Читать книгу Le chasseur noir - Emile Chevalier - Страница 5

Émile Chevalier
LE CHASSEUR NOIR
V. LA HUTTE

Оглавление

Un personnage de haute stature apparaissait à quelques pas. Derrière lui marchait un individu moins grand, mais plus large des épaules.

Le premier était notre ami Nicolas.

Son interpellation fit suspendre aussitôt les hostilités.

Cependant les chiens s’acharnaient après Bill Brace, et pour refroidir leur ardeur Nick dut user du pied.

– La paix, Maraudeur! A bas, Infortune! Que diable s’est-il passé ici? On se bat, ô Dieu, oui! Quel est ce matin étendu sur l’herbe? Il a la figure d’une pomme pourrie, je le jure, oui bien, votre serviteur! D’ordinaire, il ne doit pas être beau garçon, dame non! mais comme ça faut avouer qu’il a la plus vilaine tête qu’on puisse imaginer. Je ne crois pas que, dans tous ses voyages à travers l’Afrique centrale, mon grand-père ait jamais rencontré un pareil échantillon de nature humaine, quoiqu’il ait vu des nègres, rouges comme l’écarlate, des singes qui parlaient et des sapajoux qui faisaient l’exercice militaire, avec leurs maréchaux, généraux et caporaux… oui bien, je le jure, votre serviteur!

A la voix de leur maître les chiens se turent, Nicolas se tourna alors vers Pathaway, et commença à l’examiner avec une attention toute philosophique quoique peu courtoise assurément.

– Étranger, dit-il ensuite, vous avez tapé ferme sur ce gaillard-là; je ne sais ni le commencement ni la fin de votre histoire, mais je crois que la justice est de votre côté.

– C’est aussi mon opinion, répliqua le jeune homme. Il fallait me défendre ou me laisser voler. J’ai préféré me défendre, et ce bandit a reçu une leçon qu’il n’oubliera pas de longtemps, j’espère.

– S’il l’oublie, c’est qu’il a la mémoire courte, répliqua Nick, en regardant Bill Brace dont le visage s’était tellement enflé qu’on avait peine à distinguer ses traits.

– Je l’ai ménagé autant que j’ai pu, dit Pathaway.

– Ma foi, monsieur, reprit le trappeur émerveillé, on ne dirait pas que vous êtes capable de remuer une pareille masse de chair. Mais vous l’avez prodigalement servi, ô Dieu, oui! je vous en fais mon compliment. Quant à lui, il ne paraît pas qu’il vous ait touché. Qu’a-t-il, donc fait?

– Parlé plus qu’agi, répliqua simplement Pathaway.

– Vous êtes un luron, monsieur, oui bien, je le jure, fit Nick. Au surplus, vous ressemblez comme deux gouttes d’eau à mon oncle. L’avez-vous connu, mon oncle l’historien? Trait pour trait, c’était vous. Il avait la même taille, seulement un peu plus courte. Son bras droit c’était le vôtre, quoique un peu plus long. Ses jambes avaient, Dieu me pardonne, une similitude complète avec celles sur lesquelles vous êtes juché, pourtant elle n’étaient pas aussi droites. Il me semble qu’il cageottait, mon grand oncle l’historien. Sa physionomie était plus ouverte que la vôtre, parce que sa bouche était plus large. Il possédait un nez remarquable, mon oncle. Je n’en ai jamais rencontré un pareil avant le vôtre; mais j’ai idée qu’il était un peu plus gros, étranger… Oui un peu plus gros, étranger… Je l’ai vu une fois, illuminé par les rayons de la lune et je vous garantis que ça avait l’air d’une meule de foin. Ah! quel organe c’était que le nez à mon oncle l’historien! Du reste, ce nez il était dans sa branche d’affaires, car, étant historien, il vous sentait les faits à dix siècles de distance… et même plus…

Le chasseur noir sourit.

Son visage ne présentait plus une seule trace d’excitation. L’expression en était agréable. Ses muscles qui avaient été aussi rigides que des barres d’aciet s’étaient relâchés de leur tension anormale, et paraissaient aussi flexibles que ceux d’une femme. L’esprit du gladiateur s’était éteint dans ses yeux. Ce n’était plus un vengeur implacable et sans pitié, mais un jeune homme bon, à l’air doux et avenant.

Il avait adroitement caché son arme et remettait son habit noir.

Les autres témoins de cette scène demeuraient silencieux.

Ben Joice se glissa sournoisement vers le compagnon de Nick qui, dès son arrivée, lui avait fait divers signaux télégraphiques.

– Eh! pourquoi diable ne parlez-vous pas, Jack Wiley? dit Nick. Est-il besoin de faire ainsi des mouvements de main et de bras, comme un muet! Est-ce que vous avez honte de notre compagnie? Vous n’avez pas oublié vos vieilles connaissances, n’est-ce pas?

– Non, répondit alors Wiley à Joice, en parlant à voix basse, la main à demi collée sur sa bouche.

– Non, que diable veux-tu dire? fit brusquement Ben.

– N’as-tu pas le sens commun? reprit Wiley sur le même ton. Je ne veux pas que tu me reconnaisses devant ces gens-là. Ce grand blagueur doit être veillé de près; tu entends? Il prétend que les Indiens l’appellent Ténébreux, et je t’assure qu’il est rusé. Je ne serais pas surpris qu’on l’eût envoyé pour nous guetter, bien qu’il m’ait rendu un bon service. Ne ma parle pas trop.

Nick, avec sa subtilité habituelle avait observé ce qui se passait, et deviné que Wiley et les autres trappeurs étaient des oiseaux de même plumage.

– Jeune homme, dit-il, en s’adressant au chasseur noir, vous n’avez plus affaire ici, m’est avis que vous feriez aussi bien de venir avec moi. Ces gibiers-là ne vous veulent pas grand bien. Le plus vite vous aurez quitté leur compagnie sera le mieux.

– J’accepte volontiers votre offre, répondit Pathaway.

– Alors, Jack Wiley, si vous voulez venir avec moi, il est temps de laisser cette bande de gueusards. Ils sont d’humeur trop libre pour que j’aime à rester avec eux.

Bill Brace se mit sur son séant, et se penchant contre Joice, lâcha un torrent d’invectives et de menaces, dans ce langage mêlé d’indien, d’anglais et de français, qu’en ne peut entendre que dans le Nord-ouest, parmi les trappeurs livrés à tous les excès d’une vie désordonnée.

– Bill Brace a la mémoire d’un Indien, hurlait-il. Tu as mis un tison enflammé sous le nez de l’Ours gris, mais il s’en souviendra, mon petit.

– Il me semble qu’il l’a touché avec quelque chose de plus dur qu’un tison enflammé, fit Nick.

– Je suis un trappeur, un Indien! continuait Bill en montrant le poing. Oui, Indien, plus Indien que trappeur.. Houah! houp! J’aurai ton sang,, mangeux de lard. Je te suivrai, jour et nuit. C’est moi qui suis Bill Brace et je te défie de dire que tu m’as battu. Tue-le, Jack Wiley, tue-le et je te donnerai cent peaux de castor. Où sont vos pistolets, reptiles? Je… je… je me sens faible. Un peu d’eau, Ben. Ma tête est tout à l’envers. Soutiens-moi ou je tombe!…

En prononçant ces mots il se laissa aller à demi évanoui sur son compagnon.

– Où est Sébastien, où est Sébastien? demanda Nick, en se tournant tout à coup.

Maraudeur s’élança vers un massif de jeunes pins et se mit à aboyer. Nick suivit aussitôt le chien. Il trouva le jeune garçon étendu presque insensible, et tenant son arc à la main. Le trappeur le prit tendrement dans ses bras.

– Pauvre enfant! pauvre enfant! murmura-t-il. Il a assisté à un terrible spectacle, et ça a été trop fort pour ses nerfs.

S’adressant ensuite à Pathaway:

– Il n’est pas bien robuste, voyez-vous, monsieur. D’ailleurs sa santé cloche depuis quelques jours. La rougeole, vous savez?

Un sourire glissa sur les lèvres du chasseur noir. Mais jetant, en ce moment, un regard sur le visage de Sébastien, il conçut pour lui une vive sympathie.

– C’est un Bois-brûlé! exclama-t-il.

Nicolas ne parut pas charmé de la découverte

– Qu’il soit Bois-brûlé ou n’importe quoi, c’est un bon garçon, dit-il un peu brusquement. Il est brave, doux, obligeant; je l’aime, moi. S’il a les membres délicats, ils se développeront avec le temps, je vous la dis, et il deviendra aussi vaillant qu’un chef comanche, je parle. Son système a l’air un peu désorganisé, mais qu’est-ce que ça prouve? il n’est pas poltron, pour ça, ô Dieu, non, je le jure, votre serviteur!

– Est-ce que vous seriez son père ou son oncle? interrogea Jack Wiley, en ricanant.

– Je suis son père, et il est mon fils, n’allez-pas me contredire, répliqua sèchement Nicolas.

Sébastien commença à reprendre ses sens. Il ouvrit sur le trappeur ses grands yeux, doux, rayonnants d’intelligence, et un tressaillement courut partout son corps.

– N’y pense plus, n’y pense plus, enfant, dit Nick; c’est passé et il n’y a personne de tué. Peut-être quelqu’un serait-il mort, si ses blessures eussent été mortelles, mais elles ne l’étaient pas. Courage, il arrive de ces choses-là tous les jours! Seulement tu ne les vois pas.

– Qu’est-il arrivé, Nicolas? demanda-t-il d’un ton dolent.

– Rien de bien considérable; non, rien de bien considérable, je t’assure; une partie de coups de poing qui a causé une damnée petite difficulté à l’un des joueurs, voilà tout. Mais comment te sens-tu, maintenant, mon cher enfant?

La voix de Nick était pleine de sollicitude. Le jeune garçon lui plaça ses mains sur les yeux et les y tint un instant.

Pathaway le considérait avec autant de pitié que d’admiration; car ses petites mains mignonnes semblaient moins faites pour la vie incivilisée que pour la vie de salon.

– Joli garçon! joli garçon, murmura-t-il; mais trop efféminé pour ce genre d’existence. Il faudrait le renvoyer à son foyer natal, sur les bords de la rivière Rouge.

– Peux-tu marcher, à présent? fit Nicolas.

– Je le crois, répondit Sébastien au trappeur, qui poursuivit en s’adressant à Pathaway:

– Ah! monsieur, c’est un si rude marcheur quand il est en bonne santé! Il monte aussi à cheval comme un singe, et moi qui vous parle je n’ai pas encore rencontré de cheval capable de le démonter. Il descend d’une famille aristocratique et n’a pas été élevé au travail comme les enfants de son âge. Son père était un comte français, un duc anglais ou un prince russe déguisé, ou quelque chose d’approchant. Je ne me rappelle pas exactement le titre. Sa mère était une demi-sang de très-haute race, le plus beau spécimen de femme qu’on pût voir….. – Mais comment vas-tu, mon Sébastien? Si tu ne peux te tenir sur tes jambes, je te porterai. Ça me va, à moi, de porter les enfants comme toi, en haut des montagnes.

– Non, non, j’irai bien tout seul, répondit Sébastien, dont les regards se fixèrent pour la première fois sur le chasseur noir, et qui rougit comme une jeune fille.

– Qu’est-ce encore, petiot? Ne vas pas t’évanouir encore.

Ensuite à Pathaway:

– Il a été sujet à ces attaques depuis qu’il a eu la coqueluche, il y a deux ans au plus. Il ne s’en est pas bien tiré, car cette diablesse de toux lui est tombée dans les jambes, croiriez-vous ça? Tout le village a eu la coqueluche et a toussé tant et si rudement que tous les Indiens du pays ont pris leurs talons à leur cou. Cette maladie-là ne devrait pas être tolérée du côté septentrional des montagnes Rocheuses, ô Dieu, non!

Nick, tout en faisant ces excuses et ces explications, souleva le jeune garçon sur son bras gauche, et lui versa un peu de whiskey dans la bouche. Le liquide ardent brûla la gorge de Sébastien, et produisit un paroxysme de strangulation, qui, quoique dangereux, eut pour résultat de ranimer complètement ses sens.

Il sourit et déclara qu’il était mieux.

– Comme de raison, répondit Nick, avec sa bonhomie habituelle. Il ne faut rien dans le monde que l’apoplexie qui n’est sérieuse que quand vous l’avez eue quelquefois. Mon frère, le docteur Whiffles, avait coutume de la guérir sans difficulté avec le précipité rouge et l’ocre jaune.

– Ce n’est pas un remède commun, fit remarquer Pathaway.

– Non, ce n’était pas un remède commun. Il n’était connu de personne que de mon frère, et le secret est mort avec lui. Je vous raconterai un jour ou l’autre comment il a fini, mon frère le docteur. – Ah! les jarrets fléchissent encore, mon Sébastien; mais l’usage les rendra plus torts et plus longs aussi. Appuie-toi sur moi et n’aie pas peur de me fatiguer.

– Une voiture et une nourrice lui conviendraient mieux, grimaça malicieusement Wiley.

– Je connais des gens qui ont besoin d’une charrette et d’un bourreau, quoique je ne veuille pas dire que j’en aie vu ce soir, riposta Nick.

– Vous savez que les enfants doivent souper et se coucher de bonne heure, fit Jack comme s’il n’eût pas remarqué l’allusion du trappeur. Pour moi, je n’aime pas les garçons qui pâlissent comme des filles à la vue du sang. Ce n’était pas comme ça, avant que les établissements fussent aussi près et aussi nombreux.

– Tout change, dit Pathaway. Il y a des francs trappeurs qui ne sont pas ce qu’ils devraient être.

– Je n’ai pas envie de me quereller avec vous, monsieur, grommela Jack

Wiley, en jetant un regard de défi au chasseur noir.

Celui-ci ne daigna pas relever l’invective.

On arrivait sur le plateau, et tous entrèrent dans la cabane de Nick.

Le feu fut promptement renouvelé, et, à ses brillantes clartés, nos gens purent s’examiner plus à leur aise.

Les yeux de Sébastien s’arrêtèrent complaisamment sur Pathaway dont les regards le cherchaient souvent aussi avec un indéfinissable intérêt.

Le souper fut préparé et mangé avec un appétit, aiguisé par de longues courses à travers les montagnes.

Jack Wiley dévora, non-seulement sa portion, mais il empiéta sur la part de ses voisins. Il avait la faim d’un ours resté longtemps sans nourriture et il engloutissait, avec une facilité prodigieuse, les quartiers de bison rôti.

D’abord Sébastien ne fit pas à cet individu l’honneur d’une grande attention; mais quand les lueurs du brasier éclairèrent les physionomies tous deux échangèrent des regards singuliers. Chez le premier il y avait la terreur; chez Jack Wiley c’était une curiosité vague et inquiète.

Le chasseur noir

Подняться наверх