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M. Dumollet

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Charles-Boniface Dumollet — tels sont les nom et prénoms authentiques de ce célèbre provincial — apparut pour la première fois, au XIXe siècle, sur la scène parisienne, par une chaude soirée d’été, le 8 août 1808.

Il arrivait alors de Saint-Malo, où il était «le plus fort marchand de bas.»

Mais, au XVIIe siècle, il était déjà venu à Paris sous le nom de M. de Pourceaugnac, gentilhomme Limosin, et Molière lui servait de cicérone.

En 1808, ce furent Désaugiers et Gentil qui le présentèrent, et fort gaîment, au public.

Le public lui fit un accueil enthousiaste.

Quelques critiques le reconnurent bien, en dépit de son nouveau nom et de son costume moderne, et même ils le dirent; mais la foule, qui, en général, sait moins son Molière que les critiques, répondit que cela lui était bien égal et que M. Dumollet, le plus fort marchand de bas de Saint-Malo, lui plaisait infiniment.

— D’autant plus, ajoutait-elle, qu’il vient à nous sous les traits d’un acteur bien aimé, Brunet.

Donc M. Dumollet, simple personnage de comédie, se révéla à Paris en 1808 au théâtre des Variétés Panoramas, dans un vaudeville intitulé : les Trois Étages ou l’Intrigue sur l’escalier.

Vaudeville amusant, rempli de jeux de mots assez neufs et dans lequel les personnages portent des noms au goût du temps: M. Pathos, poète, par exemple, et M. Grantdeuil, médecin!

Molière eût souri peut-être à ce dernier nom!


Comme M. de Pourceaugnac, M. Dumollet vient à Paris pour y chercher la fiancée qui lui a été promise, et en même temps pour voir la «capitale,» et pour s’y amuser comme il convient au plus fort marchand de bas de Saint-Malo, c’est-à-dire à un négociant dont la fortune est ronde, attendu que les bas sont toujours très demandés à Saint-Malo, bien que dans cette ville, où les mollets eurent tant à souffrir des crocs des chiens, jadis, leur vogue soit un peu apaisée.

Mais ce pauvre M. Dumollet, à peine débarqué, excite le rire de la foule parce que les cahots de la diligence et les aventures qui lui sont arrivées en en descendant lui ont tourné ses faux mollets sens devant derrière. Il a un torticolis. De plus on lui a volé sa bourse. Enfin, il a failli être écrasé et il meurt de faim.

Il entre en scène en s’écriant:

— «Le diable soit des vélocifères et des voleurs! Voilà pourtant le plus fort marchand de bas de Saint-Malo sans sol, ni maille!»

Avant son arrivée, comme dans M. de Pourceaugnac, un complot a été formé pour empêcher M. Dumollet de séjourner à Paris et surtout pour le faire renoncer à ses projets de mariage à n’importe quel prix.

Un concierge, un perruquier, un amoureux et la fiancée de M. Dumollet elle-même sont d’accord pour berner le pauvre homme.

On essaye de l’envoyer à Meulan sans même avoir déjeuné, pour y chercher son futur beau-père; puis on veut le confier aux bons soins de M. Grantdeuil, médecin; il y échappe; mais il commet la généreuse imprudence d’acheter ferme (trois cents écus) une tragédie en vers sans fin de M. Pathos. C’est une générosité intéressée d’ailleurs, car avec la pièce il a acheté le droit de la signer, en cas de succès, et d’apporter sa gloire aux pieds de sa fiancée. La pièce tombe, et M. Dumollet aussi, mais dans une cave. A peine en sort-il qu’il apprend que sa promise est veuve de trois maris, qui, chose curieuse, sont tous morts dans la huitaine de leur mariage.

M. Dumollet est épouvanté et se repent amèrement d’avoir quitté son commerce de bas de Saint-Malo.

Mais ce n’est pas en 1808, dans les Trois Étages, qu’il retourne enfin dans son pays, c’est dans le Départ pour Saint-Malo, autre vaudeville sur le même sujet et des mêmes auteurs, joué quelques mois plus tard (succès oblige), que l’on voit M. Dumollet, absolument dégoûté de Paris, de ses pompes, de ses œuvres et de ses demoiselles, faire son paquet pour aller retrouver ses pénates.


Il en a assez de la capitale, où il a été le jouet de tous et de toutes, où même un coup de pistolet, qu’il tire dans un noble but, va atteindre sur un toit un chat qui passe, lequel tombe sur M. Dumollet en l’égratignant.


A la dernière scène, au moment de s’embarquer de nouveau dans une horrible diligence. qu’on aperçoit pleine de nourrices et d’enfants indisposés, M. Dumollet est reconduit par cet ironique refrain inoublié et qui sera peut-être immortel:

Bon voyage,

Cher Dumollet!

A Saint-Malo débarquez sans naufrage!

Bon voyage,

Cher Dumollet!

Et revenez si ce pays vous plaît!

Revenez, lui dit un personnage, d’un ton de bonté :

Si vous venez revoir la capitale,

Méfiez-vous des voleurs, des amis,

Des billets doux, des coups de la cabale,

Des pistolets et des torticolis!

TOUS

Bon voyage,

Cher Dumollet!

etc.

Alors, furieux. M. Dumollet se retourne vers ses persécuteurs et leur jette cet adieu à la face, comme Pourceaugnac:

Allez au diable, et vous et votre ville,

Où j’ai souffert mille et mille tourments!

Puis, s’adressant aux spectateurs:


Il vous serait cependant bien facile

De m’y fixer, messieurs, encor longtemps;

Pour vous plaire, je suis tout prêt

A rétablir ici mon domicile.

Faites connaître à Dumollet

S’il doit rester ou faire son paquet?

M. Dumollet resta, et resta même très longtemps à Paris sur les affiches des théâtres.

Les pièces où il paraissait furent jouées de longs mois de suite et reprises souvent.

Enfin, en 1812, le Mariage de M. Dumollet, du même auteur, eut encore un succès fort honorable, bien que ce ne fût qu’un succès de regain.

Grâce à la bouffonnerie de ces divers vaudevilles que Désaugiers qualifie lui-même des Folies en un acte, grâce à l’esprit original de Brunet, la vogue de M. Dumollet fut extrême. On le dessina. On le peignit. L’imagerie populaire en donna, dit-on, des traits que nous n’avons pu nous procurer. Enfin, et uniquement à cause de M. Dumollet, le souvenir des dangers que jadis on avait courus en arrivant de nuit à Saint-Malo fut ravivé dans la mémoire publique.

Nombre de Parisiens tremblèrent rétrospectivement pour leurs mollets, en se rappelant que les fameux chiens de la ville existaient encore, — en petit nombre, il est vrai, — moins de quarante ans avant l’arrivée de M. Dumollet à Paris.

Il est de fait que du XIIe siècle à 1770, — assurent les meilleures autorités, — les bas et même la chair des imprudents qui se hasardaient autour de Saint-Malo, passé dix heures du soir, couraient d’épouvantables périls.

Comme les navires, à sec sur le rivage, pouvaient être dévalisés la nuit dans le port, il avait été établi à leur usage une garde de dogues, pour l’entretien desquels on payait aux portes de la ville un Droit de Chiennage.

Ces dogues, parfaitement dressés, étaient renfermés pendant le jour. On les lâchait la nuit, et malheur à qui les rencontrait alors. Ils étaient féroces, et se conduisaient exactement comme les chiens de Jézabel.

Au point du jour, la trompette de cuivre du chiennetier, leur gardien et leur nourrisseur, se faisait entendre, et les molosses revenaient docilement au chenil.

L’aventure affreuse, souvent racontée, d’un officier de marine mis en pièces par ces animaux trop zélés, aventure qui ne paraît pas être apocryphe, motiva, dit-on, leur suppression en 1770.


C’est égal, pendant bien des années, il dut y avoir de fameux accrocs irreprisables aux bas des bourgeois dans un port si pourvu de chiens, et cela explique la prospérité du commerce spécial où s’enrichirent les ancêtres de M. Dumollet et leur notable descendant.

Un mot pour finir:

— Quoi qu’on en ait dit, M. Dumollet, ce fils de Pourceaugnac, n’est, pas plus que ce dernier, un portrait peint d’après un modèle vivant.

Et on le savait parfaitement à Saint-Malo, en 1808, car loin de regarder l’illustre Dumollet comme une satire parisienne décochée à la bourgeoisie de la ville, on en rit beaucoup et, à l’exemple des bourgeois de Limoges à propos de M. de Pourceaugnac, on ne vit dans M. Dumollet qu’un provincial quelconque, naïf et confiant, qui va se fourrer imprudemment dans un guêpier, au lieu de chercher autour de lui le bonheur et les satisfactions que réclame un cœur sage.

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