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MON AMI WOLF
§ II.
LE RÉCIT

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«Il y a environ deux ans de cela me dit Wolf, – c'était pendant la guerre, je commandais une goëlette dans la Méditerranée, ma mission se bornait à convoyer de temps à autre des bâtiments marchands, – Je me trouvais alors mouillé à Porto Venere, petit port d'Italie entre le golfe de Gênes et celui d'Especia, près des îles Palmeries. —

«J'avais la plus entière confiance dans mon second, et j'allais fréquemment à terre, quoique la ville de Porto Venere fut horriblement triste, mais le fait est que j'y avais fait la connaissance d'une fort jolie demoiselle dont le père était capitaine de port.

«Je ne sais comment diable elle était venue en Italie, mais elle était Péruvienne et s'appelait Pépa.

«Figurez-vous, – mon cher, – dix-huit ans, – un teint orangé, – des lèvres rouges comme du corail, des dents bien blanches, une taille… à tenir là dedans, – une gorge un peu forte, et des hanches… ah! des hanches comme une Andalouse, – et puis des yeux… vous savez, toujours fermés à demi, comme ceux de quelqu'un qui sommeille… et puis une forêt de grands cheveux noirs et épais… et puis encore des sourcils à l'avenant.

«Aussi, mon ami, si vous l'aviez vue avec un peignoir serré seulement autour de sa taille par une ceinture, nu-tête, et se balançant au frais dans son hamac de jonc… Vrai Dieu… c'était à en devenir fou. – Aussi j'en devins fou. —

«Sa mère était morte, et son père était un vieux brave homme, assez butor; je me trouvais avec lui en relation continuelle de service, je m'arrangeai pour lui être utile, il m'en sut gré, m'ouvrit sa maison, c'est tout ce que je voulais. —

«C'était beaucoup; – mais Pépa avait une vertu fort tenace, et des principes religieux, profonds et arrêtés; pour tâcher de me mêler à leur influence, – je les partageai. —

«Je m'agenouillai donc avec elle pour invoquer Dieu, et vous ne sauriez croire combien je trouvais de charme dans ces prières, car je lui avais dit une fois: —

«Pépa, il y a ce me semble une pensée d'égoïsme à prier pour soi… si vous vouliez, vous prieriez pour moi, Pépa? et alors moi, je prierais pour vous?.. —

«La pauvre enfant accepta l'échange, et comme elle me demandait un jour la forme de l'invocation que je faisais pour elle, je lui dis franchement, qu'elle consistait en ceci: – mon Dieu, faites donc qu'elle m'aime, car je l'aime bien. —

«Elle me bouda, rougit, et finit par me dire, qu'elle au contraire ne demandait ardemment qu'une chose au ciel, – c'était de ne pas m'aimer. —

«Vous jugez que cet aveu me rendit plus amoureux que jamais, je ne la quittais pas, je l'obsédais, et enfin je parvins à la convaincre de ma passion, qui entre nous, je l'avoue, était aussi violente qu'on puisse l'imaginer, – jusque là voyez-vous, je n'avais eu que des filles; aussi j'aimais pour la première fois, j'aimais avec délire, parce qu'il y avait un cœur et un noble cœur, chez cette femme-là. – Savez-vous qu'un jour elle me dit, – je suis bien contente que vous soyez marié, Wolf, comme je suis pauvre, – au moins vous ne penserez pas que je vous aime pour vous épouser, – que je vous aime parce que vous êtes riche.»

– Vous êtes donc marié? dis-je à mon ami Wolf.

– Pas du tout me répondit-il, mais j'avais dit cela pour voir au juste quelle espèce d'amour on me portait, car j'aurais toujours craint, sans cette précaution, d'être aimé comme mari futur: – Ce qui entre nous est fort abject.

Je continue: – «Un jour, le père de Pépa ayant voulu aller lui-même visiter en mer un navire suspect, il le trouva rempli de malades qu'on n'avait pas d'abord déclarés, et fut obligé de partager avec eux une quarantaine de huit jours; veillé, gardé à vue par les gardes sanitaires.

«Vous pensez ma joie; Pépa restait seule avec une vieille gouvernante. – Après avoir consolé le père en me tenant à une honnête distance de son navire, je me rendis à terre pour rassurer la fille et lui demander… ce que je lui demandais toujours; – car elle ne m'avait encore rien accordé, craignant, disait-elle, qu'une fois mes désirs satisfaits je ne me lasse d'elle… et qu'au bout de quelque temps la satiété ne vînt me glacer; car vois-tu, me disait-elle naïvement: – je t'aime pour moi, et non pour toi… et j'éprouve un plaisir inouï à être désirée.

«Pendant les six premiers jours de la quarantaine du père, mêmes demandes de ma part, même refus de la part de Pépa.

« – Or, le matin du septième jour, j'étais littéralement résolu à me brûler la cervelle si elle me refusait encore; mais, comme j'ai toujours fermement voulu, ce que j'ai voulu, j'aurais possédé Pépa de gré ou de force avant que de mourir. – Elle m'avait avoué son amour; – la possession n'était donc plus alors qu'une formalité, n'est-ce pas?»

Je répondis à mon ami Wolf par un hum… légèrement dubitatif, et le priai de continuer.

« – Comme j'allais me rendre à terre, on signala un aviso au large, j'envoyai mon embarcation, et un aspirant m'apporta des dépêches de mon amiral; il m'ordonnait de mettre à la voile le lendemain au point du jour, sans me dire pourquoi, et de rallier l'escadre.

«Je fus attéré, je me croyais, moi, mouillé là jusqu'au jugement dernier, et je n'avais pas un instant pensé à mon départ; – je donnai néanmoins les ordres pour appareiller le lendemain, et j'allai à terre apprendre cette nouvelle à Pépa; – sans m'être décidé à rien, j'avais toujours pris des pistolets avec moi.

« – Je pars demain… Pépa… peut-être pour ne plus nous voir, lui dis-je.

« – Vrai… vrai… tu pars… et demain! s'écria-t-elle avec une joie qui me rendit sombre! – Il part demain, oh! mon Dieu, je te remercie, s'écria-t-elle en se jetant à genoux!

« – Pépa… lui dis-je!

« – Mais elle, se précipitant à mon cou avec délire, fut la première à me couvrir de baisers; tu pars… me disait-elle, mais tu ne pars que demain;… mais cette nuit… cette nuit est à nous! – elle est à nous tout entière, cette nuit que tu regretteras. – Oh! oui… parce qu'elle sera la première et la seule; oui, ainsi tu regretteras ta Pépa… tu la regretteras, disait-elle avec une joie d'enfant et une exaltation de femme passionnée, – tu la quitteras en la désirant encore… en la désirant plus que tu ne l'auras jamais désirée… car tu ne sais pas, non, tu ne pourras jamais savoir combien je t'aime, et ce qu'il m'en a coûté pour te résister jusqu'ici. – Mais vois-tu, c'est toujours ainsi que j'avais rêvé l'amour; – avoir à moi un jour, un seul jour rempli des plus ardentes et des plus inexprimables voluptés; – mais un seul jour, – afin qu'il fût unique dans tous mes jours! car, si ce jour avait des lendemains, vois-tu, Wolf, auprès de lui… chaque lendemain serait pâle et lui ôterait de son prestige et de son éclat… et songe donc que je dois vivre toute ma vie de ce seul jour; car si mon pressentiment ne me trompe pas… je ne te verrai plus… et, s'il me trompe, tu n'obtiendras pas plus de moi dans l'avenir!»

– Sacredieu, dis-je à Wolf, votre Pépa était un peu originale, mais malgré cela j'aurais voulu me trouver à votre place… vous deviez être un homme bien heureux…

– «Heureux à perdre la tête, aussi, vite, je retourne à bord afin de donner mes dernières instructions pour le lendemain matin.

– «Il était à peu près trois heures de l'après-midi, je fais préparer une petite yole que je manœuvrais moi seul pour me rendre à terre sans témoins; je passe encore le long du navire du père de Pépa, afin de bien m'assurer que la quarantaine ne finirait que le lendemain, je vois le digne capitaine, il me charge de ses tendresses pour sa fille, je lui fais signe de la main, et je me dirige vers cette partie de la côte où aboutissait le petit jardin de la maison de Pépa…»

– Ah ça, mais vous ne me parlez pas des scrupules que vous dûtes avoir, – dis-je à mon ami Wolf, – des scrupules que vous dûtes avoir quand vous vîtes ce bon homme si confiant, dont vous alliez séduire la fille…

– Mais mon ami me répondit avec une violence que je me plais à attribuer au punch.

– «Ne me dites donc pas des choses que vous ne pensez pas, et auxquelles vous n'eussiez pas songé non plus à ma place!

– «Des scrupules!.. – est-ce qu'on a des scrupules quand on va posséder une femme comme Pépa! mais rappelez-vous donc qu'elle m'attendait, qu'elle avait éloigné sa vieille gouvernante… qu'elle était seule… toute seule… que je la voyais d'avance couchée sur son divan rouge avec son grand peignoir blanc et ses cheveux noirs, la gorge palpitante, – les yeux voilés; – car quoiqu'elle m'eût résisté, elle m'aimait autant que je l'aimais, et ses désirs étaient aussi violents et avaient été aussi comprimés que les miens. Or, vous concevez, mon cher, les délices que je rêvais, lorsque sur le point d'arriver à la plage, je crus apercevoir un homme qui nageait vers moi, venant du large en contournant les rochers qui bordaient la passe.

«Bientôt je n'en doutai plus, et je vis un homme nu, basané, crépu, qui toujours nageant me faisait signe de l'attendre.

– «Amenant ma misaine, je restai en panne, il me rejoignit et me demanda en anglais, si j'étais un officier de la goëlette.

– «J'en suis le commandant, lui dis-je.

– «Alors, capitaine, je n'aurai pas la peine de nager jusqu'à votre navire, voici pour vous seul, – et il décrocha de son col une petite boîte de plomb qu'il me donna d'une main, tandis qu'il s'appuyait de l'autre sur le gouvernail de mon embarcation, restant ainsi soutenu à fleur d'eau sans nager, – je cassai la boîte avec la lame de mon poignard et je lus… Savez-vous ce que c'était?..

– Non, mon cher Wolf…

– «Un nouvel ordre de l'amiral qui m'enjoignait de mettre à la voile, non plus le lendemain comme l'autre, – mais à l'instant que je recevrais sa missive. – La vitesse de ma goëlette était connue, et il m'ordonnait de me rendre immédiatement auprès de lui pour remplir une mission de la dernière importance; j'avais, me mandait-il, encore le temps de sortir du port; mais le lendemain, mais la nuit, mais le soir même, mais d'heure en heure cela me deviendrait peut-être impossible; car les Français devaient venir croiser devant Porto-Venere!.. Ils y croisaient peut-être déjà, – Aussi dans cette crainte, l'amiral m'envoyait d'Especia, son patron, homme sûr, à lui dévoué, lui ordonnant de laisser son canot le long des rochers en dehors de la passe et d'entrer à la nage dans la rade, s'il le pouvait, afin que son embarcation ne donnât pas l'éveil à l'ennemi, dans le cas où il aurait déjà établi sa croisière aux environs du port.

«Enfin ce patron maudit avait réussi à exécuter les ordres de son amiral et il était là une main appuyée sur le gouvernail de ma yole, fixant sur moi ses yeux gris, et me disant:

– «Puisque nous allons partir, capitaine, voulez-vous me prendre avec vous, l'amiral m'a ordonné de revenir à bord de votre goëlette si j'échappais aux requins et aux Français, et de vous recommander encore de partir aussitôt que je vous aurais remis cette babiole qui me pesait furieusement au col. – J'ai échappé aux Français, non sans peine; car j'ai vu au vent une frégate et un brick, et pour peu que nous ne filions pas nos câbles par le bout, d'ici à une demi-heure… il sera trop tard, capitaine.»

– Mille diables, et… Pépa? dis-je à Wolf.

La coucaratcha. II

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