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CHAPITRE I DE LA VARIATION DES ESPÈCES À L'ÉTAT DOMESTIQUE
CARACTÈRES DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES; DIFFICULTÉ DE DISTINGUER ENTRE LES VARIÉTÉS ET LES ESPÈCES; ORIGINE DES VARIÉTÉS DOMESTIQUES ATTRIBUÉE À UNE OU À PLUSIEURS ESPÈCE

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Quand nous examinons les variétés héréditaires ou les races de nos animaux domestiques et de nos plantes cultivées et que nous les comparons à des espèces très voisines, nous remarquons ordinairement, comme nous l'avons déjà dit, chez chaque race domestique, des caractères moins uniformes que chez les espèces vraies. Les races domestiques présentent souvent un caractère quelque peu monstrueux; j'entends par là que, bien que différant les unes des autres et des espèces voisines du même genre par quelques légers caractères, elles diffèrent souvent à un haut degré sur un point spécial, soit qu'on les compare les unes aux autres, soit surtout qu'on les compare à l'espèce sauvage dont elles se rapprochent le plus. À cela près (et sauf la fécondité parfaite des variétés croisées entre elles, sujet que nous discuterons plus tard), les races domestiques de la même espèce diffèrent l'une de l'autre de la même manière que font les espèces voisines du même genre à l'état sauvage; mais les différences, dans la plupart des cas, sont moins considérables. Il faut admettre que ce point est prouvé, car des juges compétents estiment que les races domestiques de beaucoup d'animaux et de beaucoup de plantes descendent d'espèces originelles distinctes, tandis que d'autres juges, non moins compétents, ne les regardent que comme de simples variétés. Or, si une distinction bien tranchée existait entre les races domestiques et les espèces, cette sorte de doute ne se présenterait pas si fréquemment. On a répété souvent que les races domestiques ne diffèrent pas les unes des autres par des caractères ayant une valeur générique. On peut démontrer que cette assertion n'est pas exacte; toutefois, les naturalistes ont des opinions très différentes quant à ce qui constitue un caractère génétique, et, par conséquent, toutes les appréciations actuelles sur ce point sont purement empiriques. Quand j'aurai expliqué l'origine du genre dans la nature, on verra que nous ne devons nullement nous attendre à trouver chez nos races domestiques des différences d'ordre générique.

Nous en sommes réduits aux hypothèses dès que nous essayons d'estimer la valeur des différences de conformation qui séparent nos races domestiques les plus voisines; nous ne savons pas, en effet, si elles descendent d'une ou de plusieurs espèces mères. Ce serait pourtant un point fort intéressant à élucider. Si, par exemple, on pouvait prouver que le Lévrier, le Limier, le Terrier, l'Epagneul et le Bouledogue, animaux dont la race, nous le savons, se propage si purement, descendent tous d'une même espèce, nous serions évidemment autorisés à douter de l'immutabilité d'un grand nombre d'espèces sauvages étroitement alliées, celle des renards, par exemple, qui habitent les diverses parties du globe. Je ne crois pas, comme nous le verrons tout à l'heure, que la somme des différences que nous constatons entre nos diverses races de chiens se soit produite entièrement à l'état de domesticité; j'estime, au contraire, qu'une partie de ces différences proviennent de ce qu'elles descendent d'espèces distinctes. À l'égard des races fortement accusées de quelques autres espèces domestiques, il y a de fortes présomptions, ou même des preuves absolues, qu'elles descendent toutes d'une souche sauvage unique.

On a souvent prétendu que, pour les réduire en domesticité, l'homme a choisi les animaux et les plantes qui présentaient une tendance inhérente exceptionnelle à la variation, et qui avaient la faculté de supporter les climats les plus différents. Je ne conteste pas que ces aptitudes aient beaucoup ajouté à la valeur de la plupart de nos produits domestiques; mais comment un sauvage pouvait-il savoir, alors qu'il apprivoisait un animal, si cet animal était susceptible de varier dans les générations futures et de supporter les changements de climat? Est-ce que la faible variabilité de l'âne et de l'oie, le peu de disposition du renne pour la chaleur ou du chameau pour le froid, ont empêché leur domestication? Je puis persuadé que, si l'on prenait à l'état sauvage des animaux et des plantes, en nombre égal à celui de nos produits domestiques et appartenant à un aussi grand nombre de classes et de pays, et qu'on les fît se reproduire à l'état domestique, pendant un nombre pareil de générations, ils varieraient autant en moyenne qu'ont varié les espèces mères de nos races domestiques actuelles.

Il est impossible de décider, pour la plupart de nos plantes les plus anciennement cultivées et de nos animaux réduits depuis de longs siècles en domesticité, s'ils descendent d'une ou de plusieurs espèces sauvages. L'argument principal de ceux qui croient à l'origine multiple de nos animaux domestiques repose sur le fait que nous trouvons, dès les temps les plus anciens, sur les monuments de l'Égypte et dans les habitations lacustres de la Suisse, une grande diversité de races. Plusieurs d'entre elles ont une ressemblance frappante, ou sont même identiques avec celles qui existent aujourd'hui. Mais ceci ne fait que reculer l'origine de la civilisation, et prouve que les animaux ont été réduits en domesticité à une période beaucoup plus ancienne qu'on ne le croyait jusqu'à présent. Les habitants des cités lacustres de la Suisse cultivaient plusieurs espèces de froment et d'orge, le pois, le pavot pour en extraire de l'huile, et le chanvre; ils possédaient plusieurs animaux domestiques et étaient en relations commerciales avec d'autres nations. Tout cela prouve clairement, comme Heer le fait remarquer, qu'ils avaient fait des progrès considérables; mais cela implique aussi une longue période antécédente de civilisation moins avancée, pendant laquelle les animaux domestiques, élevés dans différentes régions, ont pu, en variant, donner naissance à des races distinctes. Depuis la découverte d'instruments en silex dans les couches superficielles de beaucoup de parties du monde, tous les géologues croient que l'homme barbare existait à une période extraordinairement reculées et nous savons aujourd'hui qu'il est à peine une tribu, si barbare qu'elle soit, qui n'ait au moins domestiqué le chien.

L'origine de la plupart de nos animaux domestiques restera probablement à jamais douteuse. Mais je dois ajouter ici que, après avoir laborieusement recueilli tous les faits connus relatifs aux chiens domestiques du monde entier, j'ai été amené à conclure que plusieurs espèces sauvages de canidés ont dû être apprivoisées, et que leur sang plus ou moins mélangé coule dans les veines de nos races domestiques naturelles. Je n'ai pu arriver à aucune conclusion précise relativement aux moutons et aux chèvres. D'après les faits que m'a communiqués M. Blyth sur les habitudes, la voix, la constitution et la formation du bétail à bosse indien, il est presque certain qu'il descend d'une souche primitive différente de celle qui a produit notre bétail européen. Quelques juges compétents croient que ce dernier descend de deux ou trois souches sauvages, sans prétendre affirmer que ces souches doivent être oui ou non considérées comme espèces. Cette conclusion, aussi bien que la distinction spécifique qui existe entre le bétail à bosse et le bétail ordinaire, a été presque définitivement établie par les admirables recherches du professeur Rütimeyer. Quant aux chevaux, j'hésite à croire, pour des raisons que je ne pourrais détailler ici, contrairement d'ailleurs à l'opinion de plusieurs savants, que toutes les races descendent d'une seule espèce. J'ai élevé presque toutes les races anglaises de nos oiseaux de basse-cour, je les ai croisées, j'ai étudié leur squelette, et j'en suis arrivé à la conclusion qu'elles descendent toutes de l'espèce sauvage indienne, le Gallus bankiva; c'est aussi l'opinion de M. Blyth et d'autres naturalistes qui ont étudié cet oiseau dans l'Inde. Quant aux canards et aux lapins, dont quelques races diffèrent considérablement les unes des autres, il est évident qu'ils descendent tous du Canard commun sauvage et du Lapin sauvage.

Quelques auteurs ont poussé à l'extrême la doctrine que nos races domestiques descendent de plusieurs souches sauvages. Ils croient que toute race qui se reproduit purement, si légers que soient ses caractères distinctifs, a eu son prototype sauvage. À ce compte, il aurait dû exister au moins une vingtaine d'espèces de bétail sauvage, autant d'espèces de moutons, et plusieurs espèces de chèvres en Europe, dont plusieurs dans la Grande-Bretagne seule. Un auteur soutient qu'il a dû autrefois exister dans la Grande- Bretagne onze espèces de moutons sauvages qui lui étaient propres! Lorsque nous nous rappelons que la Grande-Bretagne ne possède pas aujourd'hui un mammifère qui lui soit particulier, que la France n'en a que fort peu qui soient distincts de ceux de l'Allemagne, et qu'il en est de même de la Hongrie et de l'Espagne, etc., mais que chacun de ces pays possède plusieurs espèces particulières de bétail, de moutons, etc., il faut bien admettre qu'un grand nombre de races domestiques ont pris naissance en Europe, car d'où pourraient-elles venir? Il en est de même dans l'Inde. Il est certain que les variations héréditaires ont joué un grand rôle dans la formation des races si nombreuses des chiens domestiques, pour lesquelles j'admets cependant plusieurs souches distinctes. Qui pourrait croire, en effet, que des animaux ressemblant au Lévrier italien, au Limier, au Bouledogue, au Bichon ou à l'Epagneul de Blenheim, types si différents de ceux des canides sauvages, aient jamais existé à l'état de nature? On a souvent affirmé, sans aucune preuve à l'appui, que toutes nos races de chiens proviennent du croisement d'un petit nombre d'espèces primitives. Mais on n'obtient, par le croisement, que des formes intermédiaires entre les parents; or, si nous voulons expliquer ainsi l'existence de nos différentes races domestiques, il faut admettre l'existence antérieure des formes les plus extrêmes, telles que le Lévrier italien, le Limier, le Bouledogue, etc., à l'état sauvage. Du reste, on a beaucoup exagéré la possibilité de former des races distinctes par le croisement. Il est prouvé que l'on peut modifier une race par des croisements accidentels, en admettant toutefois qu'on choisisse soigneusement les individus qui présentent le type désiré; mais il serait très difficile d'obtenir une race intermédiaire entre deux races complètement distinctes. Sir J. Sebright a entrepris de nombreuses expériences dans ce but, mais il n'a pu obtenir aucun résultat. Les produits du premier croisement entre deux races pures sont assez uniformes, quelquefois même parfaitement identiques, comme je l'ai constaté chez les pigeons. Rien ne semble donc plus simple; mais, quand on en vient à croiser ces métis les uns avec les autres pendant plusieurs générations, on n'obtient plus deux produits semblables et les difficultés de l'opération deviennent manifestes.

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