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SOUVENIRS DE VOYAGE
CHAPITRE III
Fribourg, le Moléson, Gruyères

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J’ai le pressentiment que c’est à Fribourg que je m’arrêterai. Nous descendons à l’hôtel des Merciers, tout près de la vieille cathédrale Saint-Nicolas. Ce matin j’ai parcouru la ville. Quel aspect étrange! Avec ses terribles vieilles tours posées en sentinelles, et les fenêtres de ses maisons ornées de riches et lourdes grilles en fer, elle a conservé le cachet moyen-âge. La cathédrale possède une chaire et un baptistère en pierre sculptée qui sont remarquables, ainsi que la magnifique grille séparant le chœur de la nef.

Elle possède aussi les célèbres orgues d’Aloys Mooser. Au dire des Fribourgeois, qui en sont très fiers, ce grand orgue est comme celui de Harlem, en Hollande, une véritable merveille. A lui seul, il mérite le voyage de Fribourg.

On m’a fait remarquer sur la petite place, le vieux tilleul de Morat; son grand âge et le glorieux souvenir qu’il rappelle, le rendent l’objet d’un culte tout particulier de la part des habitants, moi je ne l’ai pas regardé du même œil, il m’a rappelé la victoire des Suisses sur les Français, et quoique cela remonte loin, cette vieille défaite du passé, en ce moment où nous en comptons tant dans le présent, m’a jeté du froid dans l'âme. Quand l'âme souffre, que ce soit celle de la Patrie ou des individus, elle voit partout des allusions à ses propres malheurs.

Voici la légende de ce tilleul:

Un jeune guerrier apportait à Fribourg la grande nouvelle de la victoire remportée à Morat sur Charles-le-Téméraire, en 1476. Il tenait en main une branche de tilleul, mais épuisé par le combat et la course, il tombe et meurt en arrivant. C’est sur l’endroit même où il rendit l'âme qu’on planta son rameau de tilleul, qui est devenu l’arbre vénérable et quatre fois séculaire, que je viens de contempler.

C’est sur l’emplacement de l’ancien château du duc Zaehringen Berthold IV, margrave de Bade, fondateur de Fribourg, que s’élève l’hôtel de ville.

Une partie de la cité fribourgeoise est bâtie sur des rochers à pic, l’autre partie au pied de ces rochers, sur les bords de la Sarine. Pour communiquer de la ville haute à la ville basse, il faut descendre des escaliers couverts interminables placés quelquefois sur le toit des maisons de la partie inférieure.

Ses deux ponts, d’une élévation prodigieuse, suspendus l’un sur la Sarine, l’autre sur l’étroite et profonde vallée du Gotteron sont vraiment jetés au-dessus de deux abîmes. Il y a beaucoup d’anciennes églises curieuses à visiter et plusieurs vieux monastères aux environs de la ville; ces monuments d’un autre âge, sont pour le voyageur une agréable vision du passé; la charmante petite chapelle de Notre-Dame-de-Lorette plantée au sommet d’un rocher à pic, tout au bord de la Sarine, retient aussi les touristes: elle fut construite en 1647, d’après le modèle de la Casa Sancta, et renferme de nombreux et très curieux ex-voto. Les orgues sont aussi d’Aloys Mooser.

De ce point élevé, on jouit d’un magnifique panorama. A l’ouest on voit les monts du Jura, au sud le Moléson, et la vallée de Gruyères, célèbre par ses fromages appréciés du monde entier.

Décidément, Fribourg me plaît; nous allons y installer nos quartiers d’hiver, je viens de louer un appartement chez M. de Fiwaz, zélé catholique, ancien défenseur du pape et de Ferdinand VII. Grâce à ses conversations intéressantes sur la Suisse et l’Italie, je ne m’ennuierai pas trop ici. Ce bon Suisse ainsi que la plupart de ses compatriotes témoigne d’une grande sympathie pour la France, il me procure des journaux autant que j’en puis lire, et je suis parfaitement au courant des nouvelles de la guerre. Son désir de m'être agréable en tout est si évident, il a tant de prévenances pour ses deux Françaises que je lui pardonne ses politesses un peu exagérées, qui ne vont point à son excellente et simple nature. Georgette et lui sont une paire d’amis, il va tous les jours la conduire à l’école, la tenant cachée sous son immense pelisse de fourrure. C’est ainsi qu’ils font presque toutes leurs promenades; petits souliers et grandes bottes, trottant sous le même manteau.

Grâce à M. Fiwaz, nous avons assisté hier à un petit spectacle fort réjouissant. Nous avons entendu trois Jodler d’Apenzell en costume national. Ces troubadours modernes portent la culotte jaune, la veste rouge, des boucles d’oreilles et des médaillons féminins au cou. Leur chemise est attachée par des boutons plats en argent. Une courte pipe est suspendue à leur boutonnière; le fameux Ranz des Vaches a clos la séance. Nous avons écouté religieusement cet air populaire dont l’audition inspirait jadis aux mercenaires de l’Hélvétie une nostalgie si vive qu’ils n’hésitaient pas à déserter dès qu’ils en avaient entendu les premières mesures. Un petit incident est venu rompre le charme, nos artistes même, en chantant, n’avaient point lâché leur énorme pipe de porcelaine, et l’un d’eux au beau milieu de son exécution s’est arrêté pour la rallumer, en battant le briquet suivant l’antique usage de l'âge de pierre. Je n’ai pas osé rire, mais j’en avais bien envie.

Je suis toujours au premier chapitre de mes étonnements et de mon admiration, je ne me fatigue pas du spectacle grandiose des montagnes. Comment décrire ces masses abruptes, farouches, toutes noires avec leur capuchon de neige, les pics, colosses fantastique, les gouffres, abîmes sans fond, les clameurs sinistres des torrents, la plainte affolée du vent, comment décrire tout cela entendu et vu quand la nuit bat son plein, que le silence enveloppe la terre sous les ruissellements d’un ciel plein d’étoiles? Quelle fascination! cette contemplation muette, c’est une prière, et vous vous sentez troublé jusqu’au plus intime de votre être. Le touriste avide d’émotions suggestives, de sensations neuves, fera bien aussi d’aller voir un lever de soleil dans les montagnes. C’est quelque chose de féerique que ni la parole ni la plume ni même le pinceau ne peuvent rendre.

«Frangé d’or, l’horizon s’embrasait; et, le soleil, lentement comme s’il eût hésité à prendre son essor dans l’immensité radieuse dont il colorait les nuées des milles couleurs du prisme, cernant de rouge et de vert de bleu et de jaune, de violet et de rose les contours de ces îles aériennes, archipel merveilleux jeté en l’azur du firmament infini, le soleil incandescent et infixable dans son éblouissante ascension, montait majestueux au milieu des astres soudainement évanouis… Sur les monts la lune s’éteignait…»

Quand le temps le permet, je pérégrine volontiers avec M. Fiwaz, il me donne toutes les explications voulues, à l’aide de ses connaissances historiques et géographiques, je m’instruis, et nos promenades me semblent très attrayantes. J’ai consenti à faire à dos de mulet l’ascension du Moléson, à deux mille mètres d’altitude. C’est ma première ascension… je crois bien que ce sera aussi ma dernière. Vue splendide, fatigue intense… je ne sais lequel l’emporte sur l’autre. Du sommet du Moléson, on découvre les lacs Léman, Neuchâtel, Morat et Bienne, les villes d’Evian, Thonon, une partie de Genève, Morges, Romont, Neuchâtel, Morat, Fribourg, une partie de la Savoie et du Jura français et suisse.

Je suis aussi allée à Gruyères, une petite ville à sept lieues de Fribourg, bâtie sur un monticule. Elle s’enorgueillit de son antique château, résidence des comtes de Gruyères du neuvième au seizième siècle. Elle a deux industries: le tressage de la paille et principalement la fabrication du fromage, qui s’étend dans toutes les campagnes.

Je soupçonne M. Fiwaz d’embellir un peu ses récits. Il m’a raconté que dans le petit village de Zermatt, station des Alpes valaisanes, il y a une aristocratie constituée d’après un principe très particulier: les quartiers de noblesse sont des quartiers… de fromage.

Les familles de Zermatt sont d’autant plus nobles qu’elles possèdent plus de fromages et de plus anciens; certains datent d’avant la Révolution française; leurs propriétaires forment la haute aristocratie du pays.

Les fromages jouent un rôle très spécial dans la vie sociale de Zermatt. Quand un enfant naît, on fabrique un fromage qui porte son nom; ce fromage est mangé en partie le jour du mariage de cet enfant, on l’achève le jour de ses obsèques. Quand un jeune homme désire épouser une jeune fille, il s’invite à dîner un dimanche dans la famille de sa prétendue: si le père de cette dernière exhibe au dessert le fromage qui porte son nom et lui en donne un morceau, c’est qu’il l’agrée pour gendre.

Allons! voilà une nouvelle noblesse qui ne se trouve dans aucun armorial.

Une noblesse plus héroïque et plus touchante, c’est celle de Guillaume Tell. M. Fiwaz met une chaleur communocative à raconter son histoire. En l’écoutant, je croyais entendre son cœur patriotique et chevaleresque battre du sublime amour de la Patrie. C’est avec orgueil qu’il cite les auteurs qui ont chanté son héros. Il a le roman de Florian, la tragédie de Lemierre, le drame de Schiller, et enfin l’opéra chef-d'œuvre de Rossini.

Guillaume Tell n’a jamais existé, disent certains auteurs: «c’est une légende suédoise transportée en Suisse, c’est un mythe!»

Sceptiques aveugles! la preuve qu’il a existé, c’est l’enthousiasme que son nom éveille. Guillaume Tell a existé comme Jeanne d’Arc, comme tous les libérateurs des peuples; il vit, il vivra toujours, il palpite, il est immortel dans le cœur reconnaissant de l’Helvétie.

Voyages loin de ma chambre t.1

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