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LES VOLONTÉS DE JEANNETTE

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HUBERT connaissait personnellement assez peu M. Angel, mais il savait la grande confiance que lui témoignait son père; aussi, malgré ses velléités d’indépendance et une certaine dose de présomption inhérente à la vingtième année, était-il disposé à écouter ses avis. Leur court entretien, en lui enlevant quelques illusions, lui en avait fait encore mieux comprendre la nécessité et lui, qui, la veille, eût rejeté la moindre tutelle, regrettait maintenant que son âge lui en conférât, au contraire, les charges. Peut-être même la discipline du régiment lui eût-elle semblé moins lourde que cette écrasante responsabilité et eût-il préféré l’obéissance passive à ces cruels débats intérieurs où la voix de sa conscience parlait plus haut que son caporal. Livré à lui-même, à ses pensées assez peu consolantes, il put mesurer sa faiblesse, son inexpérience! A vingt-trois ans, il était forcé de se l’avouer à sa honte, il était aussi ignorant de la vie sérieuse que la pauvrette, cachant sa tête frisée sur son épaule, dont il était le seul refuge, le seul protecteur! Piètre refuge! médiocre protection! Certes, il ne trouvait pas le doux fardeau trop pesant, mais il rougissait de ses bras débiles!

S’il avait mieux employé son temps, il serait au moins avocat; s’il avait mieux profité de ses voyages, il saurait l’anglais, l’allemand; s’il avait seulement décroché les galons de sergent, il pourrait rengager, concourir pour Saint-Maixent, arriver officier.

Mais non, rien!

Au Quartier latin, il avait plus fréquenté les brasseries que les cours; à l’étranger, il avait vécu en fils de famille, courant les aventures et négligeant le bureau; au régiment, il avait esquivé la théorie et le peloton d’instruction des élèves-caporaux.

A quoi bon!

Il ne serait plus si dédaigneux aujourd’hui.

Ruminant cent projets plus impraticables les uns que les autres, regrettant sa folle conduite, déplorant son incapacité, le remords s’ajoutait à son chagrin, herbe amère, mais salutaire, qu’il put mâcher et remâcher à loisir pendant ces heures douloureuses d’isolement, d’impuissance, de tristesse, plus profitables qu’un long sermon.

Ah! s’il avait su!...

Dans la tristesse de l’appartement trop vaste, seul avec la mignonne, dont le doux sourire et les innocentes caresses lui semblaient le plus cruel reproche, il avait des moments de découragement, de défaillance contre lesquels il s’efforçait vainement de réagir.

La nuit, chassé de son lit par l’insomnie, il se réfugiait dans le cabinet de son père et là, devant son fauteuil, son bureau, sa lampe qui avait tant de fois éclairé ses veillées laborieuses, il avait des crises de désespoir et bégayait comme un petit enfant:

«Pardon! pardon!»

En présence du juge inflexible que chacun porte en soi, il n’osait même plus invoquer les circonstances atténuantes et se condamnait plus rigoureusement que l’ombre paternelle, toujours indulgente, qui, invisible, sinon insensible, eût voulu sécher les larmes de son «grand».

Il devait sortir de cette épreuve l’esprit mûri, l’âme trempée pour le bon combat et il se jura de racheter le passé, non par des résolutions héroïques et un peu théâtrales, mais simplement, dignement, par son courage, ses efforts, sa persévérance.

L’ancien avoué, qui, avec une profonde expérience des hommes, s’était abstenu d’intervenir trop vite, le retrouva dans ces excellentes dispositions dont il le félicita chaleureusement.

«Voyez-vous, mon jeune ami, l’important n’est pas de se déclarer prêt à tout, mais de ne bouder devant rien, quoiqu’il en coûte. Tel proteste qu’il balayerait les rues et décline dédaigneusement un emploi de saute-ruisseau. A votre âge, toutes les ambitions sont légitimes et le but n’est jamais trop haut ni trop loin, quand on a des bras, des jambes et du coeur. Seulement, il faut faire comme les anciens compagnons du Tour de France et gagner sa vie en route par son travail. Avez-vous réfléchi au choix d’une carrière?

II avait des crises de désespoir.


— Cela me serait-il permis?

— Sans doute. Aucune porte n’est encore fermée devant vous, à condition de ne pas flâner sur le seuil.

— Oh! quant à ça, c’est bien fini!

— Bon! alors préféreriez-vous une carrière libérale ou autre? Répondez franchement.

— Si j’en avais la possibilité, je souhaiterais certainement réaliser les intentions de mon père et continuer mon droit en vue du professorat, mais ne serait-ce pas trop présumer de mes forces?

— Ce qu’on veut, on le peut, jeune homme; le voulez-vous sérieusement? tout est là.

— Avec votre approbation, oui, monsieur.

— Bien! ça suffit. Un an pour la licence, deux pour le doctorat, deux pour l’agrégation; vous pouvez être professeur avant trente ans avec de l’énergie et de la persévérance.

— J’en aurai....

— Avisons donc maintenant aux voies et moyens. Votre capital....

— Celui de ma sœur.

— Écoutez, mon cher enfant, j’apprécie votre délicatesse, mais il serait puéril, par un scrupule exagéré, de paralyser votre avenir dont dépend celui de votre sœur. Mettons que c’est un emprunt que vous contractez; à vous de le faire fructifier par un labeur soutenu, afin de payer, un jour, largement votre dette.

— Mais Jeanne?

— J’ai trouvé pour elle une pension très convenable à Bourg-la-Reine qui ne reviendra pas à plus de quinze cents francs. Votre revenu actuel dépassant ce chiffre, vous pourrez facilement prélever une dizaine de mille francs pour achever vos études. Dame! vous ne roulerez pas sur l’or, et le chapitre «menus plaisirs» devra être rayé du programme.

— C’est déjà fait, monsieur.

— Alors vous n’avez pas d’objections?

— Une seule. Je consens à devenir le débiteur de ma sœur, puisque vous estimez que refuser serait fierté mal placée.

— Entêtement absurde.

— Soit, je m’incline; seulement je suis sûr de mon courage, de ma volonté, moins de mes forces. Je puis tomber malade, je puis mourir avant d’arriver au but et je ne veux pas mourir insolvable.

— Alors?

— Alors, monsieur, ne pourrais-je contracter, au profit de la chère mignonne, une assurance dont je prélèverais la prime sur mes modestes ressources et qui la couvrirait, le cas échéant.

— Parfaitement, approuva M. Angel, cette idée fait honneur à votre jugement et à votre cœur; je ferai le nécessaire à cet égard.

— Merci encore.

— Tout est donc réglé et convenu. Jeanne pourra entrer, la semaine prochaine, au pensionnat en question, où elle trouvera les soins que réclame son jeune âge; vous vous installerez de votre côté près de l’École; il ne restera qu’à liquider cet appartement et le mobilier que vous ne pourrez emporter.»

Hubert soupira.

Assez indifférent à cet égard, il plaisantait volontiers l’attachement de ses parents pour les meubles démodés, mais vieillis avec eux:

«Pas «modern style», ton salon, maman.»

Mais depuis qu’ils n’étaient plus là, que les grands fauteuils étaient vides, que les chers visages ne se reflétaient plus dans les glaces dorées, que le piano restait muet, les rayons de la bibliothèque intacts, il lui semblait qu’un peu de leur âme était passée dans toutes ces choses familières et, à la pensée de les voir disperser sous le marteau brutal du commissaire-priseur, son cœur se serra douloureusement.

Hélas! ce ne serait pas le plus cruel sacrifice.

Et, comme Jeanne montrait son minois rose si touchant sur les vêtements noirs, il la saisit dans ses bras avec une sorte d’emportement et, l’embrassant tendrement, bien tendrement, il murmura les yeux humides:

«Va! ma petite! Je te referai un nid bien doux....»

Tout était arrangé, décidé, conclu, lorsque surgit un obstacle imprévu.

La tierce partie, que l’on avait omis de consulter, plus intéressée que personne dans la question, manifesta tout à coup une violente opposition et, au retour d’une visite au pensionnat dont elle n’avait vu cependant que les beaux côtés: riants jardins, blancs dortoirs, récréation animée, maîtresses souriantes, elle déclara tout net, à son jeune tuteur consterné, qu’elle ne voulait pas le quitter, jamais! jamais!! jamais!!!

Et comme ce dernier jamais!!! se noyait dans un torrent de larmes, il n’eut pas le courage de se fâcher et, prenant la pauvrette sur ses genoux, il commença par l’embrasser beaucoup, puis essaya de la raisonner un peu.

Mais les pleurs, séchés sous les baisers, se remirent à couler de plus belle, malgré toute la logique du pauvre bachelier.

«Allons, ma petite, sois gentille, essuie tes yeux, tu ne peux plus rester chez nous, puisque nous n’avons plus de chez nous. Moi aussi, ça me fait peine de m’en aller tout seul, de ne plus voir ta chère frimousse, de ne plus t’entendre gazouiller autour de moi; mais il me faut travailler, comme tu dois le faire de ton côté.

— Je veux bien travailler, mais avec toi.

— Impossible, je n’aurai qu’une chambre où je serai très à l’étroit et où tu t’ennuierais, quand je ne serais pas là ! Tandis qu’à la pension tu auras de gentilles compagnes, de bonnes maîtresses, de grands jardins: tu t’amuseras beaucoup.

— J’aime mieux m’ennuyer avec toi.»

Les arguments les plus irrésistibles se heurtaient à l’obstination désespérée de la fillette, répétant à travers ses sanglots:

«Ne me quitte pas, mon grand, ne me quitte pas comme papa et maman, ou j’en mourrai aussi.»

Pelotonnée dans ses bras, sa jolie tête ébouriffée appuyée bien fort contre sa poitrine, ses menottes nouées autour de son cou, elle ne voulait pas le lâcher, tout son petit corps secoué d’un tremblement nerveux.

Il ne put la consoler ni la décider à manger; sa nourrice ne fut pas plus heureuse: d’ailleurs, la pauvre femme, elle aussi, poussait de gros soupirs à l’idée de se séparer de sa mignonne, et, après l’avoir couchée, elle demeura longtemps assise au pied de son lit, la contemplant d’un air navré en répétant tout bas:

«Me prendre ma petite aussi! c’est-y Dieu possible!»

Jeanne s’endormit avec peine et quand, malgré sa résistance, le marchand de sable, ce grand ami des petits enfants, eut clos ses paupières rebelles, son agitation fébrile et la moue désolée gonflant ses lèvres roses, trahissaient les vilains cauchemars troublant encore son sommeil.

La nuit, elle s’éveilla en sursaut, criant et appelant son frère, qu’elle avait vu en rêve emporter par des hommes noirs.

Hubert, prévenu, accourut très inquiet et essaya vainement de la calmer; elle avait les yeux brillants, le teint briqueté et se plaignait d’un grand mal de tête....

La méningite peut-être!

«Voyez-vous, monsieur, c’est trop petit pour souffrir, opinait la brave nourrice en se mouchant bruyamment; elle a plus de peine qu’elle n’est grosse; et m’est avis que, si elle entre dans votre pension, elle n’en sortira plus que les pieds en avant comme vos pauvres chers défunts.»

Le jeune homme était bouleversé, aussi lorsque, joignant ses petites mains, elle gémit suppliante: «Ne me renvoie pas, mon grand; j’ai si mal!» le cœur du pauvre garçon se brisa et, aussi faible qu’un enfant il répondit vaincu:

«Non, ma chérie, nous ne nous quitterons pas, je te le promets. »

Et elle se rendormit plus paisible.

Ce n’était qu’une fausse alerte; mais les craintes évanouies,, la promesse restait (elle n’avait garde de l’oublier!), et c’était un axiome dans la famille, où, pour les détails minuscules comme pour les plus importants, le professeur tenait au respect de la parole donnée: «Chose promise, chose due».

C’était pourtant promesse téméraire, s’il en fut! Hubert ne se le dissimulait pas et M. Angel manifesta hautement sa désapprobation.

«C’est le monde renversé, mon jeune ami: si votre pupille commence à dire: Je veux, sans que vous sachiez répondre: Je ne veux pas, nous ne sommes pas au bout. Il est nécessaire de montrer votre autorité, ne serait-ce que pour prouver que vous en avez une et ne sauriez céder à une fantaisie déraisonnable.

Le trop faible mentor baissa la tête sous la mercuriale méritée; mais, tout en reconnaissant la sagesse du conseil et du conseiller, il essaya timidement de plaider les circonstances atténuantes:

Sans doute, il fallait réprimer un caprice, si ce n’était qu’un caprice, mais peut-être y avait-il là une répercussion physique et morale du choc trop rude ébranlant ce frêle organisme.

Jeanne était délicate, nerveuse, d’une sensibilité au-dessus de son âge; le double deuil qui l’avait si brusquement frappée avait encore développé chez elle les forces affectives, elle se cramponnait à son frère, le seul parent qui lui restât, avec une sorte de détresse. Fallait-il la repousser brutalement? trancher dans le vif de la plaie saignante, et lui imposer, sans ménagement, une nouvelle séparation qu’elle ne pourrait peut-être pas supporter? Élevée, couvée, choyée par son père et sa mère, blottie, bien au chaud, entre leurs deux cœurs, c’était une plante fragile, ignorante des intempéries, et qui, transportée hâtivement loin de la tiède atmosphère du foyer, s’étiolerait aux premiers frimas.

On voit qu’Hubert plaidait le pour et le contre, comme un véritable avocat.

«Mais avez-vous réfléchi à toutes les difficultés? demanda l’ancien avoué, ébranlé.

— Mon Dieu, monsieur, elles ne sont pas insurmontables. D’ailleurs ce serait une mesure provisoire, le temps de laisser la pauvre petite se remettre un peu de la terrible secousse. Elle est encore si jeune, ses études n’en souffriraient pas.

— Mais les vôtres?

— Encore moins. Sa présence ne m’empêchera pas de suivre les cours et me donnera du cœur au travail.

— Hum! c’est une grosse complication. D’abord vous ne pourrez vous contenter d’une chambre d’étudiant, il vous faudra toute une installation.

— Ne pourrais-je louer un appartement modeste que je meublerais avec une partie de ce mobilier? Ça ne me reviendrait pas plus cher qu’une chambre garnie, au contraire.

— Il vous faudrait une servante sûre?

Hubert accourut.


— La nourrice de Jeanne, qui l’a élevée jusqu’ici, s’offre à demeurer près d’elle pour la moitié de ses gages en faisant ménage et cuisine.

— C’est fort beau! mais enfin croyez-vous pouvoir équilibrer votre budget?

— Je l’espère, monsieur; vous comptiez quinze cents francs pour ma sœur, quinze cents francs pour moi: ça fait trois mille. Combien de ménages d’employés et de professeurs vivent avec ce chiffre et même moins.

— Très bien, mon jeune ami. Maintenant avez-vous bien réfléchi à la responsabilité que vous assumez,... peut-être un peu à la légère? La présence continue de cette fillette sera un grand embarras pour vous.

— S’il le fallait, je me priverais même du nécessaire.

— Et du superflu? A votre âge, c’est souvent ce dont on se prive le moins facilement. Il vous faudra renoncer aux plaisirs de la vie d’étudiant, aux joyeux compagnons, aux folles parties, au bal, au café, ne recevoir que des gens sérieux, bref! vivre un peu en Chartreux....

— Je suis revenu de tout cela, monsieur; le malheur qui m’a frappé m’a mûri de dix ans et je ne désire qu’une chose: élever aussi bien ma petite que l’auraient fait mes pauvres parents.

— Alors, mon jeune ami, je n’ai plus rien à objecter. J’aime les résolutions viriles. «A Dieu vat!» comme disent les marins, et puisse la mignonne que vous prenez dans votre barque, la préserver des avaries et des naufrages!


Ma petite

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