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V

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– Je servirai le thé aujourd'hui, chère amie, si vous voulez bien me confier ces délicates fonctions, dit Julienne, qui était arrivée la première, pimpante, à la réception de Pauline. Qui comptez-vous avoir?

– Peu de monde, les habitués. Je rétrécis de plus en plus le cercle de mes relations.

– Les miennes s'étendent: je ne sais comment cela se fait.

– C'est que vous aimez la société, et que la société vous le rend.

– La société est bien polie.

– Aurons-nous M. Chandivier?

– Mon mari est très occupé; il viendra cependant, un peu tard: il m'a priée de l'attendre. Mais je puis vous annoncer la visite de Paul.

– Paul? demanda Pauline.

– Oui, Paul Réderic: il se nomme Paul.

– Ah! Et celle de Sénéchal probablement?

– Méchante! Sénéchal ne va dans le monde que flanqué de sa femme, la Sénéchale, ainsi qu'on l'appelle, cette grosse dame confite dans ses prétentions. Avec elle, ce cher sénateur devient assommant; il pontifie comme dans la vénérable assemblée dont il est d'ailleurs un des pavots les plus hauts en fleur.

– Puis, deux ou trois «bonnes amies», je pense.

– Mme d'Orgely, Mme Sermais, la baronne Citre?

– Oui. Peut-être les Béhutin: et voilà.

– En fait d'hommes, c'est tout?

– Le vicomte, Sénéchal, Réderic, votre mari, le mien… mon Dieu, oui! à moins que l'une de ces dames n'amène aussi le sien, ce qui est peu probable, ces messieurs ne se montrant guère avant le dîner et ces dames étant charmées d'avoir un prétexte pour sortir sans leurs époux. Sous l'œil marital, elles sont moins libres de médire.

– Elles sont bien bonnes de se gêner! Avec ça que les messieurs s'en privent!

– Oui, mais avec les femmes des autres.

– Ou entre eux, ce qui est effrayant. Essayez un peu, comme je me suis quelquefois amusée à le faire, d'écouter à leur insu la conversation des hommes. Elle est épouvantable. Ils nous traitent comme de simples filles.

– Cela ne tire pas à conséquence: ils n'en disent pas plus avec leurs termes crus que nous par nos sous-entendus. Quelque opinion d'ailleurs qu'ils aient sur nous, ils ne s'en prévalent jamais pour nous nuire. Tant qu'une femme n'est maltraitée que par les hommes, elle peut dormir tranquille. Qu'elle tombe, au contraire, entre les mains des femmes, elle est perdue. Comme ce sont celles-ci qui font la société, elles se voient toutes puissantes pour en expulser qui elles veulent; et les hommes laissent faire, sûrs de retrouver ailleurs la malheureuse qu'ils n'ont pas su ou pas voulu défendre.

– Celles qui se laissent prendre manquent vraiment d'habileté, dit Julienne. Il est si facile d'exciter à la fois l'amour des hommes et le respect des femmes.

– Ce n'est pas si facile: il y a des femmes qui font causer les hommes et des hommes qui ne craignent pas de livrer aux femmes les choses qui se disent entre hommes. Ces femmes-là, ces hommes-là surtout sont dangereux.

– En connaissez-vous?

– Il y en a partout. Les femmes y mettent toujours quelque scélératesse; les hommes, soit l'amour du scandale, soit de la bêtise, soit seulement de la faiblesse: mais le résultat est acquis.

– Vous faites les gens plus mauvais qu'ils ne sont, ma chère Pauline.

– Les gens sont mauvais sans s'en douter. C'est si simple d'exécuter son prochain en riant!

– Serait-ce, par hasard, moi le prochain? fit Réderic qui entrait.

– Vous le mériteriez, monsieur, dit Julienne en lui tendant la main.

Après avoir salué Pauline et baisé le bout des doigts qui lui étaient présentés:

– Pourquoi donc? demanda-t-il.

– Il y a tant de choses à vous reprocher, et qui ne seraient pas de la calomnie! D'abord, vous êtes sceptique: vous ne croyez ni à l'amour, ni à Dieu. Ensuite, vous êtes froid: rien ne vous enthousiasme, et il faut vous forcer jusque dans vos retranchements pour obtenir de vous quelque signe, peut-être factice, de sensibilité. Enfin, vous êtes abominablement mystérieux! Voyez Sénéchal: le plein jour. Avec lui, on est à l'aise: on sait toujours ce qu'il veut et ce qu'il pense.

– Quelle éternelle coquette vous faites, observa Réderic avec un sourire forcé: mais ses sourcils se froncèrent de colère.

– C'est mal, la coquetterie? demanda Julienne du ton le plus innocent. Qu'en dites-vous, Pauline?

Pauline dédaignait la coquetterie. Elle la jugeait peu digne lorsqu'il s'agissait de séduire, odieuse quand elle devait servir à attiser la jalousie. Agir franchement et simplement, aussi bien envers ceux qu'on aime qu'envers ceux qu'on n'aime pas, lui paraissait à la fois plus noble et plus sûr. Le mouvement d'humeur de Réderic ne lui échappa pas. Elle comprit qu'il était malheureux des continuelles piqûres faites à son amour-propre, à ses sentiments, à son caractère par la coquetterie de Julienne. Son extérieur de sceptique cachait une âme sujette aux susceptibilités.

– Eh bien, vous n'exprimez pas votre avis? fit Julienne. Je vois que vous êtes l'ennemie de la coquetterie.

– C'est vrai, me sentant à la fois incapable d'être coquette par grâce et trop hautaine pour l'être par méchanceté.

– Dites plutôt, madame, reprit Réderic, que les coquettes font tout coquettement, le bien et le mal.

– Et le mal plutôt que le bien? interrogea finement Julienne.

– Cela dépend, dit Réderic: il y a des hommes qui ne peuvent supporter la coquetterie; pour eux une femme coquette est un démon. Moi qui suis persuadé qu'une femme est toujours un démon, j'aime autant un démon coquet qu'un autre.

– Merci du compliment! s'écria Julienne. Démon coquet! quelle impertinence!

Attiré par les voix, Facial arriva d'une chambre voisine.

– Bonjour, mesdames, tous mes respects.

Et serrant la main de Réderic:

– Mon cher monsieur, vous êtes le bienvenu. J'aime beaucoup qu'il y ait des hommes aux réceptions de ma femme. J'ai même pris mes mesures pour leur être agréable. Voyez donc!

Facial souleva une portière et découvrit une pièce arrangée en fumoir, au milieu de laquelle se trouvait un guéridon chargé de boîtes de cigares, de cigarettes et d'une cave à liqueurs.

– Comment, vous allez nous enlever ces messieurs? protesta Julienne.

– N'ayez pas peur, dit Facial: ces messieurs ne négligeront pas de vous présenter leurs hommages, et ce n'est qu'après avoir rempli ce devoir qu'ils passeront chez moi pour causer un peu entre hommes.

– Est-ce assez perfide! Ils ne resteront auprès de nous que le strict quart d'heure de politesse.

– Pour commencer, je profite de l'invitation, dit Réderic. Vous permettez, Madame? ajouta-t-il en s'adressant à Pauline.

– Vous voyez, déjà une désertion! fit Julienne.

– Oui, dit Facial, mais voici des recrues pour nous remplacer.

Et il s'élança sur les talons de Réderic en lui criant:

– Les cigarettes russes sont dans la boîte en argent.

Pauline se leva pour recevoir. Mme d'Orgely, très élégante, la baronne Citre, très complimenteuse, Mme Sermais, très bavarde, arrivèrent successivement, emplissant bientôt le salon de paroles et d'attitudes.

Mais que devint Pauline, lorsqu'elle vit entrer chez elle la vicomtesse de Béhutin accompagnée d'Odon de Rocrange? Son cœur palpita avec violence. Elle eut néanmoins la force de dissimuler une grande partie de son émotion, mais pas tellement qu'Odon ne s'aperçût avec bonheur de l'effet que son apparition imprévue venait de produire.

La vicomtesse se chargea d'expliquer cette présence, qui, du reste, aux yeux des indifférents, ne pouvait rien avoir d'insolite.

– Chère madame, dit-elle après s'être assise et avoir reçu une tasse de thé des mains de Julienne, le vicomte m'a priée de l'excuser auprès de vous, un rhume le retient à la maison. Moi-même, j'aurais peut-être été privée du plaisir de vous rendre visite, si M. de Rocrange, mon frère, lequel avait d'ailleurs de son côté l'intention de se présenter chez vous, n'avait bien voulu prendre la place de mon mari. Vous savez que je n'aime pas à sortir seule.

Pauline reprit possession d'elle-même. Une joie exquise coulait dans ses veines. Si Odon avait tenu à la revoir, n'était-ce point qu'il s'était passé entre eux quelque chose qu'il n'oubliait pas plus qu'elle? Et maintenant, rien qu'à surprendre dans ses yeux de ces regards qui ne trompent pas, au milieu des paroles quelconques qui voltigeaient autour d'eux et qu'eux-mêmes prononçaient, elle sentait à n'en pas douter l'intérêt excité par elle chez l'homme dont elle éprouvait le charme. Odon était semblablement heureux. Il leur semblait à tous deux, sans s'être encore rien dit, qu'ils venaient de se comprendre.

Mais ils s'observèrent scrupuleusement. Exposés aux malveillances, un signe eût pu les trahir. Pauline n'avait pas l'astuce et l'aisance de Julienne, qui permettaient à celle-ci de mener plusieurs intrigues de front, en plein salon, et avec un tel sans-gêne que chacun, admirant son esprit et sa grâce, oubliait de se demander ce qu'il y avait de sérieux sous sa comédie et affectait de considérer comme de brillantes plaisanteries ses plus impudentes audaces. Pauline était trop sincère, et surtout faisait trop l'effet de l'être, pour que chacune de ses manifestations ne fût pas grosse de conséquences. Elle obviait à ce défaut par une prudence et un tact parfaits. Elle avait si bien réussi jusqu'ici que, comme Réderic l'avait dit à Odon, il ne courait pas sur elle le moindre bruit ayant quelque consistance. Julienne ne laissait cependant pas de l'épier. La sachant discrète et la seule femme dont elle n'eût pas à craindre l'hostilité, elle prenait plaisir à ne lui rien cacher de sa vie. Mais elle eût voulu que Pauline lui rendît la pareille, sans songer qu'elle-même était incapable d'inspirer à son amie une semblable confiance; et quoique celle-ci lui assurât toujours qu'elle n'avait aucune confidence à faire, Julienne n'en était que plus disposée à croire qu'il y avait quelque chose et à chercher ce que pouvait bien être ce quelque chose.

Pauline, ou la liberté de l'amour

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