Читать книгу Childéric, Roi des Francs, (tome second) - Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie - Страница 4

CHILDÉRIC.
LIVRE DOUZIÈME
LIVRE DOUZIÈME

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Bazin régnoit seul en Thuringe depuis la mort d'Humfroi, son frère aîné, avec lequel il avoit partagé d'abord l'empire; ils habitoient alors deux palais voisins, et qu'un seul jardin séparoit. A la mort d'Humfroi, Bazin s'étoit emparé de ce trône à peine élevé, qui devoit tomber sous les coups de Thierry, fils de Clovis, et faire partie de sa puissance. Altier, sanguinaire et farouche, Bazin venoit de perdre l'aîné de ses fils, le jeune et bel Amalafroi, espoir et amour du peuple. Vainqueur des Vandales, il traitoit de la paix quand il fut lâchement assassiné: l'armée entière gémit sur une mort prématurée, et qui lui enlevoit un prince aussi brave que généreux. La douleur de Bazin fut extrême; mais il ne borne point son deuil à des larmes, la vengeance peut seule satisfaire ses regrets terribles. En vain il lui reste encore trois fils, Hermanfroi, âgé de douze ans, Baderic et Berthier, encore enfans; rien ne le console, ne l'appaise; c'est du sang qu'il faut à sa douleur: tous les prisonniers faits sur les Vandales pendant la guerre, seront immolés sur la tombe d'Amalafroy, de ce prince, qui, dans le cours d'une longue carrière, n'eût pas vu couler sans pitié une goutte de ce sang qui va se répandre à grands flots. Déjà les apprêts de ces sanglantes obsèques ont frappé d'horreur les sens de Childéric; il a aperçu le bûcher en se rendant à la cour du roi de Thuringe; il a reculé d'effroi, et a frémi au récit que lui font les gardes qu'il a interrogés. Cependant, au bruit de son arrivée, Bazin se présente pour le recevoir, et la beauté du monarque français, sa taille superbe et son aspect enchantent déjà tous ceux qui l'entourent; il parle, il plaît davantage encore, et tous les cœurs lui sont soumis. Arrivé dans les appartemens du roi de Thuringe, Childéric, comblé d'honneurs, répond à ces hommages avec une noble reconnoissance: on l'écoute, on l'admire, il règne sur tout ce qui l'approche; l'aimable Eginard reçoit lui-même un favorable accueil, et partage les égards dont on accable son maître.

Mais les horribles funérailles que prépare un père irrité, ont porté la douleur dans l'ame sensible de Bazine, nièce du roi de Thuringe, et destinée, dès sa naissance, à épouser son fils. Bazine, restée au palais de son père Humfroi, et élevée par les ordres de son oncle, cache dans l'ombre sa beauté, sa grace, sa douce mélancolie, et tous les présens qu'elle a reçus de la nature; dans une extrême jeunesse, elle a montré une ame élevée, un caractère constant et noble, un esprit juste, une imagination profonde. Bazine a deviné tout ce qu'elle est loin encore de sentir, ce qu'elle ne doit peut-être jamais connoître, et sa raison, qui avertit son cœur des privations qui l'attendent, l'a condamnée aux regrets, long-tems avant qu'elle eût l'idée du plaisir. L'amour pur, extrême, sincère et constant, ce dieu des ames tendres et fidèles, se peignoit à sa pensée comme le seul vrai bien de la vie; la bienfaisance en étoit pour elle la consolation; une bonne action, voilà le plaisir pour Bazine, et les larmes de joie qu'elle faisoit répandre, étoient la volupté pour son cœur. Ses traits réguliers, mais doux, son regard languissant et timide, son sourire innocent, ses graces enfantines et légères, tout en elle est pur et dans une parfaite harmonie; la négligence et l'abandon de sa démarche, un air rêveur, un son de voix qui portoit à l'ame ses moindres discours, font de Bazine un de ces êtres charmans que l'on aime, que l'on admire, et qui ravissent pour toujours. La princesse, destinée à l'hymen d'Amalafroy, renonçoit, en l'épousant, à la délicieuse idée d'un amour mutuel; elle éprouvoit un regret qu'elle condamnoit elle-même; en songeant à cet hymen, elle pleuroit un bonheur mensonger, mais enchanteur. Des raisons politiques forçoient le roi de Thuringe à presser cette union; et Bazine, à l'approche de cet instant, sentoit augmenter son indifférence; elle se le reprochoit, elle vouloit aimer celui qu'elle estimoit, son cœur rebelle se refusoit à ses propres volontés. Appartenir sans se donner, passer sa vie sans connoître l'amour, renoncer à ses rêves charmans, sacrifier ses vagues, mais délicieuses espérances, se dérober soi-même à ce héros inconnu encore, mais qui sans doute existoit pour elle, ces pensées plongeoient la jeune princesse dans une tristesse accablante. Amalafroy plus heureux, ou plus à plaindre peut-être, aimoit avec idolâtrie; il voyoit avec transport s'approcher l'heureuse époque de son hymen; il se plaignoit pourtant d'une froideur dont son amour et sa délicatesse étoient alarmés: alors Bazine lui sourioit avec tant de graces, qu'il se reprochoit ses plaintes: il espéroit; mais à peine âgé de dix-huit ans, le prince est déjà moissonné! Il n'a paru qu'un seul jour pour se faire connoître et regretter, et Bazine a donné des larmes à celui dont elle fut aimée. Cependant la vengeance terrible du roi de Thuringe révolte son cœur, tant d'innocentes victimes excitent sa pitié; timide et modeste, Bazine craint de paroître; destinée au trône, elle a cependant le noble sentiment de sa grandeur, qui l'élève au rang qui lui est réservé. Le jour est fixé, on nomme déjà l'instant, la princesse ne peut différer davantage; couverte de vêtemens de deuil, voilée et suivie de la bonne Eusèbe, sa nourrice et sa gouvernante, de la séduisante Berthilie, sa meilleure amie, elle quitte son palais, traverse légèrement le jardin qui le sépare de celui du roi, et se présente à ses regards au moment où il venoit de recevoir avec tant d'honneurs Childéric et Eginard. Bazine, qui a rejeté son voile en arrière, rougit à l'aspect de deux étrangers; mais, s'adressant à son oncle: Je viens, lui dit-elle, implorer votre clémence, et recourir à vos bontés. – Que voulez-vous, Bazine? parlez; que demandez-vous? – La grâce de ces malheureux Vandales, si cruellement condamnés. A ces mots, prononcés avec une enchanteresse douceur, Bazine leva ses beaux yeux remplis d'une expression si tendre; mais le roi, enflammé de courroux, lui répondit: Eh quoi! c'est vous, vous, destinée à devenir l'épouse d'Amalafroy, vous qu'il aima, c'est vous qui m'osez demander la grâce de ses assassins! vous qui, loin de suspendre ma vengeance, devriez en presser les effets! Est-ce ainsi que vous honorez l'ombre de celui qui dut être votre époux? – Oui, c'est ainsi qu'interprétant sa belle ame, je rends un juste hommage à ses vertus; c'est en sauvant l'innocence, que j'obéis à ses volontés généreuses. Ah! craignez d'irriter ses mânes augustes, loin de les apaiser! Que ne peut-il, du sein des morts, se faire entendre et vous attendrir!.. O roi! ajouta-t-elle en se jetant aux genoux de Bazin, et élevant vers lui ses mains suppliantes, daignez écouter sans courroux la prière que je vous adresse! sauvez ces infortunés! l'ombre désolée de votre fils rejetera de sanglantes funérailles; croyez-en celle qu'il aima et qui connut si bien son cœur; cédez à la pitié: accordez-moi une grâce que je vous demande au nom d'Amalafroy! Bazin, sans être ému par sa beauté, par ses grâces timides, par l'accent irrésistible d'une voix si touchante, et à qui son attendrissement prêtoit encore un charme plus persuasif, releva Bazine avec rudesse: C'est assez, lui dit-il; je pardonne à votre âge cette indiscrète prière. Des gardes vinrent avertir le roi que les bûchers et les victimes étoient prêts; il suivit les gardes. Bazine, entraînée par sa pitié, s'élança au-devant de lui, essaya de le retenir; le roi la repoussa, et s'éloigna d'elle; elle fit un cri, et tomba évanouie. Childéric, qui étoit près de la princesse, la reçut dans ses bras; il la transporta sur un siége voisin; Berthilie, Eusèbe, s'empressèrent de la secourir, tandis que Childéric, tremblant, effrayé de sa pâleur, restoit à genoux, et soutenoit sa tête; Eginard, debout et non moins troublé que le roi, admiroit en silence cette beauté si sensible et si généreuse; les liens de perles qui retenoient ses cheveux d'un blond argenté, s'étoient détachés, et ses longues tresses dénouées sembloient un nouveau voile qui se prêtoit de lui-même à cacher ses modestes charmes. Les soins de Berthilie ne furent pas sans succès, Bazine rouvrit ses beaux yeux. Etonnée de se trouver appuyée sur le bras d'un étranger, qui lui-même est à ses genoux, elle regarde autour d'elle, et une prompte rougeur anime l'albâtre de son teint; elle porte sur le roi un regard reconnoissant et timide, et le prie avec instance de se relever; mais Childéric, qui s'oublioit entièrement à ses pieds, et s'abandonnoit à une admiration qui remplissoit et absorboit toutes ses pensées, n'entendit point ces paroles; il ne vit que sa touchante beauté: la princesse renouvela sa prière; alors, sortant comme d'un songe, le roi lui obéit, mais il demeura près d'elle, et constamment préoccupé. Bazine sourit à Eusèbe, embrassa Berthilie, et cependant elle poussa un profond soupir, et quelques pleurs coulèrent de ses yeux; elle pensoit aux malheureux qu'elle n'avoit pu sauver, et leur donnoit des larmes: s'occupant néanmoins des étrangers, elle remercia le roi qui l'avoit secourue, salua Eginard. Je savois, dit-elle à Childéric, que la cour de Thuringe devoit être bientôt honorée de votre illustre présence, car je vois que c'est au roi Childéric que je dois déjà des remercîmens. Je vous reconnois au portrait fidèle que l'on m'a fait souvent de vous, et si la renommée n'a pas été moins juste en me parlant de vos vertus, ma cour, qui vous reçoit, doit s'enorgueillir de son bonheur. Childéric troublé, s'inclina sans répondre. Je rougis pour nous, reprit Bazine, de ce que votre arrivée vous rendra le témoin des vengeances d'un père irrité et malheureux; la douleur l'a égaré, et ses excès vous font sans doute horreur; hélas! il a perdu ce qu'il aimoit, et son injustice, sa fureur, sont peut-être excusées par la violence de son désespoir! Oui, princesse, répondit le roi avec embarras; je sais qu'en perdant le prince Amalafroy, Bazin perd un fils adoré, la Thuringe un héros, vous, belle princesse, un époux, un amant aimé… Bazine baissa les yeux, et ne répondit point; après un moment de silence, elle se leva: Je vais me retirer, dit-elle au roi, je crains le retour de Bazin. Nous nous reverrons, prince, et j'espère que vous ne me refuserez point le récit de vos aventures, et de ces faits extraordinaires qui ont marqué même votre enfance. Permettez-moi de vous présenter ma chère Eusèbe, et Berthilie, ma meilleure et plus tendre amie; elle est fille du vertueux Théobard, chef du conseil; nous fûmes élevées ensemble, nos cœurs s'entendirent en naissant. Childéric, à son tour, présenta aux dames l'aimable Eginard. Bazine se retira avec celles qui l'avoient accompagnée; Childéric n'osa les suivre, mais fixé près de la fenêtre, il vit la princesse traverser les jardins; il admiroit sa légèreté, les grâces de sa taille, tous ses mouvemens; il cessa de la voir, mais non de l'admirer. Eginard, non moins charmé, interrogeoit la trace des pas de Bazine et de Berthilie; il se perdoit, comme son maître, dans un double enchantement. Berthilie, ainsi que la princesse, n'a vu encore paroître que son seizième printems; elle n'a point, comme son amie, des traits réguliers, un teint d'albâtre, des cheveux blonds, fins et déliés; son front n'a point cette sérénité virginale, ses yeux cette mélancolie voluptueuse; mais ses cheveux bruns clairs, et naturellement bouclés, conviennent à la fraîcheur de son teint; sa physionomie est expressive, une gaieté innocente l'anime, sa bouche vermeille sourit avec bonté, et quelquefois avec malice; sa taille est celle des Grâces, son caractère vrai, constant, son ame innocente et sensible, son esprit fin; elle est vive, étourdie, sait qu'elle est jolie, aime à l'entendre dire, adore son père, et mourroit pour son amie. Ces deux charmantes fleurs, nées au même printems, et près l'une de l'autre, se sont épanouies en s'aimant, et si l'attachement de Berthilie a plus de respect et de déférence, Bazine la dédommage en se livrant à tout ce qu'elle sent d'amitié, et répare ainsi ce que le rang met entre elles de distance.

Childéric et Eginard furent arrachés à leur douce rêverie par le bruit du retour de Bazin, entouré de sa cour. On désapprouvoit l'injuste vengeance du roi, on détestoit sa fureur; cependant on avoit exécuté ses ordres sans résistance, on l'avoit suivi en foule au lieu du supplice, on applaudissoit tout haut à des cruautés dont on frémissoit au fond du cœur. Tel est le sort des rois; le cri de la vérité est étouffé pour eux, à travers les clameurs de la flatterie; trompés, ils s'abandonnent; trahis, ils s'égarent. Bazin, fier du sang qu'il a fait couler, admire sa puissance et les effets terribles de son courroux; il s'approche de Childéric, lui parle d'Amalafroi, de sa mort prématurée, des funérailles qu'il vient d'ordonner, d'exécuter même. Sa douleur, appaisée sans doute par sa vengeance, ne l'arrache point à l'entretien général, ni aux soins qu'il doit aux étrangers. Un festin s'apprête; Childéric et Eginard y ont pris place; la coupe vole toujours remplie de nouveau, et le vin animant les esprits, chacun se livre sans réflexion à sa pensée. Mais bientôt on ne parle plus que du supplice des Vandales; leur nom, leur rang, leur âge, leur courage ou leur foiblesse, leurs cris, leurs larmes, ou leur force et leur étonnante fermeté, occupent tous les convives. Le roi de Thuringe, charmé, se mêloit à ce barbare récit. Théobard seul, silencieux et triste, jetoit sur tous un regard froid ou mécontent. Childéric l'observoit, et conçut pour lui autant d'estime que d'intérêt: Eginard, placé près de lui, sut d'abord qu'il étoit le père de Berthilie; c'étoit un titre à ses égards. Ce n'est pas qu'Eginard ait oublié les adieux de la tendre Grislidis, il s'en souvenoit, et se promettoit d'y penser toujours. Childéric, qui ne prenoit aucune part à une conversation si peu d'accord avec son cœur, vit avec plaisir la fin du repas. On alloit quitter la table, lorsque plusieurs Bardes entrèrent, ils étoient couronnés de cyprès; un d'eux tenoit une harpe, trois autres chantèrent ainsi la mort du jeune Amalafroi.

CHANT FUNEBRE

sur la mort d'Amalafroi.

Il n'est plus! chantons sa valeur,

Célébrons ses vertus, sa gloire;

Mais n'outrageons pas sa mémoire

Par une éternelle douleur.

Disons-nous: son ame sublime

Vole vers la divinité,

Et laissons le vice et le crime

Douter de l'immortalité.


Avant de t'élever aux cieux,

Esus t'éprouva sur la terre;

De cette épreuve passagère,

Dépendoit ton sort glorieux.

Mais où finit ce joug pénible,

Commence un destin solennel:

Du fond de la tombe insensible

Tu sors pour un jour éternel.


FIN DU LIVRE DOUZIÈME

Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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