Читать книгу De l'espèce chevaline en france - Christophe Louis Léon Juchault de Lamoricière - Страница 9

RESSOURCES QU’OFFRAIT JADIS LA POPULATION CHEVALINE DU PAYS. — ORIGINE DE L’INTERVENTION DE L’ÉTAT DANS LA PRODUCTION.

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L’infériorité de la production chevaline du pays n’est pas un fait nouveau. — Elle est constatée dès le 17e siècle. — Elle motive l’ordonnance de 1717. qui règle l’intervention de l’État, sans remédier au mal. — Supprimée en 1790, cette intervention est rétablie sur de nouvelles bases par le décret de 1806. — Causes générales de l’insuffisance de la production. — Danger sérieux qui en résulte pour le pays. — Il motive l’existence de l’Administration des haras et de celle des remontes de l’armée. — Concourant au même but, ces deux services devaient cesser la lutte qui les a trop longtemps divisés.

L’insuffisance de la production du pays est-elle un fait nouveau?

Cette infériorité de la production du pays, que nous venons de constater au chapitre précédent, est-elle donc un fait nouveau? On serait parfois tenté de le croire, à entendre les plaintes et les récriminations qui surgissent de temps à autre à cet égard.

Les personnes les plus étrangères à ce qu’on appelle, dans le langage de l’époque, la question chevaline, ne sont pas sans avoir entendu répéter autour d’elles: «Nos belles races de chevaux français sont perdues: ces races qui faisaient l’honneur de notre pays, dont la supériorité sur celles de l’étranger était reconnue, qui fournissaient amplement à tous nos besoins, à peine en trouvons-nous quelques vestiges; le mal grandit tous les jours; il faut refaire nos races, sans quoi l’avenir de l’espèce chevaline en France est à jamais perdu.»

La supériorité du passé sur le présent une fois admise comme un fait incontestable, chacun, sans même prendre la peine de mesurer l’étendue du mal, sans examiner s’il augmente ou s’il diminue, donne un libre cours à son imagination pour en rechercher la cause et en donner l’explication.

Souvent, par suite d’une habitude trop générale chez nous, on s’en prend au Gouvernement. Pour les uns, c’est le fait même de l’intervention de l’État qui nuit à la production et arrête l’essor que l’industrie privée prendrait si elle était libre; parmi eux et à leur tête se trouve Mathieu Dombasle, qui, dans son remarquable ouvrage des haras et des remontes, a développé cette thèse avec le talent et le savoir qu’il a souvent employés à défendre de meilleures causes. Pour d’autres, c’est le mode suivi par l’État dans son intervention qui est nuisible; il faudrait revenir à celui que l’on pratiquait autrefois et qui produisait, suivant eux, des résultats si supérieurs à ceux que nous constatons aujourd’hui.

Le Conseil a pensé que, pour apprécier la valeur de ces assertions, il était nécessaire de jeter un coup d’œil rapide sur le passé, et d’examiner si nos anciennes races françaises, dont personne ne conteste le mérite, satisfaisaient jadis, comme on le dit, à tous les besoins du pays.

Époque à laquelle cette insuffisance est constatée.

C’est sous le règne de Louis XIII que se montrent les premières tentatives de l’État pour encourager l’élevage du cheval. L’insuffisance de la production, à cette époque, amenait déjà le pouvoir central à stimuler et à diriger les efforts particuliers, qui ne répondaient pas aux exigences de la consommation. D’un côté, les armées permanentes prenaient un développement plus considérable; de l’autre, les grandes influences territoriales tombaient successivement pour faire place à la centralisation naissante.

Les efforts faits alors par le Gouvernement pour réglementer l’action qu’il voulait exercer, afin de perfectionner et d’augmenter la population chevaline en France, furent infructueux.

Règlement de 1717 qui détermine le mode de l’intervention de l’État dans la production.

Sous le règne de Louis XIV, pendant les guerres que la France eut à soutenir, l’impossibilité de remonter notre cavalerie au moyen des ressources du pays créèrent de nombreux embarras que constatent divers rapports faits au conseil du Roi. Dans une période de dix années, plus de cent millions de livres furent dépensées à l’étranger pour se procurer les chevaux que réclamaient les besoins de l’armée.

Ces faits motivèrent le règlement de 1717, qui détermina d’une manière précise la nature et le mode de l’intervention de l’Etat dans la reproduction de l’espèce chevaline. Ce règlement fut maintenu dans ses dispositions importantes jusqu’en 1790 (pendant 73 ans), époque à laquelle il fut aboli par l’Assemblée constituante.

Comparaison des ressources et des besoins du pays pendant le 18e siècle.

Pour juger les effets de cette institution, examinons ses résultats vers la fin du dernier siècle.

Le premier et le plus important des besoins du pays, celui qui avait amené l’État à intervenir dans la production, était, comme aujourd’hui, la remonte de nos troupes à cheval. Le dépôt de la guerre renferme, à cet égard, des documents qui peuvent éclairer la question.

Plusieurs marchés passés en 1759, et avant cette époque, constatent qu’on achetait alors des chevaux en Allemagne, que les concessionnaires s’engageaient à les tirer de ce pays et à n’en point fournir venant de Suisse, de Flandre ou de Bourgogne.

En 1762 interviennent les ordonnances de M. de Choiseul, à la suite desquelles les chevaux des compagnies de cavalerie cessèrent d’appartenir à leurs capitaines; la remonte se fit par régiment. Des officiers de chaque corps, détachés à cet effet dans les contrées de production, y achetaient des chevaux à l’âge de quatre ans, les conservaient dans les dépôts de remonte pendant un temps plus ou moins long, et les dirigeaient ensuite sur le corps; mais les remontes ainsi faites à l’intérieur étaient loin de suffire.

En vertu d’un marché passé par l’État en 1778, pour la fourniture de chevaux de remonte, le concessionnaire s’engage à les tirer du Danemark, du Holstein et de l’Oldenbourg.

En 1780, d’après un marché passé pour la fourniture de 1,788 chevaux destinés à la remonte de la cavalerie (grosse cavalerie), des dragons et chasseurs, le concessionnaire s’engage à fournir des chevaux ou juments tirés, autant que possible, des trois contrées déjà désignées, et le reste des autres pays de l’Allemagne où l’on élève de bons chevaux, tel que le pays d’Anspach. La réception se fit à Uckange et à Vie. Leur prix était de 403 livres pour la grosse cavalerie, et de 303 livres pour les dragons et les chasseurs. S’il ne se trouvait pas suffisamment de chevaux en Allemagne, on pouvait en acheter en France; ceux-ci donnaient droit à une prime de 10 francs, qui n’était payée que sur certificat authentique.

Le sieur Sincère soumissionna, le 21 juillet, un marché de 9,000 chevaux tirés des localités indiquées dans les marchés antérieurs et, en outre, du Mecklembourg.

En 1788, voici ce que renfermait le supplément, en date du 16 juin, à l’instruction permanente du même jour concernant les inspections des lieutenants généraux, chefs de division et inspecteurs divisionnaires:

«Sa Majesté se proposant de fixer, par un règlement particulier,

«tout ce qui a rapport aux remontes quand elle aura attentivement

«examiné cette partie importante de son service, elle a réglé provi-

«soirement que le prix de chaque cheval de remonte serait fixé ainsi

«qu’il suit:


«Sa Majesté a en vue, par les différences de cette fixation, d’en-

«courager l’éducation des chevaux dans le royaume.

«Les régiments ne recevront plus le fourrage dans les lieux où ils

«feront leur remonte; ce sera à eux à pourvoir à la nourriture des

«chevaux par les soins des officiers qu’ils continueront de détacher à

«cet effet.

«Chaque régiment continuera d’avoir un lieu de dépôt pour les

«chevaux qu’il achètera dans le royaume.....»

On trouve, à la date du 24 mai 1780, des instructions contenant des prescriptions semblables.

Ce document constate plusieurs faits importants:

1° Que ni la grosse cavalerie, ni la cavalerie de ligne, ni la cavalerie légère, ne trouvaient en France des ressources suffisantes à leur remonte sur le pied de paix, puisqu’on prend la peine de fixer, pour chaque espèce de cavalerie, un prix particulier pour les chevaux achetés en France et pour ceux achetés à l’étranger;

2° Que les dépôts affectés à chaque régiment sont destinés à recevoir seulement les chevaux achetés dans le royaume: d’où il résulte que les corps étaient dans l’habitude de se remonter non-seulement en France, mais aussi à l’étranger;

3° Enfin, qu’en 1788, deux ans avant la suppression de l’ancienne administration des haras, le Gouvernement sentait encore le besoin d’encourager l’élevage des chevaux en France en fixant un prix supérieur pour les chevaux d’arme achetés dans le pays.

Un article de l’Encyclopédie méthodique, sur les carabiniers, fait en 1784 par M. Lacuée de Cessac, contient ce qui suit:

«Tous les chevaux du corps sont noirs..... leur taille est de

«4 pieds 10 pouces au moins. Ils sont généralement d’une belle

«conformation: comme ce corps reçoit pour sa remonte des fonds

«plus considérables que le reste de la cavalerie, il peut choisir avec

«le plus grand soin les chevaux qu’il achète.

«C’est en Danemark et en Jutland que les carabiniers font leurs

«remontes; malgré la prévention qu’on a généralement contre les

«chevaux danois, le corps a tout lieu de se louer de leur durée et

«de leur bonté. Cependant combien ne serait-il pas à désirer que le

«royaume pût fournir aux carabiniers et au reste de la cavalerie les

«chevaux dont ils ont besoin?»

Depuis les ordonnances de M. de Choiseul, les remontes se faisaient par régiment; un règlement du 1er novembre 1791 porte que, par arrêté du Roi, les remontes des troupes à cheval se feront à l’avenir en commun.

«Sa Majesté a jugé convenable d’établir des dépôts de remonte

«pour y réunir les chevaux destinés à compléter les différents régi-

«ments de l’armée; en conséquence, elle ordonne ce qui suit:

«L’officier général chargé de la réception et de la distribution des

«chevaux de la remonte y procédera conformément..... etc.» Suivent les conditions.

La taille est réglée ainsi qu’il suit:


Le premier dépôt fut établi à Lunéville, le deuxième et le troisième à Vic et à Rosières.

Par un marché de 5,000 chevaux passé le 10 août 1791, le sieur Sincère s’engageait, comme dans ceux précédemment rapportés, à tirer ces remontes des pays de l’Allemagne ci-dessus indiqués.

Quant aux remontes faites à l’intérieur du pays, on ne trouve qu’un marché de 3,500 chevaux, en date du 4 septembre 1792. Ils devaient être livrés, ceux de la Normandie au Pin, etc.

La remonte de notre cavalerie préoccupait vivement alors les pouvoirs de l’Etat, et, le 15 février 1793, un nouveau règlement était publie sur l’administration des remontes générales.

Mais arrêtons-nous à cette époque, et voyons quel était sous la monarchie l’effectif de nos troupes à cheval, que nos ressources ne nous permettaient pas d’entretenir.

D’après la constitution militaire de 1788, faite par le conseil supérieur de la guerre, l’effectif de la cavalerie sur le pied de paix devait être composé, savoir:


A quoi il fallait ajouter la cavalerie de la maison du Roi, réduite alors par les réformes de 1775 et de 1787, savoir:


En tout, 31,879 chevaux; soit 32,000 chevaux, effectif, sur le papier.

Malgré les achats nombreux faits à l’étranger, cet effectif était bien loin d’être complet, ainsi que le prouvent les situations, déposées en 1791 à l’Assemblée, qui constatent que nous n’avions alors que 26,000 chevaux de cavalerie.

Il est impossible d’établir d’une manière précise la proportion exacte dans laquelle les chevaux étrangers entraient à cette époque dans nos remontes; celle des carabiniers se faisait entièrement au dehors. Divers renseignements portent à croire qu’il en était de même du reste de la grosse cavalerie, dont l’effectif total était de 12,000 chevaux; enfin les dragons, les chasseurs et les hussards ne trouvaient point dans le pays des ressources suffisantes.

Telle était notre situation au moment de la révolution de 1789, tandis qu‘aujourd’hui nous entretenons régulièrement sur le pied de paix un effectif moyen de 49,408 chevaux de selle, sans avoir besoin de faire aucun achat au dehors.

Nous venons de constater l’insuffisance des ressources pour la remonte de notre cavalerie. Le pays fournissait-il au moins, à cette époque, les chevaux de luxe qu’il consommait?

A cet égard, on peut consulter les nombreux écrivains qui s’occupaient alors de l’amélioration de nos races; tous déplorent notre insuffisance. Nous citerons, entre autres, Buffon, qui dit (page 187, tome Ier, édition de Sonnini): «Les chevaux de Hollande sont fort «bons pour le carrosse, et ce sont ceux dont on se sert le plus commu- «nément en France; les meilleurs viennent de la province de Frise....»

Enfin, le peu de développement qu’il donne au détail de nos races, dans sa célèbre étude du cheval, prouve qu’à cette époque on en avait dans le pays une opinion tout à fait analogue à celle qui est répandue aujourd’hui. Voilà ce passage, que nous reproduisons en entier: «Il y a en France des chevaux de toute espèce, mais les beaux

«sont en petit nombre. Les meilleurs de selle viennent du Limousin;

«ils ressemblent assez aux barbes, et sont, comme eux, excellents

«pour la chasse; mais ils sont tardifs dans leur accroissement; il

«faut les ménager dans leur jeunesse et même ne s’en servir qu’à

«l’âge de huit ans. Il y a aussi de très-bons bidets en Auvergne, en

«Poitou, dans le Morvan, en Bourgogne; mais, après le Limousin,

«c’est la Normandie qui fournit les plus beaux chevaux: ils ne sont

«pas si bons pour la chasse, mais ils sont meilleurs pour la guerre; ils

«sont plus étoffés et plus tôt formés. On tire de la basse Normandie

«et du Cotentin de très-beaux chevaux de carrosse, qui ont plus de

«légèreté et de ressources que les chevaux de Hollande. La Franche-

«Comté et le Boulonnais fournissent de très-bons chevaux de tirage.»

L’éditeur de Buffon, qui écrivait en l’an vin (1800), ajoute à ce passage la note suivante: «Presque toutes les races distinguées de

«nos chevaux de France sont éteintes. La négligence dans les éta-

«blissements propres à les maintenir a commencé le mal, et l’ef-

«frayante destruction de ces animaux utiles l’a porté à son comble.»

Nous pourrions multiplier ces citations; mais celles que nous venons de faire suffisent pour établir qu’avant la Révolution, s’il existait en France des races douées de qualités bien reconnues, elles étaient loin de fournir les mêmes ressources qu‘aujourd’hui pour la remonte de notre cavalerie, et qu’elles étaient, de plus, insuffisantes pour alimenter la consommation de luxe.

Il en était ainsi dès la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe. Cet état de choses amenait alors le Gouvernement à intervenir dans la production, et cette intervention, continuée jusqu’en 1700, n’avait pas notablement amélioré la situation.

Les inconvénients du mode de l’intervention de l’État dans la production amènent sa suppression en 1790.

A cette époque, on s’en prit au mode d’intervention suivi par l’État. Ces reproches étaient en partie fondés.

L’État ne se bornait pas alors, comme aujourd’hui, à encourager et faciliter la production: les mesures adoptées avaient pour but d’obliger pour ainsi dire les éleveurs à produire les chevaux dont on avait besoin, et en voulant ainsi réglementer la production on la réduisait au lieu de l’augmenter.

L’État plaçait, dans des dépôts répartis sur divers points du pays, un certain nombre d’étalons choisis; d’autres étaient remis à des garde-étalons, et souvent ils étaient la propriété de ces derniers, qui recevaient pour eux une patente. Les garde-étalons étaient rémunérés par divers privilèges, et, entre autres, par le prix des saillies, qui devenaient obligatoires pour les juments qu’on jugeait propres à donner des chevaux d’arme. Cette disposition, attentatoire au droit de propriété, contribua surtout à rendre odieuse l’institution dont il s’agit. En outre, la direction administrative était confiée tantôt aux intendants des provinces, souvent fort étrangers à ce qui concerne l’élève du cheval, tantôt à de grands seigneurs revêtus de charges de cour, qui ne pouvaient en surveiller les détails.

Le choix des étalons, parfois fort négligé, se fit longtemps d’après des systèmes erronés, auxquels on ne renonça qu’après les déplorables résultats constatés par une longue expérience.

Enfin, les nombreux abus qui, à la fin de la monarchie, s’étaient introduits dans cette branche de l’administration, plus encore peut-être que dans toutes les autres, achevèrent de la décrier dans l’esprit des populations de nos pays d’élevage. Au lieu de la transformer en l’améliorant, on la détruisit.

On essaya de nouveau du régime de liberté sans encouragement de l’État, régime dont, sous Louis XIII et sous Louis XIV, l’expérience avait surabondamment constaté l’insuffisance; on ne tarda pas à s’en repentir.

Dès l’an VI (1798), le remarquable rapport d’Eschasseriaux jeune, au Conseil des Cinq-Cents, établit, non-seulement sur des raisonnements incontestables, mais sur les faits, l’indispensable nécessité, en France, de l’intervention de l’État, qui ressortira du reste également de ce rapport. On avait alors à réparer non-seulement les pertes de la guerre, mais encore les résultats désastreux des réquisitions. Cependant le conseil des Cinq-Cents n’osa pas rétablir une institution si impopulaire, Ce ne fut qu’en 1806 que l’Empereur décréta la mise en pratique d’un système peu différent de celui qui était formulé dans le projet de loi dont nous venons de parler.

Rétablissement de l’intervention de l’État sur de nouvelles bases, en 1806.

Le décret de 1806 est la base sur laquelle repose aujourd’hui l’Administration des haras; toutefois, on a introduit en 1833, dans la composition des dépôts d’étalons, une modification importante. En vertu du décret de 1806, les étalons des dépôts devaient, pour la plus grande partie, appartenir aux meilleures races françaises. En 1833 cette disposition fut changée. Les chevaux de pur sang anglais et par leurs dérivés entrèrent en beaucoup plus grand nombre dans nos dépôts. Ce système nouveau fut, pour l’Administration actuelle, l’objet d’attaques vives et nombreuses dont nous discuterons plus loin la valeur; mais examinons d’abord les effets produits par le décret de 1806.

On a prétendu que l’application du système contenu dans ce décret avait rapidement rétabli notre prospérité chevaline. Nous conviendrons que la période de 1806 à 1813 fut un bon temps pour les éleveurs qui produisaient des chevaux d’arme. La consommation était immense, le débouché était assuré ; les marchands qui fournissaient l’armée enlevaient tout ce qu’ils trouvaient dans les pays de production, l’éleveur était sûr de vendre ses produits, bons ou mauvais, car les détachements de remonte, formés de chevaux reçus à la hâte, rejoignaient au loin les régiments, après avoir fait des pertes dont personne ne s’occupait alors de constater la proportion. Ce fut le temps des fortunes rapides dans ce commerce: de là vient que cette époque est citée comme celle qui vit fleurir chez nous l’élevage; mais il n’est pas possible de penser qu’en sept ans l’espèce chevaline se fût sérieusement améliorée en France.

En 1813 revinrent les réquisitions; puis l’invasion nous enleva le plus grand nombre des poulinières d’élite qui n’avaient pas été conduites sur les champs de bataille; on ne peut donc tirer aucun enseignement sérieux de ce qui se produisit alors.

La Restauration, trouvant la France épuisée, fut obligée d’aller demander à l’Allemagne la meilleure partie des faibles remontes nécessaires alors à l’entretien de nos troupes à cheval. Mais n’anticipons pas sur l’appréciation des ressources que le pays a présentées, depuis cette époque, aux remontes de notre cavalerie.

Causes générales de l’infériorité de la production chevaline en France.

Nous devons seulement dire ici quelques mots pour répondre à ceux qui s’en prennent exclusivement au mode suivi par l’Etat, de la pénurie, si souvent observée dans notre pays, sous le rapport de la production chevaline.

«La France, disent-ils, a un climat plus chaud que celui de l’Allemagne et de l’Angleterre. La richesse et la fertilité de son sol sont renommées: comment est-il possible qu’une contrée aussi favorisée ne puisse produire les chevaux dont elle a besoin?»

Les causes de ce fait sont plus générales et plus profondes qu’on ne paraît le croire.

Est-ce donc seulement de chevaux que manque la France? Pour peu qu’on jette les yeux sur les tableaux publiés par l’administration des douanes, on reconnaîtra que, pour toutes les grosses espèces d’animaux domestiques, nos importations dépassent nos exportations .

Ce n’est donc pas seulement le cheval qui manque à la France: le bœuf et le mouton lui font également défaut; ces espèces sont insuffisantes sur son marché. Or, il ne s’agit pas seulement de savoir si on peut faire de bons chevaux, mais bien si on peut les faire avec avantage. A quoi tient chez nous cette pénurie des espèces animales? A plusieurs causes: La grande étendue des terres consacrées à la production des céréales, conséquence nécessaire d’une agriculture peu avancée; les surfaces considérables cultivées en vigne; un grand nombre de régions montagneuses, qui, quoique placées au sud de l’Angleterre et de la plus grande partie de l’Allemagne, sont plus froides que ces contrées et ne permettent pas un parcours aussi prolongé ; enfin, pour une grande partie de notre pays, la faiblesse du capital employé dans les exploitations agricoles.

S’il y a des moyens de remédier à ce dernier inconvénient, le plus grave de tous, ils sont du ressort de l’économie sociale, et ne rentrent nullement dans notre sujet; mais les gens les plus étrangers à l’agriculture se rendront facilement compte que la production des animaux de boucherie présente des chances de gain beaucoup plus assurées que la production du cheval. Il est en effet beaucoup plus rare, dans l’élevage du bœuf et du mouton, de perdre la totalité de la valeur des produits, et une foule d’accidents, qui diminuent parfois de moitié et des trois quarts le prix d’un cheval, n’ont souvent aucune importance pour les autres espèces. Enfin, comme les animaux destinés à la boucherie ont, en général, une croissance plus rapide, le producteur rentre beaucoup plus vite dans ses avances.

Que sera-ce donc si nos tarifs de douane, dont le droit d’entrée sur les chevaux ne constitue qu’une protection illusoire, accorde aux autres espèces une faveur comparativement très-considérable ?

La production d’un bœuf, par exemple, dont chacun sait que la valeur moyenne est fort inférieure à celle des chevaux de la catégorie. de ceux dont il s’agit d’encourager l’élevage, est protégée par un droit de 50 francs, tandis que pour le cheval le droit est moitié moindre, Il n’est donc pas étonnant que, comme on l’a observé dans certaines contrées, l’élevage du cheval diminue pour faire place à celui du bœuf et du mouton. Ce résultat était, en partie du moins, la conséquence naturelle de la position faite par les lois de l’État aux éleveurs de chacune de ces espèces.

Telles sont les causes réelles de l’infériorité de notre production, causes dont on n’a pas suffisamment tenu compte en adressant trop souvent d’injustes reproches à l’administration des haras.

L’insuffisance de la production constitue un danger sérieux pour le pays.

Si le cheval, et particulièrement celui qui nous manque, n’était qu’un objet de luxe, comme tant d’autres que la France achète à l’étranger, l’infériorité de la production nationale, à cet égard, n’aurait pas été l’objet de tant de préoccupations; mais le cheval qui nous fait défaut, nous l’avons dit, c’est le cheval de guerre, celui que, pour sauvegarder l’indépendance et l’honneur du pays, nous devons faire naître et élever sur notre territoire.

S’il faut mettre notre cavalerie sur pied de guerre, nous sommes obligés d’avoir recours à l’étranger.

Ce funeste expédient nous manquerait au moment même où la nécessité rendrait les besoins plus impérieux, car si la guerre devenait imminente, les puissances étrangères fermeraient leurs frontières. Et, tandis que n’ayant plus à redouter notre concurrence sur leurs propres marchés, elles y trouveraient à vit prix les chevaux que notre commerce de luxe va leur demander chaque année, l’impossibilité de suffire à l’entretien de nos troupes à cheval sur le pied de guerre ne nous laisserait alors d’autres ressources que celles, trop souvent employées, des réquisitions: moyen extrême et désastreux qui ruine en un seul jour, et pour de longues années, l’avenir de la production du pays!

L’Administration des haras et le service des remontes ont pour but de remédier au mal qu’on vient de signaler.

Mais plus les causes de cette situation sont graves, plus il faut d’efforts et de persévérance pour les combattre. On a fait, pour arriver au but, des essais dans les sens les plus divers et parfois les plus opposés. Aujourd’hui l’État ne borne plus son intervention à l’action de l’administration des haras qui ressortit au ministère de l’agriculture et du commerce; administration dont le but est d’encourager l’élevage par divers moyens, et de le faciliter en plaçant dans chaque contrée des étalons capables de produire de bons chevaux d’arme; mais il intervient aussi pour assurer à la production un débouché avantageux et régulier, par l’organisation donnée au service des remontes, qui ressortit au ministère de la guerre.

Ce service établit une relation directe et incessante entre le producteur et l’État, qui, parvenant ainsi à s’assurer de la nationalité des chevaux qu’il achète, a de plus l’avantage de connaître, d’une manière précise, la nature et l’étendue des ressources de chaque partie du pays; enfin l’éleveur, assuré de se défaire à un bon prix des produits qui réussissent bien, est encouragé à continuer et à augmenter ses efforts.

Ces deux administrations, auxquelles un même besoin du pays a donné naissance, qui, par conséquent, doivent tendre au même but, ont été malheureusement fort divisées pendant longtemps sur les moyens à employer pour l’atteindre. Inquiétée dans son existence, lorsque le ministère de la guerre prétendit l’absorber dans le service des remontes, l’administration des haras se défendit avec succès, et gagna son procès devant les Chambres; mais les habitudes d’antagonisme que cette lutte avait fait naître et dont rien ne motiverait aujourd’hui la continuation, sont abandonnées sans retour. — Les ressentiments et les passions des hommes devaient se taire lorsqu’il s’agissait de débattre les grands intérêts du pays.

De l'espèce chevaline en france

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