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LIVRE PREMIER
V

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Chaque printemps, «pour se porter bien et être belle toute l'année», une femme venait se faire saigner chez Mme Alexandre. Était-ce une vieille tradition médicale conservée par des bonnes femmes de la campagne, mêlée d'un rien de superstition religieuse? la femme arrivait toujours présenter son bras à la lancette, le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Cette femme était une fille d'une maison de prostitution de la province, qui dans le temps, lors d'une courte domesticité dans la capitale, avait accouché en cachette chez la sage-femme. Toutes les fois qu'elle venait à Paris, la lorraine restait huit jours pour les commissions et les affaires de la maison, huit jours, où elle logeait chez Mme Alexandre, comme elle aurait logé à l'hôtel. La trop bien portante provinciale, qui était sur pied le lendemain de sa saignée, qui s'ennuyait de ne rien faire, devenait, tout le long des journées qu'elle n'était pas dehors, l'aide d'Élisa, se chargeant de la bonne moitié de sa tâche, ne craignant pas de mettre la main à tout. Quelquefois, le soir, elle emmenait Élisa au spectacle. Elle riait toujours la lorraine, et ses paroles, avec l'accent doucement traînant de son pays, prenaient la confiance des gens comme avec de la glu. Elle ne partait jamais sans faire un petit cadeau à Élisa, qui l'avait prise en amitié et, tous les ans, voyait arriver avec une certaine satisfaction le jour de la Saint-Valentin.

Le soir de la saignée de la lorraine, au sortir d'une scène abominable avec sa mère, Élisa, en bordant le lit de la femme, laissait jaillir, en phrases courtes et saccadées, la détermination secrète et irrévocable de sa pensée depuis plus de six mois.

«Elle avait plein le dos de l'existence avec sa mère… l'ouvrage du bazar était trop abîmant… elle ne voulait pas devenir une tire-enfants… voici bien des semaines qu'elle l'attendait… c'était fini, elle avait pris son parti de donner dans le travers… elle allait partir avec elle… si elle ne l'emmenait pas… elle entrerait dans une maison de Paris, la première venue… s'entendre avec sa mère, c'était vouloir débarbouiller un mort… Elle se sentait par moments la tête évaporée… elle connaissait bien un garçon qui avait un sentiment pour elle… mais ses amies qui s'étaient emménagées avec des amants, elle les trouvait par trop esclaves… elle aimait mieux être comme la lorraine… elle aurait du plaisir à se voir à la campagne… et au moins là, elle pourrait dormir tout plein.»

– Da! fit la lorraine un peu étonnée, mais au fond très-enchantée de la proposition – elle n'avait pas l'habitude de faire de telles recrues – et après s'être assurée qu'Élisa avait plus de seize ans, lui avouait qu'elle ne demanderait pas mieux, mais qu'elle craignait que sa mère fît quelque esclandre chez le commissaire.

– Ayez pas de crainte; maman! elle ne mettra jamais la police dans ses affaires, et pour cause… Elle me croira chez un de mes danseurs de la Boule-Noire. Ce sera tout…

Puis Élisa assurait à la lorraine, craignant au fond de perdre sa saigneuse, qu'il y avait moyen d'arranger la chose, de manière que sa mère n'eût pas le moindre soupçon sur son compte. Élisa décamperait quelques jours avant sa sortie. La lorraine se ferait reconduire par la sage-femme au chemin de fer de Mulhouse – et retrouverait sa compagne de voyage seulement à la première station.

Les deux femmes convenaient du jour de leur départ, et la fille disparaissait de la maison maternelle, le lendemain de cette soirée.

La fille Elisa

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