Читать книгу Childéric, Roi des Francs, (tome second) - Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie - Страница 6

CHILDÉRIC.
LIVRE TREIZIÈME
LIVRE TREIZIÈME

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Childéric, conduit à l'appartement qui lui est destiné, se trouve seul avec Eginard; tous deux ont déjà nommé Bazine; tous deux ont plus parlé encore de ses vertus que de ses charmes. Combien elle étoit touchante aux pieds du roi, et implorant sa clémence! qu'elle étoit belle, les yeux baignés de pleurs! Que la mélancolie sied bien à ses traits divins! qu'Amalafroi étoit heureux! Cette pensée arrache au prince un soupir; mais c'est Bazine qu'il plaint: déjà elle a connu l'amour, elle en a senti les charmes, pour en éprouver les éternelles douleurs. Cependant elle n'a point laissé voir ni regret violent, ni désespoir inconsolable. Childéric espère que la belle princesse n'est pas pour toujours affligée. A seize ans, doit-elle, dans un éternel veuvage, ensevelir ses attraits et fermer son cœur à l'amour? Mais Bazine peut-elle être inconstante? Childéric ne le croit pas, et ne veut pas le croire.

L'heure du sommeil n'interrompt point ses pensées; le jeune roi, cependant, n'a vu qu'une fois celle qui l'occupe; il n'a point formé le désir de lui plaire, il est aussi loin du projet de l'aimer; l'amour brûle, souhaite, espère, et Childéric n'éprouve point ces mouvemens impétueux; son imagination est calme, il n'est point livré à cet orage des sens qui l'agitoit près d'Egésippe; il a vu la bonté céleste, il adore sa belle image, mais sans trouble, sans émotion, sans délire: le prince est sans désirs comme sans espérance. Le lendemain, Childéric reçut les chefs de l'état; mais ayant demandé l'honneur d'être admis chez la princesse, Bazin y consentit et l'accompagna lui-même. Bazine reçut les rois avec les grâces nobles qui suivoient tous ses mouvemens, et Childéric ne sut, en y réfléchissant, ce qui la rendoit plus belle de son sourire ou de ses larmes. Le roi, en se retirant, lui dit qu'il espéroit qu'à l'avenir elle reparoîtroit à sa cour; la princesse s'inclina avec respect; les rois la quittèrent. Pour obéir sans doute aux ordres qu'elle avoit reçus, elle parut le lendemain au palais du roi, et la charmante Berthilie entra avec elle; toutes les dames qui composoient la cour de Thuringe, s'étoient également réunies autour de la princesse, et se mêlèrent aux amusemens qui d'ordinaire occupoient Bazin et ceux qui l'environnoient. Le jeune roi de France attira d'abord tous les regards; mais il promenoit, sur toutes ces jeunes et belles nymphes, des yeux si indifférens, qu'aucune n'osa espérer. Eginard, dont le rang plus modeste, semble aussi plus près du plaisir; Eginard, galant et léger, tourne toutes les têtes et blesse même plus d'un cœur. On l'invite en vain à l'inconstance, Eginard ne veut aimer que Grislidis; cependant il ne renonce point à plaire, il ne renonce point à cette aimable coquetterie qui flatte sa vanité, amuse sa pensée, distrait son cœur; il veut respirer toutes ces fleurs qu'il s'interdit de cueillir. Pour échapper à tant d'attraits, il les désire tous: aimable, mais frivole, léger sans perfidie, et volage par fidélité, offrant également ses vœux à chaque belle, et leur portant un inconstant hommage, il échappe au trait qui peut à peine l'effleurer, et offre à Grislidis ces preuves de constance, dont peut-être elle eût été alarmée. Ainsi, en gardant sa tranquillité, il va troubler la paix de tant de beautés dignes d'amour, et ses jeux peut-être feront couler bien des larmes.

La chasse, cette image de la guerre, fut toujours le plaisir des héros, et étoit alors le goût dominant de la Thuringe. Les dames assistoient ordinairement à celle du cerf, du daim ou d'autres animaux timides; elles étoient montées sur des chevaux, célèbres dans ce pays par leur force, leur docilité et leur beauté; elles exerçoient quelquefois leur adresse à lancer leurs flèches, soit contre les lièvres, soit contre les chantres des bois. Bazine aimoit peu ces jeux cruels et s'y mêloit rarement; mais les chasses préparées pour Childéric, seront belles, dureront plusieurs jours, et la princesse promet d'y paroître. En attendant le moment fixé par le roi de Thuringe pour ces amusemens guerriers, Childéric et Bazine se retrouvent tous les soirs, mais au milieu d'une assemblée nombreuse, et la curiosité de la princesse n'a pu encore être satisfaite. Dans une belle journée de printems, à cette heure où le soleil trop ardent, force à chercher l'ombre et la fraîcheur des bocages, Childéric, fatigué du monde importun qui l'entoure, parcouroit, avec Eginard, le jardin spacieux qui séparoit les deux palais; malgré lui, ses regards se portoient vers les fenêtres de la princesse, et sans s'arrêter à ce beau parterre de fleurs variées, il marchoit sans réflexion, foulant aux pieds les verds tapis, l'émail des prés; il ne sentoit point les parfums délicieux que lui apportoient les zéphirs. Eginard seul admiroit ces beaux arbres, respiroit avec délice l'air embaumé, jouissoit du chant des oiseaux; mais tout-à-coup, mille fois plus heureux à son tour, le roi est ému, il admire, il se plaît au murmure de cette fontaine, dont l'onde plaintive s'échappe en ruisseau limpide; il marche voluptueusement sur ces rians gazons qu'il parcouroit lentement et avec indifférence; il s'approche avec empressement de ce bosquet d'arbres qui ombragent un banc de mousse. Il a vu Bazine qui se repose sous ce dais de feuillage et près de la fontaine. Eusèbe et Berthilie seules sont près d'elle: à l'arrivée du roi, les dames se sont levées avec respect, et Bazine lui offre un place sur le banc de mousse, en se félicitant de sa rencontre. Childéric l'accepte avec joie; Eginard va s'appuyer près de la fontaine; là rien ne lui cachoit la taille charmante de Berthilie; il aperçoit même un petit pied, un beau bras: souvent l'aimable étourdie cueille une de ces fleurs inodores dont sont parsemés les gazons, et c'est toujours du côté de la fontaine qu'elle croit apercevoir les plus belles. Le galant Eginard ne cesse de la regarder, mais il pense à Grislidis, et Berthilie lui paroît moins à craindre. La princesse ayant engagé le roi à commencer le récit qu'elle lui a déjà demandé, il céda promptement à une volonté d'autant plus puissante, qu'elle étoit doucement exprimée. Ce fut avec attendrissement qu'il parla d'abord de sa mère, avec orgueil qu'il vanta les exploits et les vertus de Mérovée; il se sentit fier d'exposer, devant la princesse, des images chères à son cœur, et qu'elle admiroit. Ce fut avec le même sentiment qu'il lui parla de son premier combat, de cette journée, où encore enfant, il annonça un courage téméraire. Childéric vit Bazine sourire à ses premiers exploits, ils lui en devinrent plus chers. Que n'a-t-il prévu qu'un jour il auroit à lui peindre toutes ses actions, à lui expliquer toutes ses pensées! animé par le désir glorieux d'en être applaudi, rien n'eût étonné sa valeur, rien n'en eût arrêté l'ardeur. Childéric alloit parler de son arrivée dans la grotte, mais Eusèbe avertit la princesse que l'heure de se rendre au palais approchoit; sans doute personne ne lui sut gré de sa prévoyance, et cependant on obéit à Eusèbe; les dames se retirèrent pour s'occuper de leur parure. Berthilie, en se levant, laissa tomber les fleurs qu'elle avoit cueillies; Eginard les ramassa, en fit un bouquet, qu'il tenoit encore, peut être par distraction, quand on se rassembla chez Bazin. Berthilie l'aperçut, rougit, son cœur palpita; mais que devint-elle, lorsque dans la soirée, elle le vit sur le sein de la plus jolie de ses compagnes! Des larmes de dépit remplirent ses yeux, et le perfide qui les avoit causées eut la cruauté d'en jouir. Le lendemain, chacun se prépara pour la chasse; les belles forêts de la Thuringe renfermoient plusieurs châteaux dans lesquels on s'arrêtoit, car ces amusemens duroient plusieurs jours. Childéric paroît, superbe et charmant, sur le coursier fougueux qu'il captive avec tant d'adresse. Bazine, plus timide que Berthilie, mais plus prudente, a plus de grâces que d'assurance; les dames, dont elle est environnée, forment autour d'elle un grouppe charmant; c'est Hébé au milieu de ses sœurs, aucune ne l'égale, toutes cependant sont jeunes, fraîches et belles. Eginard, séduit et incertain, porte tour-à-tour, sur chacune d'elles, des regards animés et ravis; il ne s'occupe point de la chasse, et Childéric a déjà remporté tous les légers avantages de cette journée, avant que le fils d'Ulric n'ait pensé à attaquer ni à poursuivre l'ennemi léger qui fuit en vain devant le roi, plus agile encore que lui. Déjà ce prince a déposé aux pieds de Bazine les nombreuses victimes de son adresse. Un repas champêtre réunit et confond les chasseurs; on vante la force, la légèreté du roi; plusieurs défis sont offerts et acceptés; mais Childéric, à tous les dons qu'il a reçus de la nature prodigue, joint l'exercice et le développement qu'il a acquis dans la grotte de Gelimer. A son aspect on devine ses succès; il touche au but long-tems avant tous ceux partis avant lui; sa flèche ne part jamais sans atteindre, tous ses rivaux en conviennent, et n'osent plus le défier. Mais on vient tout-à-coup annoncer au roi de Thuringe, qu'un glouton, espèce de sanglier terrible et dévastateur, échappé des forêts de Hantz, a été découvert à quelque distance, et qu'il dévore tout le gibier. Bazin, charmé d'avoir à combattre un tel ennemi, fixe au lendemain l'attaque; les dames resteront dans la maison de chasse; les hommes seuls s'exposeront aux dangers. Cette chasse peut cependant n'en avoir aucun: souvent cet animal, qui mange avec avidité le gibier qui s'offre devant lui, et qu'il sait surprendre avec une rare adresse, tombe alors dans une espèce de torpeur; venu à ce point d'immobilité, on le tue sans peine: cependant les dames ne voyent point partir les chasseurs sans inquiétude; Eginard, peu jaloux des lièvres, des faons, des daims que dévoroit le glouton, ne désiroit point sa mort, envioit encore moins l'honneur de le vaincre; mais il suivit son maître, non sans regretter les belles qu'il laissoit seules. Elles passèrent le jour à se promener sous les arbres; on lisoit l'inquiétude sur leurs visages; elle augmenta à l'approche de la nuit. Agitées de mille pensées pénibles, le sommeil ne leur fit point oublier les chasseurs, et le jour étoit encore près de terminer une seconde fois son cours, lorsqu'enfin le bruit des voix, le hennissement des chevaux, annoncèrent le retour souhaité. Les dames s'avancent promptement du côté d'où part le bruit; mais plusieurs chevaux sans cavaliers et conduits à la main, les effrayent; elles ont reconnu ceux des rois, celui d'Eginard; tous les cœurs sont troublés, et cependant on n'ose interroger, on craint trop d'apprendre… Un brancard frappe leurs yeux; Bazine s'élance, et Berthilie la suit; Bazin, blessé, paroît, porté sur le brancard; Childéric et Eginard le suivent. Le roi de France s'approche de la princesse, et la rassure sur l'état du monarque: il est, lui dit-il, sans danger. Arrivé à la maison de chasse, le roi fut promptement couché; on envoya à Erfort; Théobard, accompagné de tous les secours nécessaires, arriva au bout de quelques heures; la blessure n'étoit point dangereuse; cependant elle demandoit de grands ménagemens, et il fut décidé que le blessé ne seroit transporté que le lendemain. Les dames étoient toutes fort impatientes de connoître la cause de cet accident; le glouton n'existoit plus; sa tête avoit été présentée à Bazine, qu'elle avoit effrayée: Bazin voulut raconter lui-même cet événement. Nous cherchions, dit-il, depuis long-tems le sanglier que nous voulions détruire; il ne s'offroit point à nos regards; plus emporté, je m'enfonçai seul dans un fourré, et je l'aperçus immobile au pied d'un arbre; jugeant que c'étoit l'instant de le percer, croyant inutile d'attendre du secours contre un ennemi sans force, je m'approchai et lui portai un coup de ma lance; sa peau étant extrêmement épaisse, la blessure fut légère; je redoublai: soit que la douleur le réveillât de son engourdissement, soit que naturellement cet état dût finir alors, le terrible animal se leva furieux, et s'élança sur moi; je me jetai derrière un arbre, qui me garantit d'abord; mais il m'atteignit, et d'un coup de ses défenses, me renversa; cependant je me défendis encore avec ma lance; mais ma large blessure m'affoiblissoit, lorsque je vis tout-à-coup le roi de France paroître: s'élancer sur le monstre, lui enfoncer son épée dans le cœur et l'étendre mort à mes pieds, ne fut pour lui qu'un seul et même mouvement. Eginard, qui suivoit de près son maître, l'aida à arrêter mon sang; il courut avertir le reste de ma chasse, qui me rejoignit, et m'a transporté ici avec les précautions nécessaires. C'est avec plaisir, ajouta Bazin, que j'avoue et que je publie, que je dois la vie au roi des Francs; puissé-je m'en acquitter un jour, et qu'en attendant, une sainte et éternelle amitié unisse nos cœurs! Childéric, en ce moment, reçut la main que lui présentoit le roi, et la pressa avec un geste animé et sincère. Bazine, assise près du lit, regarda Childéric avec admiration, et ce seul regard lui parut une glorieuse récompense.

L'entretien devint général; cependant plusieurs fois Childéric avoit pu lire dans les yeux de la princesse, combien elle s'intéressoit à son sort. Eginard, fier de son roi, répétoit aux dames ce que Bazin avoit déjà raconté; ce qu'il disoit, quoique déjà connu, prenoit dans sa bouche des grâces nouvelles; on l'écoutoit toujours avec attention, parce qu'on l'entendoit toujours avec plaisir. Le lendemain on revint à la cour; on marchoit lentement, tant pour jouir de la beauté du jour, du charme des bois, que pour ne pas fatiguer Bazin, lorsque Berthilie s'avisa de tourmenter son cheval, de l'exciter; l'animal hennit, bondit et s'élance rapidement à travers les arbres; la princesse jette un grand cri à l'aspect du danger de son amie; mais la légère et adroite étourdie déployant autant de force que d'imprudence, arrête l'animal fougueux, et le ramène soumis et tranquille. Combien elle s'applaudit de sa ruse, en voyant Eginard pâle et effrayé voler à sa rencontre! Cependant elle n'osa jouir de ce triomphe en apercevant le trouble de la princesse, et elle se le reprocha sincèrement. Tout le reste de la soirée, Berthilie ne s'occupa que de son amie, et oublia entièrement Eginard, qui, par caprice ou par amour-propre, en fut piqué; il négligea pour elle toutes celles dont il paroissoit charmé, et ne vit plus que l'objet qu'il sembloit jusqu'à cet instant vouloir éviter.

Bazin souffroit encore, et sa blessure, loin de se guérir, étoit plus douloureuse, quoique sans danger. On cherchoit à l'amuser, à le distraire; Bazine avoit chaque jour pour lui de nouveaux soins, de nouveaux égards. Heureuse de lui prouver son attachement et sa reconnoissance, elle ne le quittoit que lorsque sa présence pouvoit devenir importune; elle trouvoit sans cesse Childéric auprès de son oncle, et sa vue chaque jour la charmoit davantage. Elle croyoit enfin à ce rêve délicieux de son imagination, et songeant au héros qu'elle s'étoit créé, à ce héros de sa pensée et de son cœur, elle se disoit, en jetant un regard sur Childéric… le voilà. Bazine n'a point reçu le trait d'amour avec cette rapidité, présage de l'inconstance; c'est lentement et par degrés qu'il a pénétré son cœur. Ce jeune roi, si majestueux, si beau, est proscrit et sans asile, privé de sa grandeur, descendu de son trône, et persécuté par la fortune, mais vengé par la nature. Ses malheurs touchent plus le cœur de la princesse, que sa puissance ne l'eût éblouie; elle ne croit encore que le plaindre: Bazine ne s'est pas encore dit, je l'aime. Ce mot une fois prononcé, Bazine ne vivra plus que d'amour. Sa pudeur et sa raison éloignent encore cet instant que Childéric ne cherche point à faire naître; il sait trop qu'il ne peut offrir à la beauté qu'il admire, que le partage d'une infortune méritée; généreux, il ne désire point être aimé, et ne se montre que respectueux: s'il exprime un sentiment plus tendre, c'est lorsqu'entraîné, il n'a pu se vaincre; honteux de sa foiblesse, il la surmonte promptement. Plus ses sentimens sont délicats, soumis, timides, plus ils peignent l'amour tel que Bazine croit qu'il doit être, et son silence en dit plus au cœur de la princesse, que les discours les plus éloquens. Echappés un moment à la foule qui les sépare, réunis de nouveau près de la fontaine, Childéric a repris son récit. C'étoit dans un de ces beaux jours où le printems vient s'unir à l'été, et déploie toute sa pompe avant de lui céder l'empire; par-tout il étaloit ses riches tapis, les feuillages étoient plus épais, les fleurs plus belles et la nature plus animée: la contrainte qu'ont éprouvée les deux amans qu'un même banc de mousse rassemble dans une douce liberté, ajoute au plaisir qu'ils ont à se revoir. Eusèbe et Berthilie sont toujours près de la princesse; Childéric s'assied à ses pieds, Eginard s'appuie négligemment sur la fontaine, et Berthilie le regarde quelquefois à la dérobée, mais elle ne cueillera plus de fleurs; elle se souvient encore de ce qu'elles sont devenues la dernière fois, et elle n'a pu retenir un soupir en reconnoissant les causes innocentes de son dépit.

Mais Childéric parle de son arrivée dans la grotte, de ses plaisirs, de Gelimer, de Talaïs. A ce nom, Childéric s'est troublé, et son trouble n'a point échappé à la princesse qu'il inquiète; ce n'étoit pas que Childéric se sentît coupable, ce n'est pas qu'il se fût livré au sentiment que Bazine croit lire dans son embarras, mais il n'ose peindre, à la chaste beauté qui l'écoute, l'amour tel que l'éprouva Talaïs. La princesse repousse en vain le mouvement jaloux qu'elle éprouve; son cœur palpite; elle est inattentive et rêveuse. Effrayée de son émotion, elle n'ose plus fixer sur le roi des yeux qui peut-être trahiroient son secret; mais ne pouvant vaincre son trouble, elle donne l'ordre de se séparer; Childéric obéit, et la princesse agitée, rentre dans son palais. Il faisoit encore grand jour; on pouvoit jouir encore long-tems de la fraîcheur des ombrages; Bazine trouva son appartement triste; Berthilie assura qu'il y faisoit une chaleur étouffante; la princesse prit sa broderie et l'abandonna; elle devint rêveuse, et Berthilie ne fut point aimable. La soirée parut longue; Berthilie revint de bonne heure rejoindre ce tendre père, qu'elle consoloit de la perte d'une épouse chérie.

Bazine, destinée au trône, avoit été élevée avec plus de soin que l'on n'en donnoit d'ordinaire à l'éducation des femmes. Belle sans coquetterie, princesse sans orgueil, elle réunissoit encore tous les talens qui ajoutent à la beauté, et que possédoient rarement alors les personnes de son rang; elle dansoit bien, savoit écrire, et chantoit avec expression les airs simples de ce tems, qu'elle accompagnoit des accords d'une lyre à cinq cordes. Berthilie avoit une voix légère, elle mêloit souvent ses accens aux accens plus purs et plus doux de la voix de Bazine. Le roi de Thuringe se plaisoit à les écouter, et pendant sa maladie, il les invita souvent à le distraire de ses souffrances, par le plaisir de les entendre. Bazine y consentit toujours. Parmi les romances qu'elles chantèrent, la suivante s'est conservée: la princesse, après avoir pris la lyre, commença le premier couplet, Berthilie le second, et Bazine reprit le troisième.

Bazine

Non, non, je ne veux point connoître

Ce fol enfant, qu'on nomme amour;

Du cœur dont il se rend le maître,

La douce paix fuit sans retour;

Dans ce dangereux esclavage

Le soupçon détruit le bonheur,

Et ce doute qui nous outrage,

D'un tendre amant fait le malheur.


Berthilie

Quoi! votre ame à l'amour rebelle,

Prétend ne jamais s'enflammer?

C'est pour plaire que l'on est belle,

Et doit-on plaire sans aimer?

Le soupçon même a quelques charmes:

Heureux qui sait nous l'inspirer!

Il est doux de causer nos larmes,

Et plus doux de nous rassurer.


Bazine

En aimant, que d'inquiétude!

Sans son amant plus de repos,

Loin de lui, tout est solitude,

Il fait notre joie ou nos maux.

On ne jouit qu'en sa présence,

On ne croit rien que ses discours.

O mon heureuse indifférence!

Puissé-je te chanter toujours!


Berthilie

Douce image de la tendresse,

Venez dissiper sa froideur;

Amour, de ta brûlante ivresse,

Fais-lui connoître le bonheur.

L'univers éprouve ta flamme,

Et par toi seul, pour être heureux,

Tout renaît, jouit, prend une ame,

Et sent le charme d'être deux.


La princesse, pressée de nouveau par Bazin, chanta seule la romance suivante:

LE PRINTEMS,

Romance

Tout renaît, les fleurs, la verdure,

Tout nous annonce le plaisir,

Et chaque souffle du zéphir,

Semble un soupir de la nature.

Seule au milieu d'un si beau jour,

Dois-je languir sans espérance,

Quand il me reste encore l'amour,

La douce amitié, l'innocence?


La feuille mobile et légère

Périra sous les noirs hivers;

Les vents déchaînés dans les airs,

Détruiront la fleur passagère,

Chaque saison, à son retour,

Détruit ou donne l'espérance;

Tout varie, excepté l'amour,

La douce amitié, l'innocence.


L'air embaumé de ce bocage,

Ces verds gazons, ce beau ruisseau,

Qui, dans le cristal de son eau,

Réfléchit le ciel et l'ombrage,

Tout dans ce champêtre séjour,

M'invite encore à l'espérance;

Tout me dit, conserve l'amour,

La douce amitié, l'innocence.


Childéric écoutoit avec ravissement les sons mélodieux de cette voix qui pénétroit son cœur; un modeste embarras embellissoit encore la princesse, et sa timidité étoit une grâce de plus. Childéric aimoit avec passion les airs simples et les paroles plus simples encore qu'elle chantoit. Alors les poëtes ne célébroient que la gloire et l'amour, leurs chants n'étoient point un travail, une étude; mais un épanchement ou un souvenir. L'objet de ces vers, plus sentis que bien exprimés, en recueilloit seul toute la gloire, le nom du poëte étoit oublié. Il a fallu sans doute que l'amour-propre et le désir de la célébrité changeassent bien les hommes, puisqu'ils sont parvenus à faire parler leur esprit sans le secours de leur cœur, et à emprunter de leur imagination seule et le sentiment qu'ils expriment, et la beauté qu'ils peignent. Si Bazine en chantant, s'est embellie de sa timidité, Berthilie, inquiète du succès de sa voix, a promené ses regards autour d'elle; ce regard, rapide et prompt, a cependant atteint Eginard comme un trait brûlant, il en est effrayé, et l'image de Grislidis s'offre à sa pensée… il en a reçu des cheveux, un anneau, il a promis! et dans ce tems un serment fait à la beauté étoit sacré, on rougissoit de le trahir… Le fidèle Eginard, chaque fois que le regard le blesse, porte à ses lèvres l'anneau chéri… Ce talisman d'amour calme son cœur, et il reprend son air léger, indifférent même. Berthilie le voit, et soupire; jeune, simple encore, elle a cru jouer avec l'amour, et ce jeu est devenu, sans qu'elle s'en doutât, le destin de toute sa vie.

Le roi des Francs avoit repris son récit, il avoit parlé de Viomade, ses discours étoient remplis de feu et d'éloquence. Sa physionomie brilloit d'une si tendre expression, que Bazine n'avoit pu, sans rougir, fixer des yeux qui seroient trop dangereux pour elle s'ils parloient d'amour: elle fit cette réflexion légèrement; mais Childéric, dans cet instant, réfléchissoit lui-même, et ne fut pas moins troublé que la princesse. Que va-t-il lui dire? Jusqu'à ce moment il n'a paru que sous ces beaux dehors qui ont illustré ses premières années. Il a vu naître à son récit, des sentimens qui font son bonheur; il a reçu des éloges qui font sa gloire. Hélas! que lui reste-t-il à raconter? Faut-il se dégrader lui-même auprès de cet objet de son culte, de son idolatrie! Doit-il lui parler d'Egésippe? osera-t-il lui avouer avec quel délire il a désiré une beauté qui n'étoit point Bazine; qu'il lui a sacrifié ses peuples, son ami, le soin de sa gloire? Que pensera de lui cette ame pure et sensible qui ne croit point à l'inconstance? Cependant il ne la trompera pas; il se croit aimé; il a su d'elle qu'Amalafroi n'avoit pas touché son ame; qu'elle est encore sans amour… Peut-être un jour il pourra disposer d'une couronne, et il va lui-même détruire l'espoir dont il ose jouir en secret! Non, non, il se taira; il fuira Bazine s'il le faut, mais il ne lui dira point: je fus ingrat et j'ai aimé.

Mais, tandis qu'abandonné à ses pensées, Childéric se tait, la princesse étonnée de son silence, baisse les yeux et soupire; elle n'ose demander au roi quel sentiment l'agite; cependant elle est inquiète. Berthilie, qui s'étoit aperçue de leur mutuel embarras, imagina un léger prétexte pour interrompre leur entretien. La princesse tremblante, alarmée, lui sut gré de l'avoir rendue à elle-même.

Bazine ne s'est point trompée sur ses premières émotions, mais cependant elles l'étonnent; elle avoit deviné l'amour, mais l'amour dans son cœur est encore plus pur, plus céleste, plus puissant que dans son imagination; Bazine croyoit connoître son ame, cependant elle y découvre chaque jour de doux secrets qui l'agitent, la tourmentent et lui plaisent. Elle jouit du bonheur d'aimer sans oser encore s'y livrer, et la tendre résistance qu'elle apporte elle-même au sentiment qui l'entraîne, est un charme de plus qui la ravit. Bazine aime enfin, elle en jouit sans oser à peine se l'avouer, et ce moment est enchanteur pour elle. Sa pensée ne s'égarera plus dans de vagues souhaits, dans de chimériques espérances; elle n'attendra plus dans la solitude d'un cœur sans objet qui l'occupe, un héros dont elle n'a qu'une idée furtive; tout est délice pour elle, parce que tout devient amour; aimer est toute sa vie; elle seule connoît encore le trouble heureux qui l'enivre si délicieusement; elle le dérobe, le renferme au fond de son cœur; elle craindroit de le laisser deviner. Cependant Berthilie la pénètre, mais elle se tait; elle a aussi son secret, et l'instant des doux aveux n'est pas encore venu.

Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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