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III

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Les bans étaient publiés. On ne voyait plusà l’hôtel de Morère qu’un va-et-vient perpétuel de fournisseurs empressés étalant les splendeurs destinées à la future marquise. On avait fixé le mariage à la mairie au samedi23avril et le mariage à l’église au mardi 26. Dans le monde, on ne jasait presque plus. Paris est ainsi fait qu’il est incapable de s’indigner longtemps. Ses accès de morale sont toujours à brève échéance. Il ressemble au public des théâtres de mélodrames, qui s’irrite contre le traître, cruel persécuteur de la pauvre héroïne. Mais, s’il voue le personnage aux dieux infernaux, il salue respectueusement l’acteur chargé du rôle: Peut-être les Parisiens ont-ils conscience que, la vie étant une farce lugubre, nous ne sommes tous que des comédiens chargés de jouer une pièce écrite par un Shakspeare inconnu! Puis de nouveaux scandales piquaient la curiosité des uns et des autres. Le suicide de M. Voys et son testament, le mariage de Diane, étaient oubliés comme des comètes disparues. On ne parlait même plus de Maximilien Danglars, devenu pendant huit jours «l’homme à la mode.» Durant une semaine, on n’ouvrait plus une feuille publique sans y lire plusieurs fois imprimé le nom du célèbre voyageur; les journaux quotidiens décrivaient par le menu l’appartement qu’il occupait, sa manière de déjeuner, sa façon de s’habiller et même le nombre de cigarettes qu’il fumait par vingt-quatre heures. Plus ou moins indiscrets, les journaux illustrés se contentaient de publier son portrait; quant aux photographes, comme quelques-uns ne possédaient pas le cliché représentant l’illustration du moment, ils s’étaient empressés de choisir dans leurs collections la tête qui ressemblait le plus à celle de Maximilien! Naturellement Gemma avait partagé cet engouement. Après l’Arabe et son défenseur, on s’occupa d’un personnage très répandu qui venait de se tuer en découvrant que sa femme possédait des vues particulières sur l’emploi des valets de chambre. Ensuite on passa à madame Trakof, disparue subitement du firmament parisien. On colportait mille légendes. La plus accréditée voulait qu’elle eût accompagné pour vingt-quatre heures un prince de sang royal dans quelque retraite mystérieuse. Puis on oublia la fugue de madame Trakof comme on avait oublié Gemma, Maximilien, le testament de M. Voys et le mariage de Diane.

Catherine et sa fille, elles, n’oubliaient pas. Les dates du23et du26avril étaient pour l’une l’abandon, pour l’autre la délivrance. Les intimes de la maison remarquèrent que le révérend père Brémond venait maintenant bien plus souvent qu’autrefois et que madame Kersaint ne quittait plus mademoiselle de Morère; c’est que Catherine avait besoin de résignation et Diane besoin de courage. En effet, depuis quelque temps, la jeune fille formait un projet dont elle ne s’ouvrait même pas à sa meilleure amie. Elle devenait soucieuse; on crut autour d’elle que, touchant à une heure solennelle, elle songeait à un avenir nouveau. Nul ne soupçonna que cette noble créature allait tenter un combat. Sa mère, de plus en plus sombre, sortait peu et, ne se montrant qu’aux heures de repas, ne voyait guère sa fille. M. de Morère, chargé par la société de géographie d’un rapport sur le voyage et les découvertes de Maximilien Danglars, vivait enfermé dans son cabinet. Seul, M. de Tandray rayonnait lorsqu’il ne craignait plus le regard investigateur de son ancienne maîtresse. Ses amis, amis du monde ou du cercle, savaient fort bien à quoi s’en tenir sur l’apparente froideur qu’il affectait à l’hôtel de Morère. Le vaudevilliste Lerambois prétendait que le beau marquis «était absolument envoûté,» phrase vulgaire, mais pittoresque, avant ce mérite d’être rigoureusement vraie. Cet homme sensuel, qui ne cherchait dans ses amours que la satisfaction de ses désirs matériels, aimait Diane comme s’il eût eu vingt ans.

–Ne vous y trompez pas, ajoutait un soir Lerambois dans une causerie au club, le marquis est épris sérieusement pour la première fois de sa vie. Vous allez vous récrier? vous auriez tort, car je le connais bien, allez. En1860, nous avons eu la même maîtresse pendant six mois. Nous n’avons donc pas de secrets l’un pour l’autre! Voyez, jamais il n’a pu être fidèle dans ses liaisons; il a trompé toutes les femmes qui l’ont aimé, même madame de Morère, qu’il a gardée pendant quinze ans. Et savez-vous le secret du long pouvoir de celle-ci?

Il baissa un peu la voix, comme font les hommes qui s’apprêtent à émettre une pensée qu’ils croient hardie:

–Habitude de sens: pas autre chose! Je vous assure que le cœur n’a rien eu à démêler là-dedans. Il avait trouvé en madame de Morère la maîtresse qui plaisait le plus à son corps. Car enfin, elle n’a eu que sa beauté pour elle, cette femme. Elle est bête comme une tanche; elle ne cause pas, elle récite; elle n’a jamais lu que des livres grivois ou que des ouvrages de piété: la dévotion mitigée par la licence, et Choderlos de Laclos corrigé par Massillon! Elle est incapable de donner un conseil, à moins qu’il ne soit mauvais; à souper, elle attristerait Polichinelle en goguette. elle a le Rœderer poétique! Vous voyez bien que j’ai raison, et je vous défie, au reste, de me prouver que j’ai tort!

Le vaudevilliste montrait plus d’observation dans cette seule tirade que dans toutes ses pièces réunies. Pour la première fois de sa vie, le marquis de Tandray connaissait l’amour, c’est-à-dire que, pour la première fois, il désirait d’une femme autre chose que son corps. Il découvrait chez Diane des puretés sans mélange, des chevaleries d’âme, des noblesses de conscience qui troublaient cet homme accoutumé aux galanteries charnelles. Non qu’il ne la désirât follement; mais ce désir s’épurait en raison même des sentiments plus élévés qu’il ressentait.

Huit jours avant le mariage, et malgré la froideur qu’il s’imposait en présence de Catherine, il faillit se trahir. Diane possédait une belle voix de soprano, d’un registre étendu, qu’elle maniait avec l’autorité et la science d’une artiste. Anne-Marie lui avait demandé une célèbre mélodie de Bizet, les Adieux de de l’hôtesse arabe. Elle mit tant d’âme dans cet admirable poème que Fabien de Tandray fut bouleversé. Oubliant sa réserve prudente, il s’avançait avec passion vers la jeune fille, quand celle-ci, commençant un autre morceau, le força de s’arrêter. Il comprit qu’il aurait trop de peine à se contenir; connaissant les jalousies violentes de madame de Morère, il craignit un éclat qui aurait tout perdu. Quoi qu’il lui en coûtât, il abrégea sa visite, ce soir-là, et se retira de bonne heure. D’habitude, Catherine rentrait dans son appartement, et Diane restait seule avec Anne-Marie, que M. Kersaint venait chercher à minuit. Elles aimaient toutes les deux cette heure de bonne causerie, dans le grand salon, vaguement éclairé, pendant que les bruits de la rue s’apaisaient, au dehors, et qu’un pâle rayon de lune se glissait discrètement à travers les hautes tentures. Aussi madame Kersaint fut-elle très étonnée quand, après le départ du marquis et avant la sortie de Catherine, Diane dit à celle-ci:

–Auriez-vous la bonté de ne pas vous coucher tout de suite et de m’accorder un moment d’entretien? J’ai besoin de causer avec vous, ma mère.

Madame de Morère avait déjà traversé la moitié du salon; elle s’arrêta, et se tournant vers Diane avec une surprise mêlée de crainte:

–Vous désirez causer avec moi?

–Oui.

–Venez me rejoindre dans mon boudoir; je vous y attends.

Cette crainte et cette surprise, Anne-Marie les ressentait aussi. Diane était plus pâle que d’habitude; on voyait qu’elle venait de prendre une forte résolution. Elle devina la question que son amie allait lui poser:

–Ne me demande rien. Je vais tenter auprès de ma mère une démarche décisive. Voici plusieurs jours que j’y songe; mon devoir, ma conscience me disent que je fais bien. A quoi bon t’avertir? Si j’échoue, ce serait t’attrister inutilement; si je réussis, je serai si heureuse que je courrai vite chez toi demain pour te l’apprendre.

Et comme Anne-Marie insistait, Diane mit doucement sa main pâle sur les lèvres de la jeune femme:

–Je t’en prie, ne me questionne pas; je regrette bien assez déjà d’avoir un secret pour toi.

Madame Kersaint s’en allait, fort inquiète. Qu’était donc ce secret? qu’était donc cette démarche, et comment Diane ne lui parlait-elle de rien? Certes, elle avait bien remarqué, les jours précédents, la préoccupation de la jeune fille, mais elle l’attribuait à l’événement qui se préparait. Et voilà maintenant qu’elle se trompait et que Diane lui cachait cette démarche, qu’elle-même qualifiait de décisive. Que se passerait-il entre la mère et la fille? Malgré sa curiosité anxieuse, elle ne questionna plus son amie, et se retira après l’avoir tendrement embrassée:

–A demain, n’est-ce pas? dit-elle.

–A demain.

Diane était dans le grand salon, debout, immobile, la tête haute, les yeux perdus dans le vide; elle suivait du regard une espérance lointaine, qui flottait au delà de sa pensée comme une ombre insaisissable. Enfin, elle eut un geste de résolution et s’avança vers le corridor attenant au salon, qui conduisait au boudoir de madame de Morère.

Catherine attendait, contre la cheminée, à la place même où elle avait reçu Fabien quelques semaines auparavant. Le cœur humain a des replis que la philosophie ne comprend guère et que la psychologie n’explique pas. Cette femme qui n’osait pas refuser à son amant de lui donner sa fille, qui se trouvait faible devant l’homme qu’elle craignait de ne plus revoir et de perdre tout entier; cette femme se disait tout bas que Diane lui annoncerait peut-être son intention de ne pas épouser le marquis1 Une joie inavouée l’envahissait: oui, l’entrevue sollicitée ne pouvait avoir un autre but. Il fallait un motif grave puisque, pour la première fois, sa fille demandait à lui parler de cette façon un peu solennelle. Si, en effet, elle ne se trompait pas? Certes, ce mariage rompu, M. de Tandray en conclurait un autre; mais, au moins, il n’aurait pas sujet de lui en vouloir, à elle, et avant que ce nouveau mariage fût arrêté, leur liaison pourrait se renouer. Oh! alors, elle espérait bien reprendre son ancien empire, cette domination de sens que quinze ans de satiété n’affaiblissaient pas.

Diane entra. Il y eut d’abord un silence, puis, doucement: ,

–Ma mère, dit la jeune fille, dans quelques jours je me marierai et je quitterai cette maison. Avant de nous séparer, je veux vous demander si je vous ai jamais offensée.

Catherine devint aussi rouge que Diane était pâle. Les premiers mots l’atteignaient en plein cœur. «Dans quelques jours je me marierai!... » Comme elle était loin de cette espérance où elle se raccrochait cinq minutes auparavant, ainsi que le noyé à une branche! Elle se remit assez vite cependant, et froidement:

–Je ne comprends pas bien vos paroles, dit-elle. N’importe, je vous sais gré de cette démarche. Rassurez-vous, ma fille, vous ne m’avez jamais offensée.

Diane sourit de ce sourire navré qui flottait si souvent sur ses lèvres:

–Alors, ma mère, puisque vous n’avez rien à me reprocher, pourquoi ne m’avez-vous jamais aimée?. Pourquoi ne m’aimez-vous pas?

–Diane!

–Oh! laissez-moi vous ouvrir mon cœur. J’ai dix-neuf ans, et depuis ma naissance c’est la première fois que j’ose le faire! Quand j’étais enfant, je ne voyais pas bien quelle faute j’avais pu commettre. Mais enfin je comprenais que vous me punissiez, puisque vous m’exiliez loin de vous. J’en ai bien souffert, allez! Tous les enfants de mon âge avaient leur mère auprès d’eux; quand leur mère n’était plus auprès d’eux, c’est qu’elle était morte. Alors ils se consolaient en allant voir une tombe. Moi, je ne possédais ni une mère vivante ni une tombe fermée. J’ai supporté mon sort sans me plaindre, car je ne raisonnais pas encore et quand on ne raisonne pas, on subit sans chercher à expliquer. J’ai grandi; vous m’avez mise au couvent. Je vous le jure, tous les jours pendant neuf ans j’ai attendu votre visite; vous n’êtes point venue. Plus même, vous me laissiez seule, et quand, par extraordinaire, vous consentiez à ce que je sortisse, je me heurtais à votre froideur ou à votre indifférence. Vous êtes ma mère, et je pourrais compter vos baisers depuis dix-neuf ans.

Diane parlait d’une voix si douce, si tendre que le cœur de Catherine remua. Elle eut un mouvement vers sa fille, qui crut avoir amolli ce rocher, et dans l’élan de sa nature ardente et généreuse:

–Je vous en supplie, maman, laissez-moi m’expliquer avec vous! Je vous dirai des choses bien osées pour une fille peut-être, mais c’est qu’en vérité nous sommes l’une et l’autre dans une situation si étrange! J’ai beaucoup réfléchi depuis que je suis presque une femme; vous m’en voulez sans doute à cause des souvenirs pénibles que je vous rappelle. Mon père, que je n’ai jamais connu, vous a cruellement offensée peut-être et vous reportez sur moi le ressentiment que vous aviez contre lui. Mais j’en suis innocente, mais je n’ai rien fait de mal, moi! Par grâce, si je ne me trompe pas, si j’ai deviné, fléchissez cette rancune et ne me maudissez pas d’avoir eu le malheur de naître!

, Catherine était livide: ses lèvres blêmissaient, ses yeux flamboyaient. On eût dit que les paroles de Diane éveillaient en elle des souvenirs pleins d’épouvante. Qui sait? Elle se rappelait sans doute ce secret que M. Fauré cachait à madame Vernier et que Catherine croyait bien enseveli sous les ombres du passé. Sa première émotion avait bien disparu; son premier attendrissement s’était évanoui déjà. Elle demeurait toujours debout, immobile contre la cheminée, comme si elle revoyait, par une évocation magique, ce qui avait précédé et suivi cette naissance de Diane. La jeune fille se trompa sur l’émotion de sa mère. Elle prit la terreur pour de la tendresse réveillée; n’écoutant que son cœur, elle se jeta aux pieds de madame de Morère et, couvrant de baisers des mains frémissantes qu’on n’avait pas la force de lui retirer:

–Maman, maman, s’écria-t-elle, aime-moi et je t’adorerai! C’est peut-être de ma faute si tu ne m’as pas chérie jusqu’à présent; j’aurais dû vaincre ta résistance, puisque quelque chose que j’ignore te séparait de moi! Au lieu de cela, j’ai été craintive et orgueilleuse; aussi, tu ne connais point mon cœur et tu ne sais pas les trésors de tendresse que je te réserve. J’ai eu le temps d’en amasser, va, depuis le temps! Je te dois ma confession tout entière; je disais à Anne-Marie que je ne t’aimais pas: c’est un blasphème que j’ai prononcé là et dont je te demande bien humblement pardon! Je suis toute prête à t’aimer! Comme tu regretteras le temps perdu quand tu me verras si tendre!

Elle se faisait humble, petite, attendant une réponse qui ne venait pas.

–J’ai bien deviné, n’est-ce pas? poursuivit Diane avec une chaleur croissante: c’est mon père qui est cause que tu ne m’aimes pas? Réponds-moi, je t’en supplie, maman!

–Vous vous trompez, ma chère Diane, dit enfin madame de Morère, je vous aime comme une mère doit aimer sa fille. Je vous ai élevée sévèrement, je ne le nie pas; mais j’ai toujours pensé qu’il est mauvais de garder les enfants dans leur famille. Vous y avez gagné une régularité de conduite, une instruction solide que vous n’eussiez pu acquérir si je vous avais eue auprès de moi. Je n’ai donc pas de reproche à vous adresser, si ce n’est d’être moins pieuse que je ne voudrais. Le révérend père Brémond, pour lequel je professe une haute estime, vous le savez, remarquait l’autre jour que vous n’aviez point de directeur. Je ne vous aurais rien dit sans cette confiance que vous me témoignez et qui me touche beaucoup, croyez-le bien. Notez bien, ma chère enfant, que je ne vous donne là ni un ordre ni même un conseil: il ne faut jamais peser sur la conscience des autres. C’est une simple observation dont vous ne tiendrez compte que si cela vous convient.

Ainsi voilà tout ce que sa mère trouvait à lui répondre! A l’élan du cœur, au mouvement de tendresse qui la courbait aux pieds de cette femme, on répliquait par des louanges sur sa régularité de conduite et son instruction, par des critiques sur sa tiédeur de piété! Le marbre ne s’amollissait pas sous ses humbles caresses! La froideur ne fondait pas devant ses prières ardentes! Elle se releva, essuyant les larmes qui glissaient lentement sur ses joues pâles:

–Je vous remercie de vos observations, ma mère, et je tâcherai d’en profiter, murmura-t-elle en se retirant.

–Non, non, restez encore, Diane, dit vivement madame de Morère. J’ai une question à vous poser.

La jeune fille regarda sa mère avec un étonnement douloureux. Après ce qu’elle, la fille, avait dit, après ce qu’elle, la mère, avait répondu, de quoi donc ces deux femmes pouvaient-elles encore parler? Etait-ce la blessure qu’elle portait à son cœur, blessure saignante que Catherine avivait à nouveau? Mais jamais Diane n’avait paru plus belle. Madame de Morère la contemplait, enviant ce visage pur, ces yeux admirables, ce corps de statue, cette jeunesse en pleine floraison. Elle les avait eus ces trésors de beauté, et ce qui était à jamais perdu pour elle, elle le retrouvait dans sa fille, sa rivale! Sa jalousie la mordit au cœur.

–C’est au sujet de votre mariage, continua madame de Morère. Quand M. de Tandray a demandé votre main, je vous ai laissée libre. Vous aimez donc le marquis?

–Non.

–Alors pourquoi consentez-vous à l’épouser? Je ne vous comprends guère.

Diane attacha sur sa mère un regard ineffablement triste.

–Parce que j’ai hâte de sortir de cette maison, où je ne suis qu’une étrangère. J’épouse le premier venu pour la quitter plus vite. C’est bien naturel, puisque vous ne m’aimez pas et que vous n’avez jamais voulu que je vous aimasse.

Et saluant sa mère d’une inclination de tête respectueuse, elle sortit. Quand elle eut disparu, un sourire de triomphe vint aux lèvres de Catherine.

–Elle ne l’aime pas! murmura-t-elle.

Cependant Diane était rentrée dans sa chambre. Ah! plus que jamais, elle voulait ce mariage qui serait la délivrance. Elle frissonnait encore d’avoir trouvé sa mère si implacable, de n’avoir pu pénétrer jusqu’à ce cœur qui lui restait obstinément fermé. Pour la millième fois, elle tournait et retournait dans sa tête les causes de cette aversion inexplicable; pour la millième fois ausi, elle cherchait de quelles fautes elle était coupable. C’est en y songeant d’abord souvent, puis longtemps et toujours, qu’elle en arrivait à cette conclusion d’une grande faute,–d’un crime peut-être,–commis autrefois, par son père. Elle se faisait un raisonnement assez logique, en somme. Dans le monde, on l’appelait mademoiselle de Morère; et pourtant, elle s’appelait en réalité mademoiselle Sorbier. Son beau-père l’avait-il réellement adoptée, ou bien était-ce une dénomination de complaisance? Sur l’acte de publication des bans, on la désignait ainsi: Diane S. de Morère. Évidemment, sa mère tenait à cacher le nom de Sorbier. Elle ne s’expliquait pas pourquoi, à moins qu’il n’y eût en effet une tare sur ce nom-là. Et même pour qu’il disparût en partie dans une pièce officielle, il fallait que madame de Morère eût mis en jeu de bien grandes influences. Elle ignorait que, quatorze ans auparavant, vers la fin de l’empire, un oncle de M. de Tandray avait fait un court passage au ministère de la justice. Le marquis sollicitait alors et obtenait aisément un décret de l’empereur qui rectifiait l’état civil de la fille de sa maîtresse.

Et lorsque Diane réfléchissait aux dissentiments qui existaient entre M. et madame de Morère, elle y voyait encore une preuve qui condamnait son père. Sans doute le savant souffrait d’avoir épousé la veuve de M. Sorbier. Elle n’osait prononcer si elle devait irrévocablement condamner son père. ou l’absoudre. Sans doute, il était peu généreux à M. de Morère d’en vouloir à celle dont il avait fait sa compagne; mais la jeune fille aimait trop peu cet homme pour s’en étonner. Ainsi, par un phénomène psychologique inexplicable et charmant, les soupçons de Diane portaient sur tous ceux qui la touchaient, et jamais sur sa mère. Elle la voyait pieuse, et de temps en temps considérait même cette piété comme .l’origine de sa froideur envers elle. Elle eût accusé le monde entier avant d’accuser cette marâtre! Toute la nuit qui suivit cette-cruelle entrevue, Diane versa des larmes amères. Ses soupçons prenaient corps, ses idées se dessinaient très nettement. L’aversion de la mère pour la fille venait de ce que l’une rappelait à l’autre un passé qui lui pesait; M. et madame de Morère vivaient mal ensemble parce que le second mari ne pardonnait pas le premier époux. L’erreur est souvent cruellement logique. Diane ne voyait que cette logique; elle n’apercevait pas l’erreur et se disait encore une fois:

–Mon père a été un grand coupable. Mais de quel crime?

A cela elle ne pouvait pas répondre.

La marquise

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