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PREMIÈRE PARTIE
I

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Le bataillon défilait lentement le long de la rue de Rivoli; en tête, le drapeau rouge, suivi d'une musique criarde. Peu de monde aux fenêtres. A peine quelques curieux, çà et là, les mains dans les poches, regardant ces hommes qui s'en allaient à la boucherie. Une petite vendeuse de violettes, adossée contre un magasin, ouvrait ses yeux étonnés, pendant qu'un marchand grommelait tout bas «contre ces gens qui empêchaient les affaires de marcher». De temps en temps passait un officier, au visage rouge, aux paupières injectées, engoncé dans son uniforme galonné. Il disparaissait vite par une rue latérale, poursuivi par des gamins qui criaient. Les promeneurs, très rares, pressaient le pas, vaguement inquiets. Chez les soldats, rien de ce qui relève le moral d'hommes marchant au combat. Tristes, sombres, muets, ils allaient, le front baissé, n'osant pas se regarder les uns les autres, comme si chacun craignait de voir dans les yeux de son voisin le reflet de ses terreurs lugubres.

Au loin, on battait la générale. Un roulement sourd, adouci par la distance, avec quelque chose de funèbre et d'alangui. On eût dit le rappel des condamnés. Et c'étaient des condamnés, en effet, forcés de défendre une cause perdue. Un voile de mélancolie semblait épandu sur la cité, flottant sur les fronts et les consciences. Tout ce monde portait le deuil de quelqu'un ou de quelque chose: peut-être d'un espoir écroulé.

A quelque distance de l'Hôtel de ville, une centaine d'hommes se joignaient au bataillon. Des enragés, ceux-là, trompés sans doute par les proclamations menteuses de la Commune. Il suffisait de voir leur mine conquérante, leurs yeux brillants, leurs fusils très soignés dont le canon d'acier reluisait au soleil. Ils croyaient sérieusement au patriotisme des braillards de clubs; ils croyaient au courage de ceux qui les envoyaient se battre, pendant que certains chefs restaient à l'abri. Il y avait de tout dans cette troupe, décidée à vaincre ou à mourir: des exaltés, grisés par la pensée d'un sacrifice sublime; des égarés, qu'affolaient encore les souffrances physiques et morales du premier siège; surtout, cette écume populacière que les révolutions rejettent sur le pavé des rues, écume noire, pareille à la boue qui surnage à la surface des grands fleuves troublés.

Ils se représentaient l'armée de Versailles à moitié vaincue. Elle s'évanouirait du jour au lendemain, ainsi que les vapeurs grisâtres dissipées par le premier rayon de soleil. Ils riaient, ils chantaient, essayant d'égayer la tristesse de leurs compagnons. Mais bientôt, le découragement des autres les gagnait, les enveloppait, de même qu'un lumineux coteau est assombri bien vite par les brouillards montant de la vallée.

Le bataillon s'arrêta sur la place de la Concorde. Elle se couvrait de soldats. Il en venait de droite, de gauche, par le pont, par le quai, par la rue Royale, et l'avenue Gabriel. Là encore, un dédaigneux abandon. Pas de foule. Les promeneurs ne détournaient point la tête. Les bonnes d'enfants ne s'attardaient plus; elles ne montraient pas aux petits curieux la troupe «de ces militaires», moins placides que les troupiers bonasses.

Cependant, les hommes mettaient la crosse en terre. On commençait l'appel. Les uns et les autres s'étiraient, comme déjà lassés par cette première étape: puis chacun répondait: «Présent!» ou un silence de quelques minutes suivait le nom prononcé. Les absences ne pouvaient guère surprendre. Après six mois de siège, et deux mois de guerre civile, les vides se faisaient nombreux, par la faim, par la fièvre, par la maladie qui décimait les pauvres. On ne comptait même plus ceux qui manquaient. L'homme prend l'habitude de tout, même de la souffrance et du danger.

Tout à coup, le capitaine d'une compagnie appela: «Pierre Rosny!» Et comme personne ne répliquait, il ajouta d'un ton surpris:

– Comment, Pierre Rosny n'est pas là?

Un garde national sortit du rang.

– Pierre nous rejoindra au Point-du-Jour, citoyen. Il a une consultation ce matin pour son fils.

Invoquée pour un autre, cette excuse eût soulevé les rires et les quolibets. Mais il s'agissait de Rosny. Personne ne broncha. C'était un homme convaincu et brave, ayant fait dix fois ses preuves. Nul ne se serait permis de douter de lui. S'il n'était pas venu, c'est qu'il ne pouvait pas venir. On ne suspectait ni la bonne volonté ni le courage de celui-là. Pendant une heure, ce fut une suite ininterrompue de commandements, de contre-ordres, d'appels. Des officiers passaient ventre à terre, s'éloignant dans la direction de la rue Royale; les cantinières allaient d'escouade en escouade, offrant un petit verre d'eau-de-vie rarement refusé. Mais les conversations se faisaient plus rares. Nulle part, on ne sentait l'entrain des premiers jours. Une immense lassitude, qui touchait presque au dégoût, alanguissait les cœurs et les volontés.

Enfin douze batteries d'artillerie parurent, sortant des Tuileries, traînées au grand trot par des chevaux vigoureux. Ce fut un roulement de tonnerre, pendant que les canons filaient le long des Champs-Élysées, leurs gueules de bronze tournées vers ce Paris qu'elles voulaient défendre. Un homme grand, sec, habillé d'une longue redingote noire, fit quelques pas sur la chaussée, jetant un regard aigu sur les bataillons rangés. Il inclinait un peu la tête en marchant, comme si elle eût plié sous le poids d'une responsabilité trop lourde. L'œil, fixe et brillant, s'illuminait par instants de rapides éclairs. On sentait là une volonté qui pensait. Un léger tressaillement nerveux secouait le bas du visage. Alors les lèvres minces et pâles s'entr'ouvraient, montrant des dents très blanches. Cet homme était le citoyen Delescluze, délégué à la guerre. Il monta sur un banc et leva la main. Tous les bataillons s'ébranlèrent les uns après les autres dans un ordre remarquable. A force de se battre, ces ouvriers devenaient des soldats. Puis, sous la volonté puissante de ce révolté, ils sentaient mollir les vieilles rébellions toujours prêtes à bondir dans leurs âmes. La longue file noire s'engagea dans l'avenue des Champs-Élysées où le soleil de mai jetait d'éblouissantes nappes de lumière. L'artillerie semblait plus menaçante parmi cet appareil guerrier, dans ce gai retour du gai printemps. Le ciel bleu riait, la brise tiédie embaumait; les arbres exilés au Rond-Point des Champs-Élysées et au Cours-la-Reine, pouvaient se croire encore dans la profondeur sombre de la forêt natale. «Mai qui fleurit, cœur qui rit», dit la chanson. Les cœurs gémissaient cependant, les yeux pleuraient, et là-bas, dans la grande ville, saignait l'immense troupeau des veuves et des orphelins.

Ce n'était pas fini. La Commune concevait le rêve tragique de s'ensevelir sous les ruines fumantes de Paris. Furieusement, elle poussait ces hommes au combat; ils croyaient mourir pour une Idée, et ne tombaient que pour assouvir l'ambition effrénée de quelques-uns. On racontait que ce jour-là l'armée des rebelles tentait une grande sortie: la sortie de malheureux poussés par des chimères et se ruant vers l'Impossible.

Les pavés de Paris s'entr'ouvraient pour vomir des bataillons. De la Bastille à l'Arc-de-Triomphe, montait une foule énorme, remuante, sombre à l'œil. Ondulante et secouée comme un serpent gigantesque, elle déroulait ses anneaux d'acier d'où sortaient des canons de fusil et des baïonnettes aux reflets sinistres. Mais à la Bastille, les bataillons ne s'embrigadaient pas comme aux Champs-Élysées. Ceux de ce quartier-là formaient l'arrière-garde. Ainsi, dans la rue Jean Baussire qui se tord sur elle-même pour aller du boulevard Beaumarchais à la place, c'étaient des allées et venues sans fin. A la porte d'un petit pharmacien, situé vers le milieu de la rue à côté d'un hôtel borgne, une longue file stationnait, impatiente et souffreteuse. On faisait queue pour les médicaments, maintenant, comme naguère pour le pain et pour la viande. Le pharmacien se hâtait et se démenait, ne sachant où donner de la tête. Aidé de ses deux élèves, il préparait hâtivement les ordonnances, sans intérêt, sans pitié pour les malades, qui attendaient de lui la guérison. A peine eut-il un geste d'empressement, quand un garde national entra, disant:

– La potion est-elle prête?

– Voilà, citoyen Rosny.

Le citoyen Rosny était un homme de quarante ans, grand, brun, pâle, d'une figure énergique. Il prit délicatement la fiole entre ses mains calleuses, avec un soin infini, comme s'il craignait de la briser. Il balbutia un remerciement furtif, puis, sortant de la pharmacie, traversa rapidement la rue. Il entra dans une maison triste d'apparence et noircie par le temps. En guise de porte, une cloison disjointe suintant l'humidité. L'étroit escalier conduisait à des chambres pauvres occupées par des ouvriers vivant au jour le jour. Qui donc parmi ces malheureux possédait encore des économies après les épreuves de ces mois terribles? Au cinquième étage, le citoyen Rosny s'arrêta et frappa contre une porte, en disant très bas: «C'est moi, Françoise.» La porte s'entre-bâilla et se referma rapidement, pendant que Françoise répliquait, également à voix basse: «Prends garde. Il ne faut pas changer la température.» La chambre était petite, mais très propre; les murs nus et reluisants, les rideaux éblouissants, les carreaux vierges attestaient des soins de tous les instants.

– Comment est Jacques? continua Pierre sur le même ton.

– Toujours calme.

Et la jeune femme, en disant ces deux mots, couvait d'un ardent regard un garçon de seize ans qui sommeillait, étendu dans le lit. Les yeux du père et de la mère se rencontrèrent dans une commune pensée. Françoise embrassa tendrement son mari:

– Voyons, ne te tourmente pas, reprit-elle. Le docteur est certain que tout danger a disparu. Tu sais bien qu'il amène aujourd'hui son maître, un grand savant. Ah! je suis plus inquiète de toi que de Jacques, va, maintenant!

Avec une expression de haine farouche, elle étendait son poing fermé dans le vide, comme pour en menacer des ennemis lointains. Elle était belle ainsi, dans l'éclat de ses trente-cinq ans, avec sa crinière blonde qui donnait un caractère étrange à sa figure d'une pâleur mate. Cette fille du peuple avait l'élégance innée. Grande, bien faite, elle semblait créée pour le luxe; ses yeux d'un bleu très sombre, étincelaient; le front haut, un peu bombé au-dessus des tempes, prouvait l'intelligence, et le regard révélait une énergie vaillante. Pierre Rosny oubliait l'enfant pour une minute. Maintenant il contemplait sa femme avec une expression de tendresse fière. Françoise réveilla son malade, et lui fit boire une gorgée de potion.

– Comment es-tu, Jacques?

– Bien, maman. Merci.

– As-tu encore sommeil?

L'enfant sourit:

– J'ai toujours sommeil, murmura-t-il.

Il ferma de nouveau les yeux, pendant qu'elle le baisait au front. Puis, bordant avec soin la couverture, elle revint auprès de son mari, qu'elle entraîna dans un coin de la chambre.

– Tu partiras après la visite du docteur?

– Oui, j'ai fait avertir le capitaine que je rejoindrais le bataillon au Point-du-Jour. Oh! j'ai le temps.

Françoise hésitait. Elle reprit:

– Tu crois que c'est pour aujourd'hui la grande sortie?

– Pour aujourd'hui ou pour demain. En tous cas, je resterai peut-être deux jours dehors. Il faut en finir, tu comprends. Ça ne peut pas durer toujours. Et encore, Dieu sait quand je retrouverai du travail! Après la guerre, les maçons, les menuisiers auront de l'ouvrage: il y a tant de maisons par terre, et tant de ruines à relever! Mais nous autres, les compositeurs d'imprimerie! Si c'est la Commune qui l'emporte: bon. Et puis, il y aura toujours les trente sous par jour. Mais si ce sont les autres? Tu sais bien ce qu'on nous raconte. A Versailles, ils veulent faire la monarchie, et une monarchie comme avant 89; c'est-à-dire plus de Chambre, plus de libertés, plus de journaux. On cassera les presses, et personne n'aura le droit d'être imprimeur. Si on supprime les journaux, on ne permettra pas les livres non plus. Pense donc! Une censure comme autrefois! Alors, qu'est-ce que nous deviendrons, nous autres, les compositeurs? Tu vois bien que j'ai raison de me mettre en colère et de désespérer.

Cet homme intelligent, presque instruit, qui avait beaucoup lu Jean-Jacques, débitait sérieusement ces balourdises énormes. Il croyait aux mensonges des clubs, aux calomnies de quatre ou cinq feuilles publiques. Comme tant d'autres fédérés, il s'imaginait que des bandes de chouans marchaient sur Paris. La folie faisait délirer ce cerveau, de même que déliraient aussi d'autres cerveaux moins solides. Il avait eu des succès dans les réunions publiques avec son élocution facile et un peu déclamatoire. Ces applaudissements faisaient de lui un sectaire, un fanatique. Tous ses amis se jetaient dans le mouvement insurrectionnel, et il les suivait naturellement.

– C'est effrayant, tout ce que tu me dis là. Et tu admets que l'ancien régime pourrait revenir?

– Il faut bien le croire, puisqu'on nous l'affirme. Est-ce que tu t'imagines qu'on se battrait, s'il ne fallait pas sauver la Liberté?

Françoise cachait sa tête pâle entre ses mains. Ses cheveux blonds, mal retenus par le peigne, tombaient maintenant sur ses épaules, et la jeune femme s'auréolait d'une splendeur fauve. Elle reprit, haussant la voix, avec un geste brusque:

– Si ce que tu racontes est vrai, c'est nous qui serons les vainqueurs. On ne recommence jamais le passé. Ce qui est fini est fini. Est-ce qu'une barque remonterait le courant de la Seine? Je ne peux pas croire aux folies qu'on débite. Supprimer toutes les libertés! Comment vivrait le pauvre monde? Il y a des moments où je m'imagine qu'on colporte ces histoires-là, pour que, vous autres, vous ayez du cœur à vous battre. Du moment que tu me dis que c'est vrai, toi, un honnête homme, c'est bien, je te crois. Alors, c'est moi qui ai raison. Nous l'emporterons. Et nous l'emporterons, parce que nous avons pour nous le bon droit et le bon sens.

– Ma brave Françoise!

– Et puis, nous ne pouvons pas avoir donné pour rien nos larmes et notre sang! Ah! ce que j'ai peur, vois-tu! Tu vas retourner là-bas… Et si tu ne revenais pas?

Dans un mouvement de passion, elle se jetait dans les bras de Pierre, collant ses lèvres à celles de son mari. Elle l'aimait tant! Ils se rencontraient un jour, dans un square, ils causaient ensemble pendant une heure, et se plaisaient tout de suite. Lui, vingt-deux ans; elle, seize. La liaison s'ébauchait rapidement. Vers le milieu de la journée, il disait «mademoiselle Françoise»; et elle l'appelait «monsieur Pierre». Ils se racontaient leur histoire commune, avec la confiance touchante et sublime des êtres bons.

Lui, travaillait dans une imprimerie. Un bon métier: il gagnait huit francs par jour. Mais, par exemple, il ne fallait pas bouder à la besogne. Son patron l'estimait; il espérait bien être un jour metteur en pages dans un journal. Oh! alors, il deviendrait riche, il aurait vite des économies. Cette bambine de seize ans se montrait ravie d'en apprendre si long. Ce qui touche à l'imprimerie comme ce qui touche au théâtre, intéresse toujours les êtres intelligents. L'un et l'autre ne servent-ils pas à grandir et à exalter la pensée humaine?

A son tour, Françoise parlait d'elle. Elle était dans un atelier de couture, appartenant aux célèbres demoiselles Standisch. De même que Pierre, elle donnait des détails amusants, racontant les niches que se faisaient les ouvrières, les bavardages de celle-ci, les amours de celle-là. Pierre s'égayait:

– Est-ce que vous avez aussi des amoureux, mademoiselle Françoise?

– Moi? jamais! répliquait la jeune fille, en le regardant bien en face, de ses yeux purs et tranquilles. Mon parti est pris. Je veux me marier, aimer mon mari, avoir un enfant. Voyez-vous, monsieur Pierre, il y a celles qui sont honnêtes et celles qui ne le sont point. On ne peut pas se montrer coquette et rester sage. On ne joue pas avec l'amour d'un honnête homme. Si on l'aime, il faut le lui dire, et si on le lui dit, il faut l'épouser.

Les jeunes gens se quittaient, charmés l'un de l'autre. Ils se revoyaient le dimanche suivant; et, peu à peu, Pierre apprenait à estimer Françoise, à l'aimer davantage. Le compositeur jugeait bien vite son caractère. Elle était absolument droite, foncièrement loyale; en revanche, violente et passionnée. Elle haïssait «les bourgeois»: ce qu'elle appelait les «gens qui se sont seulement donné la peine de naître»! Pourquoi cette exaltation absurde chez une créature honnête qui jugeait sainement les choses? Sans doute le reflet d'une éducation première, l'enseignement d'une mère envieuse et jalouse. Peu importait ce mauvais grain, jeté par hasard dans une si bonne terre. Tant de qualités faisaient oublier ce défaut-là! Courageuse, active, ne reculant jamais devant la fatigue, et disant d'une certaine façon: «Cela est bien» ou «Cela est mal», qui faisait comprendre tout de suite que cette enfant de seize ans irait droit dans la vie, sans dévier jamais du chemin du devoir et de l'honneur. Deux mois après, ils s'épousaient. Neuf mois, jour pour jour, après le mariage, Jacques venait au monde. Et dès lors, ils vivaient tous les trois, heureux et fiers. Après dix-sept ans de labeurs et de soins, le ménage économisait enfin quelque argent. En mai 1870, il possédait 4,000 francs à la caisse d'épargne. Dans le quartier, – ils demeuraient alors rue Saint-Antoine, – tout le monde aimait ces braves gens, si beaux, si bons, si travailleurs. Puis la guerre éclatait, et Jacques devenait garde national. Il entrait dans les bataillons de marche, car il voulait se battre. Et il se battait bien, aux avant-postes, du côté du fort de Montrouge. Mais plus de travail, plus de gain. On commençait de manger les économies; le bon temps était passé, et le malheur allait venir.

Assise auprès du lit, Françoise évoquait tous ces souvenirs, et des larmes coulaient de ses yeux. Vrai, depuis quelques mois, elle payait bien son bonheur passé. Au 18 mars, voilà que Pierre se jetait dans la Commune! Elle n'osait pas le retenir, croyant qu'il faisait ce qu'il devait faire. Alors recommençaient les éternelles angoisses. Les deux seuls êtres qu'elle aimât, toujours en péril!

Cependant, Jacques se rendormait. Le mari et la femme se rapprochaient de la fenêtre et causaient encore, mais à voix très basse pour ne pas éveiller l'enfant. Pierre dit pour la seconde fois:

– Vrai, tu n'es plus inquiète de Jacques?

– Non. Malheureusement, les forces sont lentes à revenir.

A dix heures seulement, le docteur parut, accompagné d'un autre homme de haute taille, à l'œil vif, au front puissant. C'était le docteur Grandier, médecin en chef des hôpitaux, un savant illustre; mieux qu'un homme illustre: un homme très bon. Il salua respectueusement Françoise et hocha la tête, mécontent, en voyant la vareuse de garde national sur le dos de Pierre. Enfin, se tournant vers son jeune collègue, un de ses anciens internes:

– Alors, vous me disiez, Borel?..

– Je vous disais, mon cher maître, que ce jeune garçon revient de loin. Une balle dans le corps, rien que ça!

– Une balle… par accident?

– Non pas, s'il vous plaît, mon cher maître! Un joli lingot de plomb, en pleine poitrine, à Montretout.

M. Grandier restait stupéfait. Il regardait Pierre et Françoise comme s'il les prenait pour des fous.

– C'est votre fils, n'est-ce pas, Madame? Vous êtes assez jolie et assez jeune pour que je vous adresse cette question.

– Oui, Monsieur, répliqua-t-elle, rougissant un peu.

– Mais c'est un bambin! quel âge a-t-il?

– Seize ans et demi.

– Et vous le laissez s'engager? Vous êtes bons tous les deux à mettre à Charenton!

– Oh! il est parti malgré moi, répliqua Françoise, en ébauchant un vague sourire de fierté. Son père, mon mari que vous voyez là, se battait aux avant-postes, pendant le premier siège. Moi, je restais seule avec Jacques. L'enfant devenait triste. Il ne se plaisait même plus à pétrir de la terre glaise. Car c'est un artiste, Monsieur! Il usait ses journées à regarder les troupes défiler, et il fermait les poings d'un air sombre. Un matin, il m'a dit: «C'est honteux de penser que je suis ici à ne rien faire, quand les autres se battent!» Je demeurais tout interdite, toute frissonnante. Pensez donc! je tremblais déjà pour mon mari. Est-ce que j'allais encore trembler pour mon fils? «Mais tu es trop petit, Jacques. Il n'y a pas un seul bataillon où on voudrait de toi!» Il m'a répondu, en hochant la tête: «Alors, pourquoi père me racontait-il autrefois de si belles histoires? Celle de Bara, tambour à quatorze ans; celle des volontaires de seize ans, qui s'enrôlaient pour courir à la frontière?» Je ne savais trop que répliquer. On a tort de mettre certaines idées dans le cerveau des enfants. Pendant huit jours encore, Jacques restait songeur, tout triste. Il rentrait tard, le soir. Un matin, il m'a dit: «Écoute, maman, je voudrais t'obéir, mais il n'y a plus moyen. Bersier… tu sais, Bersier, le graveur qui m'a appris à dessiner? eh bien, il est sergent dans les francs-tireurs. Il m'a fait inscrire dans sa compagnie. Je partirai tantôt. Pardonne-moi, maman! mais je n'y tenais plus!» Et il me sautait au cou, m'embrassant, me câlinant. Moi, j'étais bien malheureuse, mais aussi toute fière! Oh! je peux dire cela, Jacques dort, il ne m'entend pas. Il y a une âme de héros et d'artiste dans cet enfant. J'ai souri; et j'ai répondu: «Va te battre, puisque tu y tiens tant que ça!» Mais après son départ, je me suis mise à sangloter; je maudissais le sort. Ah! que je souffrais, quand la nuit tombait toute noire, toute glacée! Je pensais à mon pauvre petit, déjà intelligent, fier et hardi comme un homme. Quinze jours après, on se battait à Montretout. Jacques sautait le premier dans le jardin de M. Gounod, où se cachaient six cents Badois. Et il tombait, la poitrine traversée. Voilà notre histoire, Monsieur.

Françoise parlait simplement, avec une émotion concentrée, mais profonde. Elle jetait sur Jacques un long regard chargé d'amour. Le petit héros dormait toujours, et son sommeil souriait. Peut-être rêvait-il fièrement aux belles actions accomplies. M. Grandier détournait la tête. Il ne voulait pas laisser voir les larmes qui roulaient dans ses yeux. Rien ne remue un homme de cœur comme la rencontre soudaine d'un caractère. Les êtres supérieurs ont plaisir à rencontrer la supériorité chez les autres.

– Voulez-vous me donner la main, Monsieur? dit-il en se tournant vers Pierre Rosny. L'homme et la femme qui ont mis au monde et qui ont élevé cet enfant-là sont de braves gens.

– Vous nous le guérirez, n'est-ce pas, docteur? s'écria Pierre dans un élan de reconnaissance.

M. Grandier souriait maintenant.

– Laissez-moi le voir d'abord, que diable! répliqua-t-il avec sa bonhomie charmante. Bien sûr, on le guérira. Il n'y a pas déjà tant de Français comme votre petit! D'ailleurs, Borel s'y connaît. S'il répond de son malade, c'est que tout va bien.

L'illustre médecin s'asseyait près du lit, et réveillait Jacques doucement. Le blessé ouvrait les yeux et regardait avec confiance la figure du savant où rayonnait la bonté.

– C'est le maître du docteur, Jacques.

– Bonjour, monsieur Borel, dit le jeune garçon en tendant la main au médecin, devenu son ami.

Puis, il reportait les yeux sur M. Grandier qui l'étudiait maintenant avec son regard pénétrant de psychologue. Il avait les cheveux blonds de sa mère; et, comme elle aussi, des yeux d'un bleu sombre, fiers, passionnés et résolus. Il tenait entièrement de Françoise. On eût dit que l'âme de cette femme était entrée dans le corps de cet enfant. Le visage, pâli par la souffrance, par les longues semaines passées au lit, s'amincissait au menton, accusant une finesse énergique. Les lèvres se dessinaient très nettement: signe de volonté et de courage. Quant au front, il apparaissait large et puissant sous les cheveux blonds.

– Borel a raison, pensait M. Grandier. Il y a là un homme.

Il continua, reprenant son sourire bienveillant:

– Mon cher enfant, je vais examiner votre plaie.

– Merci, Monsieur. Si vous saviez comme M. Borel a été bon pour moi!

– Allons, Jacques, tais-toi! répliqua celui-ci.

– Non, je ne me tairai pas! Vous avez été bon, très bon. Sans vous, je serais mort dix fois. Je suis heureux de le dire et de le répéter. Je serai heureux de m'en souvenir, surtout.

Au regard ardent et concentré qu'il jetait sur M. Borel, on voyait que Jacques saurait tout se rappeler, en effet: le bien comme le mal.

– Certainement, il a raison de n'être pas ingrat! s'écria M. Grandier. Voyons, il faut que j'inspecte tout ça. Borel, racontez-moi l'histoire.

– Voici, mon cher maître. La balle est entrée à gauche du sternum, entre la cinquième et la sixième côte. Elle a traversé le médiastin antérieur. Elle est ressortie à droite de la colonne vertébrale, entre la quatrième et la cinquième côte.

– Pristi! la belle blessure!

Pour une minute, la science l'emportait sur la pitié. Jacques se mit à rire.

– Votre phrase m'amuse, Monsieur. Ah! le Badois qui me visait a bien tiré!

– Il est charmant, ce petit. Continuez, Borel, je vous écoute.

– Naturellement, dans les premiers temps, fièvre intense, jusqu'à ce que la suppuration ait été bien établie. Pour l'aider j'avais introduit un drain sur le devant et à la partie postérieure. La fièvre a duré jusqu'au 5 ou 6 février. La suppuration, assez faible au début et de nature douteuse, se modifia. La cicatrisation du fond de la blessure s'effectuait normalement. La plaie du dos guérit la première, vers le 20 février. Celle de la poitrine suppura jusqu'au commencement de mars. Quelques jours après, je remarquai des symptômes d'irritation pleurétique que j'attribuai au traumatisme. J'ai dû combattre cette affection qui menaçait de tourner à la tuberculose. C'est pourquoi j'ai gardé Jacques au lit si longtemps. Aujourd'hui, je voudrais qu'il se levât, qu'il allât à la campagne, pour respirer de l'air et du soleil. Vous seul déciderez. Enfin, je désirais surtout que vous connussiez mon ami Jacques.

M. Grandier écoutait attentivement. Il examinait le blessé avec soin.

– Mon avis est bien simple, mon cher Borel. Vous avez soigné ce garçon-là comme si vous étiez Hippocrate lui-même. Votre ami Jacques est devenu aussi le mien. La semaine prochaine, il pourra commencer à se lever; un tout petit peu d'abord, pour s'habituer à l'air, à l'exercice. Dans quinze jours, je l'emmènerai à la campagne. Vous voulez bien me confier votre fils, monsieur Rosny? Et vous aussi, Madame?

Pierre, dans sa reconnaissance, eût embrassé cet homme, qui faisait tant de bien avec si peu de phrases. Françoise ne disait rien: elle pleurait. Jacques et M. Borel se regardaient en souriant; et M. Grandier sentait son cœur battre délicieusement en présence de la joie qu'il apportait dans cet humble logis d'ouvriers. Rien n'est plus grand que le génie uni à la bonté.

– Maintenant, poursuivit M. Grandier, après avoir vu la plaie du blessé, je veux voir les essais de l'artiste. Car il paraît que vous êtes ambitieux, mon garçon. Il ne vous suffit pas d'imiter le jeune Bara: vous voulez aussi recommencer Michel-Ange!

– Oh! Monsieur! murmura Jacques, souriant de plaisir.

M. Grandier suivait Françoise, qui le conduisait dans une petite pièce, attenante à la chambre à coucher. Jacques s'en servait en guise d'atelier. Là, gisaient sur le carreau rouge des blocs de glaise séchés, des bas-reliefs non finis, des médaillons commencés: ébauches presque informes, mais pleines de vie et de mouvement. L'illustre médecin s'étonnait à présent devant les essais de l'artiste, comme tout à l'heure devant l'héroïsme de l'enfant. Le savant sentait en cette argile grossière les beautés mystérieuses du marbre qui palpiterait un jour sous la main d'un ouvrier sublime. Il voyait étinceler la flamme du génie; cette flamme inconnue qui brille doucement, avant que le labeur, l'étude, la réflexion la fassent rayonner dans tout son éclat.

– Travaillez, mon ami, dit-il en rentrant dans la chambre, travaillez, et vous serez un grand artiste; je vous le promets. Embrassez-moi!

Jacques souriait plus ouvertement. Son visage blanc s'illuminait. Il lui était doux qu'on louât son courage: plus doux encore qu'on louât ses œuvres. Après l'avoir embrassé, M. Grandier ajouta:

– Je viendrai vous revoir. Mais, auparavant, vous aurez eu de mes nouvelles.

– Quelles nouvelles? demandait Jacques, curieux.

– C'est mon secret! Au revoir, monsieur Rosny; Madame, je vous présente mes respects. Vous sortez avec moi, Borel: j'ai besoin de vous parler.

Et arrivés sur le palier humide:

– Ce Rosny est un brave homme. Empêchez-le donc de se compromettre davantage dans la Commune. Vous devez avoir de l'influence sur lui?

– Aucune. Je ne pourrais pas plus empêcher le père de se battre contre nos amis de Versailles, qu'on n'a pu empêcher le fils de se battre contre nos ennemis les Allemands. Une famille d'entêtés!

– Ce petit Jacques est adorable…

– N'est-ce pas? Aussi j'ai pensé que vous en parleriez au Président… Pardon, à votre grand ami.

– Je songeais à cela, tout à l'heure. Justement, je dîne à Versailles ce soir. Je raconterai l'histoire, et je réponds du succès. Au revoir, mon cher Borel. Je vous remercie de m'avoir amené ici.

– Au revoir, mon cher maître.

L'illustre médecin descendait l'escalier, tout rêveur. Il pensait à ces caprices du destin qui va chercher un fils d'ouvrier, dans un quartier obscur, pour faire peut-être de lui un glorieux artiste. Cependant, M. Borel rentrait dans la chambre.

– Eh bien, vous êtes contents tous les trois?

– Oh! oui, bien contents, s'écria Jacques.

Françoise serrait silencieusement la main du docteur.

– Alors, je peux m'en aller tranquille? demanda Pierre.

– Que le diable vous emporte!

– Docteur…

Le médecin haussait les épaules.

– Mon maître me disait tout à l'heure de vous faire de la morale. A quoi bon? On ne fait pas de la morale aux mulets! Je vous ai déjà répété vingt fois la même antienne. C'est enrageant de voir un brave homme tel que vous risquer sa peau dans cette aventure sanglante. J'ai mon franc parler, moi, vous savez! Comme si vous ne feriez pas mieux de lâcher tous ces gens-là… Il vous en cuira, Rosny, c'est moi qui vous le prédis. Si vous échappez à la bataille, vous n'échapperez pas à la défaite. Et ce sera terrible, allez! Oh! je parle dans le désert, je sais bien. Je vous connais tous les trois: vous écoutez poliment les conseils qu'on vous donne, et vous n'en faites qu'à votre tête.

– Mais le devoir, docteur…

– Le devoir, c'est de travailler pour votre femme, et de soigner votre enfant. Il ne m'écoute plus. Ah! l'entêté! A demain, mon ami Jacques.

– A demain, monsieur Borel.

Pierre accompagna le médecin sur le palier. Il rentrait bientôt. Le mari et la femme se retrouvaient seuls. Françoise restait toute songeuse. Les paroles du docteur sonnaient lugubrement à son oreille. Elle prit un livre sur la cheminée et le tendit à Jacques.

– Tiens, mon chéri. C'est le livre que Mlle Aurélie a apporté pour toi, pendant que tu dormais. Je vais cinq minutes dans ma chambre avec ton père.

– Merci, maman.

Et quand Françoise eut emmené son mari dans la pièce voisine.

– M. Borel a peut-être raison, dit-elle de sa voix brève et nerveuse. Pourquoi retournes-tu te battre?

– Françoise…

– Oh! je n'essaierai pas de t'en empêcher. Tu prétends que c'est ton devoir. Et tu sais, je suis une vaillante. Toutes ces craintes du docteur, il y a longtemps que je les partage. Si ce n'était encore que les balles et les obus, eh bien, on leur échappe. Mais après!..

Elle frissonnait. L'énergie de son regard s'éteignait lentement sous l'effort d'une pensée cachée.

– Calme-toi, mon amie.

– Oh! je suis calme. Mais il a raison, vois-tu. Chez eux comme chez nous, on est féroce. Ce n'est plus la guerre, tout ça. Il paraît qu'à Versailles on tue les prisonniers. Et nous en faisons autant. Oh! pas toi! Tu es bon, toi; c'est tout naturel, puisque tu es brave. Mais si on te fusillait!

Pierre la prenait dans ses bras et l'étreignait longuement. Maintenant, il riait, pour chasser les idées funèbres qui hantaient le cerveau de Françoise.

– Où diable as-tu donc la tête! reprit-il gaiement. Voyons, voyons, est-ce que tu vas t'effrayer comme une femmelette? D'abord, on ne tue pas les prisonniers. Ainsi, ce n'est pas la peine de t'épouvanter, comme cela, sans raison. C'est appeler la mauvaise chance que de tant la redouter. Est-ce que je n'ai pas eu du bonheur, jusqu'à présent? J'ai échappé à tout! Pourquoi n'en serait-il pas toujours ainsi? Nous retrouverons le bon temps, va, et notre vie heureuse d'autrefois. On ne me tuera pas, on ne me fusillera pas. Au contraire, je reviendrai bien vivant, et nous irons nous installer tous les trois dans un grand quartier, plein de soleil.

D'habitude, quand Pierre lui parlait ainsi, Françoise retrouvait sa confiance. Cette fois, elle restait sombre.

– Qu'est-ce que tu as, voyons? dit-il tendrement.

– J'ai… j'ai peur.

– Toi, si courageuse de coutume?

– Je n'ai pas de courage, aujourd'hui. Je ne sais pas pourquoi… Mais je frissonne en te voyant partir. C'est absurde. On ne devrait pas être comme ça. Embrasse-moi, mon ami, et va-t'en. Ton bataillon est en marche déjà. Plus tu attendras, plus tu auras de chemin à faire pour le rejoindre.

Cependant Pierre prenait son fusil dans un coin, il attachait son sabre, il inspectait sa musette. Françoise redevenait énergique pour sourire au moment des adieux à cet homme qu'elle adorait.

– As-tu bien tout ce qu'il te faut? demanda-t-elle. Montre-moi ta gourde. Bon: elle est pleine. Emporte le gros châle brun: les nuits sont encore fraîches. Allons, va, Pierre; ne t'expose pas trop. Va… va…

– Quel cœur tu as!

– Le cœur que tu m'as fait. Il est facile à une femme d'être une bonne compagne et une bonne mère, quand elle aime et quand elle est aimée.

Ils rentraient dans la chambre du petit blessé. Jacques s'était rendormi. Au moment de franchir la porte, l'ouvrier s'arrêtait une dernière fois. Il embrassait encore, ardemment, tendrement, cette superbe et vaillante créature qui lui donnait tous les trésors de son cœur et de sa beauté. Puis, tourné vers le lit, il envoyait un baiser à Jacques, n'osant pas s'approcher de son fils, craignant de troubler son sommeil.

– Embrasse-le aussi, dit tout bas Françoise attendrie. Il est si faible le pauvre petit! Ce n'est pas ton baiser qui l'éveillera…

Alors, cet homme rude et brave marchait sur la pointe des pieds, se faisant petit, discret, pour son cher malade. Jacques dormait, comme à l'arrivée du docteur Borel et de M. Grandier, souriant à quelque songe délicieux, avec le calme bien-être des convalescents. Son fin visage, légèrement ombré par ses cheveux blonds, disparaissait à demi dans les blancheurs de l'oreiller. Pierre contemplait sa femme et son fils: les deux seules tendresses de sa vie. Il les quittait pour ne les revoir jamais, peut-être. Et maintenant, les sinistres pressentiments de Françoise l'envahissaient, hantant son cerveau, troublant son esprit. Il se répétait tout bas les sages conseils de M. Borel. S'il se trompait, après tout? Si son devoir ne lui commandait pas d'aller se battre? Si les gens de Paris avaient tort, et raison ceux de Versailles? Toutes les hésitations qui torturent le cœur d'un honnête homme remuaient en lui. Où était le devoir? Dans sa famille, ou sur le champ de bataille? Il chassait vite ces idées. Est-ce qu'il ne le connaissait pas, son devoir? Et depuis quand reculait-il au moment de l'accomplir? Il ne pouvait pas être dans l'erreur, depuis tant de semaines que sa conscience l'approuvait.

Doucement, il se penchait vers l'oreiller, et embrassait Jacques sur le front. Puis, s'éloignant du lit, sur la pointe des pieds, il faisait signe à Françoise de le suivre.

– S'il m'arrivait malheur, murmura-t-il d'une voix altérée, jure-moi que tu en ferais un homme.

– Ah! je te le jure!

Et comme s'il craignait de ne pouvoir résister à la lâcheté de sa tendresse, Pierre se précipita au dehors.

Mademoiselle de Bressier

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