Читать книгу Le style Louis XVI - Emile Bayard - Страница 11

Louis XVI, Marie-Antoinette et l’esprit de leur temps

Оглавление

Au temps qui nous occupe, la science et la philosophie triomphent: c’en est fait de la fantaisie. L’abus de l’esprit et du raisonnement succédant au seul souci de l’idéal, on retourne avec Jean-Jacques Rousseau vers la nature que l’on semble seulement découvrir.

«C’est à Jean-Jacques Rousseau, écrit H. Havard dans les Styles (les Arts de l’Ameublement), qu’on doit surtout faire honneur de cet étal d’esprit. L’enthousiaste accueil fait à ses principaux ouvrages, et surtout à sa Nouvelle Héloïse, opéra des miracles dans ce monde léger et frivole, sans convictions, sans croyances et sans mœurs. Il provoqua un retour sinon à la vertu, du moins à un état social moins factice et moins dissolu, en un mot s’inspirant davantage des lois naturelles. «Chaque homme voulut devenir Saint-Preux, Volmar, milord Edouard, et toutes les femmes se crurent Claire ou Julie.» Nourrir ses enfants devint à la mode chez les plus grandes dames, et coûta la vie à nombre d’entre elles, chez lesquelles la santé ne répondait p as aux élans d’un «cœur sensible». «Nous avions demandé tout cela, écrivait Buffon, mais M. Rousseau seul le commande et se fait obéir.»

Si tout le romantisme français, fondé sur l’émancipation du moi, est venu de Rousseau, le philosophe genevois, en déclarant la nature souveraine dans l’ordre du sentiment comme dans l’ordre social, basé sur un contrat respectant les droits de tous, inaugura simplement la Révolution française, et il est piquant de constater avec quel touchant accord la noblesse de cette seconde moitié du XVIIIe siècle marcha à la guillotine.

Cependant, car il y a toujours des contradictions dans tout système, l’éveil de la sensibilité aux accents de la poésie rêveuse et mélancolique à la mode, se borna bourgeoisement à la nature cultivée, sous la forme du jardin qui bannit tout le pittoresque de la nature en liberté. Le jardin était le centre symbolique de ralliement des sentiments éperdus, la retraite des cœurs.

Si, sous l’influence de Le Nôtre; la nature s’était inclinée, si les ifs avaient connu autrefois les jardins à la française, les formes d’ailleurs plutôt niaises que d’impitoyables ciseaux leur donnaient, ainsi que les grandes charmilles et les bordures de buis symétriquement rasées, il fut de bon ton, sous Louis XVI, d’applaudir à une nature sinon plus libre, du moins moins tyrannique.

FIG. 31. — Palais de la Légion d’honneur, par Rousseau.


FIG. 32. — L’Accordée de village, par J.-B. Greuze.


Sentez-vous naître le sentiment d’indépendance qui sera plus tard fatal au régime? On redoute encore la liberté des champs, on n’autorise que l’illusion du désordre de la nature.

Tyrannie, désordre, liberté, révolution!

Bref, on inaugure les jardins chinois que nous avons depuis surnommés anglais: les fameux jardins de Trianon peuvent être regardés comme les modèles du genre. Ce Trianon, «le chez-soi intime, ce joujou de reine» dont on a fait un si gros grief à la reine Marie-Antoinette!

Et voyez combien ces jardins sont factices avec les petits ruisseaux qui les sillonnent, semés de ponts rustiques; avec leurs chaumières en simili et leurs bosquets artificiels!

FIG. 33. — La Tempête, par J. Vernet.


Or, le système qui consiste à reproduire dans les jardins les accidents de la nature et la variété présentée par les points de vue pittoresques de la campagne, fut salué comme l’avènement de la vérité môme.

En tout cas, cet «aménagement» de la nature correspond singulièrement aux simagrées de l’heure, et les arts, à l’envi, refléteront cette tentative de renouveau basée sur un délicieux compromis.

FIG. 34. — Le Bénédicité, par Chardin.


Clodion, le Boucher de la sculpture, sourira à côté de Pajou «le restaurateur de la sculpture» et Greuze qui s’avisa, selon Diderot, «de donner des mœurs à la peinture», n’éveille point toujours, dans ses tableaux vertueux, l’image de la vertu, et sa naïveté, alors tant prônée, n’est point davantage sincère.

Le mensonge du jardin vis-à-vis de la nature est en harmonie avec l’image ambiguë de la vertu.

Fig. 35. — Tombeau du maréchal de Saxe, par Pigalle.


A côté du jardin, deux mots du salon.

«Il est dans la succession des sociétés, des siècles corrompus qui désarment les sévérités de l’histoire par la politesse des vices et la grâce de la décadence. De ces déclins d’empire misérables et plaisants, le XVIIIe siècle est l’exemple et le modèle. Tout souriait à la société française; et jamais ne fut un monde qui s’oubliât mieux à vivre et à savoir-vivre. Une lutte courtoise était, entre les gens de mise, à qui fleurirait les bienséances et le lieu des compagnies; et c’était parmi les repas, les soupers, le jeu, les collalions, la danse et les autres divertissements, une particulière conversation et un charme de paroles qu’on ne peut dire, et dont il ne faut tenter qu’un crayon...» En faisant la part de cette opinion entachée de partialité, puisqu’elle amène les Concourt (Histoire de la société française) à constater plus loin que: «les salons (dès que la Révolution commence à émouvoir le royaume) se hâtent de dépouiller ce qu’ils avaient en eux d’hôtel de Rambouillet, d’école de politesse et de langage, etc.», il n’en demeure pas moins vrai que l’esprit féminin évolua lentement dans le sens de la liberté, depuis même la mort de Louis XIV qui avait basé la grandeur de son siècle sur la domination de l’homme. Les mémoires de madame d’Epinay, les lettres de Diderot, celles de madame du Deffant, de mademoiselle de Lespinasse ajoutées à la spirituelle correspondance de Grimm (de 1753 à 1790), nous éclairent sur la physionomie de ces fameux salons où, entre deux lectures de la Nouvelle Héloïse, livre empoisonné, disent les moralistes, une sorte de monstre en littérature, on discute «sur l’infortune des classes déshéritées», tandis que les yeux se remplissent de larmes à l’évocation des «douleurs obscures».

FIG. 36. — L’Automne, par Clodion.


FIG. 37. — Voltaire, par Houdon.


C’est l’heure de l’élégie amoureuse, de l’héroïde, prétexte à déclamation tragique du temps où l’on pouvait sans conséquence, avant ou après souper, chausser un moment le cothurne. Les œuvres de Bernardin de Saint-Pierre, de Marmontel, de Duclos, d’Helvétius alimentent tour à tour la conversation. Et tout ce mélange singulier de vrai, de tendre et de faux, est encore délicat.

Le style du grand Roi fut énergique et mâle, le style de Louis XVI sera plutôt féminin, mais il se larguera cependant d’être plus masculin que les styles Régence et Louis XV.

FIG. 38. — Baigneuse, par Falconet.


Ici, de même que le jardin sera artificiel, les salons affecteront d’être graves: «Ils ont eu l’Encyclopédie pour hôtesse; et de leurs portes mi-fermées, une armée d’idées, la philosophie, s’est épandue dans la ville et dans la province, conquérant les intelligences au nouveau, les familiarisant d’avance avec l’avenir...» et, si l’on examine bien le style de Louis XVI, on retrouve le reflet de cette pseudo-gravité et de cette hautaine miévrerie qui sont le propre des femmes de l’époque.

Tandis que Jean-Jacques Rousseau battra le rappel de la nature, Diderot et Sedaine parallèlement s’efforceront d’introduire le drame bourgeois au théâtre.

Et combien ce mot de «bourgeois» sonne mal à cette heure! Et combien ce mot de «théâtre» est frappant par l’idée de fiction et de cartonnages qu’il éveille à une époque pourtant en mal de vérité ! Notez que Diderot dans ses Salons fameux se plaît à reconnaître le talent de Boucher, mais il ne lui pardonne pas l’allégorie voluptueuse et idéale de son art qu’il est convenu de remplacer désormais par l’anecdote familière et rustique.

Sentez-vous encore tout le mensonge de cette rustité devant laquelle on se pâmera, de même que devant les ponts... rustiques de Trianon! Et celte rusticité n’est pas moins fallacieuse que celle qui nous vaudra, dans le même Trianon, la présence de délicieuses créatures jouant à la paysanne et, jusque «dans les promenades publiques, où on ne vit que justaucorps à la paysanne, chapeaux de paille, tabliers et fichus, les airs de soubrette ayant été préférés à ceux de bergerette, après l’incroyable succès du Mariage de Figaro. »

FIG. 39. — Chambre à coucher de Marie-Antoinette au Petit Trianon (côté de la cheminée)


Mais nous reviendrons sur ces contresens, lorsque nous parlerons notamment du peintre Greuze.

Si nous nous tournons maintenant du côté du Roi et de la Reine, d’où en principe rayonne l’exemple, que voyons-nous? Louis XVI «honnête, bon, ayant le désir du bien» est d’une intelligence moyenne et d’un caractère faible. Marie-Antoinette, «âme sensible et quelque peu romanesque», est frivole et inconséquente.

Mais voici qui est plus grave et touche directement au sentiment esthétique, Michelet a reproché à Louis XVI un manque d’usages, voire une grossièreté dont le célèbre historien donne des exemples impossibles à reproduire ici. Ce «brutal, ce lourdaud» uniquement passionné pour la chasse, aurait été victime d’excès de table, de repas «si immodérés, à en croire l’ambassadeur d’Autriche, qu’ils occasionnaient des absences déraison». D’où à conclure que de «tels excès avaient épaissi le corps et l’esprit du monarque», il n’y a qu’un pas.

Mais, en revanche pour l’esthétique, Marie-Antoinette était aussi belle, aussi gracieuse que son royal époux était vulgaire, et la beauté qui influe fatalement, même indirectement, sur ce qui l’entoure, rachète bien des choses.

FIG. 40, — Chambre à coucher de Marie-Antoinette au Petit Trianon (côté du lit)


D’ailleurs, si nous aimons à suivre en pensée la trace délicate des pas de Marie-Antoinette, sur l’herbe douce des «jardins anglais» du Petit Trianon, nous ne parvenons pas à évoquer, aux côtés de la délicate souveraine, l’enveloppe insignifiante de Louis XVI.

Quant au péché de gourmandise reproché à Sa Majesté, gourmandise qui lui valut, dit-on, d’être reconnu par le fils du maître de poste Drouet, à Sainte-Menehould, alors qu’il mettait la tête à la portière de sa voiture, durant un relais, pour acheter un petit pain — on ne saurait lui en faire un sérieux grief, du moins dans la circonstance présente.

Le Roi, arrêté dans sa fuite, perdit à la fois sa tête et sa couronne, cruelle expiation pour un petit pain...

Il convient de dire que l’histoire, qui assimile volontiers les personnages royaux à des héros de féerie (à moins que cela ne résulte de notre propre imagination) en dehors de la politique mais à cause de la magnificence lointaine des cours, ne tolère guère la banalité, et voici qu’un roi n’a pas le droit de répondre aux sollicitations de son palais... ou de son estomac (car il n’est pas prouvé que le petit pain incriminé ne fut pas ingurgité par strict besoin)!

Bref, outre que l’on est d’accord, cependant, pour condamner cette misérable défaillance chez un chef d’État incapable de différer son appétit au moment ù son peuple hurlait la faim, il semble que l’on eût avantage excusé de jolies dents — en l’occurrence celles de la belle Marie-Antoinette — mordant le petit pain fatal avec l’insouciance de la frivolité.

FIG. 41. — Chaise, table-console, candélabre (Petit Trianon).


Comment aborder maintenant, après ces constatations plutôt défavorables, le chapitre de l’art à la cour?

On nous montre bien Louis XVI travaillant le fer, forgeant des clés et des serrures (marquées de deux L couronnées) en compagnie du serrurier Gamain, dans un atelier qu’il s’était fait construire à cet effet. Mais ce souci d’art ne fut-il pas exclusif?

Antoine-François Callet se contenta de donner du monarque un portrait officiel, et Louis David, son premier peintre, refusa de terminer, nous l’avons dit, le «portrait d’un tyran», réservant son pinceau pour la représentation du Serment du Jeu de Paume, des Derniers moments de Michel Lepelletier et du Sacre de Napoléon Ier.

En revanche, Marie-Antoinette encouragea à sa façon la peinture, en lui prêtant le concours de ses charmes. En 1779, Mme Vigée-Lebrun exécuta le portrait de la Reine, qu’elle représenta depuis cette époque, plus de vingt fois, dans toutes les poses et dans tous les costumes.

Mais passons, il importe de constater que les grands artistes ne manquent pas à cette heure, et l’on se plaît à imaginer que la cour, entre deux apparitions à Trianon, dans le décor d’opéra-comique qu’elle a créé, frémit instinctivement devant le drame proche. Sous la plume de la critique d’art, Diderot en tête, voyez, on est irrespectueusement frondeur; Beaumarchais introduit la satire politique et Voltaire, à la fin de sa vie, assiste au couronnement de son buste (1778) dans une société où commence à germer le grain d’humanité qu’il a semé. Un mouvement de sédition s’observe et, en attendant que la Révolution n’attente aux chefs-d’œuvre du passé, il semble que cette fin de XVIIIe siècle, légèrement en déroute, frissonne dans son génie créateur.

FIG. 42. — Clavecin de Marie-Antoinette dans le salon du Petit Trianon.


D’où cette extrême délicatesse, d’où ce charme exquis, ce goût raffiné, souvent voilés de gravité, qui frappent dans le style Louis XVI, comme autant d’analogues fragilités chez des êtres qui ne sont pas appelés à vieillir.

Si les artistes ne connaissent point à cette époque l’encouragement d’un Louis XIV, ils ont au moins l’avantage d’ordonner l’art à l’étranger.

L’influence de nos philosophes et de nos écrivains règne sur l’Europe entière. Des rois, des reines, et le cortège de science et d’art qui les entoure, viennent s’inspirer à Paris auprès de ces penseurs qui ne doivent leur puissance qu’à leur ingéniosité intellectuelle.

Aussi bien, les artistes patronnés par ces philosophes sont réclamés de toutes parts. Lejai devient architecte du roi de Prusse et Clérisseau, premier architecte de l’empereur de Russie; le peintre Sylvestre dirige l’Académie de peinture de Dresde et après lui, le sculpteur Hutin; le sculpteur Saly exécute notamment, à Copenhague, la statue équestre de Frédéric V, et, Larchevêque, autre statuaire, décore Stockholm; le peintre Tocqué exécute en Russie le portrait en pied d’Elisabeth, et Falconet donne le monument de Pierre le Grand, etc.

FIG. 43. — Détail de la partie inférieure du lambris du salon précédent.


Pour revenir en France, tels peintres qui déjà avaient brillé sous Louis XV: Chardin (1699-1779), Fragonard (1732-1806), La Tour (1704-1788), et tels sculpteurs, dans le même cas, Falconet (1716-1791), Pigalle (1714-1785), entre autres, et nous ne nommons pas les architectes, n’en continueront pas moins sous Louis XVI à projeter une grande lueur sur le monde entier.

Ce sont là les artistes «chevauchant» ajoutés à ceux que nous énumérâmes précédemment, qui viennent ajouter à la gloire nationale, sans souci de la chronologie.

Au résumé, l’indépendance du génie fait la part belle aux gouvernements quels qu’ils soient. En dehors du fatal rapprochement d’influence auquel on s’efforce, pour mettre convenablement tel roi ou tel empereur dans un décor approprié où on aimerait à l’évoquer; en dehors de quelques règnes typiques, la liberté de l’art déconcerte, parce qu’il est tout aussi volontiers régi par le peuple que par la cour.

Et puis, de même que Napoléon Ier s’installa dans les appartements de César, Marie-Antoinette, en 1774 comme don de joyeux avènement, reçut des mains de son auguste époux le Petit Trianon que Louis XV avait fait bâtir.

FIG. 44. — Guéridon, vetile bibliothèque, chaise (Petit Trianon)


Au surplus, les résidences royales, peuplées auparavant de sculptures et de peintures par Louis XIV, laissaient à ses successeurs peu d’initiatives d’embellissement, et les lentes modifications que l’arrière-petit-fils du roi Soleil et que le petit-fils de Louis XV introduisirent peu à peu dans leurs propres habitations, mêlèrent tant soit peu les beautés entre elles.

D’où progressivement l’envol du style; les artistes étant peu encouragés dans leurs créations, le génie croupissant dans l’habitude et une commodité que l’on s’obstinait à croire définitives.

Il faut se souvenir enfin, à propos du style de Louis XVI qui est l’avant-dernier style français (à condition toutefois que l’on veuille bien reconnaître que le style Empire est le dernier), il faut se souvenir donc, que le règne de Louis XVI ne dura que dix-huit années et que Napoléon Ier n’exerça son influence esthétique qu’une quinzaine d’années seulement.

Et n’est-il pas extraordinaire de songer que dans un si court règne, deux styles aient pu éclore? Et combien ces styles sont originaux, à commencer néanmoins par le Louis XVI, amorce raffinée de l’antique, tandis que le Napoléon Ier n’en fut que le grossissement.

FIG. 45. — Porte, dessus de porte et corniche de la grande salle à manger (Petit Trianon).


Mais, sous quel ciel d’orage, au milieu de quel énervement ces époques créèrent-elles!

Quel cinglant coup de fouet stimula la pensée, l’art, sous ces règnes, dont l’un devait succomber à l’épuisement et l’autre à la fièvre créatrice!


Le style Louis XVI

Подняться наверх