Читать книгу Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II - Constantin-François Volney - Страница 9
CHRONOLOGIE
CHAPITRE I.
Fondation de Babylone
ОглавлениеEFFECTIVEMENT, la première de ces opinions est ou paraît être celle de Ktésias, c’est-à-dire celle des livres assyriens, dont cet auteur s’autorise, et qui attribuent la fondation de cette grande cité à Sémiramis, avec des détails empreints d’un cachet particulier d’information locale et même officielle: néanmoins le prêtre babylonien Bérose, homme très-instruit, postérieur d’un siècle seulement à Ktésias, ne craignit pas dans son Histoire des antiquités chaldaïques, présentée au roi Antiochus, de démentir l’écrivain grec, et d’assurer que Babylone avait été fondée par Bélus, dieu ou roi du pays, bien des siècles avant Sémiramis, et cela en invoquant et citant les traditions et les monuments publics de sa nation. Hérodote, de qui nous devions attendre ici quelque lumière, ne nous en fournit aucune; mais un autre historien judicieux et assez souvent bien instruit, Ammien-Marcellin, qui a pu et dû lire Bérose et Ktésias, semble nous donner le nœud de la question quand il dit71: «Sémiramis entoura de murs Babylone, mais la citadelle avait été bâtie auparavant par le très-ancien roi Bélus.» Ce terme moyen qui concilie les deux avis, se trouve d’ailleurs appuyé par une phrase de Ktésias que l’on n’a pas assez remarquée. Cet historien dit:
«Lorsque Ninus attaqua la Babylonie, la ville de Babylone qui existe aujourd’hui, n’était pas encore bâtie.» Ces mots Babylon quæ nunc est, ne semblent-ils pas indiquer qu’il en existait une autre; et si, comme l’atteste Bérose, l’antique Bélus était dès long-temps le dieu tutélaire du pays; si, comme l’on en convient, le nom oriental Babel, pour Babylon, signifie la porte, c’est-à-dire, le palais de Bel ou Bélus, il devait exister dès lors une Babel ou Babylone primitive, que Sémiramis engloba dans ses vastes constructions et qu’elle orna, comme nous le verrons: ainsi ce serait faute d’avoir bien déterminé le sens du mot fondation, que les anciens se seraient disputés dans le cas présent comme dans beaucoup d’autres. Prenons de ce mot une idée claire.
En général, ces grandes réunions de maisons que l’on appelle villes, ont eu deux manières d’être fondées: 1° la première par un concours lent et progressif d’habitants que des motifs de défense commune, de facilité de commerce, d’aisances de la vie ont appelés et fixés autour d’un premier noyau d’habitation: à ce premier genre de ville, l’on ne saurait presque désigner de fondateur, ni d’époque de fondation.
La seconde manière se fait par un concours subit de colons que leur propre volonté ou celle d’un gouvernement, engagent ou contraignent à bâtir une ville, comme un particulier bâtit une maison: ici appartient et s’applique le nom de fondation, parce que la date est aussi précise que le fait est remarquable.
Mais si, comme il est souvent arrivé, le lieu choisi pour une telle fondation avait déjà une habitation antérieure, soit village, soit bourgade;72 si même il y existait déja une ville du premier genre, c’est-à-dire sans fondateur connu, actuellement ruinée par la guerre ou par d’autres accidens, cette seconde fondation pourra devenir un sujet de controverse, parce que l’habitation antérieure suppose une fondation originelle, après laquelle il ne doit plus y avoir que restauration. Enfin, si des princes et des rois avaient, par vanité, fait ou simulé de telles fondations, pour donner leur nom à des villes qui déja avaient un fondateur connu; si les peuples ou leurs agens municipaux avaient, par adulation, provoqué de telles fondations fictives, on sent que le mot et la chose seraient tombés dans un désordre assez difficile à éclaircir. Voilà ce qui est arrivé à une foule de villes anciennes, spécialement dans les pays dont nous traitons, dans l’Asie-mineure, la Mésopotamie, la Syrie, etc., où les géographes trouvent quantité de villes fondées, c’est-à-dire rebâties, restaurées par des rois grecs, par des empereurs romains dont elles prirent le nom, quand néanmoins il est certain qu’elles existaient long-temps auparavant, qu’elles avaient par conséquent une fondation première, véritable, connue ou inconnue.
Appliquant ce raisonnement à Babylone, nous pensons que Ktésias et les livres perso-assyriens ont eu raison de dire que Sémiramis fonda cette grande cité, parce qu’en effet il paraît que cette reine fit bâtir, par les fondements, les murs et les ouvrages gigantesques qui, même dans leur déclin, étonnèrent l’armée d’Alexandre73. L’assentiment des meilleurs auteurs, du géographe Strabon entre autres, qui eut en main toutes les pièces du procès, ne laisse pas de doute à cet égard; mais d’un autre côté, Bérose nous semble également fondé à soutenir que long-temps avant Sémiramis, il existait une Babel ou Babylone, c’est-à-dire, un palais, un temple du dieu Bel, de qui le pays avait formé son nom Babylonia, et dont le temple, selon l’usage de l’ancienne Asie, était le lieu de ralliement, le pélerinage, la métropole de toute la population soumise à ses lois; en même temps que ce temple était l’asile, la forteresse des prêtres de la nation, et le séminaire antique et sans doute originel de ces études astronomiques, de cette astrologie judiciaire, qui rendirent ces prêtres si célèbres sous le nom de Chaldéens, à une époque dont on ne sait plus mesurer l’antiquité. Ktésias lui-même et ses livres perso-assyriens fournissent un argument à l’appui de cette opinion; car puisque Ninus, plus de 30 ans avant Sémiramis, trouva un peuple agricole et pacifique, par conséquent industrieux et riche; puisqu’il trouva un roi, une cour et plusieurs bonnes villes, il existait donc dès lors un royaume puissant, un état civilisé et tout ce qui en dépend. Ktésias ne nous donne point les limites de ce royaume; mais puisque, chez les anciens comme chez les modernes, les royaumes réduits en provinces conservaient les limites qu’ils avaient avant d’être conquis; puisque la Babylonie, dès avant les rois perses Darius et Kyrus, nous est dépeinte comme s’étendant du désert de Syrie jusqu’aux monts de la Perse, et du golfe Persique jusqu’au nord du pays74 d’Arbèles, on peut dire que c’étaient là ses limites dès le temps de Ninus; d’où il résulte que ce royaume avait une surface de 3000 lieues carrées, d’un sol que les anciens comparent, pour la fertilité, à celui de l’Égypte, et qui par conséquent comporte une population probable de près de 3,000,000 d’habitans. Enfin, si la nation babylonienne nous est peinte comme divisée de tout temps en 4 castes, à la manière de l’Égypte et de l’Inde, division qui elle seule est une preuve de haute antiquité, l’on a le droit de dire que dès avant Ninus existait la caste des prêtres chaldéens, semblable en tout à celle des brahmes de l’Inde; ce qui suppose tout le système politique indiqué par le récit de nos deux historiens.
Quant à la prétention ultérieure de Bérose, qui veut enlever à Sémiramis, reine assyrienne, la construction des grands ouvrages de Babylone, pour la donner à Nabukodonosor, roi chaldéen, nous allons rechercher, par la discussion exacte des textes originaux, quel fondement peut avoir cette opinion, et si, par un cas naturel, elle n’a pas pour motif l’antipathie nationale d’un Babylonien contre un peuple étranger, oppresseur de son pays, ou la partialité systématique d’un prêtre chaldéen élevé dans l’école réformatrice de Nabonasar, ce brûleur des livres historiques des rois qui l’avaient précédé. Écoutons d’abord le récit des livres assyriens cités par Ktésias, où se trouvent des détails très intéressans et circonstanciés. Cet historien, à la suite du fragment conservé par Diodore, continue ainsi l’histoire de Ninus et de son épouse75.
71
Lib. XXIII, pag. 351. De bello persico.
72
Par exemple, le fort de Rhacotis où les rois d’Égypte entretenaient une garnison sur le lieu où fut bâtie Alexandrie. Voyez Strabon, lib. XVII, p. 792.
73
330 ans avant notre ère, 8 siècles et demi après la fondation.
74
Voyez le récit de Ktésias en Diodore, dont le lecteur trouvera une traduction littérale dans la Chronologie d’Hérodote, pag. 97. Comparez aussi Strabon, lib. XVI, au début.
75
Diod. Sicul., lib. II, p. 120, édit. de Wesseling.