage; s’il n’est pas assez bon pour elle, purifiez-le.
De V.....
Les contes de Charles Perrault ont bercé notre enfance; notre jeunesse s’est réjouie à leur lecture, et maintenant nous les relisons encore.
Depuis plus de deux cent cinquante ans qu’ils sont écrits, ils ont passé par toutes les mémoires; et il n’est personne, même parmi les plus boudeurs, qui n’en ait gardé un riant souvenir.
Qu’on ne s’y trompe pas, ces fraîches légendes de fées, depuis longtemps populaires, le deviennent tous les jours de plus en plus encore: avec leurs aventures morales et amusantes, elles sont le premier code de toute jeune intelligence... et ces récits, qui, avant nous, ont tant fait rire nos grands-pères, feront rire et captiveront à leur tour nos enfants.
Maintenant, une question.
Quand Perrault a écrit ses contes, a-t-il pensé à la classe nombreuse et si intéressante que je viens de nommer? a-t-il eu spécialement en vue de faire un livre pour la jeunesse, et d’être en tous points irréprochablement convenable pour de jeunes lecteurs?
Personne ne sera de cet avis.
Perrault, dans cette œuvre, comme le bon La Fontaine dans ses Fables, a laissé couler sa verve facile. Son style a pris les allures qu’il lui a plu; sa phrase s’est taillée, son expression est venue comme bon lui a semblé... et de ce travail sans gêne il est résulté les contes que vous savez, contes s’adressant à tous, aux enfants et aux hommes, c’est-à-dire aux petits et aux grands enfants, mais n’étant point assez préparés, épurés ni châtiés pour être spécialement donnés en lecture à la jeunesse.
Quelques taches (et je dis taches par rapport aux jeunes esprits à qui l’on destine ce livre) se rencontrent à de rares intervalles et semblent, pour ainsi dire, égarées et faisant ombre à travers les fraîcheurs et les charmes de son style...
J’ose croire que l’on me saura bon gré de m’être imposé la tâche de les faire disparaître.
Voici à quel titre je l’ai entrepris:
Je suis père, et je me suis fait une religion de l’instruction de mon enfant.
La mémoire charmée par ce qui me restait de ces gracieux contes, je songeais à les lui mettre bientôt entre les mains.
Mais, en père prudent, je commençai d’abord par les relire moi-même, et les relire cette fois, non plus pour m’amuser, mais la loupe devant les yeux, et analysant; faisant dans ce cas comme la mère attentive, qui goûte la première au mets préparé pour son enfant, et veut, avant de le lui laisser manger, s’assurer de sa qualité et de sa saveur.
C’est en les relisant ainsi, en les pesant phrase par phrase, mot par mot, que j’y ai découvert les légères taches signalées tout à l’heure, et que l’idée me vint de passer la plume dessus.
En effet, doit-on songer à sevrer ses enfants de ces fantaisies, de ces féeries délicieuses?
Non; ce serait à plaisir ôter des mains du petit berger la bonne tasse de lait qu’il va boire.
Seulement si, sur la surface laiteuse, on remarque quelques grains de poussière, il peut bien être permis de les enlever.
En deux mots vous voyez mon but:
Perrault a fait un chef-d’œuvre, mais sans le destiner précisément aux enfants; ce chef-d’œuvre, mes bons petits amis, moi je veux vous le conserver, mais en le purifiant tout à fait à votre intention.
Ayez donc pleine confiance en moi; ne craignez point un vandalisme.
Votre conteur chéri, je vous le laisse tout entier: ce sera toujours le Petit Chaperon-Rouge, avec sa galette et sa mère-grand; le Petit Poucet, avec ses bottes de sept lieues; la Barbe-Bleue, avec sa femme curieuse et sa clef tachée de sang; et Peau d’Ane, avec son gâteau; et Cendrillon, avec sa petite pantoufle; et la Belle au Bois dormant, et Biquet à la Houppe, et tous les autres; — un respect religieux, et tout filial de ma part pour votre auteur, présidera à ma paternelle révision; il n’y aura rien de changé pour vous; non, rien, si ce n’est quelque imperceptible expression, la plupart du temps incompréhensible ou impropre, ou, tout au plus, quelque phrase vous parlant de choses inconnues ou en dehors de votre âge.
Non, mes chers enfants, ce n’est point un profane qui vient tailler et trancher cruellement dans le naïf trésor de vos légendes; c’est au contraire un ami, un père, qui, aimant par-dessus tout ces récits lointains et leur simple morale, a voulu, en toute humilité, mettre une dernière main à cette œuvre si attrayante, et la rendre entièrement propre à votre jeunesse et digne de vous.
Lisez, mes petits amis, lisez; Perrault eût été à ma place, il eût fait sans aucun doute ce que je viens faire aujourd’hui... ou, si l’on persistait à me dire qu’il a écrit ces contes exprès pour ses enfants, et que j’aurais pu me dispenser de ma tâche, je répondrais ceci: — qu’il faut alors que depuis deux cent cinquante ans l’acception de certains mots ait bien changé, et que ce qui, a-t-on la bonté de prétendre, pouvait passer dans ce temps-là, ne peut plus passer aujourd’hui.
Oui, mes chers petits lecteurs, le travail que je m’impose ici (et en disant cela je me répète) est une tâche toute cordiale et toute paternelle; oui, Perrault écrirait ses contes de nos jours (toujours en admettant, ce qui n’est pas, qu’il les ait écrits exprès pour la jeunesse), qu’aucune des expressions supprimées ou modifiées dans cette édition ne sortirait de sa plume; il se châtierait lui-même et bâtonnerait certains mots, et, songeant à son rôle de premier moraliste de l’enfance, il s’en rendrait tout à fait digne par la réserve de la pensée et la circonspection de sa phrase.
J’espère m’être à peu près mis à ce point de vue important, et, loin de redouter un blâme, je pense plutôt avoir pénétré dans les intentions des parents et devoir obtenir, de la part de quelques-uns, un remercîment affectueux et sincère; de la part de tous les autres, l’assurance de leur estime et leur approbation...
La lecture du livre, revu et corrigé, vous fera voir si c’est trop attendre.
F. FERTIAULT.