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CHAPITRE PREMIER

Table des matières

SES DÉBUTS. — PREMIER MARIAGE.

LUCIEN BONAPARTE était le troisième fils de Charles Bonaparte et de Lætitia Ramolino. Charles, mort jeune à Montpellier, en 1785, laissait huit enfants, cinq garçons et trois filles, savoir:

JOSEPH, né en 1768, mort à Florence en 1844 (roi de Naples et d’Espagne).

NAPOLÉON, né en 1769, EMPEREUR DES FRANÇAIS, mort à Sainte-Hélène en 1821.

LUCIEN , né en 1775, mort à Viterbe en 1840.

ÉISA, née en 1777, morte à Trieste en 1820 (grande-duchesse de Toscane).

Louis, né en 1778, mort en 1846 (grand connétable de France, roi de Hollande).

PAULINE, née en 1780, morte en 125 (princesse Borghèse).

CAROLINE, née en 1782, morte en 1839, femme de Murat (reine de Naples).

JÉRÔME, né en 1784, mort en 1860 (roi de Westphalie).

Nous passerons rapidement sur les premières années de Lucien Bonaparte, pour arriver à l’époque où il entra dans la vie politique et prit place dans les Assemblées.

Il commença ses études au collège d’Autun et les termina au séminaire d’Aix, après un court séjour à l’école de Brienne. Il se destinait alors à l’état ecclésiastique. La Révolution éclata peu après sa sortie du séminaire; il l’accueillit avec enthousiasme et jeta la soutane aux orties. Lorsque Paoli, dont il était devenu le secrétaire, souleva la Corse pour la placer sous la souveraineté des Anglais, Lucien se sépara de lui pour suivre ses aînés, Joseph et Napoléon, qui demeuraient fidèles à la France. La famille Bonaparte, poursuivie, proscrite, vit sa maison brûlée et dut s’échapper et fuir à Toulon, à peu près ruinée, et momentanément, tout au moins, réduite à une grande pauvreté.

Lucien, à la faveur de l’intérêt qu’excitaient les réfugiés corses, obtint une place de garde-magasin des vivres à Saint-Maximin, petite ville du Var. Douze cents francs d’appointements. C’était maigre. Cependant, malgré l’infimité de sa situation, il commence, dès lors, à se faire une notoriété. Il parle dans les clubs, il parle bien, avec la conviction qui se communique et la chaleur qui entraîne. Il ne se fait pas remarquer seulement pour sa faconde, mais encore pour sa raison, beaucoup plus grave que ne le laisserait supposer son âge. Il n’a que vingt ans. Il avait, du reste, acquis déjà un titre plus sérieux à une sorte de célébrité. Pendant la Terreur, étant président du club révolutionnaire, il avait, au péril de sa vie, arraché au bourreau nombre de suspects qu’un proconsul envoyait à la guillotine. Sur l’ordre de Lucien, on sonna le tocsin, les patriotes se rassemblèrent, et à la voix généreuse de leur chef, délivrèrent les prisonniers et chassèrent les délégués terroristes.

A propos de cet épisode, nous lisons dans les Souvenirs de son fils, le prince Pierre-Napoléon Bonaparte, les lignes suivantes:

«Pour sa récompense, après le 9 thermidor, il fut

«appréhendé au corps par un de ceux qu’il avait sauvés

«d’une mort certaine, un certain Rey, escorté de beaucoup

«de royalistes, et il fut traîné dans un cachot, d’où

«il eut quelque peine à sortir. En racontant cet épisode

«à mes frères et à moi, il avait coutume de dire: «Faites

«le bien toutes les fois que vous pourrez, mais toujours

«sans compter sur la reconnaissance de ceux que vous

«obligez, car l’ingratitude est essentiellement dans la

«nature humaine, et la gratitude est l’exception.»

Nous sommes en 1794: Lucien a vingt ans. Il s’éprend d’une jeune fille, sœur de l’aubergiste chez lequel il loge, mademoiselle Catherine Boyer, et l’épouse.

Catherine Boyer, — que son mari baptisa Christine, et qui, dans certaines biographies, est désignée sous le nom de Christine-Éléonore Boyer, — sans être d’une beauté parfaite, avait le charme qui attire le regard et pénètre le cœur. «Elle était grande, bien faite et svelte;

«elle avait dans la taille et dans la démarche ce moelleux

«abandon et cette grâce native que donnent l’air et le

«ciel du Midi. Son regard était bienveillant, son sourire

«doux.» Lucien l’adorait, et elle méritait son amour, car l’aimable jeune femme, dont malheureusement l’éducation avait été complétement négligée, et qui ne put signer l’acte de son mariage, ne sachant pas écrire, tenta l’impossible pour s’élever jusqu’à son mari. «Elle avait

«tout fait pour s’instruire, et l’on a d’elle des lettres bien

«tournées, pleines de cœur, très femme», dit M. Frédéric Masson dans l’étude dont nous avons parlé. «C’était

«maintenant, cette fille de l’aubergiste de Saint-Maximin,

«une des élégantes de Paris, sachant au mieux ce

«qui lui seyait, faisant fort bien les honneurs d’un salon

«où tout le monde s’empressait de paraître et où, un an

«plus tard, le premier Consul ne dédaignait pas de se

«rencontrer avec madame Récamier et l’élite de la société

«nouvelle.»

Elle mourut le 4 floréal an VIII (14 mai 1800). Lucien fut en proie à un véritable désespoir.

«Immense et première douleur de ma vie, écrit-il;

«Christine Boyer, ma femme, vient de mourir. C’est avec

«sa cendre inanimée que j’entre dans le manoir acquis

«pour elle et embelli à son intention. Ame douce et

«pure! etc., etc.»

Il lui éleva un tombeau dans son parc de Plessis-Chamant. Il y venait chaque jour avec ses filles cultiver le jardin funéraire, et se fit peindre par Gros, dans une attitude mélancolique, près du buste de Christine.

En 1795, Lucien obtint une place d’inspecteur dans l’administration militaire à Saint-Chamant. Mais, — étrange retour des choses dans les époques révolutionnaires, — il fut bientôt arrêté comme suspect, et par quelques-uns des suspects mêmes qu’il avait arrachés à la mort. On le conduisit en prison à Aix. Il fallut, pour l’en faire sortir, l’influence de son frère, qui le fit nommer alors commissaire des guerres aux armées d’Allemagne et du Nord.

L’année suivante, il retourna en Corse, chargé d’instructions de Bonaparte. Ce fut là qu’il apprit les rapides victoires du jeune général, et que lui arriva la nouvelle du coup d’État du 18 fructidor.

Lorsque fut décidée la campagne d’Égypte, Bonaparte proposa à Lucien de l’emmener avec lui. Mais celui-ci, qui avait acquis en Corse une grande popularité, informé que ses concitoyens se proposaient de l’envoyer au conseil des Cinq-Cents, préféra courir les chances de cette élection. Il y avait, à la vérité, deux obstacles qui devaient la rendre parfaitement inutile; d’abord, la députation était complète; ensuite, Lucien n’avait pas atteint l’âge de l’éligibilité. Malgré tout, il fut nommé par acclamation. Si illégale et superflue que fût cette élection, le prestige du jeune vainqueur de la campagne d’Italie était si grand, que le Conseil passa par-dessus la loi, ou plutôt en fit une spéciale, pour n’avoir pas à repousser de ses rangs un frère du glorieux général. L’Assemblée valida donc l’élection, et Lucien Bonaparte vint prendre part aux débats législatifs.

Le prince Lucien Bonaparte et sa famille

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