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CHAPITRE II. DE LA VARIATION À L'ÉTAT DE NATURE
DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES

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On peut donner le nom de différences individuelles aux différences nombreuses et légères qui se présentent chez les descendants des mêmes parents, ou auxquelles on peut assigner cette cause, parce qu'on les observe chez des individus de la même espèce, habitant une même localité restreinte. Nul ne peut supposer que tous les individus de la même espèce soient coulés dans un même moule. Ces différences individuelles ont pour nous la plus haute importance, car, comme chacun a pu le remarquer, elles se transmettent souvent par hérédité; en outre, elles fournissent aussi des matériaux sur lesquels peut agir la sélection naturelle et qu'elle peut accumuler de la même façon que l'homme accumule, dans une direction donnée, les différences individuelles de ses produits domestiques. Ces différences individuelles affectent ordinairement des parties que les naturalistes considèrent comme peu importantes; je pourrais toutefois prouver, par de nombreux exemples, que des parties très importantes, soit au point de vue physiologique, soit au point de vue de la classification, varient quelquefois chez des individus appartenant à une même espèce. Je suis convaincu que le naturaliste le plus expérimenté serait surpris du nombre des cas de variabilité qui portent sur des organes importants; on peut facilement se rendre compte de ce fait en recueillant, comme je l'ai fait pendant de nombreuses années, tous les cas constatés par des autorités compétentes. Il est bon de se rappeler que les naturalistes à système répugnent à admettre que les caractères importants puissent varier; il y a d'ailleurs, peu de naturalistes qui veuillent se donner la peine d'examiner attentivement les organes internes importants, et de les comparer avec de nombreux spécimens appartenant à la même espèce. Personne n'aurait pu supposer que le branchement des principaux nerfs, auprès du grand ganglion central d'un insecte, soit variable chez une même espèce; on aurait tout au plus pu penser que des changements de cette nature ne peuvent s'effectuer que très lentement; cependant sir John Lubbock a démontré que dans les nerfs du Coccus il existe un degré de variabilité qui peut presque se comparer au branchement irrégulier d'un tronc d'arbre. Je puis ajouter que ce même naturaliste a démontré que les muscles des larves de certains insectes sont loin d'être uniformes. Les auteurs tournent souvent dans un cercle vicieux quand ils soutiennent que les organes importants ne varient jamais; ces mêmes auteurs, en effet, et il faut dire que quelques-uns l'ont franchement avoué, ne considèrent comme importants que les organes qui ne varient pas. Il va sans dire que, si l'on raisonne ainsi, on ne pourra jamais citer d'exemple de la variation d'un organe important; mais, si l'on se place à tout autre point de vue, on pourra certainement citer de nombreux exemples de ces variations.

Il est un point extrêmement embarrassant, relativement aux différences individuelles. Je fais allusion aux genres que l'on a appelés «protéens» ou «polymorphes», genres chez lesquels les espèces varient de façon déréglée. À peine y a-t-il deux naturalistes qui soient d'accord pour classer ces formes comme espèces ou comme variétés. On peut citer comme exemples les genres Rubus, Rosa et Hieracium chez les plantes; plusieurs genres d'insectes et de coquillages brachiopodes. Dans la plupart des genres polymorphes, quelques espèces ont des caractères fixes et définis. Les genres polymorphes dans un pays semblent, à peu d'exceptions près, l'être aussi dans un autre, et, s'il faut en juger par les Brachiopodes, ils l'ont été à d'autres époques. Ces faits sont très embarrassants, car ils semblent prouver que cette espèce de variabilité est indépendante des conditions d'existence. Je suis disposé à croire que, chez quelques-uns de ces genres polymorphes tout au moins, ce sont là des variations qui ne sont ni utiles ni nuisibles à l'espèce; et qu'en conséquence la sélection naturelle ne s'en est pas emparée pour les rendre définitives, comme nous l'expliquerons plus tard.

On sait que, indépendamment des variations, certains individus appartenant à une même espèce présentent souvent de grandes différences de conformation; ainsi, par exemple, les deux sexes de différents animaux; les deux ou trois castes de femelles stériles et de travailleurs chez les insectes, beaucoup d'animaux inférieurs à l'état de larve ou non encore parvenus à l'âge adulte. On a aussi constaté des cas de dimorphisme et de trimorphisme chez les animaux et chez les plantes. Ainsi, M. Wallace, qui dernièrement a appelé l'attention sur ce sujet, a démontré que, dans l'archipel Malais, les femelles de certaines espèces de papillons revêtent régulièrement deux ou même trois formes absolument distinctes, qui ne sont reliées les unes aux autres par aucune variété intermédiaire. Fritz Müller a décrit des cas analogues, mais plus extraordinaires encore, chez les mâles de certains crustacés du Brésil. Ainsi, un Tanais mâle se trouve régulièrement sous deux formes distinctes; l'une de ces formes possède des pinces fortes et ayant un aspect différent, l'autre a des antennes plus abondamment garnies de cils odorants. Bien que, dans la plupart de ces cas, les deux ou trois formes observées chez les animaux et chez les plantes ne soient pas reliées actuellement par des chaînons intermédiaires, il est probable qu'à une certaine époque ces intermédiaires ont existé. M. Wallace, par exemple, a décrit un certain papillon qui présente, dans une même île, un grand nombre de variétés reliées par des chaînons intermédiaires, et dont les formes extrêmes ressemblent étroitement aux deux formes d'une espèce dimorphe voisine, habitant une autre partie de l'archipel Malais. Il en est de même chez les fourmis; les différentes castes de travailleurs sont ordinairement tout à fait distinctes; mais, dans quelques cas, comme nous le verrons plus tard, ces castes sont reliées les unes aux autres par des variétés imperceptiblement graduées. J'ai observé les mêmes phénomènes chez certaines plantes dimorphes. Sans doute, il paraît tout d'abord extrêmement remarquable qu'un même papillon femelle puisse produire en même temps trois formes femelles distinctes et une seule forme mâle; ou bien qu'une plante hermaphrodite puisse produire, dans une même capsule, trois formes hermaphrodites distinctes, portant trois sortes différentes de femelles et trois ou même six sortes différentes de mâles. Toutefois, ces cas ne sont que des exagération du fait ordinaire, à savoir: que la femelle produit des descendants des deux sexes, qui, parfois, diffèrent les uns des autres d'une façon extraordinaire.

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