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SOUVENIRS DE VOYAGE
CHAPITRE VI
Kehl, Strasbourg, douloureuse histoire, Bade et ses environs, Fribourg-en-Brisgau, Heidelberg, la Forêt-Noire

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Après quarante-huit heures de séjour à Bâle, nous montons en wagon avec deux Russes qui vont comme nous à Strasbourg. – Nous voyageons aussi avec des officiers prussiens que nous perdons pour en reprendre d’autres à chaque station.

Le soir, très tard, nous entrons à Kehl, impossible d’aller plus loin. Nous sommes régalées dans notre hôtel du bruit d’un banquet à l’occasion de la paix. Hélas! c’est partout le chant de gloire des vainqueurs. Le lendemain, j’ai visité Kehl presqu’entièrement détruit par le canon de Strasbourg: la gare n’existe plus. C’est une arrivée continuelle de troupes allemandes débarquant au chant de l’hymne national, avec des bouquets au canon de leurs fusils. Ces chants allemands sont assez beaux et graves, mais ils tintent à mon oreille comme un glas. Départ pour Strasbourg; le pont de Kehl n’est encore réinstallé que provisoirement.

Nous allons tout doucement; on distingue parfaitement d’ici Strasbourg et ses ruines. Nous y arrivons au bout d’une demi-heure: les Prussiens travaillent à réparer les portes de la ville. Il y a à la gare un encombrement de troupes impossible à décrire. Je ne sais comment réussir à avoir mes bagages. Cependant les employés, grands et petits, sont polis à l’égard de tout ce qui parle français. Je pense qu’il est dans leur nouvelle tactique de se rendre aimables.

Enfin j’ai mes bagages, sans trop d’ennuis, et je me dirige vers la place Kléber dont la statue n’a pas été endommagée; mais l’hôtel de l’état-major qui tient tout un des côtés de la place est complètement détruit, le cours de Broglie, le théâtre et la bibliothèque sont dans le même état. Quant à la cathédrale, les Prussiens y ont déjà fait quelques réparations, mais les magnifiques vitraux sont tous brisés, et ce seul dommage est évalué à un demi-million. Nous avons voulu faire l’ascension de la tour: Georgette était la plus intrépide, mais arrivée à une hauteur de quatre cents pieds, j’ai refusé d’aller plus loin, me sentant prise de vertige. La vue était cependant bien belle: même d’où nous étions, nous apercevions les Vosges et le Rhin, brillant au soleil comme un large ruban d’argent. Mais la merveille des merveilles est la magnifique horloge, qui date du quatorzième siècle, où nous avons vu sonner trois heures. Le coq a déployé ses ailes, la mort est apparue avec sa faux, puis trois apôtres ont salué Notre-Seigneur en passant devant lui, et sont allés frapper leur coup sur le timbre. Une visite très intéressante aussi a été celle du Temple protestant St-Thomas, qui renferme le tombeau du maréchal de Saxe par Sigalle, puis deux momies d’un seigneur allemand et de sa jeune fille en costume de fiancée.

Pauvre Strasbourg, combien faudra-t-il d’années pour cicatriser tes plaies et relever tes ruines?

Pendant que tu saignes encore, la nature a repris ses airs de fête. Les cigognes, oiseaux sacrés du Rhin, insoucieuses de la guerre et des révolutions bâtissent leur nid. La terre a revêtu ses parures de fleurs et les arbres leurs verdoyants feuillages.

Les Strasbourgeois qui aimaient la France, comme des fils aiment leur mère, font mal à voir, les femmes particulièrement ont un air d’abattement qui vous va droit au cœur. On vient de me raconter une histoire qui prouve leur patriotisme. Dans la maison qui touche l’hôtel où nous sommes descendues, habite une dame veuve, que le hasard nous faisait suivre ce matin en revenant de la messe. Avant-hier, cette dame logeait chez elle trois officiers prussiens qui se plaignaient de ne pas être admis dans son salon. Hier au soir, ils reçoivent une invitation. Ils arrivent à huit heures.

Le salon était obscur; à la lueur de la lampe unique qui l’éclairait, ils entrevoient plusieurs femmes vêtues de noir et assises au fond de la pièce.

La maîtresse de la maison les voyant entrer va à eux, les amène à la première de ces dames, et la leur présentant:

«Ma fille, dit-elle; son mari a été tué pendant le siège.»

Les trois Prussiens pâlissent. Leur hôtesse les amène à la seconde dame.

«Ma sœur, qui a perdu son fils unique à Frœschwiller.»

Les Prussiens se troublent. Elle les amène à la troisième.

«Madame Spindler, dont le frère a été fusillé comme franc-tireur.»

Les trois Prussiens tressaillent. Elle les amène à la quatrième.

«Madame Brown, qui a vu sa vieille mère égorgée par les uhlans.»

Les Prussiens reculent. Elle leur désigne la cinquième.

«Madame Hullmann qui» mais les trois Prussiens ne la laissent pas achever, et, balbutiant, éperdus, ils se retirent précipitamment comme s’ils eussent senti l’anathème et les malédictions de ces pauvres femmes en deuil tomber sur leur tête.

10 mai 1871.

Les évènements en France n’ont fait que s’aggraver; ils ont dérangé tous mes plans de retour immédiat.

Je me décide à aller voir Bade qui n’est qu’à huit lieues de Strasbourg.

Le chemin de fer marche tranquillement, ce qui permet d’admirer une nature luxuriante, et de jolis villages qui semblent avoir été jetés là tout exprès pour faire point de vue au premier plan, pendant qu’au second plan se déroule une série de collines couronnées de ruines féodales. Voici Achern où l’on garde les entrailles de Turennes, à un quart d’heure tout au plus de Salzbach où le héros fut tué.

Voici Bükl qui se montre fier de son vin rappelant de loin notre Bourgogne, nous a-t-on dit, car nous n’en avons pas bu. Les grands vins allemands sont hors de prix, nous nous contentons de la bière de Strasbourg que nous trouvons bonne.

On prétend que la meilleure bière du monde sort de la brasserie que le domaine de la couronne de Bavière possède à Munich depuis plusieurs siècles; mais, comme nous n’avons point non plus goûté cette bière là, nous ne pouvons faire la différence.

Depuis quinze jours, nous sommes à Bade, la plus coquette des villes; je croyais n’y venir que pour quelques jours; hélas! l’insurrection de Paris n’est pas encore calmée. N’est-ce pas horrible cette guerre civile, cette guerre fratricide succédant à la guerre étrangère?

Il est probable que je vais me diriger sur la Belgique, ne voulant pas séjourner plus longtemps en pays ennemi. Cependant Bade me semble un vrai paradis pour les touristes.

Voyages loin de ma chambre t.1

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