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DIOTIME.

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Le mariage de Béatrice avec un gentilhomme de la maison de Bardi est un de ces faits sur lesquels les commentateurs ont longuement disputé. Il ne paraît plus douteux aujourd'hui qu'elle fut mariée, vers l'âge de vingt-un ans, au chevalier Simon de Bardi. Quoi qu'il en soit, Béatrice était frappée dans la fleur de sa jeunesse et de sa beauté, le 9 juin 1290. Ce coup terrible jette notre poëte à la solitude. Il fuit toute compagnie, il s'absorbe dans sa douleur. Chose grave, dans cette ville des élégances attiques, Dante néglige tout soin de sa personne; il demeure inculte de corps et d'esprit. Son ami Guido lui en fait de tendres reproches.

«Que de fois, lui dit-il dans un sonnet charmant, je viens vers toi dans la journée, et toujours je te trouve dans une attitude abattue; et je déplore ces grâces de ton esprit, ces grands talents qui te sont ôtés.» Les exhortations d'un tel ami et aussi cette forte vitalité qui est propre au véritable génie arrachent Dante à son accablement; il ouvre son esprit à la consolation. Comme plus tard Élisabeth d'Angleterre, blessée dans ses royales espérances par l'abjuration du Béarnais, il lit Boëce. Il étudie le traité de Cicéron sur l'Amitié; il cherche à pénétrer le sens difficile des auteurs latins. Il assiste dans les cloîtres à des discussions théologiques. Il trace sur ses tablettes de belles figures d'anges. Sa douleur s'attendrit, son intelligence se ranime. Il commence, dit-il, «à entrevoir beaucoup de choses.» Enfin, une vision extraordinaire achève de le relever. La grande consolatrice lui apparaît sous les traits de celle qu'il a aimée. «La fille très-belle et très-sage de l'empereur de l'univers, nous dit-il dans le langage hyperbolique du temps, celle à qui Pythagore a donné le nom de Philosophie,» vient à lui et l'exhorte. À peu de temps de là, sous son inspiration, il met la main à cet écrit mystique qu'il a intitulé la Vie nouvelle. Il l'écrit tout d'un trait et le termine en annonçant la résolution «de ne plus rien dire de cette bienheureuse (Béatrice), jusqu'à ce qu'il en puisse parler d'une manière plus digne d'elle.» Il confie à ceux qui le liront l'espérance de dire d'elle, un jour, «ce qui n'a jamais été dit d'aucune femme.»

Remarquez, Viviane, ce travail latent, ce progrès de la consolation dans les grandes âmes. Elle commence à naître quand, du sein de l'accablement, de la prostration de toutes les facultés, se produit un vague besoin de laisser couler les larmes, de donner une issue, quelle qu'elle soit, au désespoir. À ce besoin correspond d'ordinaire une circonstance fortuite, une voix du dehors qui nous rappelle à nous-mêmes, un ami, un Guido Cavalcanti qui nous tend la main. L'âme alors se soulève un peu et regarde autour d'elle. Elle cherche dans les douleurs semblables à la sienne un écho sympathique. Elle généralise sa souffrance, et, d'un état personnel, d'une misère en quelque sorte égoïste, elle passe à la considération de la parité des misères humaines. C'est là un grand progrès dans la consolation, parce qu'il élève la tristesse sur les hauteurs de la philosophie. C'est ce progrès que fit Dante en lisant le livre de Boëce. De la méditation des pensées d'autrui, de l'impression reçue, de ce que j'appellerai la consolation passive, qui vient à nous du dehors, par la voix de nos amis, de nos proches dans la vie spirituelle; de ce premier degré d'acceptation philosophique de la douleur, où s'arrêtent la plupart des hommes, les plus doués s'élèvent encore à une région supérieure. Ils se sentent pleins d'un grand désir de confesser leur douleur. Ils veulent que son objet soit connu, aimé, admiré de tous; ils le veulent exalté dans la mémoire des hommes. C'est l'éveil de la faculté créatrice; c'est la consolation suprême du génie. C'est, chez Dante, la Vita Nuova et la Commedia; chez Gœthe, Werther et Faust.

Dante et Goethe: dialogues

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