Читать книгу Nous Sommes De Retour - Danilo Clementoni - Страница 16
Nassiriya â Après le dîner
ОглавлениеLe système dâenregistrement émit un double bip et se ralluma. à lâintérieur de la voiture, la voix dâÃlisa sortit à nouveau du petit haut-parleur :
« Je pense que câest lâheure dây aller, Jack. Je dois me lever très tôt demain pour continuer les fouilles.
â Dâaccord, répondit le colonel. Je vais remercier le chef et on y va tout de suite après. »
â Putain de merde, sâécria le maigre. à cause de toi, on a raté le meilleur.
â Et allez, je ne lâai pas fait exprès, se justifia le gros. On pourra toujours dire quâil y a eu un dysfonctionnement du système et quâil y a une partie de la discussion que nous nâavons pas pu enregistrer.
â Câest toujours moi qui dois te sortir de la mouise, fit lâautre.
â Je vais me faire pardonner. Jâai déjà un plan pour mettre la main sur la tablette de notre cher Professeur. Il sâattrapa le nez entre le pouce et lâindex, puis dit :
â Nous nous introduirons cette nuit dans sa chambre et nous copierons toutes les données sans quâelle sâen aperçoive.
â Et quâest-ce quâon fait pour quâelle ne se réveille pas, on lui chante une berceuse ?
â Ne tâinquiète pas, compère. Jâai encore des as dans ma manche, et il lui fit un clin dâÅil.
Pendant ce temps, dans le restaurant, Jack et Ãlisa se préparaient à sortir. Le colonel alluma sa radio portable et contacta lâescorte :
â Nous allons sortir.
â Tout est calme, ici, Colonel, répondit une voix dans son oreillette.
Le colonel ouvrit avec prudence la porte du restaurant et observa attentivement lâextérieur. Debout, près de la voiture, se tenait encore le militaire qui avait accompagné Ãlisa.
â Tu peux y aller, mon garçon, ordonna le colonel. Câest moi qui raccompagne le Professeur.
Le soldat se mit au garde-à -vous, salua militairement et, prononçant quelques mots dans sa radio, disparut dans la nuit.
â Ãa a été une soirée magnifique, Jack, dit Ãlisa en sortant. Elle respira profondément lâair frais de la nuit et ajouta :
â Ãa faisait vraiment longtemps que je ne nâavais pas passé un aussi bon moment. Encore merci. Et elle arbora à nouveau un de ses merveilleux sourires.
â Viens, dans ce secteur ce nâest encore pas très sûr de rester à lâextérieur.
Sur ces mots, il ouvrit la portière et lâaida à monter.
Le colonel au volant, la grande voiture sombre quitta rapidement les lieux en laissant derrière elle un gros nuage de poussière.
â Moi aussi je me suis senti très bien. Je nâaurais jamais imaginé quâune soirée avec un « savant professeur » puisse être si agréable.
â Savante ? Câest ça que tu penses de moi ? Et elle se détourna de lui, feignant la colère.
â Savante oui, mais aussi très sympathique, intelligente et vraiment sexy.
Elle regardait dehors, et il en profita pour lui caresser doucement les cheveux sur la nuque.
Ce contact lui procura une cascade dâagréables frissons dans le dos. Elle ne pouvait pas céder si vite. Mais son excitation allait croissant. Elle décida de se taire et de profiter de cet agréable et léger massage. Jack, encouragé par lâabsence de réactions à son geste, continua à caresser ses cheveux longs. Soudain, il commença à faire glisser sa main, dâabord sur son épaule, puis sur son bras, puis de plus en plus bas, jusquâà lui effleurer doucement les doigts. Elle, toujours tournée vers la fenêtre, prit sa main et la serra sans retenue. Câétait une main grande et forte. Ce contact lui donnait une grande assurance.
Non loin de là , une autre voiture sombre suivait les deux passagers, essayant de capter dâautres propos intéressants.
â Je crois que les dix dollars sont en train de changer de main, mon vieux, dit le gros. Il la raccompagne à lâhôtel, elle le fait monter pour boire quelque chose et le tour est joué.
â Tu peux prier pour que ça ne finisse pas comme ça, sinon, jâaimerais bien savoir comment on va faire pour copier les données de lâordinateur.
â La vache, je nây avais pas pensé.
â Tu ne penses jamais à rien dâautre que ce qui finit dans ton estomac sans fond.
â Allez, ne te laisse pas trop distancer, dit le gros, en ignorant la provocation. Je ne voudrais pas perdre le signal une nouvelle fois.
Ils restèrent un peu main dans la main, sans rien dire. Ils avaient tous deux le regard fixe, au-delà du pare-brise. Lâhôtel approchait, et Jack se sentait très maladroit. Ce nâétait évidemment pas la première fois quâil sortait avec une fille, mais ce soir-là , il sentit resurgir toute la timidité qui lâavait torturé pendant sa jeunesse, et quâil pensait avoir dépassée. Ce contact si prolongé lâavait comme paralysé. Il aurait peut-être dû dire quelque chose pour rompre ce silence gênant, mais il craignait que le moindre mot puisse gâcher ce moment magique, et il décida de se taire.
Il remercia mentalement la boîte automatique de la voiture qui lui avait permis de ne pas lâcher la main dâÃlisa pour passer les vitesses, et continua à conduire dans la nuit.
Ãlisa, de son côté, se rappelait tous les « hommes de sa vie » présumés, lâun après lâautre. Plusieurs histoires, beaucoup de rêves, de projets, de joie et de bonheur, mais à chaque fois, à la fin, beaucoup de déception, dâamertume et de douleur. Câétait comme si le destin avait déjà tout décidé pour elle. La voie qui sâouvrait à elle, sans aucun doute riche en satisfactions et succès sur le plan professionnel, ne semblait pas prévoir qui que ce soit à ses côtés pour lâaccompagner. Et maintenant elle était là , dans un pays étranger, voyageant dans la nuit, sa main dans la main dâun homme que, jusquâà la veille, elle considérait comme un obstacle à ses plans et qui, maintenant, lui inspirait une grande tendresse et beaucoup dâaffection. Plus dâune fois, elle se demanda ce quâelle devait faire.
â Tout va bien ? demanda Jack, inquiet, voyant ses yeux devenir de plus en plus brillants.
â Oui, merci, Jack. Câest juste un moment de tristesse. Ãa va passer.
â Câest de ma faute ? sâempressa-t-il de lui demander. Jâai dit ou fait quelque chose qui ne va pas ?
â Non, au contraire, répondit-elle aussitôt dâune petite voix douce, et elle ajouta :
â Reste près de moi, sâil te plaît.
â Hé, je suis là . Ne tâinquiète pas. Je nâaccepterai jamais quâon te fasse du mal, dâaccord ?
â Merci, merci infiniment, dit Ãlisa, pendant quâelle tentait dâessuyer les larmes qui glissaient lentement sur ses joues. Tu es adorable.
Jack resta silencieux, et il lui serra la main encore plus fort.
Lâenseigne de lâhôtel apparut au bout de la rue, quâils parcoururent sans rien dire. Puis le colonel ralentit et arrêta la voiture juste devant lâentrée. Ils se regardèrent intensément. Pendant un long moment, aucun dâeux nâosa parler. Jack savait quâil devait faire le premier pas, mais Ãlisa le précéda.
â Câest maintenant que tu devrais me dire que la soirée a été splendide, que je suis magnifique, et moi je tâinviterais à monter pour boire quelque chose.
â Oui, lâusage lâimposerait, commenta Jack, un peu dérouté par ces mots. Câest ce que je ferais si tu étais comme les autres, mais ce nâest pas ce que je pense.
Il reprit son souffle et il continua.
â Je pense que tu es une personne très particulière et que cette soirée passée ensemble mâa donné lâoccasion de mieux te connaître, et de découvrir beaucoup de choses que je nâaurais jamais pensé trouver chez une « archéologue ».
â Je prends ça comme un compliment, dit-elle, essayant de dédramatiser un peu.
â Derrière cette armure de femme forte et indestructible, je crois que se cache une petite créature tendre et effrayée. Tu es une fille très douce, et dâune sensibilité unique.
Il allait peut-être regretter ce quâil allait dire, mais il fit appel à son courage et continua.
â Franchement, une nuit de sexe à archiver, comme tant dâautres, absolument inutiles, et qui, le matin suivant, ne te laissent rien quâun immense vide, ça ne mâintéresse pas. Je voudrais plus avec toi. Tu mâas toujours beaucoup plu, je lâavoue.
Il ne pouvait plus sâarrêter, maintenant. Il lui prit les deux mains, les serra et poursuivit.
â Depuis que je tâai rencontrée dans mon bureau la première fois, jâai réalisé quâil y avait quelque chose de spécial chez toi. Au départ, jâétais évidemment attiré par ta beauté, mais ensuite ta voix, ta façon de parler, tes gestes, ta façon de marcher, ton sourire...
Il fit une brève pause avant dâajouter :
â Ton charme mâa fasciné. Tu as volé mon cÅur. Je crois que je ne pourrais plus penser à une vie sans toi et ce nâest absolument pas la conclusion de cette soirée qui pourra me faire changer dâavis.
Ãlisa, qui ne sâattendait pas du tout à une déclaration de ce genre, resta bouche bée un moment ; puis, le regardant dans les yeux, elle sâapprocha lentement de lui. Elle hésita un instant, puis lâembrassa.
Ce fut un baiser long et intense. Des émotions anciennes et nouvelles ré-affleuraient en eux. Soudain, Ãlisa se détacha de lui et, restant tout près, lui dit :
â Merci pour ces mots, Jack. Moi non plus je nâaurais pas voulu que notre rencontre se termine avec une minable nuit de sexe. Cette soirée mâa permis de découvrir quelque chose de plus de toi et dâapprécier le genre dâhomme que tu es. Moi non plus je nâaurais jamais pensé trouver derrière un « colonel » revêche une personne si tendre et si sensible. Je dois tâavouer que depuis des années je nâavais plus senti mon cÅur battre aussi fort. Je ne suis plus une gamine, je sais, mais je ne voudrais pas tout gâcher en te faisant monter maintenant.
Elle fit une longue pause, puis ajouta :
â Je voudrais vraiment te revoir.
Elle lâembrassa à nouveau, descendit de la voiture et entra en courant dans lâhôtel. Elle craignait, en se retournant, ne pas pouvoir respecter ce quâelle venait de dire.
Jack la suivit du regard jusquâà ce quâelle disparaisse derrière la porte à tambour de lâhôtel. Il resta immobile, à regarder les pales tourner jusquâà leur arrêt complet. Alors, il posa un dernier regard vers lâenseigne tremblante, puis appuya à fond sur la pédale de lâaccélérateur et, dans un crissement aigu de pneus, il disparut dans la nuit.
Les deux personnages louches qui suivaient le couple garèrent leur voiture à lâarrière de lâhôtel en faisant très attention de ne pas se faire remarquer. De là , ils pouvaient voir la fenêtre de la chambre dâÃlisa qui, moins dâune minute après, sâillumina.
â Elle est rentrée, et elle est seule, dit le gros.
Le maigre sâempressa de rappeler à lâautre quâil avait perdu le pari.
â Lâche tes dollars, mon cher, et il frotta lâun contre lâautre pouce et index.
â Eh bien, je me serais attendu à tout sauf à ce que ça finisse comme ça, répondit le gros. Notre cher colonel a vraiment lâair dâavoir un gros béguin.
â Oui, et elle aussi a lâair dâêtre bien mûre.
â Quel « beau petit couple », commenta le gros avec son rire habituel. Maintenant il faut quâon attende que la petite poulette se mette au lit ; après on se faufile dans sa chambre et on copie toutes les données de sa tablette.
Il descendit de la voiture et ajouta :
â En attendant, je prépare le matériel ; toi, surveille si elle éteint la lumière.
Ãlisa était tourmentée par mille pensées. Avait-elle bien fait de le quitter comme ça ? Comment le prendrait-il ? Aurait-il encore eu envie de la revoir ? Au fond, câétait lui qui avait proposé de différer. Jack lui avait donné là une vraie preuve de sérieux. Le sentiment quâil avait exprimé avec tous ces mots merveilleux était-il vraiment sincère, ou nâétait-ce quâune stratégie pour la faire tomber dans un piège quâil avait habilement ourdi ? Elle nâaurait pas supporté une nouvelle déception amoureuse, dâautres douleurs et dâautres souffrances. Elle décida de ne pas y penser pour lâinstant. Quoi quâil en soit, elle avait atteint le but quâelle sâétait fixé : le colonel lui avait accordé deux semaines de plus pour achever ses recherches. Le reste nâétait que « perspectives » et elle avait désormais appris quâil ne fallait pas se faire trop dâillusions. Elle ne pouvait pas se permettre de subir une nouvelle déconvenue. Cette fois-ci, elle ne sâen serait pas relevée.