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Оглавление2 Lutte pour une République socialiste ukrainienne indépendante
2.1 Création des Nezalezhnyky et Sixième congrès du POSDU (1918-1919)
L'occupation austro-germanique effective coupe l'Ukraine du reste de l'ancien empire russe. Elle l'isole des excès du « communisme de guerre », tandis que la brutalité des armées d'occupation discrédite et la Rada Centrale, et son successeur l'Etat Ukrainien, en tant que représentant de l'idée nationale, aux yeux des ouvriers et des paysans. Par contre l'idée de la démocratie directe des conseils est préservée et trouve une nouvelle source de vie.1
La République populaire ukrainienne fut reconstituée en novembre 1918 sous la forme d'une coalition, le Directoire de l'UNR, mené par les figures opposées de Petlyura et Vynnychenko2. La « Révolution Ukrainienne de Novembre » fut conduite exclusivement par des forces national-révolutionnaires autochtones. » et dés le début il fut clair que les forces qui la soutenaient étaient bien plus à gauche que le Directoire.3 La majorité « soviétophile » des SR ukrainiens, les Borotbistes, déclarèrent d'emblée leur opposition et de larges secteurs de l'amrée - les gardes rouges – appuyaient le pouvoir des soviets. Avec l'espoir d'un réveil socialiste en Europe, la gauche pro-communiste du POSDU s'organisa en une fraction, le Comité d'Organisation du POSDU Nezalezhniky, mis en place début décembre 1918.4
Lors de la conférence d'Etat convoquée par le Directoire à Vynnytsia les 12-14 décembre Adviyenko intervient pour :
« 1. la reconnaissance qu'une profonde révolution socio-économique, aussi bien que politique, doit avoir lieu en Ukraine, 2. la reconnaissance que sa direction revient au prolétariat et à la paysannerie laborieuse, 3. en accord avec ces principes, la proclamation de la dictature des masses laborieuses sous la forme des conseils de députés ouvriers et paysans. »5
Ces positions soulevèrent l'opposition des dirigeants modérés et conservateurs de l'UNR6. Les Nezalezhnyky prirent aussi leurs distances envers les bocheviks du KP(b)U. Considérant qu'il n'était pas réellement ukrainien mais subordonné au RKP(B) [le PC russe bolchevik, ndt], ils se prononçaient contre la conception bolchevik du pouvoir ouvrier et paysan et de la dictature du prolétariat :
« C'est un parti qui ne vise pas la dictature du prolétariat et de la paysannerie révolutionnaire, mais la dictature d'une section du prolétariat et de son propre parti. Il est, par conséquent, profondément violent et il substitue à la violence prolétarienne contre la bourgeoisie la violence d'un petit groupe. »7
Il s'est révélé être « un parti hypocrite qui viole ses propres principes » et qui ne peut « avoir notre confiance jusqu'à ce qu'il soit transformé au plan de l'organisation et fusionne avec les intérêts du peuple laborieux ukrainien. »8 Ces critiques des Nezalezhnyky de 1918 anticipaient sur certains points celles de Gorter et Pannekoek et du KAPD en Allemagne et celles des oppositions communistes dans le RKP(B) dans les années 1920.9
Le renouvellement de l'UNR [Rada] fut accompagné d'un cours très réactionnaire, les éléments conservateurs se lançant dans les pogroms et dans une répression indiscriminée envers le mouvement paysan et ouvrier10. La classe moyenne et les éléments modérés, favorables à une démocratie parlementaire, furent prisonniers politiquement de ces éléments auxquels ils s'étaient liés11. Les deux conceptions, conseils ouvriers ou parlement, furent débattues au VI° congrès du POSDU, les 10-12 janvier 1919.
Richysky présenta la thèses Nezalezhnyky : la tache était de « transformer la République populaire ukrainienne souveraine et indépendante en une République socialiste ukrainienne souveraine et indépendante. »12 Le pouvoir doit être organisé selon le « principe d'une dictature du prolétariat urbain et rural et de la paysannerie laborieuse et pauvre, organisée en conseils ouvriers-paysans. »13 Sur les questions internationales, tout en défendant l'indépendance de l'Ukraine les Nezalezhnyky demandent :
« a) le rapprochement avec la République soviétique russe, sur la base de la reconnaissance mutuelle de la souveraineté de chaque république socialiste, d'une non-ingérence mutuelle complète dans leurs affaires intérieures, du retrait immédiat des troupes russes du territoire ukrainien (incluant la Crimée), de la non-ingérence dans les affaires intérieures ukrainiennes et, en cas de refus, d'une défense active de la République Socialiste Ukrainienne contre l'attaque impérialiste. »14
La majorité du Comité central avait adopté ces positions ; l'opposition groupait un centre et une aile droite nommé « groupe d'Ekaterinoslav » avec Issak Mazepa, Panas Fadenko et Ivan Romanchenko, rejoint de façon surprenante par Mykola Porsh15. Durant ce congrès, les délégués ne pouvaient dormir dans leur lit de crainte d'être arrêtés16. Après que leur résolution eût été repoussée [par le congrès], les Nezalezhnyky partirent et lancèrent le journal Chervony Prapor (Drapeau rouge) le 22 janvier17. Il comportait une déclaration rédigée par Tkachenko et Richytsky établissant qu'il fallait maintenant passer « de l'attente passive au combat créatif et actif pour la reconstruction de tout l'ordre socio-politique et économique en Ukraine. »18 Réagissant à la crainte suscitée par la domination des « éléments urbains non ukrainiens », il précisait que « le prolétariat n'est pas entièrement étranger » et affirmait que « en Ukraine il peut et doit prendre le pouvoir de concert avec la paysannerie révolutionnaire »19, expliquant que dans la dynamique de la révolution les travailleurs non-Ukrainiens seraient de plus en plus impliqués dans toutes les formes de la vie interne de l'Ukraine et « se débarrasseraient eux-mêmes des vestiges de la vieille Russie en rejoignant le peuple et le prolétariat ukrainien. »
Khrystiiuk estime que les Nezaleznhyky sont restés liés beaucoup trop longtemps au Directoire20, et qu'en pratique leur approche dans la période allant de décembre 1918 à janvier 1920 a combiné des aspects réformistes et des aspects révolutionnaires. Ils n'avaient pas assez de force pour tirer le Directoire à eux, ni pour mettre en oeuvre leur objectif d'un « gouvernement ouvrier-paysan composé des représentants des partis et groupes reconnaissant le pouvoir des soviets. »21 Pour construire cette unité une réunion des socialistes ukrainiens et non ukrainiens s'est tenue mi-janvier avec la participation des Nezaleznhyky, du Bund, du Parti Socialiste Juif Unifié et des mencheviks internationalistes22, qui ne donna pas de résultats concrets et décida seulement de maintenir le contact « pour défendre la révolution ouvrière et paysanne en Ukraine, promouvoir la lutte nationale, corriger la ligne politique et les fautes tactiques des bolcheviks russes en Ukraine. »23
Les Nezaleznyky tentèrent aussi d'utiliser leurs positions [dans le Directoire] pour imposer une politique de paix avec la Russie soviétique24. Yurko Mazurenko fut nommé pour une mission diplomatique à Moscou le 15 janvier 1919.
« Je déclarai que j'irai à la condition que les décrets sur le transfert du pouvoir local aux soviets et que la convocation d'un congrès des soviets (et non d'un « congrès du travail ») soit lancée immédiatement, et que le parti communiste soit légalisé. Je fus, bien entendu, ostracisé par le Directoire. »25
La gauche affirme que la mission fut sabotée par l'aile droite du Directoire qui publia une déclaration de guerre à la Russie des soviets le 16 janvier 191926. Chekhivsky et Vynnychenko démissionnèrent alors en dénonçant le tournant pro-Entente du gouvernement27. Les Nezaleznhyky tournèrent, s'orientant désormais vers l'insurrection pour établir le pouvoir des soviets par la force sur la base des gardes rouges28. Le principal centre insurrectionnel fut la région de Kyiv ; en congrès à Hryhoriv la division Dniprovska se renomma Première Division du Soviet de Kyiv et élut Danylo Zeleny ataman (commandant) avec son Comité révolutionnaire rejoint par les Nezaleznhyky29.
2.2 La République Ukrainienne Socialiste des Conseils (1919)
Le 4 février 1919 le Directoire de l'UNR quitte Kyiv devant l'avancée des forces soviétiques. Chervony Prapor conclut « le rôle positif du Directoire est terminé »30. Yurii Lapchynsky écrit qu'en 1919 le « mouvement communiste et le pouvoir des Soviets en Ukraine sont engagés dans une situation politique totalement différente de la première période. »31 Les régiments paysans désertent en masse vers les forces adhérents à une plate-forme soviétique ; la situation semble ne jamais avoir été aussi favorable à une convergence des révolutions russe et ukrainienne et à la création d'une république basée sur les conseils avec une pluralité de partis pro-soviets plus viable qu'elle ne l'a jamais été. L'armée rouge entre à Kyiv le 5 février sans opposition, saluée par une déclaration de l'Exécutif du soviet de Kyiv signée des députés Nezaleznhyky, bocheviks et borotbistes actant que « le Directoire a quitté Kyiv et les bataillons rouges des soviets sous la direction du gouvernement ouvrier-paysan d'Ukraine sont entrés dans la ville »32. Mais les Nezaleznhyky n'ont pas abandonné leurs critiques :
« Si le Directoire a stupidement répété une politique dépassée et condamnée par l'histoire, les bolcheviks russes en sont arrivés au même point … Sous le solgan de la lutte pour le pouvoir des soviets arrive un gouvernement qui se proclame ukrainien, mais qui ne l'est pas et ne saurait être décrit comme tel. »33
Le KP(b)U avait de son propre fait constitué en Russie un « gouvernement provisoire ouvrier-paysan d'Ukraine »34 Formé indépendamment du processus révolutionnaire, il fut d'abord dirigé par Iouri Piatakov, ancien dirigeant du POSDR à Kyiv. En 1918 il était un dirigeant des « communistes de gauche » en Ukraine et un opposant à Lénine sur la question nationale – pour Piatakov la révolution [en Ukraine] était plus paysanne que nationale, mais sensible aux réalités locales il vit que l'indépendance était essentielle pour assurer son développement dans le cadre de la révolution ouvrière35. Piatakov fut remplacé en janvier 1919 par Christian Rakovsky36. Mais, malgré leur opposition au gouvernement Rakovsky, les Nezaleznhyky ne refusaient pas de collaborer avec lui. Leur Comité d'Organisation déclare qu'ils sont prêts
« … à entrer dans le gouvernement et à y prendre notre entière responsabilité, seulement si : 1. Tous les organes du gouvernement suprême – pas seulement ukrainien, mais aussi russe – reconnaissent l'indépendance et l'autonomie de la République Socialiste Ukrainienne, 2. Si une orientation clairement nationale et sociale est pris en Ukraine, et si l'ukrainien est la seule langue officielle37.
Rakovsky se présentait lui-même comme un spécialiste de la question ukrainienne ; dans les Izvestia, il avait expliqué que les différences ethniques entre Ukrainiens et Russes étaient insignifiantes, que la paysannerie ukrainienne manquait de conscience nationale et que le prolétariat était purement d'origine russe38. Rakovsky en tirait la conclusion que le mouvement national ukrainien était une pure invention de l'intelligentsia. Sur la base de tels principes, il fonça au désastre. Tkachenko rapporte que lorsque le gouvernement du KP(b)U fut établi :
« Toutes sortes d'éléments nationalistes russes allant des Centuries noires à l'intelligentsia révolutionnaire vinrent joindre leurs forces à celles des bolcheviks pour reconstruire unde « Russie une et indivisible » … Ces éléments douteux entrèrent au parti bolchevik et contribuèrent à aggraver la coloration nationaliste et chauvine du mouvement prolétarien bolchevik … Alors que la presse communiste russe publiait des articles enthousiastes sur cette unification avec le milieu des « spécialistes », ce nationalisme des communistes russes eux-mêmes accentua les divisions internes du prolétariat selon des lignes nationales … provoquant une âpre lutte en son sein, qui pava la voie à la réaction. »39
Les Nezaleznhyky observèrent cette évolution avec un vif mécontentement: « Cette vague stupide, folle et honteuse de russification balaie l'Ukraine à présent, avec une ampleur que l'on n'avait même pas connue sous le hetmanat dans sa phase « fédérale » :
« Pas un seul pamphlet pour les paysans ukrainiens en ukrainien, pas une brochure, pas un seul journal du gouvernement des soviets en ukrainien ! La langue ukrainienne est chassée de partout. Toute une série d'ordre donnés dans la « langue générale du savoir », voilà un signe des temps. Et à la modeste demande que les citoyens ukrainiens disposent au moins de leurs droits nationaux et culturels, comme ceux dont dispose le peuple « frère » ici en Ukraine,par sauvegarde, il n'est fait qu'une seule réponse : ce n'est que chauvinisme et mentalité bourgeoise contre-révolutionnaire ! »40
Chervony Prapor déplore que « derrière un apparent cosmopolitisme nous n'avons rien d'autre que la vieille russification en continuité avec les pratiques tsaristes. »41 La promesse d'une « renaissance des soviets locaux » fut trahie, le pouvoir central nomma des comités révolutionnaires, revkomy, et des comités de paysans pauvres, kombedy42. Le pouvoir des soviets n'existait pas43. En avril le mouvement syndical ukrainien fut épuré, subordonné à l'Etat et intégré aux structures pan-russes44. Cette dangereuse aliénation fut aggravée par le retard de la révolution agraire causé par les excès dans les réquisitions de grain, « en réalité l'Ukraine est pillée au hasard, comme un grand trésor de nourriture et de carburant. », ceci exacerbé encore par la politique élitiste de mise en place de « communes » qui n'étaient pas fondées sur l'auto-activité des paysans mais imposées d'en haut45. Fin février Chervony Prapor alertait : cette politique commençait à produire des effets centrifuges, et l'urgence était à l'établissement de relations commerciales transparentes avec la Russie soviétique, « possible seulement si l'Ukraine est souveraine, seulement si les travailleurs eux-mêmes sont les maîtres dans leur propre république socialiste et pas sous la coupe de prétendants étrangers. »46
Les Nezaleznhyky réagirent à la crise en expliquant qu'il était « nécessaire de formuler un programme communiste et d'organiser un Parti Communiste Ukrainien », et dans ce but des discussions furent engagé avec nombre de bolcheviks, aboutissant à la fondation de l'UKP le 30 mars 1919.47 Ce tournant correspondait à la fondation de l'Internationale communiste, à laquelle le dirigeant du KP(b)U Mykola Strypnyk avait communiqué un rapport optimiste à propos des Nezaleznhyky : « Bien que ces socialistes indépendants diffèrent des communistes sur des points fondamentaux, ils ont néanmoins entrepris aujourd'hui de travailler harmonieusement avec notre parti et de participer aux soviets. »48 Mais une direction opposée fut prise, et au troisième congrès du KP(b)U tenu à Kharkiv vota contre, par 101 voix contre 96, la coopération avec les autres parties pro-soviets et le fait que « des accords avec les SR de droite, les social-démocrates ukrainiens indépendants soient admissibles. »49 Ces partis se virent dénier « tout poste de responsabilité dans les soviets » et exclure du gouvernement de l'Ukraine, « qui doit consister uniquement en représentant du Parti Communiste de l'Ukraine [le KP(b)U]. »50
Cette attitude mina la réalisation de « tout le pouvoir dans le pays » aux soviets51. Quand se tint le troisième congrès pan-ukrainien des députés ouvriers, paysans et soldats rouges, les 6-10 mars, la majorité des délégués venaient des revkom et non des soviets. La nouvelle constitution de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine ne fut pas appliquée ; en fin de compte l'Ukraine demeura, et fut tenue par son gouvernement, comme une unité régionale de la Russie52. Bien que quelques borotbistes aient été « élus » au Comité Exécutif Central, les Nezalezhnyky disaient d'eux qu'ils étaient là « uniquement pour donner un peu de couleur ukrainienne » dans ce qui n'était qu'un « Etat des commissaires »53.
Au printemps 1919, le gouvernement engagea une bataille acerbe contre les Nezalezhnyky : ce fut un « déluge de toutes sortes d'accusations de nationalisme, de chauvinisme, d'être des contre-révolutionnaires et des petits-bourgeois. »54 Dans la nuit du 25 mars, Richytsky, Mazurenko et d'autres dirigeants furent arrêtés par la Tchéka et Chervony Prapor fut temporairement fermé55. Le projet de tenir un congrès constitutif d'un Parti Communiste Ukrainien était ainsi contrecarré56. Quand ils furent finalement relâchés et que le journal reparut, un article de Kachinivsky résumait ainsi la situation :
« Il n'y a pas deux mois que les autorités soviétiques occupent Kyiv, mais nous n'avons toujours pas vu le vrai pouvoir des soviets et la dictature du prolétariat. Tout ce que nous avons est la dictature du parti communiste. »57
2.3 Marxistes ukrainiens et Hongrie des soviets (1919)
La politique du régime Rakovsky a produit une explosion de forces centrifuges: submergée sous les troubles paysans et ouvriers, l'Ukraine soviétique commence à se désintégrer en luttes intestines. La crise devient aigüe juste quand la révolution européenne reflue, et la question ukrainienne devient cruciale pour le destin de la république des soviets, car c'est par là qu'une aide directe pouvait lui parvenir58 Le nouveau gouvernement de la République Hongroise des Conseils manifesta sa sympathie à la cause ukrainienne. Une mission diplomatique ukrainienne conduite par le vieux social-démocrate Mykola Halahan était à Budapest, et un groupe communiste ukrainien y fut organisé, publiant l'hebdomadaire Chervona Ukraina59 Bela Kun exprima son soutien à une « Ukraine soviétique indépendante » et intervint avec Erno Por, pour résoudre la situation. Vynnychenko, qui avait rompu avec le Directoire et s'était lui-même rapproché des Nezalezhnyky, est accueilli à Budapest par Kun le 30 mars. Leurs discussions avec les émigrés pro-communistes du POSDU ont abouti à un programme que Kun présente à Mosou. Il reprend la demande des Nezalezhniky pour une « République Ukrainienne des Soviets pleinement indépendante et souveraine » avec
« Un gouvernement de la République Ukrainienne des Soviets consistant dans les social-démocrates ukrainiens Nezalezhnyky, les socialistes-révolutionnaires de gauche ukrainiens, et les communistes ukrainiens ainsi que tous les partis socialistes ukrainiens acceptant la plate-forme du pouvoir des soviets. »60
La « triple alliance des républiques russe, ukrainienne et hongroise des conseils »61, produisit une crise internationale à propos d'un nouveau complot rouge lorsque le texte fut intercepté par une station de radio à Paris. Mais Rakovsky manqua cette opportunité : il répondit simplement en dénonçant Vynnychenko comme un « représentant typique de l'idéologie petite-bourgeoise » et déclara que de telles discussions ou alliances n'avaient aucun sens. Por et Kun furent « sidérés » : leurs demandes ne portaient pas sur des changements dans la politique en Ukraine. Les armés roumaine et polonaise s'associèrent pour fermer la route de la Hongrie et Kun adressa un courrier désespéré à Lénine : «Imposer Rakovsky aux Ukrainiens contre leur gré, à mon avis, fut une erreur irréparable »62. Mais ce serait les Nezaleznhyky qu'il faudrait blâmer, pas la politique des communistes russes eux-mêmes : les représentants du KP(b)U mettront précisément ceci en avant dans leur réponse au mémorandum de l'UKP quand il sera re-soumis à la Comintern en 1924. Le soulèvement Nezalezhyny, diront-ils :
« … a interféré avec la préparation des mouvements de troupes soviétiques en Bessarabie et en Galicie pour joindre la Hongrie des Soviets. Comme conséquence de ceci, le pouvoir bourgeois de Pologne et de Roumanie fut solidement établi en Bessarabie et en Galicie, et la Hongrie des Soviets fut étranglée avec l'active participation de la même armée roumaine qui n'avait maintenant plus aucune crainte à avoir sur ses arrières. »63
Il ne semble pas que cette appréciation sur les Nezalezhyky ait été partagée par les communistes hongrois, ni par le commandant de l'Armée rouge Antonov-Ovseenko, qui protesta le 17 avril 1919 qu'il était entravé à cause « de la direction ukrainienne mettant des bâtons dans les roues du commandement militaire », tout en plaidant pour une coalition avec les « SD Nezalezhniki et les SR ukrainiens » et pour que la Russie traite les Ukrainiens avec plus de « tact ».64
2.4 Le comité révolutionnaire pan- ukrainien (1919)
N'arrivant pas à réformer la RSS d'Ukraine, les Nezalezhnyky s'orientent vers l'insurrection ouverte alors que la situation va de mal en pis. La décision d'engager « le combat contre les bolcheviks russes et ukrainiens » a conduit à la mutinerie de la division conduite par Zeleny65, elle-même causée par l'un des nombreux « malentendus » causés par le reniement de la promesse faites aux unités militaires de former une Armée Rouge Ukrainienne dans une République indépendante66.
Les Nezalezhnyky «présomptueusement se jetèrent dans les masses en effervescence, espérant prévenir leur récupération par les forces contre-révolutionnaires » et essayant « de diriger le soulèvement non comme un soulèvement contre le pouvoir des soviets en tant que tel, non pas contre le pouvoir communiste, mais contre le pouvoir du gouvernement en place en tant que pouvoir occupant. »67 Le 10 avril ils adoptèrent un projet d'accord avec les représentants des SR ukrainiens et avec le « POSDU officiel » pour un soulèvement qui établissait que :
« Les signataires du présent accord, tant dans le Conseil de la République que dans les autres organes de pouvoir d'Etat, s'engagent à mettre en oeuvre les principes suivants : 1. Renforcement et défense de l'indépendance et de l'autonomie de la République ukrainienne nationale. 2. Etablissement d'un gouvernement du peuple travailleur (excluant les éléments qui exploitent le travail d'autrui), 3. Organisation de l'économie nationale sur la base des intérêts des masses laborieuses et d'une transition organisée de l'ordre capitaliste à l'ordre socialiste, avec l'expropriation immédiate de la propriété foncière des non-travailleurs. »68
D'après ce plan ambitieux, la lutte devait commencer simultanément sur le territoire de la RSS d'Ukraine et sur celui de l'UNR tenu par le Directoire de Petlioura69. Mais les Nezalezhnyky eurent un problème au départ : les Borotbistes refusèrent de participer et un petit groupe de Nezalezhnyky avec Hukovych et Pankiv scissionna70.
Sans attendre les autres organisations, les Nezalezhnyky établirent un Comité Révolutionnaire Pan-Ukrainien basé à Skvyra [petite ville à une soixantaine de kilomètres au Sud de Kyiv, NdT] et dirigé par Yu. Mazurenko, Richytsky, Avdiyenko et Drahomyretsky. Les insurgés comportaient divers régiments rouges, la première division du soviet de Kyiv de Zeleny, les forces de Sokolovsky, Anhel et Yurko Tiutiunnyk de la Sixième Brigade soviétique. L'ordre n° 48 du Revkom [le Comité Révolutionnaire] appelait à « lutter contre les traîtres aux masses travailleuses », le « gouvernement d'occupation de Rakovsky » et à l'arrestation du « Directoire traître, qui négocie avec la France et les autres impérialismes. »71
Le soulèvement n'était pas tant une lutte contre l'Ukraine soviétique qu'une lutte pour le pouvoir en son sein72. Plus étendue que le soulèvement de Cronstadt en 1921, la révolte Nezalezhnyky est souvent ramenée à une médiocre « jacquerie » [en français dans le texte, ndt]73. En fait elle fut historiquement unique : les communistes russes furent défiés par l'exigence d'élections libres aux soviets, par des marxistes se réclamant de la révolution communiste. Le mouvement s'étendit rapidement et pendant deux à trois semaines le Revkom eût le contrôle de plusieurs districts de la rive droite du Dniepr. Selon les descriptions bolcheviks le camp rebelle comptait 25 000 hommes, selon d'autres de 5000 à 10 00074. S'appuyant sur le succès initial Mazurenko adressa un ultimatum à Rakovsky :
« A l'attention de : Rakovsky, chef du Gouvernement Ukrainien des ouvriers et des paysans autoproclamé.
Adopté le 25 juin 1919 dans la ville de Skvyra.
Au nom du peuple travailleur ukrainien insurgé je vous annonce que les ouvriers et les paysans en Ukraine ont pris les armes contre vous, gouvernement de conquérants russes qui s'est drapé dans les slogans pour nous sacrés que sont : 1. le pouvoir des soviets ouvriers et paysans, 2. l'auto-détermination des nations, incluant la sécession, 3. la lutte contre les gouvernements impérialistes conquérants et pillards des masses laborieuses, profanant ces devises sacrées, salissant le vrai pouvoir des travailleurs et des paysans pauvres jusque dans les pays voisins, et usant des moyens pour des objectifs étrangers au socialisme. »
C'était leur « chant du cygne ». Ils avaient cru avoir pris la direction du mouvement spontané, mais les évènements montrèrent qu'il n'en était pas ainsi. Ils s'étaient aussi illusionnés sur un changement dans le gouvernement de l'UNR « avec le départ de la droite réactionnaire et la formation d'un nouveau cabinet de socialistes ayant l'appui des autorités soviétiques. »75 En fait, maintenant dirigé par Borys Martos il maintint la droite et Petlioura à la tête du Directoire76. Une lettre du CC du POSDU et des SR ukrainiens affirmait que « l'intention de certains partis (SR de gauche et social-démocrates Nezalezhnyky) d'établir une sorte de communisme ukrainien est une complète absurdité. »77
Mazurenko conclut : « Le parti a surestimé sa forcé, mal interprété les conditions objectives et les conséquences résultant de ce faux pas, et fut forcé de reconnaître sa défaite et de se retirer avec ce qui lui restait de forces. »78 Devant l'avance de l'Armée Russe des Volontaires [Denikine] la réunion des 18-19 juillet de membres du Comité d'Organisation et responsables ouvriers décidé d'abandonner le soulèvement. Ils expliqueront plus tard :
« Certaines organisations Nezalezhnyky ont entrepris la tache de donner au mouvement rebelle le contenu idéologique d'un combat contre la politique d'occupation du gouvernement des soviets en Ukraine. Ils voulaient forcer le gouvernement des soviets de changer de politique mais, incapables de maîtriser le mouvement, ils furent eux-mêmes battus par la contre-révolution petlouriste, laquelle fut à son tour battue par la contre-révolution de l'armée de Denikine. »79
Les condamnant comme des « bolcheviks ukrainiens », les forces de Petlioura désarmèrent les unités rebelles réfugiées sur le territoire de l'UNR. Mazurenko, Tkachenko, Richytsky et d'autres furent arrêtés80. Le commandant Diiachenko fut assassiné et les autres ne doivent leur salut qu'à l'intervention du POSDBU.
A l'été 1919 la RSS d'Ukraine sombre dans la tourmente. Ceci change les données du pouvoir; suscitant un renouveau temporaire de l'UNR, dont l'armée arrive à Kyviv en même temps que l'Armée Russe des Volontaires de Dénikine. Le « POSDBU officiel » salut la victoire sur les communistes comme prouvant que l'histoire, « comme nous l'avions prévu, se déroule conformément à Marx et pas à Lénine »81. Ceci ne dura guère ; devant Dénikine, l'UNR se fragmenta, Robitnycha Hazeta suppliant les citoyens de bien vouloir faire une petite différence entre Petlioura et Dénikine82. Le conservateur Petrushevysh place l'Armée galicienne au service de Dénikine, alors que Pétlioura se tourne vers la Pologne de Pilsudski, avec la Galicie orientale en gage de leur alliance.
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1 Il y a aussi une évolution en faveur de l'idée nationale dans la classe ouvrière, qui soutient de manière croissante l'indépendance de l'Ukraine. Le montrent le second congrès pan-ukrainien des conseils le 13 mai 1918, car en dépit d'une majorité non-ukrainienne il se prononce pour l'unité avec la paysannerie et une République populaire ukrainienne indépendante, sentiment exprimé aussi à la conférence pan-ukrainienne des syndicats, elle aussi pourtant largement non-ukrainienne dans sa composition. (Khrystiuk. Zamitky i materiialy, Tome III, p. 18 ; Bojcun, « Working Class », p. 373).
[NdT : cette appréciation s'appuie sur des congrès soviétique ou syndical dans une situation de clandestinité et de guerre latente. S'il est certainement significatif que les couches supérieures du prolétariat en Ukraine, russe, russophone, juive ou autres, évoluent alors vers des positions favorables à l'indépendance ukrainienne, d'autres considérations plus tactiques interviennent sans doute, à savoir le fait que la Russie rouge a, avec le traité de Brest-Litovsk et dés avant en reconnaissant l'indépendance ukrainienne proclamée en janvier 1918 par la Rada Centrale, officiellement renoncé à toute prétention sur l'Ukraine, et qu'il est alors utile à Lénine que des forces « indépendantes » contestent la domination allemande. En outre, parmi les bolcheviks, les communistes de gauche (Piatakov, E. Bosch) et les communistes pro-ukrainiens (groupe de Poltava, tendance Shakhrai-Mazlakh) ont au moins un point de convergence, c'est qu'ils n'obéissent pas automatiquement à Moscou et veulent organiser la lutte en Ukraine contre le régime pro-allemand.]
2 Le membres du Directoire sont : Vynnychenko, président, Petliura, Shevets de l'Union paysanne, Andriiesky, socialiste indépendant, et Makarenko représentant le syndicat des cheminots.
3 Bachinskyi, P. ed., Dokumenty trahichnoı¨ isioriı¨ Ukraı¨ny (1917–1927 rr), Zhurnal “Okhorona pratsi” - Kyiv Oblast Derzhavna Administratsiya, Kyiv, 1999. p. 534)
4 Les Nezalezhnyky comportait plusieurs figures remarquables dans leurs rangs : Myhaylo Tkachenko, leur principal théoricien, avait été ministre des Affaires intérieures de la Rada Centrale ; Volodymyr Chekhivsky, président du conseil des ministres du gouvernement UNR [de la Rada] reconstitué. L'autre théoricien principal était Andriy Richitsky, l'un des rédacteurs de l'organe centrale du POSDU Robitnycha Gazeta en 1917. Myhaylo Audiyenko fut le plus actif au plan de l'organisation, à l'origine dans la forte organisation de Petrograd du POSDU où il était soldat, puis à Kyiv où il était proche de Vynnychenko. Autres membres importants, Antin Drahomyretsky, fonctionnaire à Kyiv, et Yurko Mazurenko, qui avait dirigé le comité de Petrograd du POSDU en 1917 et avait joué un rôle clef dans le blocage de la marche de Kornilov sur Petrograd.
5 Khrystiuk Vol. IV chapitre III p. 52.
6 Quand la division Dniprovska repris Kyiv après la défaite de Skoropadsky ce fut sous des drapeaux rouges et les slogans « Tout le pouvoir aux soviets » et « Toute la terre aux paysans ». Craignant une tentative de prise du pouvoir, Petlioura établit sa base en dehors de la ville (Petrichenko).
7 Ukrainian People's Socialist Republic, décembre 1918, (Robitnycha Hazeta, 7 janvier 1919, Khrystiiuk. Zamitky i materialy, Tome IV, pp. 55-56).
8 Idem.
9 Le KAPD était le Parti Communiste Ouvrier dissident en Allemagne. Pannekoek a fait sa mise au point contr ela dictature du parti communiste dans Der neue Balnquisismus.
10 Un exemple en est le colonel Bolbochan, ancien hetman (commandant) de la division Zaporozhian, nommé par le Directoire commandant en chef de l'Ukraine-rive gauche du Dnieper. Bolbochan institua un régime de terreur contre le retour de la révolution agraire et des conseils ouvriers (Baker, Peasants, Workers and the Revolution in the Village, 167-8).
11 Sur l'évolution de l'UNR, « Andr. Mykh » des Nezaleznhyky écrit : « Tout ce qui était vivant et actif était passé dans le mouvement des masses. Mais les vestiges du nationalisme bourgeois et de l'intelligentsia s'accrochait au drapeau bleu et jaune, montait des bouffonneries, des meetings au son des cloches d'églises, prières et autres attributs d'un nationalisme sentimental, ne faisant que discréditer le mouvement populaire et ses dirigeants. Notre tache et la tache du Directoire à ce moment là était de rompre complétement avec ces survivances d'unité nationale. » (Robitnycha Hazeta, décembre 1918, pp. 55-56).
12 Khrystiiuk. Zamitky i materialy, tome IV p. 69.
13 Idem.
14 Id.
15 On ne peut réduire à une volte-face de Porsh le fait qu'il se soit rapproché de Mazepa. On doit aussi envisager que l'expérience du pouvoir bolchevik en Ukraine l'avait sérieusement désillusionné, lui et d'autres. Ce fut alors son dernier discours devant un public du POSDU, après quoi il fut nommé ambassadeur de l'UNR en Allemagne. En janvier 1921 il adopta une attitude plus soviétophile, appelant lors d'un discours à un meeting étudiant à la reconnaissance de l'Ukraine soviétique et au retour en Ukraine. Porsh demanda à rentrer lui-même en Ukraine en 1922 et en janvier 1923 le Politubo ukrainien décida de le lui permettre, mais il ne rentra finalement pas. Ayant cessé ses activités politiques, il connut une fin tragique en Allemagne en 1944.
[NdT : M. Porsch a, en 1923, traduit la Critique de l'économie politique de Marx en ukrainien.]
16 Vynnychenko, Vidrodzhennia natsii, vol. 3, p. 242.
17 Declaratsiya Fraktsii Nazalezhnyky USDRP, Chervony Prapor, 22 janvier 1919.
18 Idem.
19 Id.
20 Khrystiiuk. Zamitky i materialy, tome IV p. 13.
21 Chervony Prapor, 22 janvier 1919.
22 Khrystiiuk. Zamitky i materialy, tome IV pp. 49-54.
23 Idem p. 12.
24 La supposition selon laquelle l'avancée de l'armée rouge en Ukraine à partir de décembre 1918 se serait faite sans l'accord de Lénine est purement spéculative (Adams, Adams, Arthur. The Bolsheviks in the Ukraine: The Second Campaign, 1918–1919.New Haven, CT: Yale UP, 1963.pp. 82-83).
NdT : Piatakov avait reconstitué un conseil des commissaires du peuple d'Ukraine, en territoire russe, à Koursk dés le 29 novembre 1918. Il avait commencé à progresser par le Nord-Est de l'Ukraine, mais on peut dire qu'il fut alors comme « aspiré » par le ralliement des paysans, et dans les villes, des ouvriers et de la population juive, à ses forces. Il s'installe à Kharkiv le 3 janvier. Lénine, dans une note du 17 janvier, qualifie la situation en Ukraine de « catastrophique », ce qui peut, entre autres choses, traduire un certaine mécontentement envers l'autonomie de l'armée rouge elle-même.]
25 Mazurenko, Dokymenti Trahichnoi Istorii Ukrayini, pp. 248-253.
[ NdT : on remarquera que Yuri Mazurenko connait bien les bolcheviks, ayant probablement pris part activement au soulèvement des soldats en février 17 à Petrograd et ayant été aux avant-postes pour stopper Kornilov.]
26 Symétriquement le commandant de l'armée rouge Antonov [NdT : Antonov-Ovseenko ?] envoie à Moscou un rapport affirmant qu' « il n'y a personne en Ukraine avec qui on puisse négocier. » (Stachiw, p. 258).
27 Les efforts de Mazurenko sont considérés comme ayant été sabotés par la nouvelle direction du Directoire et de l'UNRS (Vynnychenko, Vidrodzhennia natsii, vol. 3, pp. 279-280).
[ NdT : l'enchainement des événement est clair. Le Directoire éclate entre deux lignes : celle que tentent d'imposer les Nezaleznhyky va vers l'alliance avec Moscou, celle du pouvoir réel dans le Directoire, c'est-à-dire de Petlioura, est liée à l'Entente et particulièrement à l'impérialisme français. Des forces sociales différentes sont derrière les deux lignes, bien entendu. Yuri Mazurenko est missionné pour aller à Moscou le 15 janvier, Petlioura impose la déclaration de guerre à la Russie le lendemain. Vynnytchenko, dirigeant social-démocrate historique mais qui n'a pas suivi les Nezaleznhyky, lesquels s'orientent dés lors vers l'insurrection, rompt définitivement avec Petlioura. Le basculement du Directoire dans la contre-révolution armée et les pogroms pétliouristes vont s'ensuivre immédiatement.]
28 Sur la rive gauche du Dniepr dans les gouvernorats de Kharkiv, Chernihiv et Ekaterinoslav, le Directoire fut renversé. Sur la rive droite, des soulèvements furent tentés en Vohynie, à Jitomir dans le district d'Obruch, auxquels les atamans répondirent par des pogroms. Selon Vynnychenko, « Il n'y avait ni punitions, ni justice, ni procés, ni contrôle envers les criminels et les ennemis de la révolution et du mouvement national. Tout le système de commandement militaire était construit et consciemment basé, par les chefs atamans, sur le principe voulant qu'ils échappent à tout contrôle. » (Vynnychenko, Vidrodzhennia natsii, vol. 3, p. 188).
29 Petrichenko.
[ NdT : la division Dniprovska, sorte d'armée paysanne, était celle-là même avec laquelle Petlioura avait repris Kyiv le 14 novembre 1918, et qui déjà l'inquiétait fortement et mêlait à ses drapeaux jaunes et bleus un plus grand nombre de drapeaux rouges (cf. note 84). On remarquera que dans ce mouvement insurrectionnel, les Nezaleznhyky accompagnent le mouvement plus qu'ils ne le dirigent.]
30 Chervony Prapor 6 février 1919.
31 Chervony Prapor 11 juillet 1920.
32 La proclamation est signée par le responsable du comité, Boubnov, et ses autres membres : P. Sydorenko, P. Dehtiarenko, M. Maior, V. Chernavsky, H. Volkov, H. Mihailychenko, P. Liubchenko, I.L Kachura, A. Chekhsis, I. Frenkel, et M. Adviienko (Khrystiiuk. Zamitky i materialy, tome IV p. 81).
33 Chervony Prapor 6 février 1919.
34 Adams, pp. 25-64.
35 Les principal travail de Piatakov sur la question nationale est Le prolétariat et le « droit des nations à disposer d'elles-mêmes » à l'apoque du capital financier, sous le pseudonyme de P. Kievsky, publié en 1916 et auquel répond Lénine dans Caricature du marxisme et économisme impérialiste.
[NdT : on pourrait dire de Piatakov qu'il n'a jamais fait la paix de Brest-Litovsk et que ses activités politiques et militaires aux marges de l'Ukraine et de la Russie ont donc eu une large autonomie, quoique tolérée par Lénine, de la signature du traité à son éviction en janvier 1919.]
36 Les textes de Rakovsky ont été publié par Fagan et par Broué. Ni l'un ni l'autre n'engage de critique de la politique de Rakovsky en 1919.
37 Chervony Prapor 6 février 1919.
[NdT : cette question de la langue évoque des polémiques récentes, la propagande de la Russie de Poutine étant parvenue à faire croire à la plupart des militants et groupes de gauche en France, par exemple, mais surtout à bien des habitants du Donbass, que le parlement ukrainien en mars 2014 avait voulu interdire l'emploi du russe alors qu'il avait seulement voulu lui retirer le statut de langue officielle dans certaines régions, puis y avait renoncé. La reconnaissance de l'ukrainien comme seule langue de l'Etat est une exigence nationaliste de base et ne signifie en aucun cas l'interdiction du russe, ni d'ailleurs du polonais, de l'allemand, du tatar ou du yiddish. C'est au contraire l'interdiction de la langue ukrainienne qui s'est le plus souvent produite, y compris de la part des révolutionnaires bolcheviks dans les années dont traite cet article.]
38 Mazlakh et Shakhray, On the Current Situation, pp.115-117.
[NdT : Rakovsky n'était pas un gauchiste, mais une figure majeure et respectée de l'ancienne social-démocratie européenne et du mouvement zimmerwaldien. Son fiasco ukrainien fut complet, mais il s'explique aussi parce que Lénine l'avait choisi précisément parce qu'il n'avait rien d'ukrainien et que, significativement, Lénine expliquait alors qu'en Ukraine, il ne fallait surtout pas d'ukrainiens pour diriger ! S'il est regrettable que les principaux historiens de la mémoire de Rakovsky, incontestablement une grande figure, aient dénié par leur silence ce moment de son parcours (Broué et Fagan, cf. ci-dessus note 114), il est juste de dire que par la suite, à partir de 1923, Rakovsky s'est opposé à Staline et à la bureaucratie, y compris à propos de la question nationale ukrainienne.
39 Tkachenko, Borotba, Vienne, n°° 7-8, avril 1920, p.3.
40 Chervony Prapor 9 mars 1919.
[NdT : La « langue générale du savoir », c'est le russe. Pour le chauvin dominateur, c'est l'opprimé qui est chauvin : lui-même représente la culture universelle et, en l'occurrence, la révolution mondiale ! « Vous ne pouvez pas parler comme un être humain » est resté une formule courante russe à l'encontre de qui parle ukrainien, ou plutôt, d'ailleurs, « petliouriste » (en 1920), « banderiste » ou « nazi » (après 1945).
D'où cette saisissante dénonciation : l'Ukraine de Rakovsky pire que celle de Skoropadski en matière de russification ! Rakovsky n'était pourtant pas du type « tchékiste inflexible », mais plutôt de ceux auxquels on adressait les doléances. Mais la dénonciation est néanmoins probablement vraie : le régime sanglant de l'hetman se présentait comme « ukrainien » et était coupé de la Russie par les lignes allemandes, tandis que le parti communiste sous Rakovsky vit affluer à lui les ci-devants et anciens fonctionnaires russes, Rakovsky lui-même vivant dans une sorte de bulle, parmi ses alter ego russes ou français, stratèges et tacticiens de la révolution mondiale ayant certes compris que l'Ukraine était un maillon décisif pour celle-ci, mais ne sachant pas qu'en Ukraine, il y avait des Ukrainiens ! ]
41 Chervony Prapor 15 février 1919.
42 Adams, 125.
43 Il n'y avait de conseils ouvriers que dans les grandes villes, Kharkiv, Kyiv, Jitomir, Ekaternoslav, Poltava, Chernihiv, et seulement avec les pouvoirs qui leur étaient concédés.
44 Des débats importants sur « l'étatisation » des syndicats opposèrent ses partisans aux Nezalezhnyky dans les congrès des syndicats des industries chimiques, des employés de l'industrie et du commerce, du tabac, de la métallurgie, de l'imprimerie, des mineurs, des raffineries de sucre et de l'union pan-ukrainienne des instituteurs (Bojcun, « Working Class », pp. 446-449).
45 Remington, Thomas. Building Socialism in Bolshevik Russia, Ideology and Industrial Organisation 1917–1921. Pittsburgh: Pittsburgh UP, 1984, p.167.
46 Chervony Prapor 28 février 1919.
47 Mazurenko, Dokumenty trahichnoı¨ isioriı¨ Ukraı¨ny, pp.248-253.
48 Riddell, John, Ed. Founding the Communist International, Proceedings and Documents of the First Congress. New York: Pathfinder, 1987, p. 98.
49 Le troisième congrès du KP(b)U se tint les 1-6 mars 1919 ; Adams, pp. 218-19.
[NdT : on remarquera l'amalgame fait avec les SR de droite et les « socialistes indépendants » par les bolcheviks.]
50 Maistrenko, Borotbism, pp. 124-5.
51 Manifest Vremenogo Raboche Krestianskogo Pravitel'sta Ukrainy, 1° décembre 1918 (cité par Mazlakh et Shakhrai, p. 27).
52 Selon Balabanova, première secrétaire de l'Internationale Communiste et amie de Rakovsky qu'elle assistait à Kyiv, « les bolcheviks avait installé une république indépendante d'Ukraine. En fait cette section du pouvoir des soviets fut entièrement dominé par le régime de Moscou. » Balabanoff, Angelica. My Life as a Rebel. London: Hamish Hamilton, 1938, p. 234.
53 Khrystiuk , Zamitku i materialy, p.130
54 « Les Nezaleznhyky ukrainiens ne reconnaissent pas le gouvernement ; les Nezaleznhyky ukrainiens dressent les ouvriers et les paysans contre le gouvernement ; les Nezaleznhyky ukrainiens font de l'agitation contre l'aide en grain d'Ukraine à la Russie affamée ; les Nezaleznhyky ukrainiens enflamment les haines nationales ; les Nezaleznhyky ukrainiens veulent engager le prolétariat rural dans la construction révolutionnaire en l'opposant au prolétariat. » Chervony Prapor, 9 février 1919
55 Chervony Prapor, 3 avril 1919.
56 Mazurenko, Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny (1917–1927 rr), pp. 248-53.
57 Chervony Prapor, 3 avril 1919.
58 Ceci était reconnu clairement : Karl Radek avait déclaré le 20 octobre 1918 au congrès du KP(b)U que « notre route pour aider les travailleurs des pays centraux passe précisément par l'Ukraine, par la Roumanie, par la Galicie orientale et par la Hongrie. (Borys, Jurij. The Sovietization of Ukraine 1917–1923. Edmonton: Canadian Institute of Ukrainian Studies, 1980., p. 205).
59 Ses articles critiques sur les désaccords au sein de l'Internationale communiste causèrent la consternatoin en Russie soviétique, et en conséquence un russe et un polonais furent imposés à son équipe éditoriale (Halahan, Z Moïkh spomyniv, p. 455).
60 Mykola Halahan, Z Moïkh spomyniv, 1880 ti 1920ri, Tempora, yiv, 2005, pp. 445-446.
61 Ibidem.
62 Cable du 6 juillet 1919 (Rudof Tokes, Bela Kun and the Hungarian Soviet Republic, Stanford, 1967).
63 Memorandum TsK KP(b)U Vikonkomu Kominternu, Novembre 1924, M. Skrypnik, A. Shumsky, N. Popov , Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny, 551-552).
64 Adams, The Bolsheviks in the Ukraine , p.266.
[NdT : rappelons que le gouvernement de « dictature du prolétariat » présidé par le social-démocrate de gauche Sandor Gabai et dont le véritable homme fort était le communiste Bela Kun, proclamé en Hongrie le 21 mars 1919, dura jusqu'au 1° août de la même année, renversé par les troupes roumaines et la volonté de l'impérialisme français., et laissons ici de côté la question de savoir s'il y eut vraiment une « dictature du prolétariat » en Hongrie cette année-là. Christopher Ford a écrit un article sur la question des relations entre Ukraine et Hongrie soviétiques dont nous ne disposions pas en faisant la présente traduction. On notera que le fait que Bela Kun et Erno Por (l'un de ses proches, qui fut l'un des dirigeants de l'éphémère république slovaque des conseils en juin-juillet 1919) aient pris la défense de Vynnychenko, des Nezalezhnyky et de la nation ukrainienne devant Lénine et contre Rakovsky, ne les exonère pas de nombres d'erreurs et coups de bluff par ailleurs. Deux épisodes curieux ont en outre marqué cette question : l'exécution de deux envoyés militaires de Rakovsky, Junkelson et Efimov, pour complot anarchiste à Budapest, et le voyage en avion de Tibor Szamuely, comme émissaire du gouvernement hongrois mais qui était aussi un opposant de gauche à Kun, à Kharkiv voir Rakovsky, d'où il s'est rendu en train voir Lénine à Moscou. Kun a accusé Rakovsky d'avoir par sa politique empêché la « jonction » révolutionnaire entre Ukraine et Hongrie, appelée à ouvrir la « voie du Sud-Est » à la révolution européenne (cf. note 136 ci-dessus). Mais la première attaque roumaine contre la Hongrie, causant l'effondrement de l'appareil militaire hongrois (issu de l'ancien régime) a lieu le 15 avril. Elle est stoppée par la mobilisation ouvrière, mais la « jonction » apparaît dés lors compromise. Or Rakovsky préparait encore une attaque en Bessarabie, reliée à un soulèvement en Dobroudja, début mai, cela en désaccord avec Lénine pour qui le danger principal venait de l'Est, de Koltchak et Denikine. Cette intervention lui aurait aussi permis de prendre pleinement le contrôle et de disperser l'armée de l'ataman Grigoriev, intégrée de manière précaire à l'Armée rouge et qui avait repris Odessa, évacuée par les Français, le 6 avril. Antonov-Ovseenko, dirigeant bolchevik, s'y trouvait avec lui et ses récriminations contre Rakovsky, citées par Christopher Ford, peuvent aussi s'expliquer par sa crainte que les rouges ne perdent complétement tout contrôle sur cette armée, ce qui va arriver.]
65 Tcherikover, Elias. The Pogroms in the Ukraine in 1919, New York: YIVO Institute for Jewish Research, 1965, p. 373.
66 La raison de la rupture entre Zeleny et les autorités bolcheviks fut la décision de refuser la redistribution des terres d'une grande usine de sucre réclamées par les paysans. Ceci s'ajouta au conflit à propos des statuts de l'unité comme régiment de l'Armée rouge, sur lequel Chervony Prapor rapporte que « Zeleny s'en tenait à la plate-forme du soviet. La cause du malentendu fut son opposition à se fondre dans l'armée rouge, en Antonov l'avait bien compris. » (Khrystiuk , Zamitku i materialy, p.131).
[NdT : le régiment de Zeleny était à l'origine celui du soviet de Kyiv et il ne voulait pas perdre ce statut en étant totalement fondu dans l'Armée rouge.]
67 Mazurenko, Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny , p.248-53.
[NdT : une source essentielle semble être ici le récit de Mazurenko, qui est dés la fin de l'année 1919 revenu de façon très critique sur ce soulèvement dont il avait été l'un des dirigeants.]
68 Khrystiiuk, Zamitku i materialy, p.132-33
[NdT : deux remarques sur ce texte. Ici comme en d'autres passages sont exigées ensemble « l'indépendance et l'autonomie » de l'Ukraine, ce qui pourrait sembler contradictoire, mais il est possible que le terme anglais autonomy traduise un équivalent ukrainien qui pourrait plutôt s'apparenter au français « souveraineté », à savoir « autonomie entière de décision ». On remarquera d'autre part l'exigence d'expropriation immédiate des terres pour ceux qui les travaillent, la vieille revendication paysanne qui, apparemment, n'était toujours pas réalisée ou avait été retardée dans certains cas par la politique des bolcheviks – par exemple dans l'affaire des terrains d'une raffinerie à l'origine de la mutinerie, cf. note 144.]
69 Mazurenko, Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny , p.248-53.
70 Ils formèrent le « POSDBU (Independents) Gauche » et publièrent un journal légal, Chervonyi Styha. Avec les Borotbistes et le KP(b)U ils signèrent par la suite une proclamation accusant l'ataman Grigoriev d'avoir « trahi la révolution » (Bilshovyk, 13 mai 1919 ; Mazurenko, Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny ,p.137-139).
71 Signé de Drahomirestsky, Dybichenko, Selyanskyi, Vlasivskyi, Syrotenko, Secrétaire : Didych (Mazurenko, Dokumenty trahichnoı isioriı Ukraıny,p. 125-6).
72 Richtysky, Andriy, ‘Memorandum Ukrainskoi Kumunistichnoi Partii Kongresovi III Komunistychnoho Internationalu’, Nova Doba, no.4, 1920 in Dokumenty Ukrainskoho Komunizmu, New York, 1962, p.45-66.
73 D'ailleurs beaucoup d'insurgés de Cronstadt étaient ukrainiens, ayant été enrôlés à l'automne 1920, et influencés par les idées de l'insurrection de 1919.
74 Tcherikover, Pogroms in Ukraine, p. 250.
[NdT : l'appréciation de l'auteur selon laquelle ce soulèvement était plus vaste que celui de Cronstadt se fonde sur le chiffre de 25 000 participants, qui étaient des soldats.]
75 Mazurenko, List Chlena Tsk USDRP (Nezalezhnyky) Yury Mazurenko Khr. Rakovskomu pro Yoho stavkennya do polityky Idiyalnosti KP(b)U, 27 décembre 1910, Dokumenti Trahichnoii istorii Ukraini (1917-1927), P. Bachjinskyi ed., Kyiv, 1999, pp. 248-253.
76 Il semble que l'alignement des leaders les plus modérés de la social-démocratie et des SR ukrainiens sur Petlioura n'était pas connu lors des discussions menées par leurs émissaires à Kyiv, sur le projet d'accord avec les Nezalnezhnyky. Ils rejetèrent les positions prosoviétiques du Comité Révolutionnaire Pan-Ukrainien. Dans une lettre aux insurgés, ils disent : « Tout parti qui en Ukraine se prononce pour le pouvoir des soviets est de ce fait lié au parti bolchevik. Le bolchevisme en Russie s'effondre à cause de ses désordres internes, à cause du mécontentement des paysans envers le pouvoir des soviets. Modeler un pouvoir soviétique ukrainien sur le pouvoir soviétique russe est absurde, car la principale thèse bolchevique est la même de l'un à l'autre. » Khrystiuk, Zamitky i materialy, Tome IV, pp. 134-139.
77 Khrystiiuk, Zamitku i materialy, p.134-35
78 Mazurenko, Dokumenti Trahichnoii istorii Ukraini pp. 248-53.
79 Chervony Prapor n° 63, 25 décembre 1919.
80 Le POSBU modéré déclara : « Nous ne pouvions croire à cette absurdité, que les paysans voudraient échanger un fort pouvoir bolchevik russe contre un étique pouvoir bolchevik ukrainien, que leur offrent les SR de gauche [borotbistes] et les Nezalezhnyky … Nous déclarons au groupe dirigeant du Comité Révolutionnaire Pan-Ukrainien qu'ils sont les victimes de leurs propres illusions. Les paysans ne de dresseront pour aucun pouvoir soviétique ukrainien, mais pour leurs propres intérêts, tant sociaux que nationaux. » Les Nezaleznhyky furent accusés d'avoir voulu exécuter « ceux qui faisaient de l'agitation pour le gouvernement populaire de l'ataman Petlioura. » (Vyzvolennia, 25 juillet 1919, p. 124 ; Khrsytiuk, Zamitku i materialy, p.142-143,).
81 Robitnycha Hazeta, 25 aout 1919.
82 L'organe central du POSDU le dit : « l'incertitude grandit à propos de la différence entre notre gouvernement, notre système de pouvoir, et celui de Dénikine » (Robitnycha Hazeta, 5 octobre 1919).
[NdT : cet épisode est confus comme l'était alors la situation. En résumé : les Nezaleznhyky ont fait le pari risqué de donner une orientation politique soviétique et anti-russe à une vague de soulèvement militaro-paysans, et l'ont perdu. Lors de leurs préparatifs en avril 1919, ils tentèrent d'associer d'une part les borotbistes, qui refusèrent de combattre à ce moment là le gouvernement Rakovsky par la force, et d'autre part les social-démocrates « officiels » qu'ils crurent pouvoir séparer de Petlioura en tout ou en partie, mais qui refusèrent eux aussi de leur côté. En fait le ton des soulèvements antibolcheviks fut donné par la mutinerie de Grigoriev à Odessa le 12 mai : anarchique et antisémite. La « jonction » avec la Hongrie fut empêchée d'abord par l'effondrement de l'armée hongroise, qui s'appelait armée rouge mais ne l'était pas, devant les forces roumaines mi-avril, ensuite par l'insurrection de Grigoriev.
Que la politique grand-russe et bureaucratique du gouvernement Rakovsky ait causé l'effondrement n'empêche pas qu'ensuite, l'espace politique entre rouges en blancs soit rapidement anéanti, donnant tristement raison aux missives du chef de l'Armée rouge, Trotsky, sur le mode « ou avec nous ou avec les blancs » : les mutins de Skvyra échappent au contrôle des Nezaleznhyky, commettent à leur tour des pogroms (cf. l'ouvrage mentionné ci-après) et, dans la mesure où ils ont une orientation politique, penchent plutôt vers Petlioura qui approche et l'aident à prendre Kyiv ; cette prise intervient le 31 août, et le lendemain, Petlioura est remplacé par Dénikine ! C'est la faillite finale du « nationalisme bourgeois » ukrainien : une partie se vend aux oppresseurs polonais, l'autre aux oppresseurs grand-russes.
Un document important mais à prendre avec précaution, disponible sur le net, issu de la Croix Rouge, The slaughter of the Jews in the Ukraine in 1919 , de Elias Heifetz, New York, 1921, témoigne de la confusion catastrophique qui régna : Mazurenko, en tant qu'intellectuel social-démocrate ayant tenté de donner une orientation politique à certains batkos et atamans, y passe pour le « Batko de tous les Batkis » (Makhno y compris) et pour l'auteur de « terribles pamphlets antisémites », dont aucun n'est pourtant cité ni mentionné, le seul texte mis sous sa responsabilité étant une proclamation des chefs militaires Lopatkin et Zavgorodny, idéologiquement confuse, mélangeant antisémitisme, anarchisme paysan et nationalisme ukrainien avec, comme on dirait aujourd'hui, des « éléments de langage » de provenance Nezaleznhyky, proclamation probablement postérieure au retrait des Nezaleznhyky de l'insurretion. Rakovsky, qui dans le même ouvrage qui charge également Makhno, apparaît comme le seul chef politique ayant résolument combattu l'antisémitisme, n'aurait pas renoué avec Mazurenko fin 1919 si ceci était vrai, et le Poale Tsion ne lui aurait pas apporté son soutien comme on le verra plus loin.]