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SOUVENIRS DE VOYAGE
CHAPITRE I
Départ pour la Suisse

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Je quitte Vannes demain, 3 novembre, avec ma petite Georgette, je vais passer quelques jours dans ma famille. Je vais lui dire adieu avant de la quitter. Je pars effrayée du présent, inquiète de l’avenir! Reverrai-je ce petit coin de terre où j’ai vécu longtemps déjà? Reverrai-je mes parents, mes amis, ma maison, le sweet home, avec tous ses objets intimes et familiers qui vous font retrouver la vie vécue, où vous apercevez accrochés dans tous les coins vos plus chers souvenirs, tristes ou gais? Telles sont les pensées mélancoliques qui se mêlent aux apprêts du départ.

Saint Jérôme n’a-t-il pas dit: «La douleur qu’on éprouve en quittant ses amis est proportionnée à l’amour qu’on leur porte. Tantus dolor in amittente quantus amor in possidente.»

Aussi, comme mon pauvre cœur est troublé! mais n’importe, la France est bouleversée, un ennemi vainqueur et cruel l’enserre de toute part. Il arrivera pire peut-être. La guerre civile peut succéder à la guerre étrangère, mieux vaut être au loin à ces heures fatales… d’ailleurs, deux femmes seules, une mère et sa fillette ne peuvent être d’aucun secours pour la Patrie…

Le 10 novembre, je monte avec Georgette dans l’omnibus de Ploërmel, qui conduit à la gare de Questembert. Malgré ma tristesse, je me sens disposée à tout voir, à tout admirer, à m’abandonner au charme du nouveau, de l’inconnu.

Oh! les belles fougères qui bordent la route, ce sont les seules verdures maintenant; cependant, en voilà beaucoup que la gelée a cuivrées d’abord, teintées de feu ensuite. Elles vont mourir. Les arbres aussi sont dépouillés!

Je me penche souvent à la portière pour apercevoir encore ce pauvre et cher petit Ploërmel, d’où datent mes plus lointains souvenirs d’enfance.

Mes compagnons de voyage sont insignifiants, je m’absorbe dans mes pensées où les regrets et l’appréhension marchent en se coudoyant. Georgette est enchantée de la locomotion, mais comme à son âge on se fatigue vite de la même chose, je l’ai munie de quelques friandises qui lui seront une ressource contre l’ennui.

A Questembert, nous montons dans le train avec un vieux monsieur qui me fait songer au Juif-Errant: il en a assez l’extérieur, et me raconte qu’il vient de parcourir les villes de l’Est. Le voici à l’Ouest, et il parle de se diriger vers le centre. Nous le perdons à Nantes, mais le retrouvons au buffet de Tours, le lendemain matin à six heures; le temps est affreusement froid, la neige commence à tomber. Là, nous montons encore dans le même wagon et continuons notre voyage pêle-mêle, avec des soldats de toutes armes, dont quelques-uns sont blessés. Un turco réclame, en me tutoyant, mes soins pour panser sa blessure. Je me hâte de témoigner ma sympathie à ce héros obscur, à ce bon enfant de l’Afrique, qui pleure au souvenir de son pays, et de ceux qu’il a laissés là-bas. En reconnaissance de ce que je fais pour lui, il tire du fond de ses grandes poches des pommes et des morceaux de sucre qu’il offre à Georgette, s’excusant de n’avoir rien de meilleur, et nous avons toutes les peines du monde à lui faire garder ses petites douceurs qui lui sont nécessaires et dont il veut se priver pour nous. Sous son enveloppe basanée et rigide, bat un cœur généreux. Louis XVII, dans sa sombre prison du Temple, n’avait-il pas gardé la plus belle des deux pommes, que la Simon lui jeta un jour en pâture, pour la donner au médecin qui venait le soigner.

La délicatesse de sentiments est de toutes les conditions.

Les belles campagnes de la Loire m’apparaissent ensevelies dans les neiges. Comme tout ce pays doit être beau l’été, coteaux couverts de vignes, noyers chevelus, rivières argentées, prairies verdoyantes, châteaux princiers. Quelle richesse! c’est bien là le jardin de la France. A Vierzon, l’aspect change. Le pays devient triste et pauvre, ici disparaît notre compagnon biblique. Nous subissons un long arrêt de quatre heures, la gare est encombrée de militaires aux uniformes les plus variés et les plus fantaisistes, j’y vois des francs-tireurs en grand nombre, tout ce monde va rejoindre le gros de l’armée de la Loire et se dirige vers Bourges.

Bourges, que nous saluons seulement au passage, est dans une situation délicieuse. Arrivés à Saincaize très tard, nous nous installons, après un maigre et très cher souper au buffet, dans la salle d’attente pour trois ou quatre heures, et chacun dort comme il peut.

Vers trois heures du matin, il faut se réveiller piteusement pour prendre la ligne de Dijon, nous entrevoyons vaguement Moulins, Roanne blanchis de neige, et nous entrons dans les montagnes de la Côte-d’Or, avec des tunnels à n’en plus finir et des chalets pittoresquement situés, qui font déjà rêver à la Suisse. La campagne est splendide aux environs de Lyon. Nous y arrivons à onze heures du matin, nous avons trois heures d’arrêt, tâchons de les bien dépenser. Je descends bravement en ville, et m’aventure jusqu’à la place Bellecour.

Si ce n’était le drapeau rouge qui flotte à l’Hôtel-de-Ville, et les proclamations séditieuses qui tapissent tous les murs, on pourrait croire que la ville est calme. Nous prenons la ligne de Genève vers deux heures, franchissons le Rhône majestueux, puis la Saône.

Ah! quel admirable fleuve que le Rhône! On devrait écrire l’histoire des fleuves, comme on écrit celle des hommes. N’est-ce pas sur leurs bords riches et féconds que s’élèvent les plus belles cités, et ne se trouvent-ils pas ainsi entièrement liés à l’histoire des peuples?

Le Rhône est le plus beau des fleuves de l’Occident.

«C’est, par excellence, le fleuve historique de l’Europe. S’ouvrant sur la Méditerranée, la mer classique du monde ancien, et directement orienté vers le nord, le Rhône était destiné à devenir le grand chemin des nations. C’est par lui qu’ont pénétré tour à tour les Phéniciens, les Grecs, les Romains, et avec eux tous les arts, tous les cultes, tous les conquérants, tous les trafiquants de la Méditerranée. C’est sur ses rives que se sont passés les évènements les plus décisifs de notre histoire.»

Bientôt nous n’avons plus qu’un horizon de montagnes. Ici commencent mes étonnements, mes exclamations; le train marche fort lentement, les tunnels font le bonheur de Georgette et mon désespoir. A Culoz, embranchement pour Aix-les-Bains, j’ai envie d’y aller coucher, et fais d’inutiles tentatives pour faire changer de direction à mes bagages, impossible d’y parvenir; il faut renoncer à voir ce beau lac du Bourget, qui a si bien inspiré Lamartine, et repartir pour Genève. Nous remontons en wagon, l’heure avance, les voyageurs descendent peu à peu, et nous restons seules dans notre compartiment, Georgette dort paisiblement, moi j’ai trop envie de voir autour de moi pour y songer. A Bellegarde, dernière station française, encore longue attente, visite des passeports, il fait noir comme terre. Au moment où le train va se remettre en mouvement, un grand jeune homme, à barbe fauve, avec un large manteau, escalade la portière de notre wagon et se promène avec agitation de long en large. Je vois dans mon guide que nous allons entrer dans le tunnel du Credo, long de treize cents mètres, le train suit des courbes effrayantes, je n’ai encore rien vu de pareil, ce ne sont que précipices à droite et à gauche, et j’ai de sinistres pressentiments. Le grand jeune homme fauve cherche à lier conversation et à me faire admirer les belles horreurs qui nous environnent, mais je refuse obstinément de mettre la tête à la portière, même pour regarder les chutes du Rhône, croyant deviner que ce sera le moment fatal où le brigand me plongera entre les deux épaules, le poignard qui doit être caché sous son manteau. Je n’ai d’yeux que pour suivre chacun de ses mouvements, ce qui donne peut-être une autre direction à ses idées et lui fait croire de ma part à une sympathie spontanée.

J’ai tout lieu de m’arrêter à cette supposition, car au bout d’une demi-heure, il essaie de me témoigner que la sympathie est réciproque. Enfin, vers onze heures nous arrivons sains et saufs à Genève, où mon inconnu s’empresse de me chercher une voiture et de me rendre quelques menus services. Nous nous quittons fort poliment, mais jamais je n’oublierai les dangers imaginaires que j’ai couru de Bellegarde à Genève.

Voyages loin de ma chambre t.1

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