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Table des matières

Au moment où l’arrêt du Conseil du 5 juillet 1788 ordonna la convocation des États généraux en donnant pour cadre aux élections la vieille division des bailliages et des sénéchaussées, on connaissait fort mal l’étendue réelle de la sénéchaussée d’Angoulême et du siège royal secondaire de Cognac qui en dépendait. Les commissaires de la convocation n’avaient attribué à ces deux sénéchaussées qu’un ressort de 271 paroisses. Ce ne fut qu’après l’intervention de deux grands seigneurs, le duc de La Rochefoucauld et le comte de Jarnac, qu’ils firent droit aux plaintes des officiers de justice, de l’évêque et des officiers municipaux d’Angoulême. Après une enquête conduite par le sénéchal, M. de Cherval, par le lieutenant particulier, M. de Lambert et par le comte de Jarnac, il fut reconnu que l’étendue réelle des deux sénéchaussées était de 450 à 460 paroisses, comprenant 250,000 à 269,000 habitants. On était si peu fixé à cet égard que les uns attribuaient à ces circonscriptions 460 paroisses, tandis que d’autres en comptaient 455 ou 450 , et qu’un état dressé par les officiers de la sénéchaussée eux-mêmes (le 3 mars) ne relève que les noms de 453 paroisses ou enclaves. Ce dernier chiffre est celui qui semble se rapprocher le plus de la réalité. Mais, lorsque le sénéchal d’Angoulême fit, le 11 et le 12 mars, l’appel des communautés de la sénéchaussée principale, on constata seulement le nombre de 348 collectivités appelées. Sur cette liste figurent 12 enclaves. D’autre part, sur 28 communautés appelées dans l’assemblée de la sénéchaussée secondaire de Cognac, figurent 7 enclaves. Le chiffre des communautés dont on fit l’appel aux deux assemblées s’élève donc à 376, parmi lesquelles se trouvent 19 enclaves. Entre les nombres relevés le 3 mars et les 7, 11 et 12 mars, il y a donc un écart qui semble considérable. Mais il est à noter que le nombre des paroisses et des communautés ne concorde pas absolument. Plusieurs communautés comprenaient un nombre de paroisses plus ou moins important: la ville d’Angoulême en avait 10; la Rochefoucauld, Confolens, Chabanais, 3 chacune; Aubeterre, 2. De simples communautés rurales, comme Fouquebrune, renfermaient également 2 paroisses. D’autre part, l’état du 3 mars mentionne un certain nombre d’enclaves ou localités qui ne furent pas appelées le 11 et le 12, ou qui furent groupées ensemble pour élire leurs députés et rédiger leur cahier. La concordance à établir entre la division féodale, les divisions administratives, financières et ecclésiastiques exige un travail spécial qui a été tenté ailleurs et qui ne rentre pas dans le cadre de ce recueil . Deux séries de tableaux sont jointes à l’introduction: l’une contient, par ordre alphabétique, l’énumération des noms des communautés appelées les 7,11 et 12 mars 1789; l’autre, la répartition des communautés des deux sénéchaussées par ressort féodal ou châtellenie.

L’erreur initiale des commissaires provoqua des protestations, à la suite desquelles les sénéchaussées d’Angoulême et de Cognac obtinrent une double députation , en vertu d’un règlement royal du 2 mars 1789. Déjà, le 14 février, le sénéchal Cherval avait fait publier à Angoulême les lettres patentes du 24 janvier qui réglaient les formes des assemblées électorales, de la rédaction des cahiers et des élections. La même publication avait été faite à Cognac par les soins du lieutenant du siège, Fé de Sègeville. A de faibles intervalles, le 14 février pour la sénéchaussée d’Angoulême , le 17 février pour celle de Cognac, parurent les règlements particuliers des officiers de ces sièges, en exécution des lettres patentes du roi. Ces règlements et les ordres de convocation notifiés par ministère d’huissier aux membres des ordres privilégiés, aux syndics et greffiers des communautés urbaines et rurales, arrivèrent rapidement aux villes et lentement aux campagnes. Il fallut près de trois semaines pour l’accomplissement des notifications. Si les villes, comme Angoulême, eurent connaissance, dès le 16février, des deux documents (lettres patentes du roi et ordonnance de la sénéchaussée) relatifs à la convocation, certaines communautés rurales purent se plaindre d’avoir reçu trop tardivement la signification et l’assignation . Quelques-unes même furent oubliées et s’assemblèrent à la dernière heure, sans avoir été ni prévenues ni assignées .

Partout, les assemblées primaires du Tiers état furent convoquées par l’entremise des officiers municipaux et syndics; après l’exécution des formalités préliminaires que prescrivaient les règlements et suivant les formes indiquées par les procès-verbaux.

Leur première attribution essentielle était la nomination des députés. Les députés, élus «à haute voix», suivant les termes des ordonnances, recueillent parfois «l’unanimité », le plus souvent seulement «la pluralité » des suffrages. Ils sont tenus de déclarer s’ils acceptent leur mandat, et ils prêtent serment de bien le remplir; après quoi, l’assemblée leur donne les pouvoirs requis pour représenter la communauté. On peut imaginer à quelles vives compétitions donnèrent lieu ces choix dont on comprenait aisément l’importance. De là, les accusations de pression formulées de divers côtés contre les personnes influentes qui essayèrent de s’immiscer dans la nomination des députés des paroisses. A Courlac, par exemple, on prétend que le curé s’était vanté d’avoir «choisi» les députés . A Aubeterre, Paulet, président de l’élection d’Angoulême, et Boucheron, procureur au siège du marquisat, luttaient d’influence avec l’abbé de Saint-Sauveur, Desport, auquel on reprochait des manœuvres contre le Tiers état. Ils parvinrent à se faire élire, et leur élection parut une victoire sur le parti de la cour, dont Desport était, disait-on, l’agent secret. Les avocats, notaires, procureurs, semblent s’être beaucoup remués, briguant des mandats de paroisse en paroisse. Ainsi, les membres de l’élection d’Angoulême, les procureurs et gens de loi de cette même ville et de celles de la Rochefoucauld, de Cognac, d’Aubeterre, de Ruffec, de Blanzac se font élire dans les communautés rurales où ils ont des propriétés, quand ils n’ont pu trouver place dans la députation urbaine. Parfois, comme chez les bouchers d’Angoulême et chez les membres de l’assemblée de Malaville, les divisions sont telles qu’on élit deux députations rivales. Quelquefois enfin, comme à l’assemblée des tapissiers-vitriers d’Angoulême, un candidat peu scrupuleux falsifie le scrutin et se proclame élu. Ici, ce sont les notables qui l’emportent et se font élire, grâce aux habitudes de respect et de subordination qui dominent dans la plupart des communautés. Là, comme à Ruffec, une «cabale de gens du bas peuple» s’organise, écarte de la députation, au grand scandale des hautes classes, les hommes de la «bonne bourgeoisie», tel que ce Lériget dont le trisaïeul fut membre des États généraux de 1614, et choisit pour députés le fils d’un boucher, un tanneur, un petit-fils de cordonnier, et un contrôleur des actes, «fils d’un boucher de chirurgien» .

En général, le choix des communautés des sénéchaussées d’Angoulême et de Cognac semble avoir été très éclectique. Parmi les députés figurèrent en effet un certain nombre de hauts fonctionnaires, comme le président de l’élection, Paulet, Gilbert, membre du même tribunal , le maître des eaux et forêts, Bodet-Marvaud, le conseiller au présidial, Lagrézille, le lieutenant du maire d’Angoulême, l’ex-subdélégué Brun, l’échevin Robin. Ailleurs, par exemple à la Rochefoucauld, on rencontre dans la députation le subdélégué Albert; à Cognac, le maire Bouteleau, le procureur de l’hôtel de ville, Caminade, le procureur du roi au présidial, Bernard . La plupart des juges seigneuriaux furent élus par les assemblées qu’ils présidaient ou par celles de leur ressort, bien qu’ils n’y aient pas exercé la présidence. Tel est le cas du juge sénéchal de la Rochefoucauld, Marchais, futur député du Tiers, et du juge assesseur de Montbron, Naud, l’un des commissaires pour la rédaction du cahier général. Mais la majorité des députés est formée des avocats et procureurs aux présidiaux, sénéchaussées, élections ou aux sièges des justices seigneuriales. On y remarque surtout les notaires des campagnes. Ceux-ci, joints aux officiers seigneuriaux, font, assure un mémoire du temps, «la plus grande partie» des délégués des communautés de paroisses à l’assemblée générale du Tiers état de la sénéchaussée. Toutefois on peut constater, à la lecture des procès-verbaux, que les autres éléments de la population n’ont pas été écartés. Parmi les députés des villes, il y a des commerçants et des industriels, par exemple des négociants d’eaux-de-vie, des entrepreneurs de papeteries, comme Henry Villarmain et Clavaud l’aîné à Angoulême, Étienne Augier à Cognac, Delamain à Jarnac, ainsi que des bourgeois vivant noblement. Parmi ceux des campagnes et des gros bourgs, se trouvent des artisans, de petits commerçants, merciers, drapiers, tanneurs, aubergistes, comme à Roullet, à Ruffec, à Laprade et ailleurs, enfin des médecins et des chirurgiens, par exemple à Blanzac, à la Valette, et dans le marquisat d’Aubeterre. Quelques députations ne sont même composées que de gros «paysans», de laboureurs et de vignerons. En quelques lieux, à Birac, à Nonaville, à Bouteville , on trouve enfin des délégués investis de plusieurs mandats. Ce millier de députés représente donc dans sa généralité l’élite du Tiers état local.

L’attribution capitale des assemblées primaires, celle qui dépasse en importance le choix même des députés est la rédaction du cahier de doléances. Le cahier est l’œuvre essentielle à laquelle le paysan, l’artisan, le bourgeois mettent tous leurs soins, car ils ne doutent pas que leurs «plaintes, doléances, remontrances, observations» ne parviennent jusqu’au pied du trône et ne soient portées directement aux États généraux . Aussi invoquent-ils dans leurs apostrophes et le roi, et son ministre «bienfaisant» Necker, et la future grande assemblée dont ils attendent la régénération du royaume.

Les cahiers ont été médités à l’avance; le paysan se plaint quand on lui a laissé un délai trop court pour ruminer les revendications qu’il veut y insérer. On a affirmé que ces documents manquaient de sincérité, de spontanéité, d’originalité. «Très souvent, dit un historien bien connu, M. A. Babeau, ils ont été rédigés d’après des formulaires envoyés des chefs-lieux de bailliages.» Cette opinion très répandue, soutenue encore récemment par un savant allemand, Ad. Wahl, d’après l’examen des cahiers de Paris et de la sénéchaussée d’Aix, ne résiste pas dans son exagération à un examen minutieux des textes. Tel est du moins le cas pour les cahiers de l’Angoumois. Sans nier l’existence des formulaires, on peut affirmer que les cahiers représentent l’effort conscient et réfléchi d’une élite bourgeoise et paysanne, qui a traduit fidèlement les vœux et les griefs des masses urbaines et rurales.

On sait, en effet, d’après diverses indications, comment furent rédigés les cahiers et à quelles catégories d’hommes on en confia la rédaction. Tout d’abord, il faut mettre de côté la personnalité des scribes qui se sont bornés à transcrire le plus souvent les procès-verbaux et les cahiers, sous la dictée des rédacteurs et de l’assemblée. Il ne faut pas confondre en effet les greffiers qui ont transcrit ces documents avec les rédacteurs qui en ont arrêté le texte, soumis à l’approbation des comparants. Or ces rédacteurs appartiennent généralement à la partie la plus instruite de la bourgeoisie et du peuple; leur rôle n’a pas été celui de simples copistes. Ils étaient parfaitement capables d’observer, d’entendre et de résumer les plaintes qu’ils ont exposées dans les cahiers. Pareille tâche n’était ni au-dessus d’une capacité moyenne, ni supérieure à leur éducation. Elle n’exigeait qu’une culture médiocre et que ces qualités de bon sens, d’observation, de jugement, qui se développent sans effort dans la pratique journalière des hommes et des affaires. Il est facile de prouver qu’en beaucoup de communautés, les assemblées nommèrent pour la rédaction du projet de doléances les hommes les plus compétents et de l’expérience la plus éprouvée. A Angoulême, par exemple, les six commissaires chargés de rédiger le cahier de la commune sont le subdélégué Brun, lieutenant du maire, un conseiller au présidial, Lagrézille, un avocat, futur député du Tiers, Roy, un échevin, Robin, deux gros négociants, Henry de Villarmain et Sazerac de Forge. Le choix porte à Cognac sur cinq commissaires: le maire, Bouteleau, notaire, le procureur du roi, Bernard, deux bourgeois, Caminade et Chauvin, un grand négociant, Augier. A Bellon, ce sont quatre propriétaires; à Nabinaud, quatre propriétaires, un notaire procureur au marquisat; à Laprade, un bourgeois, un médecin, cinq propriétaires; à Aubeterre, un médecin, trois notaires et procureurs, deux bourgeois, deux marchands; à Saint-Vincent-d’Aubeterre, un juge seigneurial, un maître en chirurgie, deux propriétaires; aux Essards, un bourgeois et quatre marchands, qui ont été désignés par un vote spécial de l’assemblée primaire pour rédiger le cahier. Le nombre des commissaires est donc variable: il s’élève tantôt à 8, comme à Aubeterre et à Pillac, tantôt à 7 comme à Laprade, tantôt à 6 comme à Angoulême et à Nabinaud, tantôt à 5 comme aux Essards et à Cognac, tantôt à 4 comme à Saint-Vincent-d’Aubeterre , tantôt à 2 comme à Aignes , Les commissaires désignent l’un d’eux pour rédiger le projet. C’est ainsi qu’aux Essards, un marchand, Antoine Bernier, se qualifie rédacteur du cahier, de même qu’à la Rochefoucauld, le juge assesseur du sénéchal, Marchais, futur député du Tiers . Parfois encore, l’assemblée se borne à recourir aux bons offices d’un seul commissaire. Ce sont par exemple à Bernac le notaire Demondion, à Mosnac Jean Lécuyer, praticien de Châteauneuf. Certains commissaires sont appelés à rédiger les cahiers de plusieurs paroisses. On retrouve, par exemple, à Pillac les médecins. notaires, procureurs et bourgeois qui ont rempli le rôle de rédacteurs à Aubeterre. Parfois même on sollicite le concours d’une personne étrangère à l’ordre du Tiers. Ainsi, à Brette et à Courlac, ce sont les curés qui paraissent avoir été chargés ou s’être chargés de la rédaction des cahiers.

Les rédacteurs des cahiers ne sont pas toujours expressément nommés; ils ne le sont même que dans un petit nombre de procès-verbaux. Mais il est facile de reconnaître à l’allure générale du cahier, à la tournure du style, à la nature de certaines revendications, au ton de certains morceaux, la part prépondérante qu’ont prise à la rédaction, dans la plupart des cas, les notaires de campagne, les avocats, procureurs, médecins et chirurgiens, c’est-à-dire les membres les plus instruits du Tiers état. Il était naturel qu’on eût recours à leurs lumières: leurs relations habituelles avec leurs commettans, leur ouverture d’esprit, leur expérience des affaires faisaient d’eux les guides naturels de la masse rurale ou urbaine, Mais si leur rôle dans la rédaction des cahiers a été actif, il n’a pas été exclusif, Dans bien des cas, d’autres catégories d’électeurs participèrent directement à cette œuvre. Dans les villes, les secrétaires des corporations aidés de l’assemblée elle-même tinrent à honneur de rédiger seuls les doléances de leur communauté. La participation des marchands et des propriétaires à la rédaction des cahiers est également indéniable; des paysans et des artisans se sont plus d’une fois essayés à ce rôle nouveau pour eux, par exemple les cordonniers et les menuisiers d’Augoulême et les laboureurs de Peudry. D’ailleurs, les commissaires n’ont pas imposé leurs conceptions et leurs griefs. S’ils ont été sur quelques points des inspirateurs, sur la plupart ils ont été inspirés dans leur tâche par l’assemblée elle-même, à laquelle ils ont lu leur projet, mûrement rédigé, et qui a pu l’amender, avant de l’approuver, de le faire transcrire par le greffier et de le signer. Le cahier de doléances apparaît donc comme une œuvre, collective, réfléchie, due à la collaboration d’une élite instruite, recrutée sans exclusivisme, et de la masse consciente de ses griefs et de ses besoins. Il est l’expression de la volonté générale, le reflet de l’état réel des institutions économiques et sociales, le résumé fidèle des revendications des populations. Partout, là même où les bourgeois et gens de loi ont eu soin de faire insérer leurs griefs particuliers, où ils ont donné aux doléances populaires la tournure passionnée ou compassée de leur style, ils ont dû traduire jusque dans le détail les plaintes du milieu urbain ou rural, auxquels ils ont servi de conseillers, parfois de guides, rarement d’inspirateurs exclusifs. Si le bourgeois, le légiste, le lettré, ont tenu la plume, c’est l’artisan, c’est le paysan qui ont presque toujours dicté.

Cette impression se confirme lorsque l’on essaie de déterminer le rôle qu’ont joué les formulaires ou cahiers modèles qui circulaient alors de toutes parts et les liens de ressemblance qui existent entre les divers groupes de cahiers primaires. L’existence des formulaires en Angoumois n’est démontrée par aucune preuve positive. Elle résulte toutefois d’indices indirects. Des cahiers, assez nombreux, rédigés le même jour, offrent, notamment dans l’exposé des vœux d’ordre général, surtout politiques, de telles analogies, qu’on ne peut guère les expliquer que par l’influence de modèles communs, rédigés d’avance. Il y a plus. Le préambule et les trois premiers articles du cahier de Ruffec, qui se retrouvent dans un grand nombre de documents de même nature émanés des autres communautés du marquisat, sont textuellement reproduits en tête du cahier de Roullet, localité voisine d’Angoulême, très éloignée de Ruffec, et où l’assemblée s’est réunie la même journée que celle de cette dernière ville . Cette ressemblance est inexplicable, si l’on n’admet pas l’existence d’un modèle général. D’autres cahiers très secs, qui ne renferment que des sommaires généraux, des vœux exprimés en style abstrait, sans développement d’ordre local, sans griefs particuliers, comme celui de Mosnac , et auxquels manque la vie, semblent représenter, dans leur brièveté, leur absence d’originalité, des extraits de ces sortes de formulaires ou de programmes, œuvres probables de publicistes ou de légistes, soit parisiens, soit provinciaux, dont l’anonymat a été respecté et qu’il est aujourd’hui impossible de reconnaître. Le plus souvent, ces formulaires ont fourni quelques préambules, quelques développements oratoires, quelques revendications d’ordre général, et surtout un plan, un ordre de matières, des cadres commodes. Mais il serait téméraire de leur attribuer un rôle plus étendu. Ce plan, ces cadres ont été remplis par les assemblées et par leurs commissaires. Si la bordure est banale, la trame est originale et solide. Le modèle a été suivi, mais non servilement. Si quelques formules manquent d’originalité, le fond est original. Les doléances des cahiers ont en dehors de ces formules un accent personnel, souvent naïf, parfois même gauche, violent, passionné, qui trahit les misères, les rancunes, les souffrances et les espoirs des classes bourgeoises et populaires de la manière la plus vivante et la plus sincère.

Une autre influence plus profonde que celle des formulaires généraux s’exerça sur la rédaction des cahiers primaires, sans altérer d’ailleurs beaucoup leur originalité dans la plupart des communautés. C’est celle des cahiers locaux rédigés aux chefs-lieux de grandes terres féodales ou dans les châtellenies importantes. Elle se justifie par la présence dans ces localités d’une classe d’hommes plus instruits, procureurs, notaires, médecins, juges, ou même avocats et bourgeois, dont le savoir et l’expérience inspiraient confiance aux habitants des campagnes. On s’explique ainsi que les cahiers d’Aubeterre, de Montmoreau, de la Valette, de Péreuil, d’Aunac, de Ruffec aient inspiré des cahiers des paroisses voisines ou même du ressort féodal. Mais l’imitation dont ils sont l’objet est rarement servile. Si l’on trouve des cahiers, comme ceux de Pillac, de Saint-Vincent-d’Aubeterre, de Saint-Amant et de Saint-Eutrope de Montmoreau, d’Étriac et de la Diville qui sont la reproduction textuelle d’autres cahiers, le cas est exceptionnel et s’étend à peine à six ou sept communautés sur plus d’une centaine. Un cas plus fréquent est celui où l’on se trouve en présence de cahiers qui présentent des analogies partielles. Il est alors presque toujours impossible de déterminer le cahier type. On peut, en effet, présumer qu’un cahier rédigé antérieurement à un autre a pu servir de modèle, par exemple, celui d’Aubeville (3 mars) pour Étriac (9 mars), et celui de Péreuil (1er mars) pour la Diville (6 mars) . Mais, il n’y a là qu’une présomption et non une certitude. On peut aussi supposer qu’un cahier correct a dû servir de type à un cahier incorrect , quoique la correction de la forme ne soit pas une preuve très forte d’antériorité et d’originalité. D’ailleurs, dans une foule de cas, ces présomptions elles-mêmes font défaut, et quand des cahiers qui se ressemblent ont été rédigés le même jour et presque à la même heure, comme à Courlac, à Saint-Quentin-d’Aubeterre, à Aunac et à Chenommet, à Condac, à la Chéverie, aux Adjots, à Empuré et à la Madeleine-Beauvoir, on n’a aucun indice qui permette de décider quel est le cahier modèle. Au reste, la question ne présente qu’un intérêt secondaire.

Ce qu’il est permis d’affirmer, d’après une comparaison minutieuse des cahiers, c’est que ces documents, alors même qu’ils s’inspirent de types généraux ou locaux, n’en reproduisent servilement ni la substance ni les formes. Ils se bornent presque toujours à y prendre l’expression de certains griefs communs, mais ils présentent nombre de parties distinctes et originales. Tantôt ils empruntent aux cahiers types le préambule et quelques articles d’ensemble; tel est le cas pour les doléances des communautés des marquisats d’Aubeterre et de Ruffec. Tantôt ils s’inspirent du cahier modèle, mais en l’abrégeant et le modifiant comme à Courgeac. Tantôt ils ne prennent à ce modèle qu’un petit nombre de paragraphes, et pour la majorité des autres articles, ils reproduisent des griefs originaux. Tantôt, au contraire, la majeure partie des articles du cahier type est copiée, et un petit nombre de doléances seulement sont originales . Parfois même on rencontre combinés dans un seul cahier des éléments qui se retrouvent disséminés dans plusieurs autres Mais presque toujours le cahier type est ou bien abrégé, ou bien développé, suivant les circonstances locales. Quelquefois, deux cahiers qui s’inspirent visiblement d’un même modèle, comme ceux d’Empuré et de la Madeleine-Beauvoir, diffèrent profondément l’un de l’autre par les détails et par le ton des doléances. Quelquefois, comme à Saint-Martin-du-Clocher, ils n’empruntent même au cahier modèle que des lambeaux de phrases isolés. Enfin, la plus grande partie des cahiers se bornent à prendre aux cahiers types des déclarations de principes et des exposés généraux, ce que l’on pourrait appeler des morceaux de style, et réservent pour les développements originaux les faits d’observation, les griefs d’ordre administratif, financier, économique et social qui intéressent plus spécialement les populations urbaines et rurales.

La langue des cahiers est encore une preuve de leur origine populaire, de leur sincérité et de leur originalité. Des doléances, telles que celles des charpentiers, des selliers, des cordonniers d’Angoulême, des paysans de Peudry, du Vivier-Joussaud et de la Madeleine-Beauvoir, par leur forme négligée, toute spontanée, naïve, gauche, vive et primesautière, sont dues à des mains plus habituées à manier l’outil ou la bêche que la plume et n’en ont que plus de charme à nos yeux, D’autres, par la précision ou la correction relatives du style, par le tour oratoire ou juridique de certains développements, par la clarté, la netteté, l’étendue des doléances, sont évidemment l’œuvre d’hommes cultivés de la classe bourgeoise, par exemple ceux d’Angoulême, de Cognac, de Ruffec, de la Rochefoucauld, de la Valette, de Blanzac, de Saint-André, de Saint-Léger, de Champagne, de Palluaud, de Montmoreau; mais la vivacité et parfois l’âpreté des formules et des revendications y trahissent l’influence de l’élément populaire, dont le bourgeois lettré n’est que l’interprète. Parfois, dans un même cahier, on saisit sur le vif la juxtaposition des formes de langage et des griefs de la bourgeoisie et des paysans ou des artisans, comme à la Couronne, à Bessé, à la Faye, et dans la plupart des communautés des marquisats d’Aubeterre et de Ruffec, du comté de Blanzac et du duché de la Valette. Presque partout, enfin, même dans les cahiers rédigés par des gens de loi, des bourgeois, des demi-lettrés, apparaissent les formes du langage populaire, le mépris de la correction académique et orthographique qui caractérise les gens du peuple.

Tournures et incorrections populaires sont relativement rares dans les cahiers urbains; elles fourmillent dans ceux des petites villes, des bourgs et des campagnes . Tantôt ce sont des phrases enchevêtrées au milieu desquelles le rédacteur novice s’empêtre comme une araignée dans sa toile. Tantôt ce sont des constructions mal équilibrées où manquent quelque verbe, quelques mots, parfois même des membres de phrases. Ici, le rédacteur et l’assemblée ont employé les tournures naïves de leur langage usuel , qui n’a rien de commun avec la phrase correcte des lettrés. Là, ils hasardant les termes spéciaux du parler local , termes rares en Angoumois, province dont la pureté de langue et d’accent est resté longtemps renommée . En certains cas, ils fabriquent des mots et des membres de phrase, soit de toutes pièces , soit en vertu d’altérations des termes français encore aujourd’hui très usuelles. Souvent, les temps et les modes des verbes sont brouillés ; le singulier est mis pour le pluriel ou réciproquement , les personnes sont confondues; on applique aux verbes les formes plurales réservées dans la langue correcte aux substantifs et aux adjectifs . Le pléonasme n’effraie pas. On altère le genre et le nombre de substantifs , des adjectifs et des pronoms , et, suivant les usages de la prononciation populaire, on applique aux pronoms indéterminés ou invariables devant les voyelles les règles du pluriel. L’orthographe est d’une fantaisie extrême, comme il convient à des gens du peuple. Pour certains mots, on a conservé les vieilles formes orthographiques en usage au moyen âge et au XVIe ou au XVIIe siècle . Mais pour d’autres on altère sans hésitation, suivant les déformations habituelles au peuple, les termes trop savants ou trop éloignés de l’usage. On ajoute sans scrupule des lettres parasites, on omet d’autres lettres. On en redouble d’autres; on opère des substitutions continuelles . On altère enfin l’orthographe de mots entiers, le tout suivant les lois de la phonétique du peuple.

Quand on a ainsi parcouru ces cahiers, au spectacle de leurs incorrections naïves, de leur gaucherie, de leur pittoresque orthographe, il n’est guère possible de soutenir qu’ils ne sont pas, pour la majeure part, l’œuvre réelle des assemblées populaires, qu’ils n’expriment pas à la fois les griefs particuliers de la bourgeoisie en même temps que ceux du peuple des villes et des campagnes.

Cahiers de doléances de la sénéchaussée d'Angoulême et du siège royal de Cognac

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