Читать книгу Les Oeuvres Complètes de la Comtesse de Ségur - Comtesse de Ségur - Страница 184
VIII - Les bonnes amies
ОглавлениеQuand ils eurent tout serré, tout rangé, Caroline enveloppa le linge et les robes à rendre à ses pratiques; Gribouille se chargea du paquet, et ils allèrent reporter ces objets aux personnes auxquelles ils appartenaient.
«Je suis bien aise pour vous, dit Mme Grébu, que vous entriez chez cette chère Mme Delmis, quoique j’aurais pu vous avoir une maison plus agréable, avec moins de monde, moins d’ouvrage, plus de gages, des présents, un service moins tyrannique; mais… la chose est faite,… il n’y faut plus songer; seulement, si vous vous trouvez trop mal chez les Delmis, je vous offre ma maison. Si j’avais pensé que vous voulussiez vous placer, j’aurais certainement prévenu les Delmis; mais… ils sont toujours si sournois, si en dessous,… on ne sait jamais d’avance ce qu’ils vont faire… Non pas que je ne les aime de tout mon coeur, ces chers amis: seulement… pour aimer les gens, on n’est pas aveugle,… on voit ce que l’on voit… La pauvre Rose m’a raconté des choses!… Enfin, leurs affaires ne sont pas les miennes, Dieu merci!… Je vous souhaite plus de bonheur que n’en a eu Rose, ma pauvre Caroline. Et n’oubliez pas ce que je vous ai dit: chez moi, plus de gages, moins d’ouvrage et une bonne maîtresse. Adieu, au revoir, j’espère.»
Caroline et Gribouille saluèrent et sortirent; Caroline ne disait rien.
«Que penses-tu de Mme Grébu et de ce qu’elle nous a raconté?» dit Gribouille en regardant fixement sa soeur.
CAROLINE. – Je ne pense rien, car je n’y pense pas.
GRIBOUILLE. – Eh bien! moi, je pense quelque chose.
CAROLINE. – Que penses-tu?
GRIBOUILLE. – Je pense que Mme Grébu est une mauvaise femme, une fausse, une méchante, une trompeuse, et que je le lui dirai en face si elle vient faire des mamours à Mme Delmis.
CAROLINE. – Je te prie, Gribouille, de ne rien dire. Nous devons être discrets dans notre nouvelle position, et nous ne devons pas répéter aux uns ce que disent les autres. Ne répète rien, garde pour toi et pour moi ce que tu entends.
GRIBOUILLE. – Bien, ma soeur, je n’en parlerai qu’à toi; mais à toi je peux dire que Mme Grébu est une…
CAROLINE. – Chut! nous arrivons chez Mme Ledoux.
Caroline recommença son récit.
MADAME LEDOUX. – Bien fâchée, ma petite, de vous perdre comme couturière… C’est beau d’entrer chez M. le maire… Non pas que sa maison soit déjà si agréable,… le service y est bien dur; les enfants sont méchants à n’y pas tenir; la pauvre Rose n’y mangeait pas son content; ils regardent à une bouchée de pain, ces Delmis… Ah!… c’est qu’ils veulent briller, paraître! Mme Delmis fait des toilettes!… Elle s’y ruine, dit-on! Mais… je vous fais tout de même mon compliment… Ce n’est pas que vous n’auriez pu vous placer mieux que cela… Si vous l’aviez seulement dit… Chez moi! quelle différence!… Ce sera peut-être pour plus tard… Vous n’y faites pas un bail pour la vie!… Adieu, Caroline, ma maison vous est ouverte, n’oubliez pas,… adieu.
– Encore une, dit Gribouille en sortant: c’est-il drôle qu’elles soient mauvaises comme ça! Elles sont si aimables avec Mme Delmis!
– C’est triste! dit Caroline. M. et Mme Delmis sont pourtant bien bons pour tout le monde.
GRIBOUILLE. – Hem! hem!
CAROLINE. – Qu’as-tu donc? Pourquoi fais-tu hem! avec ta grosse voix.
GRIBOUILLE. – C’est que… je ne voulais pas te le dire, mais je te le dirai tout de même. Mme Delmis n’a pas été très bonne pour toi tantôt… pour les robes,… tu sais?
CAROLINE. – Il faut penser qu’elle croyait que je l’avais trompée, que j’avais manqué ses robes.
GRIBOUILLE. – Pourquoi le croyait-elle? Est-ce qu’elle devait croire de toi une chose pareille? Pourquoi, au lieu d’écouter cette méchante Rose, n’est-elle pas venue te parler?
CAROLINE. – Parce qu’elle ne pouvait pas croire que Rose fût assez méchante pour mentir ainsi.
GRIBOUILLE. – Et elle pouvait croire que tu étais assez méchante pour la tromper ainsi?
CAROLINE. – Gribouille, tu deviens trop fin; sois bon et indulgent: pardonne à ceux qui t’offensent.
GRIBOUILLE. – Je veux bien pardonner à ceux qui m’offensent, mais pas à ceux qui t’offensent, toi.
CAROLINE. – Si le bon Dieu faisait comme toi, Gribouille, nous ne serions pas heureux.
GRIBOUILLE. – Le bon Dieu n’a jamais eu de soeur offensée.
CAROLINE. – Non, mais il a eu une mère! c’est bien pis!
GRIBOUILLE. – Tiens, c’est vrai!… Au fait, puisque nous entrons chez Mme Delmis, qui nous l’a demandé elle-même, je peux bien lui pardonner… Décidément, je lui pardonne.
Caroline ne répondit que par un sourire et entra chez Mme Piron, à laquelle elle remit, comme aux autres dames, l’ouvrage qu’elle n’avait pas le temps de finir.
«C’est fort ennuyeux! dit Mme Piron avec humeur. On ne se charge pas d’un travail qu’on ne veut pas faire! Ce n’est pas délicat du tout, mademoiselle!»
CAROLINE. – Madame sera assez juste pour comprendre que je ne pouvais pas prévoir la mort de ma pauvre mère, ni l’offre de Mme Delmis.
MADAME PIRON. – Vous pouviez faire attendre Mme Delmis jusqu’à ce que vous eussiez terminé mes robes. Elle ne serait pas morte pour attendre, ni vous non plus, je pense.
CAROLINE. – Mme Delmis se trouve fort embarrassée à cause du départ de Mlle Rose…
MADAME PIRON. – Rose l’a quittée? J’en suis bien aise! Ce sera une bonne leçon; cela lui apprendra à traiter ses domestiques avec plus de bonté… Ah! Rose est partie? Savez-vous pourquoi? Racontez-moi cela, Caroline.
CAROLINE. – Je n’y étais pas, madame; je ne sais rien et je ne puis rien raconter à madame.
MADAME PIRON. – Voyons, ma petite Caroline, ne soyez pas si discrète; je n’en parlerai à personne, je vous jure. Y a-t-il eu une scène? Est-ce Rose qui est partie, ou est-ce Mme Delmis qui l’a renvoyée. Qu’a dit M. le maire? a-t-il été prévenu du départ de Rose?
CAROLINE. – Je demande pardon à madame, mais en vérité je ne sais rien de ce que me demande madame.
MADAME PIRON. – Petite sotte! Vous faites la renchérie comme si vous faisiez déjà partie de la famille de ces Delmis. Allez, vous n’y tiendrez pas longtemps: c’est moi qui vous le dis… Une femme exigeante, avare, colérique, coquette, insupportable… Je vous souhaite bien du plaisir dans votre nouvelle condition. Vous faites bien d’apprendre à vous taire; il y en aurait de belles à raconter de ces gens-là si on voulait parler! Adieu, mademoiselle.
Et Mme Piron rentra dans sa chambre en fermant la porte avec violence. Gribouille riait sous cape; avant de suivre sa soeur qui se retirait, il alla doucement à la porte de la chambre de Mme Piron, et, tournant la clef, l’enferma à double tour. Il courut ensuite rejoindre Caroline au moment où elle se retournait pour le chercher.
CAROLINE. – Pourquoi es-tu resté en arrière? Que faisais-tu chez Mme Piron?
– Je l’ai punie, s’écria Gribouille se frottant les mains, riant et gambadant.
– Punie? Comment? dit Caroline effrayée.
GRIBOUILLE. – Je l’ai enfermée à double tour! Ah! ah! ah! Elle est en pénitence pour expier sa méchanceté.
CAROLINE. – Oh! Gribouille! elle va être furieuse quand elle s’en apercevra.
GRIBOUILLE. – Qu’est-ce que cela nous fait? Tant mieux! elle mérite d’être punie, car elle a été par trop méchante.
CAROLINE. – Retourne chez elle, Gribouille, et va lui ouvrir la porte: elle pourrait porter plainte et nous faire une mauvaise affaire.
GRIBOUILLE, avec inquiétude. – À toi, Caroline?
CAROLINE. – Oui, à moi comme à toi. Va vite, mon frère, ouvre-lui avant qu’elle se soit aperçue du tour que tu lui as joué.
Gribouille retourna sur ses pas et rentra dans la maison; quand il voulut tourner la clef, il entendit Mme Piron crier: «Qui est-ce qui m’a enfermée? Ouvrez vite.»
GRIBOUILLE. – C’est moi, madame! moi Gribouille.
MADAME PIRON. – Imbécile! insolent! Je porterai plainte contre toi et ta sotte soeur. Ouvre tout de suite.
GRIBOUILLE. – Non; je n’ouvrirai que si vous me promettez de ne rien dire contre ma soeur.
MADAME PIRON. – Je ne promets rien; je ne veux rien promettre; je porterai plainte si je veux; ouvre tout de suite.
GRIBOUILLE. – Si vous dites un mot, je raconterai à Mme Delmis tout ce que vous avez dit sur eux, et comment vous avez questionné Caroline, et comment vous avez été en colère parce qu’elle n’a pas voulu vous faire aucun ragot sur M. et Mme Delmis.
– Petit misérable! s’écria Mme Piron consternée, c’est qu’il le ferait comme il le dit. Il est si bête!… Voyons, ouvre; je te promets de ne rien dire.
GRIBOUILLE. – Vous le jurez?
MADAME PIRON. – Oui, je le jure; ouvre donc.
– Voici! dit Gribouille en tournant la clef en se sauvant sans attendre que Mme Piron ouvrît la porte. Il fit bien, car elle tenait dans la main un pot plein d’eau, qu’elle crut lancer dans les jambes de Gribouille dès que la porte fut entrouverte; mais ce dernier était en sûreté hors de la maison, et Mme Piron eut la douleur d’avoir sali son plancher sans avoir satisfait sa vengeance. Gribouille la salua d’un air moqueur, et rejoignit sa soeur en riant de toutes ses forces.
«Pourquoi ris-tu, Gribouille? Qu’as-tu fait encore?» dit Caroline un peu inquiète.
Gribouille lui raconta ce qui venait de se passer entre lui et Mme Piron. Caroline, tout en grondant son frère, ne put s’empêcher de partager sa gaieté; ils rentrèrent chez eux, firent un souper frugal et se couchèrent après avoir terminé leurs derniers arrangements et avoir tout mis en ordre dans la maison qu’ils devaient quitter le lendemain.
Gribouille dormit profondément, se leva au premier appel de sa soeur et s’habilla à la hâte pour se rendre avec elle chez M. et Mme Delmis. Ils ne trouvèrent encore personne d’éveillé; ils allèrent à la cuisine pour commencer les préparatifs du déjeuner.
«Quel désordre! dit Caroline.
– Nous aurons affaire de tout nettoyer», dit Gribouille.
CAROLINE. – Tâche de trouver un balai; tu balayeras pendant que je laverai la vaisselle.
Gribouille alla du côté du lavoir:
«Ah! s’écria-t-il en apercevant la vaisselle brisée. Ma soeur, viens voir! les porcelaines, les cristaux cassés!»
Caroline accourut et répéta le mot de Gribouille.
«Mon Dieu! mon Dieu! que va dire madame? Pourvu qu’elle ne croie pas que c’est nous qui avons tout brisé!»
GRIBOUILLE. – Pas une assiette, pas une tasse, pas un verre qui ne soit en morceaux! On ne peut seulement pas entrer sans marcher dessus.
CAROLINE. – Fais-en un tas pour débarrasser un peu le lavoir, tiens, voici un balai.
Ils se mirent à l’ouvrage, et, grâce à leur activité et à l’habitude qu’avait Caroline de tout tenir proprement, il ne resta bientôt plus d’autres traces des fureurs de Mlle Rose que le tas de vaisselle brisée que Caroline voulait faire voir à ses maîtres.
CAROLINE. – Apporte-moi de l’eau dans le seau que voici. Je vais allumer du feu et la faire chauffer.
Peu d’instants après, le feu pétillait et l’eau chauffait dans une bouillotte bien nettoyée, bien brillante. Mme Delmis entra dans la cuisine.
«Déjà à l’ouvrage! dit-elle d’un air satisfait. Est-ce vous qui avez nettoyé la cuisine? Elle en avait bon besoin.»
CAROLINE. – Oui, madame, nous avons balayé et nettoyé, mon frère et moi.
GRIBOUILLE. – Madame veut-elle voir ce qu’il y a dans le lavoir? Et que madame ne croie pas que c’est moi ou Caroline qui avons tout brisé.
MADAME DELMIS. – Non, non, je sais ce que c’est: c’est Rose qui s’est mise en colère quand nous l’avons renvoyée.
CAROLINE. – Madame ne sait pas que la porcelaine et les cristaux sont en mille morceaux?
MADAME DELMIS. – Je le sais; nous l’avons vu hier. Il faut ramasser tout cela, Gribouille.
CAROLINE. – C’est fait, madame.
MADAME DELMIS. – Déjà! comme vous avez travaillé!
GRIBOUILLE. – Oui, madame, c’est toujours comme cela! Caroline et moi, nous connaissons l’ouvrage; je crois que monsieur et madame vont être joliment servis.
CAROLINE. – Tais-toi donc, Gribouille. Il ne faut pas se vanter.
MADAME DELMIS. – Laissez-le dire, Caroline; il faut, au contraire, que le pauvre garçon dise ce qui lui passe par la tête.
GRIBOUILLE. – Vois-tu, Caroline, tu veux toujours me faire taire, et madame veut que je parle. – Mais si je disais à madame tout ce qui me passe par la tête!… J’en ai tant vu depuis hier!…
CAROLINE. – Mais finis donc, Gribouille; tu vas ennuyer madame.
MADAME DELMIS. – Pas du tout, pas du tout! Pauvre garçon! laissez-le parler.
CAROLINE. – C’est que je craindrais qu’il… n’usât trop de la bonté de madame, et…
GRIBOUILLE. – C’est-à-dire que tu as peur que je raconte à madame ce que nous ont dit hier les amies de madame… Drôles d’amies qu’a madame!
CAROLINE, d’un air de reproche. – Gribouille, Gribouille! tu avais promis…
GRIBOUILLE. – Oui, je t’ai promis et je tiens parole, tu vois bien. Je ne dis rien; madame est là pour témoigner que je n’ai rien dit des mauvais propos de Mme Grébu et de l’autre… Mme Ledoux, et puis cette autre… Mme Piron! Ah! ah! ah! Était-elle furieuse!… Si madame l’avait vue quand elle est sortie de sa chambre, après que je l’ai eu menacée de tout raconter à monsieur et à madame, et après qu’elle m’eut promis de ne pas porter plainte… Ah ah! ah! madame aurait ri comme moi, bien sûr.
MADAME DELMIS. – Qu’est-ce que c’est? Qu’y a-t-il donc? Qu’est-il arrivé?
Caroline avait vainement fait des signes à Gribouille; il ne la regardait pas et il allait reprendre la parole, lorsque Caroline s’empressa de répondre: «Rien du tout, madame! rien qui vaille la peine d’être raconté à madame. J’ai reporté hier soir les robes de ces dames sans les faire: elles n’étaient pas contentes, voilà tout. Madame sait que Gribouille s’amuse de peu. Il a trouvé drôle de voir ces dames en colère, et c’est cela qu’il veut dire à madame.»
Gribouille voulut parler; mais il resta muet devant le geste impératif de sa soeur. Mme Delmis eut beau le questionner, l’interroger, elle ne put le faire sortir de son silence. Caroline lui demanda ses ordres pour le déjeuner et pour le travail de la journée. Mme Delmis lui expliqua son service, tout ce qu’ils avaient à faire, et, quand le déjeuner fut terminé, elle lui donna les clefs du garde-manger, du linge, de toutes les armoires. Gribouille les suivait partout, admirait tout, à la grande satisfaction de Mme Delmis qui lui permettait d’aider à tout. Caroline tremblait qu’il ne fit quelque gaucherie et qu’il ne dît quelque naïveté; mais Mme Delmis, loin de se fâcher, s’amusait des réflexions de Gribouille et l’engageait à les continuer. En regardant les robes contenues dans les armoires, Gribouille témoigna une grande admiration.
«Les jolies robes! les belles couleurs! Quel dommage que madame ne soit pas plus jeune! comme elles lui iraient bien!»
– Comment, plus jeune? Tu me trouves donc vieille? Tout le monde ne dit pas comme toi! dit Mme Delmis d’un air piqué.
GRIBOUILLE. – On ne dit pas! c’est vrai! Mais madame sait bien qu’on ne dit pas tout ce qu’on pense. Certainement que madame n’est pas vieille comme la mère Nanon, la servante du curé; mais, pour mettre des robes si jolies et si fraîches, j’aimerais mieux que madame fût comme Caroline.
– Quel âge me donnes-tu donc? reprit Mme Delmis s’efforçant de sourire.
– Je crois que madame n’a guère plus de quarante ans, dit Gribouille d’un air fin.
MADAME DELMIS. – Je te remercie! Tu es généreux!… Quarante ans!… En vérité!… quarante ans!… Mais j’en ai à peine trente.
GRIBOUILLE. – Trente, quarante, ça ne fait rien; on dit que madame en a quarante parce qu’elle a l’air de les avoir, voilà tout.
CAROLINE, inquiète. – Madame a bien de la bonté d’écouter les folies de mon frère. Est-ce qu’il connaît quelque chose aux chiffres et à l’âge des gens? Madame veut-elle me dire si ses robes doivent rester là? je les trouve un peu serrées; je craindrais qu’elles ne fussent chiffonnées.
MADAME DELMIS. – Arrangez cela comme vous voudrez, Caroline; vous vous y connaissez mieux que moi.
CAROLINE. – Je vais les déchiffonner avant de les serrer; si madame veut mettre ce soir cette robe lilas et vert, je suis sûre qu’elle irait parfaitement au teint frais et aux cheveux blonds de madame.
MADAME DELMIS, avec satisfaction. – Comme vous voudrez, Caroline.
Mme Delmis avait repris son air aimable. Caroline, contente d’avoir détourné l’humeur naissante de sa maîtresse, continua à lui parler robes et coiffures, et lui proposa d’arranger ses cheveux à la nouvelle mode, ce que Mme Delmis accepta avec empressement; elle se retira dans sa chambre pour s’y préparer.
CAROLINE. – Pendant que je coifferai madame, tu ôteras le couvert et tu laveras la vaisselle, Gribouille; tu essuieras tout bien soigneusement et tu rangeras la porcelaine dans la salle à manger.
GRIBOUILLE. – Oui, Caroline; mais pourquoi avais-tu l’air mécontente quand j’ai parlé à madame de son âge?
CAROLINE. – Parce qu’il ne faut jamais parler d’âge à sa maîtresse, et je te prie de n’en jamais parler à Mme Delmis.
GRIBOUILLE. – Je n’en parlerai plus, puisque cela te déplaît; mais je ne comprends pas pourquoi.
MADAME DELMIS, appelant. – Caroline, Caroline, je vous attends!
CAROLINE. – Madame appelle; va vite, Gribouille, va à ton ouvrage et ne casse rien.
GRIBOUILLE. – Sois tranquille, je ne ferai pas comme Mlle Rose… C’est tout de même drôle que Caroline ne veuille pas que je parle d’âge à madame… Pourquoi cela?… Serait-ce parce qu’elle a peur de ne pas avoir la raison de son âge?… Bien sûr, c’est ça… Elle voudrait être plus raisonnable… C’est qu’elle ne l’est pas trop tout de même… Y a-t-il du bon sens à se faire faire des robes de toutes les couleurs, comme si elle était une jeunesse! Je vous demande un peu, continua Gribouille en examinant les robes, en voilà une toute rose qui serait bonne pour Caroline! et cette bleu pâle avec de grosses pivoines! Elle est drôle tout de même… Voyons la lilas, que Caroline veut lui mettre ce soir! Trop jeune! trop jolie! ajouta-t-il en hochant la tête.
Gribouille, ayant terminé son examen, passa à la salle à manger, enleva le couvert, lava la porcelaine, les verres, les couverts, et, comme le lui avait ordonné Caroline, rangea les pièces sur la table et sur le buffet, à mesure qu’il les essuyait. Il descendit ensuite à la cuisine, lava la vaisselle, balaya partout et mit tout en ordre. Quand sa soeur rentra pour préparer le dîner, elle fut très contente, et demanda à Gribouille d’aller faire une visite à M. le curé pour le prévenir du changement de leur position. Tout cela s’était fait si rapidement qu’elle n’avait pas eu le temps de le consulter.