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CHAPITRE III
Notre vie.

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Table des matières


Études monistes de physiologie humaine et comparée.—Identité, dans toutes les fonctions de la vie, entre l'homme et les Mammifères.

Jamais la physiologie ne nous conduit, en étudiant les phénomènes vitaux des corps naturels, à un autre principe d'explication que ceux qu'admettent la physique et la chimie par rapport à la nature inanimée. L'hypothèse d'une force vitale spéciale sous toutes ses formes est non seulement tout à fait superflue, mais en outre inadmissible. Le foyer de tous les processus vitaux et de l'élément constitutif de toute substance vivante est la cellule. Par suite, si la physiologie veut expliquer les phénomènes vitaux élémentaires et généraux, elle ne le pourra qu'en tant que Physiologie cellulaire. Max Verworn (1894).

SOMMAIRE DU CHAPITRE III

Evolution de la physiologie à travers l'antiquité et le moyen âge: Galien.—Expérimentation et vivisection.—Découverte de la circulation du sang par Harvey.—Force vitale (vitalisme). Haller.—Conceptions téléologiste et vitaliste de la vie. Examen des processus physiologiques du point de vue mécaniste et moniste.—Physiologie comparée au XIXe siècle: Jean Müller.—Physiologie cellulaire: Max Verworn.—Pathologie cellulaire: Virchow.—Physiologie de Mammifères.—Identité dans toutes les fonctions de la vie, entre l'homme et le singe.

LITTÉRATURE

Müller.—Handbuch der Physiologie des Menschen. 3 Bd. IV Aufl. 1844. Traduit en français.

R. Virchow.—Die Cellular-Pathologie in ihrer Begründung auf physiologische und pathologische Gewebelehre. IV Aufl. 1871.

J. Moleschott.—Kreislauf des Lebens. Physiologische Antworten auf Liebig's chemische Briefe. V Aufl. 1886.

Carl Vogt.—Physiologische Briefe für Gebildete aller Staende. IV Aufl. 1874.

Ludwig Büchner.—Physiologische Bilder. III Aufl. 1886.

C. Radenhausen.—Isis: Der Mensch und die Welt. 4 Bd. 1874.

A. Dodel.—Aus Leben und Wissenschaft (I. Leben und Tod. II. Natur-Verachtung und Betrachtung. III. Moses oder Darwin) Stuttgart. 1896.

Max Verworn.—Allgemeine Physiologie. Ein grundriss der Lehre vom Leben. (Iena. 1894, 2 Bd. Aufl. 1897).

Nos connaissances relativement à la vie humaine ne se sont élevées au rang de science réelle et indépendante qu'au cours du XIXe siècle; elle y est devenue une des branches du savoir humain les plus élevées, les plus importantes et les plus intéressantes. De bonne heure, il est vrai, on avait senti que la «Science des fonctions de la vie», la physiologie, constituait pour la médecine un avantageux préambule, bien plus même, la condition nécessaire de la réussite pratique pour ceux qui faisaient profession de guérir, en rapport étroit avec l'anatomie, science de la structure du corps. Mais la physiologie ne pouvait être étudiée à fond que bien après l'anatomie et bien plus lentement qu'elle, car elle se heurtait à des difficultés bien plus grandes.

La notion de vie en tant que contraire de la mort a naturellement été, de très bonne heure, un sujet de réflexion. On observait chez l'homme vivant ainsi que chez les autres animaux également vivants, un certain nombre de changements caractéristiques, des mouvements surtout, qui étaient absents chez les corps «morts»: le changement volontaire de lieu, par exemple, les battements du cœur, le souffle, la parole, etc. Mais la distinction entre ces «mouvements organiques» et les phénomènes analogues chez les corps inorganiques n'était pas facile et on y échouait souvent; l'eau courante, la flamme vacillante, le vent qui soufflait, le rocher qui s'écroulait, offraient à l'homme des changements tout à fait analogues et il était tout naturel que l'homme primitif attribuât aussi à ces corps morts une vie indépendante. Et d'ailleurs on ne pouvait pas fournir, quant aux causes efficientes, une explication plus satisfaisante dans un cas que dans l'autre.

Physiologie humaine.—Nous rencontrons les premières considérations scientifiques sur la nature des fonctions vitales de l'homme (comme déjà celles relatives à la structure du corps) chez les médecins et les philosophes naturalistes grecs des VIe et Ve siècles avant J.-C. La plus riche encyclopédie des faits alors connus, se rapportant à notre sujet, se trouve dans l'histoire naturelle d'Aristote; une grande partie de ses données lui vient probablement déjà de Démocrite et d'Hippocrate. L'école de celui-ci avait déjà tenté des explications; elle admettait comme cause première de la vie chez l'homme et les animaux un esprit de vie fluide (Pneuma); et déjà Erasistrate (280 avant J.-C.,) distinguait un esprit de vie inférieur et un supérieur: le pneuma zoticon, dans le cœur et le pneuma psychicon, dans le cerveau.

La gloire d'avoir rassemblé toutes ces connaissances éparses et d'avoir tenté le premier essai en vue de constituer la physiologie en système,—revient au grand médecin grec, Galien, que nous connaissons déjà comme le premier grand anatomiste de l'antiquité. Dans ses recherches sur les organes du corps humain, il s'interrogeait constamment au sujet des fonctions de ces organes, procédant ici encore par comparaison, étudiant avant tout les animaux les plus voisins de l'homme, les singes. Les résultats acquis en expérimentant sur eux étaient directement étendus à l'homme. Galien avait déjà reconnu la haute valeur de l'expérimentation en physiologie; dans ses vivisections de singes, de chiens, de porcs, il avait fait divers essais intéressants. Les vivisections ont été dernièrement l'objet des plus violentes attaques non seulement de la part des gens ignorants et bornés, mais encore de la part des théologiens ennemis de la science, et de personnes à l'âme tendre; mais ce procédé fait partie des méthodes indispensables à l'étude de la vie et il nous a déjà fourni des notions inappréciables sur les questions les plus importantes: ce fait avait déjà été reconnu par Galien, il y a de cela 1700 ans.

Toutes les diverses fonctions du corps étaient par lui ramenées à trois groupes principaux, correspondant aux trois formes de pneuma, de l'esprit de vie ou «spiritus». Le pneuma psychicon—l'âme—a son siège dans le cerveau et les nerfs, il est l'instrument de la pensée, de la sensibilité et de la volonté (mouvement volontaire); le pneuma zoticon—le cœur—accomplit les «fonctions sphygmiques», le battement du cœur, le pouls et la production de chaleur; le pneuma physicon, enfin, logé dans le foie, est la cause des fonctions appelées végétatives, de la nutrition et des échanges de matériaux, de la croissance et de la reproduction. L'auteur insistait, en outre, spécialement sur le renouvellement du sang dans les poumons et exprimait l'espoir qu'on parviendrait un jour à extraire de l'air atmosphérique l'élément qui, par la respiration, pénètre comme pneuma dans le sang. Plus de quinze siècles s'écoulèrent avant que ce pneuma respiratoire,—l'acide carbonique—fût découvert par Lavoisier.

Pour la physiologie de l'homme, comme pour son anatomie, le grandiose système de Galien demeura, pendant le long espace de temps de treize siècles, le codex aureus, la source inattaquable de toute connaissance. L'influence du christianisme, hostile à toute culture, amena ici, comme dans toutes les autres branches des sciences naturelles, d'insurmontables obstacles. Du IIIe au XVIe siècle, on ne rencontre pas un seul chercheur qui ait osé étudier de nouveau par lui-même les fonctions de l'organisme humain et sortir des limites du système de Galien. Ce n'est qu'au XVIe siècle que de modestes essais furent faits dans cette voie, par des médecins et des anatomistes éminents: Paracelse, Servet, Vésale, etc. Mais ce n'est qu'en 1628 que le médecin anglais Harvey publia sa grande découverte de la circulation du sang, démontrant que le cœur est une pompe foulante qui, par la contraction inconsciente et régulière de ses muscles, pousse sans cesse le flot sanguin dans le système clos des vaisseaux veines et capillaires. Non moins importantes furent les recherches d'Harvey sur la génération animale, à la suite desquelles il posa le principe célèbre: «Tout individu vivant se développe aux dépens d'un œuf» (omne vivum ex ovo.)

L'impulsion puissante qu'Harvey avait donnée aux observations et aux recherches physiologiques amena, aux XVIe et XVIIe siècles, un grand nombre de découvertes. Elles furent réunies pour la première fois au milieu du siècle dernier par le savant A. Haller; dans son grand ouvrage, Elementa physiologiae, il établit la valeur propre de cette science, indépendamment de ses rapports avec la médecine pratique. Mais par le fait qu'il admettait comme cause de l'activité nerveuse une «force d'impressionnabilité ou sensibilité» spéciale et pour cause du mouvement musculaire une «excitabilité ou irritabilité» spéciale, Haller préparait le terrain à la doctrine erronée d'une force vitale spéciale (vis vitalis).

Force vitale (vitalisme).—Pendant plus d'un siècle, du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, cette idée régna dans la médecine (et spécialement dans la physiologie) que, si une partie des phénomènes vitaux se ramenaient à des processus physiques et chimiques, les autres étaient produits par une force spéciale, indépendante de ces processus: la force vitale (vis vitalis). Si différentes que fussent les théories relatives à la nature de cette force et en particulier à son rapport avec l'âme, elles étaient cependant toutes d'accord pour reconnaître que la force vitale est indépendante des forces physico-chimiques de la «matière» ordinaire, et en diffère essentiellement; en tant que force première (archeus) indépendante, manquant à la nature inorganique, la force vitale devait, au contraire, prendre celle-ci à son service. Non seulement l'activité de l'âme elle-même, la sensibilité des nerfs et l'irritabilité des muscles, mais encore le fonctionnement des sens, les phénomènes de reproduction et de développement semblaient si merveilleux, leur cause si énigmatique, qu'on trouvait impossible de les ramener à de simples processus naturels, physiques et chimiques. L'activité de la force vitale étant libre, agissant consciemment et en vue du but, elle aboutit, en philosophie, à une parfaite téléologie; celle-ci parut surtout incontestable après que le grand philosophe «critique» lui-même, Kant, dans sa célèbre critique du jugement téléologique, eût avoué que, sans doute, la compétence de la raison humaine était illimitée quand il s'agissait de l'explication mécanique des phénomènes, mais que les pouvoirs de cette raison expiraient devant les phénomènes de la vie organique; ici, la nécessité s'imposait de recourir à un principe agissant avec finalité, ainsi surnaturel. Il va de soi que, le contraste entre les phénomènes vitaux et les fonctions organiques mécaniques se faisait plus frappant à mesure que progressait pour celles-ci l'explication physico-chimique. La circulation du sang et une partie des phénomènes moteurs pouvaient être ramenés à des processus mécaniques; la respiration et la digestion à des actes chimiques analogues à ceux qui ont lieu dans la nature inorganique; mais la même chose semblait impossible lorsqu'il s'agissait de l'activité merveilleuse des nerfs ou des muscles, comme, en général, de la «vie de l'âme» proprement dite; et d'ailleurs le concours de toutes ces différentes forces, dans la vie de l'individu, ne semblait pas non plus explicable par là. Ainsi se développa un dualisme physiologique complet, une opposition radicale entre la nature inorganique et l'organique, entre les processus vitaux et les mécaniques, entre la force matérielle et la force vitale, entre le corps et l'âme. Au début du XIXe siècle, ce vitalisme a été établi avec de nombreux arguments à l'appui, en France par L. Dumas, par Reil en Allemagne.

Un joli exposé poétique en avait été donné, dès 1795, par Alex. de Humboldt dans son récit du Génie de Rhodes (reproduit avec des remarques critiques dans les Vues de la nature).

Le mécanisme de la vie (physiologie moniste).—Dès la première moitié du XVIIe siècle, le célèbre philosophe Descartes, sous l'influence de Harvey qui venait de découvrir la circulation du sang, avait exprimé l'idée que le corps de l'homme, comme celui des animaux, n'était qu'une machine compliquée, dont les mouvements se produisaient en vertu des mêmes lois mécaniques auxquelles obéissaient les machines artificielles construites par l'homme dans un but déterminé. Il est vrai, Descartes revendiquait pour l'homme seul la complète indépendance de son âme immatérielle et il posait même la sensation subjective, la pensée, comme l'unique chose au monde dont nous ayons immédiatement une connaissance certaine («Cogito, ergo sum!») Pourtant, ce dualisme ne l'empêcha pas de stimuler dans diverses directions la science mécanique des phénomènes vitaux considérés en eux-mêmes. A sa suite, Borelli (1660) expliqua les mouvements du corps, chez les animaux, par des lois toutes mécaniques, tandis que Sylvius essayait de ramener les phénomènes de la digestion et de la respiration à des processus purement chimiques; le premier fonda, en médecine, une école iatromécanique, le second, une école iatrochimique. Mais ces élans de la raison vers une explication naturelle mécanique des phénomènes vitaux, ne trouvèrent pas d'application universelle, et, au cours du XVIIIe siècle, ils furent complètement réprimés à mesure que se développait le vitalisme téléologique. La réputation définitive de celui-ci et le retour au point de vue précédent ne furent accomplis qu'en ce siècle, lorsque, vers 1840, la physiologie comparée moderne s'éleva au rang de science féconde.

Physiologie comparée.—Nos connaissances relatives aux fonctions du corps humain, pas plus que celles relatives à la structure de ce corps, ne furent acquises, à l'origine, par l'observation directe de l'organisme humain mais, en grande partie, par celle des Vertébrés supérieurs les plus proches de lui, surtout des Mammifères.

En ce sens les débuts les plus reculés des deux sciences méritent déjà d'être appelés anatomie et physiologie comparées. Mais la physiologie comparée proprement dite, qui embrasse tout le domaine des phénomènes vitaux depuis les animaux inférieurs jusqu'à l'homme, ne date que de ce siècle dont elle a été une difficile conquête; son grand fondateur fut Jean Müller (né en 1801 à Berlin, fils d'un cordonnier).

De 1833 à 1858, vingt-cinq années durant, ce biologiste (le plus érudit de notre temps et celui dont les aptitudes furent les plus diverses) déploya à l'Université de Berlin, tant comme professeur que dans ses recherches de savant, une activité qui n'est comparable qu'à celles réunies de Haller et de Cuvier. Presque tous les grands biologistes qui ont enseigné en Allemagne ou exercé quelque influence sur la science pendant ces 60 dernières années, ont été directement ou indirectement les élèves de J. Müller. Parti d'abord de l'anatomie et de la physiologie humaines, celui-ci étendit bientôt ses études comparatives à tous les grands groupes d'animaux supérieurs et inférieurs. Et comme il comparait, en même temps, la structure des animaux disparus avec celle des animaux actuels, les conditions de l'organisme sain avec celles du malade, comme il faisait un effort vraiment philosophique pour synthétiser tous les phénomènes de la vie organique, Müller éleva les sciences biologiques à une hauteur qu'elles n'avaient jamais encore atteinte.

Le fruit le plus précieux de ces études si étendues de Jean Müller, ce fut son Manuel de Physiologie humaine; cet ouvrage classique donnait beaucoup plus que ne promettait son titre: c'est l'ébauche d'une vaste «Biologie comparée». Au point de vue de la valeur de ce qu'il renferme et de la quantité de problèmes qu'il embrasse, ce livre, aujourd'hui encore, est sans rival. En particulier, les méthodes d'observation et d'expérimentation y sont appliquées de façon aussi magistrale que les méthodes d'induction et de déduction. Müller, il est vrai, fut, au début, comme tous les physiologistes de son époque, vitaliste. Seulement, la doctrine régnante de la force vitale prit chez lui une forme spéciale et se transforma graduellement en son exact opposé. Car, dans toutes les branches de la physiologie, Müller s'efforçait d'expliquer les phénomènes vitaux mécaniquement; sa force vitale réformée ne règne pas au-dessus des lois physico-chimiques auxquelles est soumis tout le reste de la nature: elle est étroitement liée à ces lois mêmes; ce n'est rien d'autre, en somme, que la vie elle-même, c'est-à-dire la somme de tous les phénomènes moteurs que nous observons chez les organismes vivants. Ces phénomènes, Müller s'efforçait partout de les expliquer mécaniquement, dans la vie sensorielle, comme dans la vie de l'âme, qu'il s'agît de l'activité musculaire, des phénomènes de la circulation, de la respiration ou de la digestion,—ou qu'il s'agît des phénomènes de reproduction et de développement. Müller provoqua les plus grands progrès en ce que, partout, partant des phénomènes vitaux les plus simples, observables chez les animaux inférieurs, il en suivait pas à pas l'évolution graduelle jusqu'aux formes les plus élevées, jusqu'à l'homme. Ici, sa méthode de comparaison critique, aussi bien en physiologie qu'en anatomie, se trouvait confirmée.

Jean Müller est, en outre, le seul des grands naturalistes qui ait attaché une égale importance aux diverses branches de la science et s'en soit constitué le représentant collectif. Aussitôt après sa mort, le vaste domaine de son enseignement se morcela en quatre provinces, presque toujours rattachées aujourd'hui à quatre chaires différentes (sinon davantage), à savoir: Anatomie humaine et comparée, Anatomie pathologique, Physiologie et Embryologie. On a comparé la division du travail qui s'est effectuée subitement (1858) au sein de cet immense érudition, au morcellement de l'empire autrefois constitué par Alexandre le Grand.

Physiologie cellulaire.—Parmi les nombreux élèves de Jean Müller qui, en partie de son vivant déjà, en partie après sa mort, contribuèrent puissamment aux progrès des diverses branches de la biologie, il faut citer comme l'un des plus heureux (sinon, peut-être, comme le plus important!) Théodore Schwann. Lorsqu'en 1838 le botaniste de génie, Schleiden, reconnut dans la cellule l'organe élémentaire commun à toutes les plantes et démontra que tous les tissus du corps des végétaux étaient composés de cellules, J. Müller entrevit de suite l'immense portée de cette importante découverte; il essaya lui-même de retrouver la même composition dans différents tissus du corps animal, par exemple dans la corde dorsale des Vertébrés, provoquant ainsi son élève Schwann à étendre cette vérification à tous les tissus animaux. Celui-ci résolut heureusement cette tâche difficile dans ses Recherches microscopiques sur l'identité de structure et de développement chez les animaux et les plantes (1839). Ainsi était posée la pierre angulaire de la théorie cellulaire dont l'importance fondamentale, tant pour la physiologie que pour l'anatomie, s'est accrue d'année en année, trouvant toujours une confirmation plus générale.

Que l'activité fonctionnelle de tous les organismes se ramenât à celle de leurs éléments histologiques, aux cellules microscopiques, c'est ce que montrèrent surtout deux autres élèves de J. Müller, le pénétrant physiologiste E. Brücke, de Vienne, et le célèbre histologiste de Würzbourg, Albert Kölliker. Le premier désigna très justement la cellule du nom d'organisme élémentaire et montra en elle, aussi bien dans le corps de l'homme que dans celui des animaux, le seul facteur actuel spontanément productif de la vie. Kölliker s'illustra, non seulement par le progrès qu'il fit faire à l'histologie en général, mais principalement par la preuve qu'il donna que l'œuf des animaux, ainsi que les «sphères de segmentation» qui en proviennent, sont de simples cellules.

Bien que la haute importance de la théorie cellulaire pour tous les problèmes biologiques fût universellement reconnue, cependant la physiologie cellulaire, qui s'est fondée sur elle, ne s'est constituée d'une manière indépendante qu'en ces derniers temps. Ici, il faut reconnaître à Max Verworn, principalement, un double mérite. Dans ses Études psychophysiologiques sur les Protistes (1889), s'appuyant sur d'ingénieuses recherches expérimentales, il a montré que la Théorie de l'âme cellulaire[13], proposée par moi en 1886, trouve une entière justification dans l'étude exacte des Protozoaires unicellulaires et que «les processus psychiques observables dans le groupe des Protistes forment le pont qui relie les phénomènes chimiques de la nature inorganique à la vie de l'âme, chez les animaux supérieurs». Verworn a développé ces vues et les a appuyées sur l'embryologie moderne dans sa Physiologie générale (2e édition, 1897).

Cet ouvrage remarquable nous ramène pour la première fois au point de vue si compréhensif de Jean Müller, au contraire des méthodes étroites et exclusives de ces physiologistes modernes qui croient pouvoir établir la nature des phénomènes vitaux exclusivement au moyen d'expériences physiques et chimiques. Verworn a montré que c'est seulement par la méthode comparative de Müller et par une étude plus approfondie de la physiologie cellulaire, qu'on peut s'élever jusqu'au point de vue qui nous permet d'embrasser d'un regard d'ensemble tout le domaine merveilleux des phénomènes vitaux; par là seulement nous nous convaincrons que les fonctions vitales de l'homme, toutes tant qu'elles sont, obéissent aux mêmes lois physiques et chimiques que celles des autres animaux.

Pathologie cellulaire.—L'importance fondamentale de la théorie cellulaire pour toutes les branches de la biologie a trouvé une confirmation nouvelle dans la seconde moitié du XIXe siècle. Non seulement, en effet, la morphologie et la physiologie ont fait de grandioses progrès, mais encore et surtout nous avons assisté à la complète réforme de cette science biologique qui eut de tous temps la plus grande importance par ses rapports avec la médecine pratique: la Pathologie. L'idée que les maladies de l'homme, comme celles de tous les êtres vivants, sont des phénomènes naturels qui doivent, partant, être étudiés scientifiquement au même titre que les autres fonctions vitales, était déjà une conviction profonde chez beaucoup d'anciens médecins. Au XVIIe siècle même, quelques écoles médicales, celles des Iatrophysiciens et des Iatrochimistes, avaient déjà essayé de ramener les causes des maladies à certaines transformations physiques ou chimiques. Mais le degré très inférieur de développement de la science d'alors empêchait le succès durable de ces légitimes efforts. C'est pourquoi, jusqu'au milieu du XIXe siècle, quelques théories anciennes qui cherchaient l'essence de la maladie dans des causes surnaturelles ou mystiques, furent-elles presque universellement admises.

C'est seulement à cette époque que Rudolf Virchow, également l'élève de Jean Müller, eut l'heureuse pensée d'appliquer à l'organisme malade la théorie cellulaire qui valait pour l'homme sain; il chercha dans des transformations imperceptibles des cellules malades et des tissus constitués par leur ensemble, la véritable cause de ces transformations plus apparentes qui, sous l'aspect de «maladies», menacent l'organisme vivant de danger et de mort. Pendant les sept années, surtout, qu'il fut professeur à Würzbourg (1849-1856), Virchow s'acquitta avec un tel succès de la tâche qu'il s'était proposée, que sa Pathologie cellulaire (publiée en 1858) ouvrit brusquement, devant la pathologie tout entière et devant la médecine pratique appuyée sur elle, des voies nouvelles, hautement fécondes. Quant à nous et à la tâche que nous nous sommes proposée, l'importance capitale qu'offre pour nous cette réforme de la médecine vient de ce qu'elle nous conduit à une conception purement scientifique et moniste de la maladie. L'homme malade, aussi bien que l'homme sain, sont donc soumis aux mêmes «éternelles lois d'airain» de la physique et de la chimie, que tout le reste du monde organique.

Physiologie des Mammifères.—Parmi les nombreuses classes d'animaux (50 à 80) que distingue la zoologie moderne, les Mammifères, non seulement au point de vue morphologique, mais encore au point de vue physiologique, occupent une place tout à fait à part.

Et puisque l'homme, par la structure tout entière de son corps, appartient à la classe des Mammifères, nous pouvons nous attendre à l'avance à ce que le caractère spécial de ses fonctions lui soit commun avec les autres Mammifères. Et de fait, il en va bien ainsi. La circulation et la respiration s'accomplissent chez l'homme absolument en vertu des mêmes lois et sous la même forme particulière que chez tous les autres Mammifères—et chez eux seuls—; elle résulte de la structure spéciale et très complexe de leur cœur et de leurs poumons. C'est chez les Mammifères seulement que tout le sang artériel est emporté du ventricule gauche et conduit dans le corps par un seul arc aortique—situé, partout, à gauche—tandis que chez les Oiseaux il est situé à droite et que chez les Reptiles, les deux arcs fonctionnent. Le sang des Mammifères diffère de celui de tous les autres Vertébrés par ce fait que le noyau des globules rouges a disparu (par régression). Les mouvements respiratoires, dans cette classe seulement, s'effectuent surtout grâce au diaphragme, parce que celui-ci ne forme que chez les Mammifères une cloison complète entre les cavités thoracique et abdominale. Mais le caractère le plus important de cette classe parvenue à un si haut degré de développement, c'est la production de lait dans les glandes mammaires et le mode spécial d'élevage des jeunes, conséquence du fait qu'ils sont nourris par le lait maternel. Et comme cet allaitement exerce une influence capitale sur d'autres fonctions, comme l'amour maternel des Mammifères a racine dans ce mode de rapports si étroits entre la mère et le jeune, le nom donné à la classe nous rappelle à juste titre la haute importance de l'allaitement chez les Mammifères. Des millions de tableaux, dus la plupart à des artistes de premier rang, glorifient la Madone avec l'enfant Jésus, comme l'image la plus pure et la plus sublime de l'amour maternel, de ce même instinct dont la forme extrême est la tendresse exagérée des mères-singes.

Physiologie des singes.—Puisqu'entre tous les Mammifères les singes se rapprochent le plus de l'homme par l'ensemble de leur conformation, on peut prévoir à l'avance qu'il en ira de même en ce qui regarde les fonctions physiologiques; et, de fait, il en va bien ainsi. Chacun sait combien les habitudes, les mouvements, les fonctions sensorielles, la vie psychique, les soins donnés aux jeunes sont les mêmes chez les singes et chez l'homme. Mais la physiologie scientifique démontre la même identité capitale également sur des points moins remarqués: le fonctionnement du cœur, la sécrétion glandulaire et la vie sexuelle. A cet égard, un détail surtout curieux, c'est que chez beaucoup d'espèces de singes les femelles, parvenues à l'âge adulte, sont régulièrement exposées à un écoulement de sang provenant de l'utérus et qui correspond à la menstruation (ou «règles mensuelles») de la femme. La sécrétion du lait par la glande mammaire et la façon dont le jeune tête, se font encore absolument de la même manière chez la femelle du singe et chez la femme.

Enfin, un fait particulièrement intéressant, c'est que la langue des sons chez les singes apparaît à l'examen de la physiologie comparée, comme l'étape préalable vers la langue articulée de l'homme. Parmi les singes anthropoïdes encore existants, il y en a dans l'Inde une espèce qui est musicienne: l'hylobates syndactilus chante et sa gamme de sons, parfaitement purs et mélodieux, progressant par demi-tons, s'étend sur un octave.

Pour un linguiste impartial, il n'y a plus moyen de douter aujourd'hui que notre «langue des concepts», si perfectionnée, ne se soit développée lentement et progressivement à partir de la «langue des sons» imparfaite de nos ancêtres, les singes du pliocène.

Les énigmes de l'Univers

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