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ACTE PREMIER
SCÈNE IV

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CÉSARINE, MONTJOIE

CÉSARINE

Vous auriez mieux aimé suivre ma nièce?

MONTJOIE

Quelle idée!

Il lui baise la main

CÉSARINE

Mon Dieu, que cet homme est séduisant! Ah! si je vous avais rencontré dans mon jeune temps… j'aurais été en danger.

MONTJOIE

Mais non, mais non.

CÉSARINE

Je vous assure!

MONTJOIE

Mais non, mais non.

CÉSARINE, baissant la tête

Oh! je me connais, allez!

MONTJOIE

Pourquoi voulez-vous donc absolument me poser en don Juan?

CÉSARINE

Vos aventures sont célèbres! Vous êtes un homme romanesque. Votre père vous avait laissé cent mille livres de rentes et vous les avez mangées.

MONTJOIE

C'est l'histoire éternelle.

CÉSARINE

Si bien qu'aujourd'hui…

MONTJOIE

Ma foi, je ne regrette rien. J'ai eu de belles années, tant que j'ai eu des héritages à recueillir. J'ai dévoré deux tantes chanoinesses, consommé six cousins podagres, anéanti trois oncles asthmatiques. Ils ont tous été très gentils. Chacun d'eux a disparu au moment psychologique. Mon dernier oncle, en me léguant sa fortune, a stipulé que je changerais mon nom pour le sien. J'avais fait tant de folies sous le nom de Louis de Bruniquet, que je n'ai pas été fâché de m'appeler à l'avenir Louis de Montjoie.

CÉSARINE

Et que vous reste-t-il de ces folies?

MONTJOIE

Le souvenir. C'est quelque chose! J'ai remarqué que les aventures d'amour vous plaisaient beaucoup.

CÉSARINE, baissant les yeux

A mon âge… et quand on n'a pas aimé…

MONTJOIE

On croque les pommes d'autrui.

CÉSARINE

En imagination. Cela console de ne pas avoir croqué les siennes quand on avait des dents. Que voulez-vous? Je suis une vieille fille. J'ai rêvé d'amour comme une autre: d'amour platonique, bien entendu.

MONTJOIE

Platonique?

CÉSARINE, avec dignité

Sachez que c'est celui que les femmes demandent toujours.

MONTJOIE

Et ne pardonnent jamais.

CÉSARINE

Aussi, n'ayant pas de roman dans ma vie, je lis ceux qu'on écrit, et j'écoute ceux qu'on raconte. Connaissez-vous la belle Ipsiboë?

MONTJOIE

Qu'est-ce que c'est que cette dame?

CÉSARINE

Une dame très bien: l'héroïne d'un roman de M. d'Arlincourt. Elle est amoureuse d'Almaric. Almaric, c'est vous.

MONTJOIE

Comment, Almaric c'est moi?

CÉSARINE

C'est-à-dire que vous lui ressemblez. Aussi laissez faire et crier. Vous épouserez ma nièce. Elle sera très heureuse avec vous. Vous êtes si romanesque! Vous admettrez bien que je connaisse Édith, puisque je l'ai élevée dans mes idées.

MONTJOIE

Cependant, ma chère demoiselle, voilà trois mois que je lui fais une cour assidue.

CÉSARINE

Les anciens preux attendaient leurs belles pendant des années.

MONTJOIE

Malheureusement, nous sommes au XIXe siècle.

CÉSARINE

Une époque de prosaïsme! On se voit, on s'aime, on se marie! Autrefois on allait en Palestine.

MONTJOIE

Il n'y a plus de Palestine.

CÉSARINE

On va à Fontainebleau!

MONTJOIE

J'ai peur que Mlle Édith ne m'aime pas.

CÉSARINE

Vous n'avez personne à craindre. Ce n'est pas Claude Morisseau, avec ses théories extraordinaires… J'ai vu Édith sourire en l'écoutant: et une jeune fille ne s'éprend que de celui qui la fait rêver. Ce n'est pas M. Delcroix, ni…

MONTJOIE

Vous ne parlez pas du seul qui soit à redouter: du capitaine Daniel.

CÉSARINE, éclatant de rire

Vous êtes fou, mon bon ami. D'abord, c'est un artilleur. Ensuite, c'est un garçon froid, hautain, cassant, et qui n'a rien de romanesque. Je suis sûre qu'il n'a jamais eu qu'une petite existence bourgeoise, très plate et très ordinaire. Il a fait un traité scientifique sur… Comment appelez-vous ça?

MONTJOIE

Sur l'Hérédité physique et morale d'après la doctrine de Darwin.

CÉSARINE

Et vous croyez que ma nièce aimera un monsieur qui a fait sur l'hérédité physique et morale?.. Enfin, Édith ne le connaît que depuis deux mois, et voilà huit jours qu'il n'a point paru à la maison.

MONTJOIE

Vous êtes ma providence. J'aime votre nièce pour elle, non pour sa fortune. Si elle ne veut pas de moi…

CÉSARINE

Elle voudra de vous!.. D'ailleurs, je vais interroger Édith. Seulement, avant de me prononcer en votre faveur, une question: Êtes-vous bien corrigé? Oh! je sais ce que je veux dire. Une bonne petite passion qui ressusciterait après le mariage… C'est ce que je crains surtout.

MONTJOIE

Vous avez bien tort, ma chère demoiselle. Certes, j'ai médiocrement vécu, et vous avez le droit de vous méfier. Remarquez pourtant que le passé devrait vous être un sûr garant de l'avenir. Quand on a beaucoup pratiqué les amours faciles, on n'a plus qu'un rêve: être un bon mari très fidèle et très bourgeois. Vous voyez en moi un don Juan? Eh bien! toutes les femmes que j'ai rencontrées ne font pas la monnaie d'une seule Elvire. Oh! mon Dieu, non! En commençant par Mme Rita, danseuse à l'Opéra, et en finissant par Coralie, ma grande passion.

CÉSARINE, vivement

Qu'est-ce que c'était que madame ou mademoiselle Coralie?

MONTJOIE, embarrassé

C'est assez difficile à dire.

CÉSARINE

Une cocotte?

MONTJOIE

Une cocotte… et je l'ai aimée follement. Jugez de ma naïveté! Elle m'a fait souffrir, comme de raison, et m'a mangé un peu de mon cœur et beaucoup de mon argent. En la quittant, j'étais ruiné; l'héritage de mon oncle est venu à point. Après un long voyage, je me suis retiré à Montauban, où je caresse l'espérance d'un bonheur si calme.

CÉSARINE

Ce qui ne vous empêche pas…

MONTJOIE, à part

D'être romanesque! Elle y tient.

CÉSARINE

Confiez-moi le soin de vos affaires. Elles iront bien.

MONTJOIE

Hum! le capitaine Daniel plaît beaucoup à M. Godefroy.

CÉSARINE

Aussi, vous aimez ma nièce, et vous égratignez quelquefois son père.

MONTJOIE

Il m'agace.

CÉSARINE

Voilà trente ans qu'il m'agace, moi! et je le supporte!

MONTJOIE

Il se croit un grand collectionneur, et il encombre son musée de bêtises.

CÉSARINE

Cela vaut mieux que d'en faire.

MONTJOIE

Oh! il cumule!.. Il se croit au-dessus des préjugés…

CÉSARINE

Parce qu'il en a peur.

MONTJOIE

Et des questions d'argent…

CÉSARINE

Parce qu'il est riche. Rassurez-vous. L'important est de savoir au juste ce que pense Édith. Envoyez-la-moi. Je vais l'interroger.

MONTJOIE

Merci. Vous me direz toute la vérité? J'ai du courage. Si elle ne m'aime pas…

CÉSARINE

Allez la chercher dans le jardin.

MONTJOIE

Tout de suite. (Il se dirige vers le perron. – S'arrêtant.) Je n'aurai pas été bien loin: la voici.

Édith paraît

Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose

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