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III

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UN TUTEUR DANS L’EMBARRAS

Au retour du cimetière, où il avait conduit courageusement le deuil au bras de M. Angel, vieil ami de son père et confident de ses dernières volontés, Hubert eut une crise de désespoir que rien ne pouvait calmer.

Mauvaise tète, mais bon cœur, capable de sentiments profonds sous sa légèreté apparente, le pauvre garçon adorait ses parents et se reprochait amèrement, à cette heure douloureuse, de ne pas le leur avoir mieux prouvé de leur vivant.

Hélas! au bord d’une fosse ouverte, les moindres peccadilles, les moindres écarts retombent lourdement sur le cœur comme les pelletées de terre sur le cercueil. Alors, on donnerait toutes les années, insoucieusement gâchées, pour quelques jours de répit où l’on pourrait rattraper le temps perdu, semer à pleines mains les trésors de tendresse, en lit de fleurs sous les pas de celui qui s’en va.

Mais la Mort implacable n’accorde pas de sursis, le front glacé ne sent plus les baisers brûlants... et tardifs! les yeux clos ne voient plus les larmes sincères, les oreilles sourdes n’entendent plus les protestations d’amour, de regret, de repentir.

Devant la perte de son fils, M. de Montluc, dit-on, se lamentait surtout de ne pas lui avoir montré combien il l’aimait;... plus nombreux sont les enfants qui peuvent s’adresser ce reproche à l’égard de leurs parents.

Et Hubert, effondré, faisait un amer retour sur lui-même....

Sans doute, il n’avait pas commis de fautes graves, il n’avait pas le remords d’une de ces inguérissables blessures au cœur paternel par lesquelles la vie s’écoule lentement, sans que l’on s’en aperçoive; il n’avait pas fait blanchir avant l’heure les cheveux de son père, ni couler les larmes de sa mère; mais quelle joie leur avait-il donnée?

A ce grand laborieux qu’il eût dû prendre pour modèle, il avait refusé la légitime satisfaction d’un fils digne de lui. Son bachot, tardivement passé, à force de répétitions, il avait gaspillé sottement deux années au Quartier latin, sous prétexte de faire son droit, et il n’était même pas licencié ; mais, en revanche, il avait approfondi l’art de culotter des pipes, de vider nombre de bocks, et d’acheter des crocodiles empaillés à un taux invraisemblable chez les usuriers de la rive gauche.

«Bah! il faut bien s’amuser quand on est jeune, répondait-il aux reproches du professeur, je te paierai tout cela en gros, plus tard.»

Trop tard!

Maintenant, l’échéance était passée, la Mort avait fermé le guichet, et il restait débiteur insolvable de celui qui n’était plus là pour lui donner quittance.

Ah! si on savait!...

Hélas! en dépit du vers du poète, on escompte toujours l’avenir, le lendemain réparateur et:

...Demain, c’est le tombeau!

«Oh! ma petite! ma petite! toi, tu ne leur as jamais fait de peine!» sanglotait-il en embrassant éperdument la fillette que l’on avait poussée dans ses bras.

«Pleure pas, Hubert, pleure pas!» répétait-elle tout en larmes, elle-même, lui essuyant les yeux avec son mouchoir liseré de deuil.

Enfin! s’il n’avait pas été bon fils, il serait au moins bon frère, et les chers disparus seraient contents de leur grand! Il se promettait de les remplacer près de l’orpheline, de se consacrer tout à elle, en tuteur modèle, de lui donner une éducation brillante, de l’établir richement, etc.

M. Angel, ancien avoué, plein de sens, d’expérience et d’autorité, écoutait ces divagations d’un air indulgent, mais légèrement sceptique, et Hubert développant un programme digne d’une petite princesse:

Elle lui essuyait les yeux avec son mouchoir.


«C’est fort bien, mon jeune ami, observa-t-il d’un ton posé, et j’applaudis à vos généreuses intentions, mais avec quoi les réaliser?

— Ne sommes-nous pas héritiers de nos pauvres parents? demanda-t-il, étonné.

— Sans doute, mais savez-vous à combien se monte leur héritage?

— Non, monsieur.

— Je vais donc vous l’apprendre.»

En quelques mots nets et précis, il le mit au courant de la situation: M. Dorigny n’avait pas de fortune personnelle; celle de sa femme avait été engloutie presque totalement dans un krach financier; il ne laissait donc que des économies réalisées sur son modeste traitement et ses répétitions, heureusement assez lucratives, et un chalet au Crotoy où il allait passer ses vacances en famille. De plus, il lui manquait encore un an pour avoir droit à la retraite, ses enfants n’avaient donc rien à attendre de ce côté et, tout compte fait, ils se trouvaient à la tête d’une soixantaine de mille francs (à peu près ce que vous avez coûté jusqu’ici à votre père, mon jeune ami!), qui, divisés en deux, leur assurerait à peine de quoi ne pas mourir de faim.

Hubert fut atterré par cette révélation, non pour lui, — il était fort désintéressé et ignorait la valeur de l’argent, — mais pour «sa petite».

Sans connaître la position de ses parents, il leur croyait une large aisance: leur vie simple, mais confortable, l’éducation qu’il avait reçue; la pension pourvoyant généreusement à ses besoins et à ses plaisirs d’étudiant; ses dettes payées sans autres difficultés; tout cela lui donnait l’agréable illusion d’un avenir assuré où le travail lui apparaissait comme un devoir social, une question de dignité, beaucoup plus qu’une nécessité pratique.

Il savait vaguement que sa mère, plus riche que son père, l’avait épousé pour son mérite, qu’elle avait fait de nombreux héritages, rassemblant dans ses mains la fortune de toute sa famille, et que le professeur eût pu démissionner depuis longtemps, sans la conscience de remplir une sorte de sacerdoce intellectuel en formant l’esprit des jeunes générations.

Aussi, écoutait-il d’une oreille distraite les sermons paternels sur l’obligation de gagner sa vie et de se créer une position, et avait-il fait son droit en fils de famille, qui n’aurait jamais besoin de s’en servir.

Devant la réalité brutale, il comprenait aujourd’hui la gravité de ses torts et se désolait en songeant à la chère mignonne, condamnée à une existence médiocre, à un avenir précaire....

«En tout cas, monsieur, déclara-t-il avec chaleur, l’héritage, si mince soit-il, appartient à ma sœur, je n’en veux pas distraire un centime. Vous le remarquiez judicieusement tout à l’heure, c’est à peine ce que j’ai coûté jusqu’ici à mon père: donc c’est la part de Jeanne, je n’y ai aucun droit....

M. Angel écoutait ses divagations.


— Cette idée vous fait honneur, mon cher enfant, mais comment vivrez-vous?

— Oh! moi, peu importe! pourvu que ma petite ne manque de rien.

— Il est certain qu’avec le revenu de cette somme, on pourrait la mettre dans une bonne pension et lui assurer une éducation convenable jusqu’à l’âge de l’établir,... mais vous?

— Moi, je suis un homme, je travaillerai.

— A quoi?»

Il se tut, un peu embarrassé.

Il y a comme cela des mots héroïques, superbes... au théâtre; le rideau tombe et esquive les explications. Mais, dans la vie réelle, on n’a pas cette ressource, et après quelque fière déclaration de ce genre, les terribles: «Comment? A quoi? Pourquoi?» sortent de la coulisse et vous coupent vos effets.

«Voyons, mon ami, vous savez que j’étais celui de votre père; c’est donc l’intérêt et non la curiosité qui me guide. Confiez-moi vos intentions, vos aptitudes, et si je peux vous aider....

— C’est que, je ne sais trop moi-même....

— Voulez-vous me permettre quelques questions?

— Bien volontiers.

— Vous avez fait votre droit?

— Je l’ai commencé....

— Vous n’en êtes pas au doctorat, mais à la licence?

— Non plus.

— Vous êtes bachelier, au moins?

— Oh! oui.

— C’est quelque chose, mais c’est peu pour une carrière libérale.... Le commerce ou l’industrie vous conviendrait-il?

— Faute de mieux.

— Vous avez passé quelque temps à l’étranger?

— Oui, monsieur.

— Vous savez l’anglais?

— Pas très bien.

— L’allemand?

— Oh! très mal.

— La tenue des livres?

— Pas du tout.

— Ce ne sera pas facile de vous caser! Pourtant vous devez avoir quelques petits talents? Vous avez eu des succès scolaires?... des prix?

— De gymnastique, d’escrime, d’équitation! Ce serait peut-être apprécié dans un cirque, un manège, une salle d’armes!... ailleurs, c’est une piètre recommandation.

— Diable! Voyez-vous quelque autre branche?

— Je vois, monsieur, que je ne suis bon à rien, dit amèrement le jeune homme humilié. J’ai gâché mon temps, l’argent de mon père et, malgré ma bonne volonté, je ne puis rattraper ni l’un, ni l’autre. Pourtant, je ne veux pas vivre aux crochets de ma sœur, quand ce serait à moi de la soutenir; et si je ne puis trouver moyen de me suffire, fût-ce au prix des plus durs labeurs, je rengagerai.

— Vous ne le pouvez plus, vous n’êtes même pas sous-officier....

— Il ne me reste donc que la Légion étrangère, dit le pauvre garçon accablé.

— Bon! il serait toujours temps d’en venir là ! Ne jetons pas le manche après la cognée; la situation n’est pas gaie, évidemment; mais elle n’est pas désespérée; il doit y avoir quelque ressource,... je vais y réfléchir, nous en recauserons: la nuit porte conseil.»

Elle porte surtout aux idées noires et c’est un triste oreiller qu’une conscience bourrelée; le pauvre Hubert en fit la cruelle expérience et chercha vainement le repos dans son lit plus doux cependant que le «pieu» de la caserne. Mais, hélas! l’insouciance avait déserté ses rideaux et, de longtemps, il ne devait plus retrouver le sommeil, peuplé de rêves d’or, de son enfance et de sa jeunesse!

M. Angel venait de reprendre l’étude de son père, avoué à Abbeville, lorsque Pierre Dorigny, frais émoulu de l’École normale, fut nommé à la chaire d’histoire du collège. Rapprochés par un goût commun pour les lettres et les arts, et aussi par les souvenirs de l’existence parisienne à laquelle ils venaient seulement de dire adieu, ils s’étaient liés d’une étroite amitié doublée d’une sincère estime qui avait résisté au temps, à la séparation, à l’éloignement, lorsque le jeune professeur, montant en grade, fut nommé successivement à Saint-Quentin, Versailles, Paris, tandis que l’officier ministériel demeurait confiné dans sa province. Ils se voyaient rarement, retenus par leurs mutuelles occupations, mais ils échangeaient une correspondance régulière entretenant l’unisson des idées, des sentiments et, lorsque les circonstances le permettaient, ils se retrouvaient avec un nouveau plaisir, comme s’ils s’étaient quittés la veille.

M. Angel avait décidé le professeur à acheter un chalet au Crotoy pour y passer ses vacances: on y avait pendu la crémaillère l’année précédente; de son côté, M. Dorigny pressait son ami de vendre sa charge pour venir se fixer dans son voisinage et jouir ensemble des charmes de l’intimité et des plaisirs de la capitale. Ces plaisirs, purement intellectuels, consistaient surtout, pour ces deux hommes graves, dans la musique, dont ils étaient également fanatiques bien que de façon différente. Chose assez bizarre, tandis que le Parisien était demeuré fidèle aux anciens: Boïeldieu, Auber, Donizetti, Halévy, Adam et Mozart, son dieu! le provincial ne jurait que par les modernes, Wagner en tête et, bien que d’humeur sédentaire, il avait fait plusieurs fois le voyage de Beyreuth avant que l’auteur de Parsifal fût acclimaté parmi nous. Et c’étaient des discussions à perte de vue, rappelant la querelle des Gluckistes et des Piccinistes, mais avec moins d’acrimonie. Un seul nom réussissait à les mettre d’accord, celui de Lansen, dont ils avaient été les premiers à reconnaître la vocation, alors qu’il faisait sa rhétorique au collège d’Abbeville, et ses opéras étaient l’unique terrain où ils se rencontrassent pour applaudir aussi chaleureusement.

«C’est digne de Mozart! disait l’un.

— C’est digne de Wagner!» affirmait l’autre.

Peut-être, si, le jour de la catastrophe, l’Opéra-Comique eût donné du Lansen au lieu de l’Ambroise Thomas, eût-on compté une victime de plus!

En effet, cédant aux instances de son ami et à son propre désir, le mélomane wagnérien, qui trouvait décidément Abbeville trop loin de la rue Auber, de la salle Favart et des concerts Colonne, avait renoncé à ses panonceaux et s’était installé dans un paisible entresol de la rue Godot-de-Mauroy.

Hélas! les projets des hommes ressemblent aux bulles de savon qui crèvent dès qu’on les effleure.

A peine avait-il réalisé son rêve que l’Opéra-Comique brûlait et que son ami y trouvait la mort!...


Ma petite

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