Читать книгу Notice historique sur les précieuses reliques de Saint-François de Sales - Curé du diocèse d'Annecy - Страница 9
Reliques du Saint déposées dans l’Eglise du premier Monastère de la Visitation. — Ouverture de la Châsse en 1632.
ОглавлениеNous venons de voir qu’en son testament le Saint avait demandé qu’on l’ensevelît au milieu de la nef de l’église de la Visitation; mais, comme en y creusant la fosse on y trouva une abondante quantité d’eau, il ne fut pas jugé possible d’y déposer le saint Corps; ce qui fit qu’en attendant un autre lieu, il fut religieusement gardé dans la sacristie, «dans et sous un lit d’armesin blanc, tout brodé des noms de Jésus et Marie.»
Pendant ce temps, un tombeau lui fut érigé du côté de l’épître, vis-à-vis de la grille du chœur des Religieuses, et Mgr Jean-François de Sales, assisté de son Chapitre et des chanoines de l’église collégiale, l’y transporta solennellement le 10 juin de la même année.
La foi, la dévotion du peuple n’avait pas tant attendu pour se manifester. Nous trouvons que, dès le mois d’avril, l’on avait dû élever dans l’église deux nouveaux autels, tant était grand le nombre des prêtres qui venaient, à la demande des fidèles ou par dévotion, y célébrer les saints Mystères . L’année suivante, en 1624, les miracles étaient déjà si fréquents, que l’on avait peine à en tenir compte. Aussi ces deux premières années suffirent-elles pour voir les abords du tombeau couverts de tableaux, de lampes précieuses, de vœux de toute forme, de tout prix, d’or, d’argent, de simple cire: c’étaient autant de témoignages de reconnaissance venus de tous les pays et offerts par des grands du monde, tels que la duchesse de Nemours, le cardinal Maurice de Savoie, l’infante Marie, etc., non moins que par les plus pauvres gens . «Ceux-ci apportaient au tombeau un peu de toile rousse, une poupée de chanvre, deux ou trois poignées de blé, quelques petites poulettes, chose de si grande consolation, que la piété de ces bonnes gens ne se peut voir sans une grande tendreté de cœur.»
La Mère de Chantal n’avait pas besoin de tous ces témoignages du dehors pour croire à la sainteté de son bienheureux Père; mais elle en profita pour insister fortement, surtout auprès de Mgr l’Evêque, afin qu’il fit commencer, immédiatement et par son ordre, les premières enquêtes nécessaires à l’introduction de la cause du Bienheureux. Ces enquêtes se firent pendant deux ans en Savoie, en Bourgogne, en Dauphiné, et en 1626 le P. dom Juste Guérin en porta à Rome un rapport si frappant, qu’aussitôt le Pape nomma commissaires apostoliques, pour informer en son nom: Mgr André Frémyot, archevêque de Bourges et frère de la Mère de Chantai; Mgr Pierre Camus, évêque de Belley et ami du Bienheureux, et le révérend Georges Ramus, docteur et chanoine de Louvain.
Nous ne pouvons pas suivre cette grande et belle cause dans toute sa longueur; nous n’en prendrons que ce qui convient à notre sujet. A Annecy, le nombre des témoins, qui venaient d’eux-mêmes déposer en faveur de la sainteté du Bienheureux, était si grand, qu’il passait certains jours sept ou huit cents. En Faucigny, dans la chapelle de Sainte-Anne de Taninges, il ne s’en présenta pas moins de cent trente-sept, dont environ quatre-vingts ne déposèrent que pour attester un ou plusieurs miracles: tant en France qu’en Savoie, les témoins entendus furent plus de cinq mille. Mais ce que nous avons à décrire, c’est l’ouverture de la chasse telle qu’elle se fit, le 4 août 1632, par les ordres et sous les yeux des commissaires apostoliques. Pour la première fois, depuis dix ans, les traits du saint Evêque allaient reparaître aux yeux de ses enfants, la nouvelle qui s’en donna fit accourir de Paris, de Dijon, de Grenoble, une foule immense; mais, au jour fixé, la visite devant être secrète, les portes de l’église de la Visitation furent fermées, et le notaire apostolique, le sieur Ducrest, le P. dom Juste Guérin, procureur de la cause, ainsi que les témoins de la visite , furent seuls admis avec quelques privilégiés à accompagner les commissaires. Quant aux Religieuses du monastère, comme elles devaient être interrogées par les prélats, elles attendaient dans la plus vive émotion, derrière leur grille ouverte. La Mère de Chantal était à leur tête.
Les commissaires en effet s’approchèrent tout d’abord de la grille, et, ayant fait faire aux Religieuses le serment de dire la vérité, ils leur ordonnèrent, au nom du Souverain Pontife, de leur indiquer le lieu où reposait le serviteur de Dieu.
La Mère de Chantal répondit au nom de toutes, en montrant son tombeau ,«que le 10juin 1623ce saint Corps avait été mis dans le sépulcre qu’ils voyaient du côté de l’épître; qu’il était habillé d’une aube, avec l’étole et la chasuble de taffetas blanc, et coiffé d’une mitre de même couleur, sur laquelle on avait attaché un papier contenant le nom du défunt, le jour de son décès, et celui de sa déposition en ce lieu.»
Les prélats, s’étant alors approchés du tombeau, voulurent savoir la raison de ce nombre prodigieux de vœux qui l’environnaient. A cette question, la Sainte ne put retenir ses larmes; elle leur expliqua comment, n’ayant pas quitté la Savoie dès la mort du saint Evêque, elle avait été l’heureux témoin de mille grâces obtenues par son intercession, grâces dont tous ces objets étaient de pieux témoignages.
Après les ex-voto, comme on examinait les inscriptions, les épitaphes, une, entre les autres, attira l’attention des prélats. La Mère de Chantal leur fit connaître qu’elle était un hommage de reconnaissance offert par la ville de Thonon à son sauveur et apôtre .
Enfin l’examen du tombeau étant fait à l’extérieur, les prélats commandèrent que l’on rompît le mur qui le renfermait .«Des ouvriers s’avancèrent alors, et, la pierre du tombeau ayant été descellée, on en tira le double cercueil que l’on posa sur le marchepied de l’autel; celui de bois était rompu, mais le cercueil de plomb était bien fermé. Dès qu’on l’eut entr’ouvert, il n’y eut qu’un cri dans l’assemblée: «Le voilà, le voilà, «le bienheureux François de Sales!» C’était bien lui en effet. Il reposait dans son cercueil comme dans un lit; les vêtemens intacts, quoiqu’un peu jaunâtres, à cause de l’humidité du lieu; le corps entier sans corruption et sans lésion; le visage parfaitement conservé, si ce n’est que les yeux étaient un peu enfoncés sous les paupières; la barbe et les cheveux tenant aussi fermes que ceux d’un homme vivant. On lui regarda les mains, il n’y manquait ni la peau, ni les ongles. La chair du bras était souple et maniable, en sorte qu’on pouvait le lui étendre. La figure surtout paraissait encore pleine de vie; elle conservait une expression de paix et de sérénité pieuse qui donnait de la dévotion même aux cœurs les plus froids. Une suave odeur, semblable à celle qui avait tant de fois embaumé le monastère, s’échappait de ces Restes précieux et achevait d’élever tous les cœurs à Dieu.»
Or, pour bien s’assurer si cette odeur n’était point naturelle, les prélats défendirent rigoureusement qu’on ne mît pendant trois jours aucun parfum, aucune senteur, ni dans l’église, ni dans la sacristie; ce qui fut fait; et néanmoins l’église, la sacristie, la maison toute entière demeurèrent embaumées de ce parfum. Il y eut plus: les mains de ceux qui avaient eu le bonheur de toucher à ce corps virginal en restèrent si imprégnées, qu’inutilement ils les lavaient; cette suave odeur n’en était que plus sensible, et donnait à tous des sentiments de piété si tendre, qu’ils avouaient n’avoir jamais rien ressenti de pareil. Tout cela fit dire et croire que cette odeur si singulière n’était autre qu’une intervention divine, un hommage céleste rendu à la pureté du corps du Bienheureux.
Cependant on se disposait, pour terminer la visite, à remettre les saintes Reliques en leur lieu, lorsque le peuple qui stationnait au dehors perdit tout à fait patience. Sans crainte des évêques, ni des gardes du prince de Carignan, ce peuple impatient tira hors de ses gonds l’une des portes de l’église et en rompit une autre. En un instant le lieu saint fut envahi, et la foule poussait ce cri: «Nous mourrons, ou nous verrons notre Pasteur.» Puissance de la vue et de la présence d’un Saint! A peine eut-elle entrevu ce saint Corps, que cette foule si agitée, presque courroucée, se calma soudain et passa de l’agitation la plus vive au silence, au recueillement le plus profond. L’archevêque de Bourges, pour contenter ce bon peuple, fit alors élever le corps de son saint Evêque sur la plus haute marche du grand autel, pour que de là facilement il pût être vu de tous. Leur demandant ensuite s’ils le reconnaissaient bien, d’une voix unanime ils répondirent que c’était bien lui, leur bon et saint Pasteur.
Pendant cette scène touchante, le jour était presque tombé ; l’archevêque de Bourges, haussant la voix, commanda, sous peine d’excommunication, à cette grande foule de quitter l’église; elle obéit promptement et sans murmure.
Mais la Mère de Chantal et ses religieuses durent-elles aussi se retirer? Non; ces saintes filles méritaient bien qu’à loisir et en toute paix il leur fût permis d’arrêter quelques instants un pieux regard sur un Père si aimé qu’elles revoyaient après dix ans. Les prélats firent donc approcher le saint Corps de la grille, aussi près qu’il fût possible, et là, «vers neuf à dix heures du soir, raconte la Mère de Chaugy dans ses Mémoires pour la vie de la Mère de Chantal , notre sainte Mère alla avec toute la communauté vénérer ce saint Corps, et fut longuement en oraison à genoux devant icelui, avec un visage si enflammé, une façon et action si rabaissées, que l’on n’eût su discerner ce qui la tirait hors d’elle-même, ou l’amour, ou l’humilité et l’anéantissement; elle était si transportée, qu’elle n’apercevait point les sœurs qui étaient autour d’elle, ni ne sentait qu’on la pressait de part et d’autre; car il faut confesser que l’amour même le plus filial et le plus tendre n’est pas prudent, et que nous nous pressions et empressions pour faire toucher quelque chose à ce béni Corps. Notre bienheureuse Mère, en cette circonstance, montra un acte signalé d’obéissance: Nosseigneurs les commissaires avaient défendu que l’on touchât ce béni Corps, voulant dire que l’on n’en coupât rien; néanmoins, parce qu’ils ne s’étaient pas expliqués, cette digne Mère n’osa permettre aux sœurs de lui baiser la main, ni la baiser elle-même.....»
Un tel sacrifice, une obéissance si parfaite méritait sa récompense. La digne Mère de Chantal en reçut une bien douce, avant qu’on remît le saint Corps dans le tombeau.
Dans nos familles chrétiennes on trouve encore quelquefois une vieille gravure; en voici le sujet et l’explication. La Mère de Chaugy, témoin oculaire du fait, le raconte expressément; mais à son témoignage, connu de tous, ajoutons celui de la Mère Péronne-Rosalie Greffier, qui donne de plus quelques détails intéressants . Selon cette sœur, Mgr Jean-François de Sales, frère et successeur du Saint, fut celui qui reçut, de la Mère de Chantal, la prière que fit «cette fille unique» d’être bénie de la main de son Bienheureux Père, alors que le saint Corps était exposé près de la grille. «Ledit Evêque, dit-elle, prit la main du corps et la porta sur la tête de la servante de Dieu, à genoux, en prières auprès du cercueil, et en même temps tous s’aperçurent que le Saint, tout mort qu’il fût, étendit les doigts et pressa la tête de ladite vénérable servante de Dieu, ce qui causa en elle une impression extraordinaire, qui l’obligea de jeter une grande exclamation, et qui obligea l’évêque et les Religieuses à regarder ce fait comme un grand miracle, en mémoire duquel on conserve encore aujourd’hui dans le même monastère, avec une vénération profonde, le même voile que portait la servante de Dieu en ce moment .
Cependant, malgré ces consolations et ces merveilles, il fallut mettre fin à la visite. On avait changé l’aube, la chasuble, la mitre du Bienheureux; on remit à sa place l’inscription que l’on avait retrouvée sur la mitre, et qui y avait été placée en 1625, lors de la sépulture du Saint. En voici la traduction:
«Cî-git le corps de l’illustre et vénérable François de Sales, Evêque et Prince de Genève, de sainte mémoire, Fondateur de l’Ordre des Religieuses de la Visitation Sainte-Marie, lequel mourut à Lyon le jour des Saints-Innocents, l’an mil six cent vingt-deux; son corps ayant été ensuite transporté à Annecy, où toutes les parties de l’Europe l’honorent par un grand concours de peuple à cause de sa sainteté et de la renommée de son nom.»
Cela fait, le tombeau fut ensuite fermé, muré et cacheté des sceaux du Saint-Siége. Dès lors, l’église fut rouverte aux fidèles, et ce fut merveille de voir l’empressement, la dévotion générale des fidèles autour de ce saint tombeau. «On eût dit, écrit la Mère de Chaugy, qu’on avait jeté de l’argent au peuple, à voir l’ardeur avec laquelle il s’empressait à ramasser le mortier, le sable, la poussière qui étaient restés.»
Quant aux vêtements sacrés qui avaient été enlevés au Bienheureux, Mgr de Bourges s’étant réservé la mitre blanche, le reste fut gardé pieusement par les Religieuses, ou distribué, comme faveur, aux personnes de distinction venues à la fête.