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MON AMI WOLF
§ III.
SUITE DU RÉCIT

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Il changeait de visage. – Il sentait ses veines brûler, sa poitrine s'embraser et ses pieds se glacer. La parole expirait dans sa bouche, la pensée dans son cerveau, il résista un moment.

P. L. JACOB. —La Danse Macabre.

– Mais Pépa, Pépa? – demandai-je encore à mon ami Wolf.

– «Attendez, me répond-il. – Puisque je suis comme à confesse, il faut que je vous dise tout ce qui me passa par la tête dans ce moment diabolique, – et je ne sais pas comment cela se fait, – mais je me rappelle toutes ces idées d'alors, comme si c'était hier. – C'est peut être parce que j'y pense souvent, – voyez-vous, ajouta Wolf après un moment de sombre silence.

« – D'abord la première pensée qui me vint, celle qui fut la base de toutes les autres – fut que je ne partirais pas, – après quoi je pensai que je serais naturellement fusillé net; – ce qui m'était égal, puisque le matin j'étais décidé à me fusiller moi-même si je n'obtenais rien de Pépa. – La question n'était pas là, – elle était dans cet infernal patron de l'amiral. – Il ne fallait pas songer à corrompre ce matelot, – je le connaissais. – Or, lors-même que je refuserais à partir, cet homme allait retourner à mon bord – parler des ordres que je venais de recevoir; et peut-être qu'une fois que mon second et mes officiers en seraient instruits: – de gré ou de force je me verrais obligé de partir… Or vous concevez ce que signifiait pour moi, ce mot, – partir. – Maintenant que vous connaissez Pépa…»

– Je le conçois si bien, dis-je à mon ami Wolf… que je n'ai qu'un regret… – on peut dire cela entre soi… – c'est que votre animal de patron n'ait pas été dévoré par un requin, – ajoutai-je tout bas…

«Vraiment… – me dit Wolf avec un accent singulier. – Pardieu je pensai tout juste comme vous… moi! – quel dommage! me disais-je! comme vous, – car enfin un requin eût dévoré ce patron, je suppose… – eh bien! je n'avais pas de nouvelles de l'amiral, – et je n'étais obligé qu'à partir le lendemain au risque, il est vrai, de rencontrer l'ennemi, mais aussi j'avais ma nuit à moi… une nuit de délices, – et demain au point du jour… – un dernier baiser à Pépa, – et peut-être un combat acharné à soutenir, – un combat enivrant, glorieux comme un combat inégal, concevez-vous… Sortant des bras de Pépa, – un pareil combat où j'aurais joué ma vie avec tant de bonheur et de joie; un combat qui avec cette nuit d'ivresse eût si bien complété ou fini ma vie…»

– C'était admirable en effet… dis-je à Wolf… et sans ce misérable patron…

« – Ah voilà, c'était ce maudit patron, répondit Wolf; – mais j'oubliais de vous dire, ajouta-t-il, – que pendant l'instant qui me suffit pour faire ces mille réflexions sur les ordres de l'amiral, – j'oubliais de vous dire que ma yole n'étant plus soutenue par la voile avait suivi un courant assez fort et qu'elle se dirigeait insensiblement vers un endroit de la rade, rendu extrêmement dangereux par un de ces tourbillons volcaniques si fréquents dans la Méditerranée… et que je fus tiré de ma méditation par un cri du patron… qui ne se défiant de rien, suivant mon canot, auquel il se tenait sans nager, s'était senti tout à coup entraîner par le remous du tourbillon, avait lâché le gouvernail… et tournoyait, au milieu du gouffre… en criant, – jetez-moi un aviron ou je me noie…»

– Je ne pus dire un mot, – et je regardai Wolf en pâlissant, il était impassible et froid.

– Wolf continua d'une voix seulement un peu sourde.

« – Je dois vous avouer que si j'avais suivi mon premier mouvement, j'aurais jeté ma gaffe à cet homme pour lui sauver la vie.»

– Mais le second… Wolf… m'écriai-je… quel fut votre second mouvement.

« – Mon second mouvement, répondit Wolf, —fut de n'en rien faire et de voir, au contraire, cette mort avec joie. – Aussi le patron disparut en m'appelant: —assassin; il avait raison, car sa vie avait été entre mes mains, – et il m'eût été aussi facile de le sauver, – que de boucler mon ceinturon…»

– Je me levai violemment… mais Wolf me retint et me dit en souriant avec amertume.

« – Je vous l'avais bien dit… que j'étais un misérable. Mais, vous, l'homme aux scrupules, descendez dans votre âme intime… tout au fond… déroulez un de ces plis secrets et cachés que l'homme de sang-froid ose à peine interroger… acceptez toutes les chances de ma position, toute l'ivresse de mon amour forcené, auquel j'avais fait le sacrifice de ma vie; – persuadez-vous bien que l'impunité la plus entière m'était assurée, qu'un mystère profond… profond comme le gouffre sans fin qui avait englouti le patron enveloppait mon crime… qui après tout n'était qu'un déni d'humanité; dites-vous bien que le hasard seul avait tout fait, – que je ne connaissais pas cet homme, moi; dites-vous d'ailleurs ces mots devant lesquels se briseraient des vertus bien rudes: —Personne ne pouvait le savoir– car souvent la vertu c'est la peur du scandale; – dites-vous enfin tout ce que je pouvais me dire de consolant dans ma fatale position. – Songez surtout que j'aimais avec fureur, – songez à ce que j'avais été sur le point de perdre et à ce que la mort de cet homme pouvait me rendre… – Une nuit avec Pépa!!! – Et après cela osez me jurer par votre mère que vous n'eussiez pas agi comme moi,» – s'écria Wolf avec un regard perçant et froid qui me traversa le cœur.

– J'ai le courage ou la honte d'avouer que je ne pus trouver un mot à répondre.

Wolf n'ayant pas l'air de s'apercevoir de mon silence continua: —

«Je ne vous parlerai pas de la nuit que je passai avec Pépa, – il y a deux ans de cela, – Pépa est morte, – et pourtant à ce souvenir seul, voyez comme mes artères battent et comme je pâlis… car je le sens, je pâlis encore.

«Le lendemain ce que l'amiral avait prévu arriva, une croisière française était établie au vent de Porto-Venere.

«Je regagnai ma goëlette au point du jour et je dois encore vous avouer que j'eus la plus entière indifférence pour les pauvres gens que j'allais faire hacher par ma désobéissance; car, si j'avais suivi les ordres de l'amiral, nous eussions évité un combat bien meurtrier.

« – Mon équipage était excellent, – j'exaltai encore son courage et nous sortîmes de la passe décidés à nous faire couler, – moi surtout – comme vous pensez. – Ma goëlette marchait comme un poisson, – j'avais des pièces de dix-huit allongées en couleuvrines – nous aperçûmes un brick et une frégate, – le brick au vent, – la frégate sous le vent.

«Le brick nous appuya la chasse et nous joignit. – Après un combat sanglant où je fus blessé deux fois, il nous abandonna presqu'entièrement désemparé. – La frégate dut courir des bordées pour nous atteindre, elle commençait à nous canonner, et c'était fait de nous, je crois, – lorsqu'un coup du sort nous fit la démâter de son grand mât… – Nous n'avions que quelques agrès coupés, – rien d'essentiel d'endommagé. – Nous prîmes chasse à notre tour, et nous ralliâmes l'amiral vers le soir.

« – J'avais quatre-vingts hommes d'équipage et quatre officiers avant le combat. – En arrivant auprès de l'amiral, il ne me restait qu'un aspirant et vingt-trois matelots, – le reste était mort. —

«L'amiral, tout en me félicitant sur mon courage et en me promettant un grade supérieur, ne put s'empêcher de regretter son patron qu'il supposait avoir été dévoré par un requin, ou pris par une crampe avant d'avoir pu gagner mon bord. —

«Quel dommage, me dit-il, – si le malheureux avait réussi à vous porter mes ordres, – nous n'aurions pas à regretter la perte de tant de braves gens… Mais aussi ajouta-t-il par forme de compensation, – nous n'aurions pas à vous féliciter d'un si glorieux combat, capitaine Wolf.

«Deux mois après, le grade de capitaine de frégate, vint me récompenser de ma belle action comme dit le ministre dans sa lettre. —

«Voilà mon histoire, mon cher… avouez donc après cela que je puis parler de dévouement en matière d'amour, – me dit Wolf d'un air tristement moqueur, – puis il ajouta: – Mais voilà nos convives qui montent, où en sont-ils de leur discussion?»

Les convives n'y pensaient ma foi plus. – On convint de se rendre à terre, – comme je me trouvais séparé de Wolf par un groupe, – je fus forcé de me placer dans une embarcation où il n'était pas. – Descendu au débarcadère, ne le rencontrant pas non plus, je supposai qu'il était resté à bord, – enfin pour chasser les idées un peu sombres que m'avait laissées la confidence de mon ami Wolf; j'allai passer la nuit chez une danseuse portugaise appelée Loretta, que j'entretenais assez magnifiquement depuis notre station à Malte.

La coucaratcha. II

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