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Barbe-Bleue

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On est d’accord sur le pays d’origine du conte de Barbe-Bleue, ce terrible apologue dont l’une des morales (nous en demandons bien pardon aux lectrices) est que la curiosité féminine, dédaignant trop souvent la réalité pour l’ombre, est incessamment renaissante, quoique incessamment châtiée.

Ce pays d’origine, c’est la Bretagne.

De la Bretagne, berceau de bien d’autres légendes aussi singulières et aussi farouches, le conte est arrivé et s’est implanté en France et à l’étranger, dès le XIVe siècle, à l’aide des voyageurs, et surtout des nourrices, les uns et les autres auditeurs, puis narrateurs à leur tour du fameux récit.

Et c’est bien évidemment de souvenirs d’enfance, semés dans sa tête par les narrations de la nourrice qui l’éleva, que le bon Perrault a tiré le premier de ses Contes de la Mère l’Oye; car tel est le titre primitif du recueil qu’il publia sous le nom de son fils, Perrault d’Amancour, un enfant alors.

Le texte lui-même, dans sa naïveté exquise, est un écho fidèle des paroles familières d’une bonne femme, et non leur interprétation revue, corrigée et augmentée par un écrivain savant.

Perrault n’y mit pas du sien, comme on dit. Il avait trop d’esprit pour ne pas laisser au récit de sa nourrice la fleur et le charme d’un conte sans façon.

Il n’y ajouta rien que des virgules et des points, et il lui conserva ainsi la saveur rustique dont il avait été ravi dans son enfance et qui nous a tant plu aussi au même âge.

Mais de ce que Barbe-Bleue est originaire de la Bretagne, contrée où les exemples de méchants seigneurs mauvais maris et bourreaux de leur femme ne sont point rares, du reste, il ne faudrait pas en conclure, comme le font beaucoup d’historiens et de commentateurs modernes, que l’original de Barbe-Bleue soit assurément le breton Gilles de Laval, baron de Retz, plus connu dans l’histoire sous le nom de Maréchal de Retz, lequel, après avoir été l’un des glorieux compagnons d’armes de Jeanne d’Arc, devint, en 1440, le monstrueux héros d’une épouvantable cause célèbre.

Après une lecture attentive des publications diverses faites à propos de cette cause célèbre, dont toutes les pièces existent et ont été publiées, in-extenso, dans ces dernières années, le maréchal de Retz serait plutôt, à notre avis, l’un des perpétueurs de la sanglante réputation des Ogres, c’est-à-dire un massacreur d’enfants et non un meurtrier d’épouses

Par conséquent, à notre avis, il n’a pu fournir le type de Barbe-Bleue et ses crimes n’ont pu servir de point de départ au conte.

En voici nos raisons:

D’abord, observation entre parenthèses, le maréchal de Retz avait la barbe rouge ou rousse, et on ne voit pas pour quel motif la tradition l’aurait transformé en barbe bleue?

Ensuite, la tradition donne sept femmes à Barbe-Bleue (bien que la légende, même la légende écrite, y compris celle de Perrault, ne précise nullement ce nombre fatidique), or le maréchal de Retz n’avait qu’une seule femme, Catherine de Thouars, qu’il ne tua point.

De sorte qu’un seigneur à barbe rouge, n’ayant qu’une femme, ne nous semble pas du tout pouvoir être pris au premier abord pour l’original d’un homme à barbe bleue, ou bleu noir, ayant eu plusieurs femmes et les ayant égorgées ou pendues toutes!

Enfin, et c’est pour nous la preuve décisive que Gilles de Laval et Barbe-Bleue sont deux êtres absolument sans lien entre eux, même dans la légende, le maréchal de Retz fut accusé et convaincu dans son procès (procès instruit, grâce au courage d’un évêque, ami des opprimés et des victimes) d’avoir mis à mort, en son château, pendant plusieurs années, de la façon la plus barbare, plus de cent quarante-neuf petits garçons ou adolescents, dont on retrouva les squelettes.

Le misérable, dit-on, se servait de leur sang dans des opérations magiques ayant pour but la recherche de l’or.

Mais de femmes sacrifiées, point.

Le maréchal de Retz, condamné au supplice du feu, ne le subit que mort (on l’étrangla dans sa prison), et son corps fut mis en cendres dans la plaine de la Magdeleine, à Nantes, le 25 octobre 1440.

L’illustre Michelet, qui a donné de cette affreuse aventure un récit sommaire des plus saisissants, ajoute qu’à la suite de ce procès, et pour ménager l’honneur et le nom de la famille, on attribua à un partisan anglais, surnommé Blue-Barb, les crimes inouïs du maréchal de Retz.

Et le peuple breton aurait vite substitué dans sa mémoire l’étrange surnom au nom véritable du coupable, dans les récits ultérieurs du procès de Vannes.

Admettons ce Blue-Barb, dont nous avons vainement cherché la trace, il n’en resterait pas moins un meurtrier d’enfants et de jeunes gens, un Ogre réel dont il est impossible de s’expliquer la confusion avec un assassin d’épouses nombreuses, tel que le Barbe-Bleue du conte.

Pour nous, nous croyons le conte de Barbe-Bleue bien antérieur au procès de Gilles de Laval, et nous le croyons basé, dès son apparition au XIIIe siècle, sur les récits de pèlerins revenant d’un sanctuaire breton, sanctuaire dont nous allons parler tout à l’heure, après avoir ajouté qu’aux récits primitifs de ces pèlerins s’annexèrent, plus tard, les souvenirs et les récits des marins bretons qui fréquentaient le port de Londres, alors que l’Angleterre voyait Henri VIII, l’implacable hérétique à la barbe d’un noir azuré, épouser successivement six femmes, en peu d’années, répudiant les unes, décapitant les autres.


La mémoire de ce terrible épouseur se greffant sur les récits des pèlerins revenant de l’antique sanctuaire de Sainte-Triphine (et non Trophime, comme on l’a souvent écrit), sanctuaire où l’on voyait peinte l’histoire d’une femme martyrisée par son époux, a dû assurer évidemment à l’histoire d’un mari tuant plusieurs femmes, la vitalité dont elle jouit encore partout sous le nom de Barbe-Bleue.

Ce n’est point l’avis des écrivains qui pourtant ont eu connaissance des découvertes faites en 1850 à la chapelle de l’église Saint-Nicolas, située près de Bieuzy, dans le Morbihan, mais tel est le nôtre jusqu’à preuve absolue du contraire.

Arrivons à présent à la légende de sainte Triphine, véritable point de départ du conte de la femme curieuse punie par un mari barbare.

L’Indépendance du Morbihan fit, dans son numéro du 18 février 1850, le récit suivant, que nous abrégeons:

«En réparant la voûte de la chapelle de l’église Saint-Nicolas, on a découvert de curieuses fresques du XIIIe siècle, qui représentent la légende de sainte Triphine.

«Les scènes qui retracent ces tableaux offrent une remarquable analogie avec le conte populaire de Barbe-Bleue. On voit la sainte, fille d’un duc de Vannes, épouser un seigneur breton; un second compartiment montre le mari prêt à quitter son château et remettant à sa femme une petite clef.

«Les fresques suivantes font voir: Sainte Triphine pénétrant dans un cabinet où plusieurs femmes sont pendues; puis interrogée par son époux qui la regarde d’un air menaçant; puis la sainte en prière, appelant sa sœur, qui se tient à une fenêtre; dans le dernier tableau le farouche seigneur pend sa femme, mais ses frères accourent, avec saint Gildas, qui la ressuscite.»

Que sont devenues ces fresques? Ont-elles été conservées, ou bien, de nouveau recouvertes de badigeon, ont-elles été détruites pendant les réparations de la chapelle? Nous l’ignorons.

Quoi qu’il en soit et leur découverte prouvant leur existence, nous pouvons dire qu’elles devaient singulièrement frapper l’imagination rêveuse des paysans bretons au XIIIe siècle et que les pèlerins revenant de la chapelle devaient nécessairement échafauder sur ces scènes étranges des récits non moins singuliers, où le nom de sainte Triphine et celui de saint Gildas étaient à la longue omis, puis oubliés, tandis que le souvenir du seigneur inconnu qui pend la sainte après avoir pendu plusieurs autres femmes, y prenait la place principale.

Et c’est ainsi que naquit l’histoire de la dernière femme de notre Barbe-Bleue et de sa fatale curiosité.

Mais pourquoi, dira-t-on, ce mari cruel aurait-il été désigné par le surnom de Barbe-Bleue?

Ce surnom, c’est là notre hypothèse, est né tout naturellement de l’aspect même du personnage en question, pourvu d’une barbe devenue peu à peu bleuâtre, ou même très bleue, par suite des altérations que l’air, l’humidité et le temps font subir à certaines couleurs des fresques, et assez rapidement.

Tout le monde a remarqué, en visitant les musées ou les cathédrales, que les bleus des divers genres de la peinture ancienne, au milieu de l’affadissement et de la caducité des autres couleurs, gardent non seulement leur ton primitif, mais semblent prendre en quelque sorte, par contraste, de l’intensité.

On ne voit qu’eux tout d’abord. Ils s’imposent à l’œil.

Eh bien, nous supposons. — et c’est une opinion que bien des peintres consultés par nous ont admise, — que l’auteur inconnu des fresques bretonnes avait peint la barbe de son seigneur avec un ton noir, obtenu à l’aide d’un mélange de palette qui a passé au bleu au bout d’un certain nombre d’années.

De là l’observation toute simple faite et transmise par les paysans, les pèlerins et les visiteurs de jadis que dans la chapelle de Saint-Nicolas on voyait un homme — à barbe bleue — pendant des femmes, et dans les récits de veillées, quand on racontait, quand on amplifiait la mystérieuse histoire représentée sur les murs de la vieille chapelle, on n’apppela plus le mari bourreau que l’Homme à la barbe bleue, et enfin Barbe-Bleue tout court.

Les années s’écoulèrent, nombreuses; les fresques s’éteignirent. négligées, devinrent à peu près inintelligibles aux regards, mais le bizarre surnom de Barbe-bleue surnagea vivant, dans la mémoire publique, avec les bribes de la légende transformée de plus en plus, surtout après Henri VIII.

Enfin, à la légende du martyre local de sainte Triphine se substitua le conte, devenu international, de Barbe-Bleue, le mari qui ne veut pas qu’on fouille dans ses petits secrets!

Conte que chacun sait, grâce au petit livre où Perrault l’a enregistré pour jamais, il y a deux cents ans.


C’est un conte de bonne femme, répétons-le, mais de bonne femme tant soit peu malicieuse, et désireuse de plaire à son sexe, quels que soient les torts d’une femme dans l’affaire, car, après la mort vengeresse de Barbe-Bleue, la bonne femme nous fait voir l’heureuse veuve se remariant à son gré, s’amusant fort avec l’argent de son défunt époux et plaçant ses frères dans les mousquetaires du roi!

Il n’y avait qu’une femme et une bonne pour montrer la... curiosité d’une épouse récompensée de la sorte!

Car enfin, qu’il eût la barbe bleue ou noire, son mari lui avait bien défendu de regarder dans le petit cabinet..., et elle y a mis le nez, malgré tout!

Ce qui constitue au moins un fort péché !

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