Читать книгу Notice historique sur les précieuses reliques de Saint-François de Sales - Curé du diocèse d'Annecy - Страница 7
Reliques de Saint François de Sales transportées de Lyon à Annecy. — Voyage. — Arrivée. — Cérémonie des funérailles.
ОглавлениеOn l’a dit mille fois, si, dans le secret de ses justes desseins et par égard pour la liberté de l’homme, Dieu permet, dans des jours malheureux, à des hommes égarés ou pervers de semer le schisme, la division, la révolte dans l’Eglise, toujours et avec un admirable à-propos, et pour le temps et pour le lieu, sa bonté suscite à côté de l’homme de l’attaque l’homme de la défense. Saint François de Sales en fut un exemple frappant. Aujourd’hui, aux yeux du littérateur, de l’homme du monde qui se trouve, en le lisant, pris au charme de son esprit et de son cœur, Saint François de Sales, naissant et vivant dans nos obscures vallées, au pied de nos montagnes, peut paraître un véritable hors-d’œuvre; c’est comme une perle ignorée délaissée dans un désert. Vain jugement! Parmi cette brillante couronne de Saints qui ont embelli et glorifié l’Eglise au XVIe siècle, Saint François de Sales, incontestablement l’un des plus grands et le plus aimable, apparut parmi nous à son heure et à sa place. Qui le veut comprendre tel que la nature et la grâce l’avaient fait, qu’il pense au caractère, aux armes, au camp retranché de l’ennemi qu’il venait combattre. Saint François de Sales, les faits l’ont démontré, avait pour première mission de rendre à une belle province de son pays la foi perdue, et de la défendre ensuite. Docile à la voix de Dieu, son cœur dévoué comprit aussitôt cette mission, et il lui consacra sa vie entière; aussi en vain la France qui nous l’enviait lui offrit-elle ses premiers honneurs. «Il étoit si ayse, nous dit M. de Longueterre, son premier historien, d’être le premier après tous les autres dans Annecy, qu’il n’eut pas quitté une petite chambre qu’il avoit là pour tous les palais du monde .» Trois liens, trois affections aussi douces que profondes, l’y retenaient invinciblement: c’étaient, en premier lieu, nous l’avons dit, son Eglise, son bercail à garder; puis la vie humble, simple et cachée qu’il aimait tant et qui lui semblait plus facile dans nos paisibles vallées; enfin plus tard une toute petite plante, née de son souffle, arrosée de sa main, et qui bientôt par ses prières et ses soins devint un bel arbre dans le jardin de l’Eglise. Nous avons nommé «sa chère petite Visitation de Sainte-Marie.»
Mais, si Saint François de Sales s’était toujours refusé à la France pendant sa vie, la divine Providence ne sembla-t-elle pas vouloir le lui accorder après sa mort, puisqu’elle l’y avait conduit pour qu’il y trouvât le terme de ses jours ? On l’espéra d’abord, et Lyon, par l’organe de Jacques Olier, intendant de la Justice, réclamait hautement ce glorieux héritage. Il n’entre pas dans notre plan de faire le récit des débats qui eurent lieu à ce sujet. On vit bientôt que Dieu n’avait permis cette mort du Saint sur la terre étrangère que pour faire éclater, une fois de plus et plus vivement que jamais, l’affection profonde qui l’unissait à son Eglise et à son pays. En apprenant les prétentions des Lyonnais (prétentions si honorables du reste pour leur esprit de foi), la Mère de Chantal écrivit vivement, le duc de Savoie intervint par son ambassadeur à Paris, l’Evêque et le Chapitre de Genève envoyèrent deux chanoines pour réclamer; le testament du Saint, pour dernière preuve, étant consulté, témoigna de sa dernière volonté. C’était trop d’évidence en faveur de notre droit. Le mercredi 18 janvier 1623, Janus de Sales, chevalier de Malte et frère du Saint, ainsi que Janus Regard et Georges Rolland, tous deux chanoines, députés par le Chapitre de Genève, purent enfin quitter Lyon, emportant, comme autrefois les fils de Jacob, leur père vénéré dans la terre que lui avait donnée le Seigneur.
Avec ce dernier voyage du Saint commence le travail que nous nous sommes imposé, et nous aurions aimé à retrouver d’abord quel fut l’itinéraire suivi par ce convoi funèbre qui fut plutôt un triomphe. Au rapport de Charles-Auguste, neveu du Saint , à la Buisse on déposa le saint Corps dans l’église, et les Religieux le veillèrent toute la nuit. Le jour suivant, comme on traversait le village de la Valbonne, force fut de s’y arrêter; les chanoines de Meximieux se trouvaient là en attente, au milieu d’un très-grand peuple, demandant à faire les prières funèbres pour le défunt. Une autre nuit se passa à Saint-Denis, pendant laquelle les bons habitants demeurèrent en prières autour du saint Corps.
«Comme l’on continuoit le chemin contre la ville de Saint-Rambert, voilà arriver en poste Honoré d’Urfé, marquis de Valromey..., ayant déjà fait trois lieues pour attendre la procession funèbre, il fleschit les genoux au milieu d’un bourbier, arrousa la châsse de larmes très-amères et fist à haute voix des prières à sa bienheureuse âme. Tout le chemin d’un costé et d’autre étoit bordé d’un peuple innombrable, et n’y avoit personne qui ne taschast de toucher ou le brancard ou le drap qui couvroit le corps, avec des chappellets, des linges, des livres, des images et semblables choses, et de toutes les églises voisines on voyoit venir les curés revestus de surpelis en procession avec la croix..., partout on n’entendoit que de pleurs et de lamentations et n’y avoit personne qui ne prononçast ouvertement que ce grand Prélat était saint, si vous en exceptez un seul homme, qui fut à la mesme heure chastié de sa témérité. Il s’appeloit noble Jean Fabry, lequel étant en la conversation de Berard de Pingon, baron de Cusy (qui étoit venu voir à Cule son nepveu Louis Pingon, seigneur de Prengin), et entendant raconter le grand honneur que tous ces peuples avoient rendu au corps de l’Evesque de Genève, et que mesme plusieurs seigneurs s’étoient mis à genoux pour le venerer, entre autres au lieu de Cule le seigneur baron de Rochefort et le seigneur d’Escrivieux: «J’admire,
«dit-il, toutes ces cérémonies et n’approuve point que
«principalement des seigneurs de qualité ayent rendu
«de tels honneurs: on n’en feroit pas plus à un corps
«saint.» Comme il eust achevé ce mot, le voilà tout soudain frappé d’un lourd aveuglement et perdit entièrement la parolle, demeurant en cet état, au grand estonnement de tous ceux qui estoient présents, l’espace d’autant de temps que l’on pourroit réciter l’Oraison dominicale, la Salutation angélique, le Symbole des apostres et la Confession générale (le Confiteor). Après quoy, ayant recouvré la veuë et la parole:
«Oh! je recognois bien que j’ai fait faute, s’escria-t-il,
«en désapprouvant les honneurs que l’on a rendus au
«grand Evesque de Genève: c’est pour cela que Dieu
«m’a chastié.....»
«Mais l’on estoit déjà dans les terres du diocèse de Genève. Les syndiques et bourgeois de la ville de Seyssel, tous revestus de deuil, vinrent au devant du corps à une lieuë, et, avec une grande pompe, entre six vingts flambeaux où estoient attachées les armoiries de la ville, l’introduisirent dans leur église paroissiale de Notre-Dame, et le lendemain l’accompagnèrent pour la pluspart jusques à Anicy. Or ceux d’Anicy, premièrement le magistrat en corps et en robbes, secondement la noblesse, et troisiesmement les bourgeois, sortis en longue file, tous deux à deux, couverts de noir et tesmoignant une extreme tristesse et de mine et d’habits, voire même en leurs chevaux, le prirent au village de Gévry. Martin le Muet , chose très-pitoyable, après avoir plaint son saint Maistre par un horrible mugissement, plus mort que vif, s’alla jeter à ventre courbé dessous la châsse entre les deux mulets, et là sanglottoit misérablement par la force de la douleur, et fit ainsi tout le chemin jusques à la ville. C’estoit un jour de dimanche et trois heures après midy quand la pompe apparut au pont des Arnons .....»
«Il n’est pas possible d’exprimer, dit ici le P. Louis de La Rivière dans sa Vie du Saint, comme au premier coup de cloche qu’on sonna à son arrivée, toute la pauvre ville s’émut: vous eussiez cru qu’on la menoit en transmigration; tout court au devant, les maisons demeurent désertes: ce ne sont que pleurs, que lamentations, que sanglots, que doléances, que complaintes.»
Cependant le jour étant avancé, et l’église cathédrale n’étant point encore dûment préparée pour les obsèques solennelles, le Révérendissime Evêque Jean-François de Sales, accompagné de tout le clergé, ayant reçu les précieuses Reliques, les fit déposer, à l’extrémité de la ville, au milieu de l’église du Saint-Sépulcre et sur la pierre du tombeau d’un Bienheureux auquel le Saint Evêque avait eu grande confiance pendant sa vie. Au rapport du P. Jean de Saint-François, souvent il envoyait les malades qui se recommandaient à lui prier sur ce tombeau, et lui-même aimait à y prier. Ce tombeau était celui du Bienheureux André d’Antioche, mort en odeur de sainteté dans cette maison du Saint-Sépulcre, sur la fin du XIVe siècle, et invoqué dès lors par la piété des fidèles .
«Tout le temps des trois jours, continue Charles-Auguste, que le sacré dépost reposa dans cette église, il s’y fit un si grand concours de peuples que jamais on n’avoit veu semblable chose à Anicy, et plusieurs malades et infirmes recouvrèrent miraculeusement la santé.»
Quel spectacle en effet pour la ville que celui de ces deux Saints encore une fois réunis à ses portes, l’un la protégeant depuis des siècles, et l’autre demandant à y rentrer pour sanctifier encore, après sa mort, ceux qu’il avait déjà tant bénis pendant sa vie et au milieu desquels il avait choisi la place de son repos! Annecy n’ignorait pas ce témoignage suprême de l’affection de son Saint Evêque; on venait de passer trois semaines dans les angoisses d’une cruelle incertitude, mais à cette heure plus de crainte, le Saint était là revenant, mort, pour garder son troupeau. Oui, l’on comprend l’émotion profonde qui remua la ville entière pendant ces jours, elle retrouvait son père, son Saint Evêque, celui qui faisait son honneur et son bonheur.
Cependant le 29 janvier, jour destiné aux grands honneurs des funérailles, était arrivé. Bien que le saint Corps dût reposer dans la petite église du premier monastère de la Visitation, la cérémonie toutefois devait se faire dans l’église de Saint-François, servant de cathédrale. Là, dès le 23, tout le frontispice de l’église avait été couvert d’épitaphes, d’élégies, d’emblèmes, de devises, de peintures et d’inscriptions. Sur la porte, un grand lion d’or était représenté rendant le Saint à une truite d’argent; qui ne voit que le premier emblème figurait la ville de Lyon et le second celle d’Annecy?
En entrant dans l’église, tout d’abord les yeux étaient tristement frappés: la grande chaire, au pied de laquelle on avait si longtemps recueilli, comme une manne céleste, la douce parole du Saint, disparaissait sous un grand crêpe noir qui la voilait dans toute sa hauteur; au dedans de ce voile, à l’intérieur de la chaire, à la place même qu’avait si souvent occupée le Saint, se laissait voir une tête de mort faiblement éclairée par une lampe dont le crêpe noir obscurcissait encore la pâle clarté. Hélas! c’était le deuil de l’orateur que l’on avait perdu.
Devant la chaire, au milieu de l’église, c’était le lit funèbre que l’on avait dressé tel que le Saint lui-même l’avait décrit en son testament, c’est-à-dire pour tout luminaire, autour de ce lit d’honneur, étaient rangés treize flambeaux de cire blanche, avec les écussons non pas de sa famille, mais du saint nom de Jésus.
Un peu plus haut, du côté du sanctuaire, la scène devenait moins triste. Sur la porte du chœur se rencontrait un tableau destiné à rappeler non plus l’orateur dont la voix venait de steindre, mais l’écrivain toujours vivant, toujours parlant en ses œuvres; il représentait un agneau, blanc comme neige, agenouillé sur un livre d’or avec ces mots: Doux, humble, utile. Gracieuse pensée! heureuse image! Qui de nous n’aime et ne connaît pas toujours ce doux agneau et ses paroles, et ses maximes, et ses beaux livres d’or?
Enfin, au chevet de l’église, au dessus du grand autel et contre un grand drap mortuaire, paraissait, dominant toute l’église, un portrait en grand du saint Evêque; «la veuë duquel, remarque Charles-Auguste, apporta tant soit peu de consolation au pauvre peuple. »
Ainsi parée pour recevoir une dernière fois son Pontife, l’église cathédrale le vit bientôt entrer. A huit heures du matin, le révérendissime Evêque Jean-François de Sales, vêtu pontificalement, alla processionnellement faire la levée du corps de son saint frère dans l’église du Saint-Sépulcre. Les Religieux Barnabites, naguère établis par le Saint dans sa ville d’Annecy, ayant sollicité et obtenu la grâce de porter eux-mêmes ses saintes dépouilles, six prêtres de leur Ordre reçurent sur leurs épaules ce doux et précieux fardeau. Pendant la marche, quatre chanoines, portant chape et mitre, tenaient les coins d’un grand drap de soie blanche qui couvrait toute la châsse, tandis que les quatre syndics portaient au-dessus, très-haut élevé, un dais de même couleur.
Nous avons vu déjà les regrets, les larmes données à l’orateur, à l’écrivain; voici celles des enfants sur leur Père. Devant le saint Corps, plongé dans sa douleur, marchait, seul, le Révérendissime Evêque; tout son clergé le suivait. Après, dit Charles-Auguste, venaient les frères du Saint , ses parents, ses alliés, les magistrats, «et enfin toute la ville, excepté ceux qui des fenestres arrousaient les rues inférieures de leurs larmes.» Ceux-là sans doute étaient, avant tous, les malheureux et les pauvres qui pleuraient sur le plus tendre des pères.
Après l’entrée dans l’église, la chasse étant élevée sur son lit d’honneur, le prévôt Louis de Sales, cousin de Saint François et son premier compagnon dans la mission du Chablais, la fit aussitôt parer de deux grands vases d’argent garnis de fleurs de lis; sur deux carreaux de drap d’or, on mit d’un côté la mitre et de l’autre la crosse, le grand dais de satin blanc fut tenu continuellement au dessus; de sorte que de tout cet ensemble, l’impression reçue fut si sainte, «et la majesté estoit bien si grande, dit encore Charles-Auguste, que personne n’avoit de la répugnance à croire qu’un corps saint reposât en ce lieu.»
On le voit, ce n’étaient plus des funérailles, ce n’était pas encore le triomphe, mais, la nature et la foi parlant tour à tour, et la douleur et la confiance agitaient tous les cœurs. Cette cérémonie fut longue et il était tard, lorsque «le P. Philibert de la Bonne-ville, Provincial des Capucins de Savoie, prononça l’Oraison funèbre avec beaucoup de ressentiment, de dévotion, de douleur et de piété.»
Il restait à remplir la dernière volonté qu’avait exprimée le Saint mourant, touchant le lieu de sa sépulture. Dans le troisième article de son testament, il avait demandé que si, lors de son trépas, la religion catholique n’était pas encore rétablie dans son Eglise de Genève, on plaçât son tombeau sous la garde de ses chères Filles de la Visitation, au milieu de leur église. La Mère de Chantal, un flambeau à la main, en prières avec toutes ses sœurs, l’attendait en proie à une émotion, à une impatience qui ne se pourraient dire. Vers les cinq heures du soir, «avec une solennité pareillement très-grande,» on transporta donc ces Restes sacrés dans l’église du premier monastère de la Visitation, et c’est là maintenant que nous allons en chercher et en suivre l’histoire.