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TABLEAU DU CLIMAT ET DU SOL DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE IV. Structure intérieure du sol
§ III

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Région calcaire

La troisième région, celle des terres calcaires, embrasse la totalité des pays d’Ouest ou Back-country, situés au couchant des Alleghanys, et se prolonge, selon la remarque de M. Mackenzie (citée page 45), dans le nord-ouest, à travers les rivières et les lacs jusqu’aux sources de la Saskatchawine et à la chaîne des monts Chipawas. Tout ce qui m’est connu de ce pays, depuis le Tennessee jusqu’au Saint-Laurent, entre les montagnes et le Mississipi, a pour noyau un immense banc de pierres calcaires, disposé presque horizontalement, par lames ou feuillets d’un ou plusieurs pouces d’épaisseur, d’un grain uni, serré, généralement gris; dans le nord, cette pierre calcaire est de l’espèce cristallisée, dite calcaire primitif. Ce banc porte immédiatement une couche tantôt d’argile, tantôt de gravier, et par-dessus elle, à surface de terre, une couche d’excellent terreau noir, laquelle est plus épaisse dans les bas-fonds où elle a jusqu’à 15 pieds, et plus mince sur les ondulations et hauteurs où elle n’a quelquefois que 6 à 8 pouces. Cette circonstance, de même que le feuilletage du banc, attestent évidemment un travail antérieur des eaux de l’Océan.

Dans le pays de Pittsburg, sur l’Ohio, dans le canton de Greenbrïar, sur le Kanhawa, et dans tout le Kentucky, la sonde manifeste ce banc fondamental: je l’ai vu à nu dans le lit de toutes les rivières et de tous les ruisseaux du Kentucky, depuis le Kanhawa jusqu’aux Falls ou Rapides d’Ohio, près Louisville. Sur la route de Cincinnati jusqu’au lac Érié, je l’ai trouvé servant de plancher à tout le lit de la Rivière-aux-glaises et du Miami du lac Érié; il paraît que ce lac est assis sur un fond de schiste noirâtre, mais parmi ses échantillons, l’on trouve beaucoup de calcaire. C’est encore un banc calcaire qui porte le Saint-Laurent à la chute de Niagara, et qui de là se prolongeant dans le Génésee, semble accompagner le lit du Saint-Laurent jusqu’à Québec. Il est vrai que dans toute cette partie du nord, le calcaire est de l’espèce dite calcaire primitif et cristallisé, comme me l’ont indiqué des échantillons que les colons de Génésee tirent en perçant leurs puits.

Ce sont les dislocations et les fractures de ces bancs qui causent les entonnoirs et gouffres dont j’ai parlé (chap. III, § Ier), où se perdent les eaux des pluies et même des rivières. J’en ai vu des exemples curieux à Greenbrïar, en Virginie, et à Sinking-spring en Génésee, où une source se montre au fond d’un entonnoir, et immédiatement à six pieds de là se replonge sous terre: ce sont aussi ces cours d’eaux souterraines qui produisent les vents de quelques cavernes, telle que celle citée par M. Jefferson, dans le chaînon de Calf-pasture46.

Depuis Louisville jusqu’à la rivière47 blanche, où il finit brusquement, j’ai encore trouvé tous les ruisseaux et rivières coulant à nu sur le banc calcaire kentuckois. Quelques voyageurs américains, en voyant mes échantillons, m’ont assuré que le Holstein, branche nord de la Tennessee, coulait sur un fond semblable: je regrette de n’avoir pu obtenir de bons renseignements sur le sol qui s’étend au delà, dans la Georgie et dans la Floride.

A Louisville, la première couche superficielle sur la haute banquette du fleuve est un terreau noir de 3 pieds d’épaisseur; sous ce terreau est une couche de sable maigre de 14 à 15 pieds d’épaisseur sans coquillages, puis une autre couche de sable de 6 à 10 pouces avec coquillages; puis un gravier assez gros jusqu’au fond du fleuve, dont l’écore à 25 pieds de hauteur totale.

A quatre milles de Louisville, vers l’Est48, en rentrant dans l’intérieur des terres, la première couche superficielle de terreau n’a plus que 20 pouces d’épaisseur; et plus loin, à 4 milles de Francfort49, elle n’a plus que 15 pouces: dans ces deux endroits elle a sous elle une couche d’argile de 24 à 36 pouces, qui ne se trouve point auprès du fleuve. Sous cette argile est le banc calcaire, qu’il faut percer avec beaucoup de peine pour arriver à un lit de gravier et d’argile où reposent les eaux non tarissantes des puits.

A l’endroit que j’ai cité près de Louisville, le banc a 3 pieds d’épaisseur, et l’on trouve ces eaux non tarissantes à 18 pieds de profondeur totale, depuis la surface du sol; en d’autres endroits l’épaisseur du banc paraît plus considérable: les roches qui forment les Falls ou rapides de l’Ohio, sous Louisville, appartiennent à ce grand banc calcaire. Dans les basses eaux, l’on a recueilli beaucoup de pétrifications à sa surface, mais elles y étaient importées et non incrustées. Je n’ai jamais vu de fossiles incrustés dans la pâte du grand banc souterrain. Ce fait m’a d’autant plus étonné, que, près de Francfort, à l’habitation de M. Inès, juge, me promenant avec lui sur la cime d’un chaînon élevé d’environ 100 pieds au-dessus du ruisseau Elk-horn, qui le perce, nous trouvâmes dans le bois une multitude de grosses pierres totalement pétries de coquilles fossiles. A Cincinnati, sur la seconde banquette de l’Ohio, j’ai retrouvé les mêmes pierres pétries de coquilles; enfin le docteur Barton en a recueilli de semblables sur les hauteurs d’Onondago, dans l’État de New-York, à une distance de plus de 190 lieues, avec la seule différence que ses échantillons sont bleu-ardoise, et les miens de couleur rose-violet50.

Hors du pays d’Ouest et de la région que je viens de décrire, il n’existe que deux cantons calcaires, dignes de faire exception par leur étendue: l’un situé dans la longue vallée que forment entre eux les sillons de Blue-ridge et de North-mountain, depuis la Delaware, au-dessus d’Easton et Bethléem, jusqu’aux sources de la rivière Shenandoa, et même par-delà le fleuve James, au grand arc de l’Alleghany; car le comté de Botetourt qui occupe cette dernière partie, est appelé le comté de la Chaux, attendu qu’il en fournit tout le pays à l’est de Blue-ridge où l’on n’en a pas. Rockbridge est aussi en grande partie calcaire, ainsi que tout le pays de Shenandoa jusqu’au Potômac.

Une seconde partie de la vallée, celle qui s’étend du Potômac à la Susquehannah, comprend le bassin des rivières Grand-Connegocheague et Connedogwinit, où sont situés les territoires de Chamber’s-burg, de Shipen’s-burg, et de Carlisle, célèbres par leur fertilité. La troisième partie, qui s’étend de la Susquehannah à la Delaware, occupe le bassin de la rivière Swetara; traverse avec quelques lacunes les branches du Schuylkill, et se termine vers Easton et Nazareth, dont les terrains ont aussi de la réputation. Sa limite montueuse, au nord-est, est le sillon Kittatini, prolongement de North-mountain; et au sud-est, le sillon connu dans le pays sous les divers noms de South-mountain, Flying-hills, Holy-hille; mais qui, comme je l’ai dit, n’est que le prolongement direct de Blue-ridge. Cette circonscription d’une même vallée calcaire, depuis l’arc d’Alleghany jusqu’à Easton, par 2 chaînes latérales, devient elle-même une preuve de l’identité que j’attribue à leurs prolongements.

L’autre canton calcaire, contigu à celui-ci, s’étend au revers oriental de Blue-ridge, depuis la brèche du Potômac jusqu’aux approches du Schuylkill dans le comté de Lancastre. Il a pour limites précises au sud-ouest et au sud, le Potômac et le lit du Grand-Monocacy, qu’il ne traverse pas à l’est: il comprend le territoire de Frederick-town, la majeure partie du cours du Pataspco, et les pays d’York et de Lancastre, qui sont considérés à juste titre comme les greniers de la Pensylvanie; enfin il paraît se perdre entre Noristown et Rocksbury sur le Schuylkill: le reste de sa frontière, depuis le Monocacy jusqu’au Schuylkill, n’est point tracé par des hauteurs, quoique ce soit un point de partage de plusieurs eaux, et il ne donne point à ce canton le caractère de vallée que l’on observe dans les autres districts calcaires.

Il y a, entre le calcaire de l’Ouest et celui de ces deux cantons de l’Est, deux différences remarquables: la première est que la pâte des bancs calcaires de l’Est est généralement de couleur bleue assez foncée, et très mêlée de veines blanches de quartz, tandis que la pâte de la grande couche calcaire de l’Ouest, surtout en Kentucky, est de couleur grise, d’un grain homogène et feuilleté.

La seconde différence est que le banc de l’Ouest est, ainsi que je l’ai dit, presque horizontal, et formant comme une table universelle sous le pays. Dans l’Est, au contraire, c’est-à-dire dans les comtés de Botetourt, de Rockbridge, de Staunton, de Frederick-town, d’York, de Lancastre, et jusqu’à Nazareth, le calcaire est généralement confus et comme bouleversé: lorsque ses bancs observent des inclinaisons régulières à l’horizon, on remarque que c’est le plus communément de 40 à 50 degrés; avec cette nuance singulière, que dans la vallée entre North-mountain et de Blue-ridge, l’angle est toujours moins considérable, c’est-à-dire au-dessous de 45°, tandis que dans les pays de Lancastre, York et Frederick-town (hors des montagnes), l’angle est plus habituellement au-dessus de 45°; et ce cas a lieu pour tous les autres bancs, soit de granit, soit de grès, qui sont moins inclinés dans les montagnes, et plus inclinés en s’approchant de la mer. A la cascade du Schuylkill, près Philadelphie, les bancs d’isinglass sont inclinés à 70°: sur l’Hudson, ils vont jusqu’à 90°.

De ces derniers faits, l’on a droit de conclure que toute la côte atlantique a été bouleversée par des tremblements de terre auxquels nous verrons ci-après qu’elle est très-sujette, tandis que le pays à l’ouest des Alleghanys n’en a pas été tourmenté. Aussi le docteur Barton assure-t-il que les mots tremblements de terre et volcan manquent aux langues des indigènes de l’ouest, tandis qu’ils sont usités et familiers dans les dialectes de l’est. Aux tremblements de terres, s’associent ordinairement les volcans, et l’on trouve en effet beaucoup de basaltes dans l’Alleghany et dans ses vallées; il faudrait des recherches expresses pour mieux désigner les anciens cratères. Je ne puis dire s’il y a ou s’il n’y a pas de coquillages fossiles dans les bancs de l’est dont je viens de parler; seulement je sais que l’on en a observé dans le calcaire primitif des environs du lac Ontario et de Niagara51.

L’on pourrait encore citer des veines et rameaux calcaires hors de ces régions principales; il y en a dans le district de Maine qui fournissent la chaux à Boston. La Pointe-aux-roches, sur le lac Champlain, est calcaire, et sans doute d’autres parties de ce lac; plusieurs cantons le sont aussi aux environs de New-York; mais l’exemple le plus singulier que je connaisse dans les États du sud, est celui d’un sillon qui n’a pas plus de 15 yards ou 14 mètres de largeur moyenne, et quelquefois seulement 3 mètres, et qui cependant s’étend plus de soixante-six lieues, continuées depuis le Potômac jusqu’au Roanoke: comme cette veine est habituellement à la surface du sol, on suit sa trace avec d’autant plus de certitude qu’elle est la seule à fournir de chaux tout le plat pays. Elle ne s’écarte pas de plus de 3 à 5 milles du sillon rouge ou south-west-mountain auquel elle est parallèle.

46

Voyez notes de M. Jefferson, sur la Virginie, page 63.

47

White river.

48

A l’habitation de M. Thompson.

49

A l’habitation de M. Inès, juge.

50

De retour à Paris, j’ai soumis ces coquillages à l’examen de l’un de nos plus habiles naturalistes dans cette branche de science (M. Lamark), et je ne puis mieux satisfaire la curiosité de mes lecteurs, qu’en leur communiquant le jugement qu’il en a porté.

«Monsieur, j’ai examiné, avec le plus grand soin, les trois morceaux de fossiles que vous m’avez confiés, et que vous avez recueillis dans l’Amérique septentrionale.

«J’ai vu très-clairement, dans chacun d’eux, des térébratules fossiles{*} entassées et sans ordre. Ces térébratules sont presque toutes de la division de celles qui sont cannelées longitudinalement en-dessus et en dessous, comme la térébratule que Linnée a désignée sous le nom d’Anomiadorsata.

{*} Nouveau genre établi dans mon Système des animaux sans vertèbres,

page 138, avec un démembrement du genre anomia de Linnée.

«On ne voit, de la part de ces coquilles fossiles, que le moule intérieur, c’est-à-dire que la matière pierreuse, dont leur intérieur s’est rempli pendant le long séjour de ces coquilles dans le sein de la terre. Cependant, sur plusieurs d’entre elles, on retrouve encore des portions minces et blanchâtres de la coquille même.

«—Dans le morceau qui vient de Cincinnati, on voit distinctement trois sortes de coquilles fossiles: savoir, une espèce de térébratule à grosses cannelures, et qui approche de celle figurée dans la nouvelle Encyclopédie, pl. 241, fol. 3; une autre espèce de térébratule non cannelée, mais pointillée, nacrée et à oreillettes; enfin, une coquille bivalve à épines rares, dont je ne puis reconnaître le genre, n’en pouvant examiner la charnière.

«—Dans le morceau pris dans le Kentucky, à cents pieds au-dessus du lit des eaux, je remarque des individus de différents âges, d’une espèce de térébratule cannelée, qui paraît se rapprocher de celle figurée dans la nouvelle Encyclopédie, pl. 242, fol. 1, ayant ses cannelures plus fines et plus nombreuses que dans la térébratule cannelée du morceau précédent, et sa valve supérieure ou la plus petite, aplatie. Ce même morceau contient un fragment de belemnite.

«—Enfin, dans le troisième morceau, pris sur les hauteurs ouest d’Onondago, je vois de nombreux débris de deux térébratules cannelées, différentes encore de celles des deux morceaux précédents; l’une d’elles, un peu trigone, offre une gouttière sur le dos de la grande valve, et s’approche beaucoup de celle qui est représentée dans la pl. 244, fol. 7, de la nouvelle Encyclopédie. L’autre térébratule du même morceau est grande, aplatie presque comme un peigne; mais elle présente des fragments trop incomplets, pour qu’il soit possible de la caractériser, et d’en déterminer les rapports avec d’autres espèces.

«Nota. D’après la considération de ces trois morceaux, il me paraît évident que les régions de l’Amérique septentrionale, où ces morceaux ont été recueillis, ont fait autrefois partie du fond des mers{*}, ou du moins qu’elles montrent actuellement à découvert la portion de leur sol qui a fait partie du fond des mers et non de ses rives; car les fossiles qu’on y trouve maintenant sont des coquillages pélagiens (voyez mon Hydrogéologie, pages 64, 70 et 71), qui, comme les gryphytes, les ammonites (les cornes d’Ammon), les orthocératistes, les bélemnites, les encrinites (les palmiers marins), etc., vivent constamment dans les grandes profondeurs des mers, et jamais sur les rivages. Aussi la plupart de ces coquillages et de ces polypiers ne sont-ils connus que dans l’état fossile.

{*} A l’appui de cette opinion, viennent encore les nombreuses salines, dont

est rempli tout le pays d’ouest. On les y désigne sous le nom de licks, que

l’on voit à chaque instant sur les cartes du Kentucky. La source la plus riche

est près du lac Oneïda; elle contient un dix-huitième de sel de son poids. Les

mers du Nord n’en contiennent que 1/32, et celles des tropiques 1/12 environ;

il est remarquable que ces sources salées sont rares sur la côte Atlantique.

(Note de l’Auteur).

«Vos observations, monsieur, déterminent la nature des fossiles que l’intérieur d’Amérique septentrionale laisse maintenant à découvert, et il y a apparence que parmi ces fossiles l’on y chercherait vainement des coquilles littorales.

«Lamarck.»

51

Voyage de Liancourt, tome II.

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