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CHAPITRE II
ОглавлениеAVEC UN PEU D’AIDE L’IDÉE DE M. PAUL SE DÉVELOPPE
En effet, de grand matin, Paul entrait dans la chambre de son cousin. Tout était préparé: planchette, T, équerres, compas et crayons.
«...Mettez-vous là, petit cousin, vous allez traduire sur le papier le résultat de nos méditations, puisque vous savez si bien vous servir de nos outils. Procédons méthodiquement. D’abord, vous connaissez sans doute le terrain sur lequel votre père entend faire bâtir la maison de campagne de madame votre sœur?
—Oui, c’est là-bas, au delà du bois, à trois kilomètres d’ici, ce petit vallon au fond duquel coule le ru qui fait tourner le moulin de Michaud.
—Montrez-moi un peu cela sur la carte du domaine... la voici.
—Vous voyez, mon cousin, c’est là. Sur le plateau, du côté sud, sont les terres labourées, puis le terrain descend un peu au nord vers le ru. Il y a ici une belle source d’eau vive qui sort du bois situé à l’ouest. Sur la pente du plateau et le fond du vallon sont des prairies avec quelques arbres.
—De quel côté est la vue la plus agréable?
—Vers le fond du vallon, au sud-est.
—Comment d’ici arrive-t-on à cette prairie?
—En traversant le bois; puis, on descend au fond du vallon par ce chemin; on traverse un pont qui est ici, puis on monte par le plateau obliquement par cette voie.
—Bien; donc il faut placer la maison presque au sommet de la pente faisant face au nord, en l’abritant des vents du nord-ouest sous le bois voisin. L’entrée devra faire face à la route qui monte; mais il faut que nous disposions les pièces principales de l’habitation du côté de l’exposition la plus favorable qui est celle du sud-est; de plus, nous devons profiter de la vue ouverte de ce même côté, et ne pas négliger la source d’eau vive qui descend sur la droite vers le fond du vallon; nous allons donc nous en approcher et planter la maison sur ce repos que la nature a disposé si favorablement pour nous, à quelques mètres en contre-bas du plateau. Nous serons ainsi passablement abrités des vents du sud-ouest et nous n’aurons pas devant la maison la plaine, assez triste, qui s’étend à perte de vue. Ceci arrêté, voyons le programme... Aucune dimension de pièce n’est indiquée; c’est donc à nous d’y songer. D’après ce que votre père m’a dit, il entend que cette maison doit être une demeure permanente, c’est-à-dire habitable l’été comme l’hiver, et contenir, par conséquent, tout ce qui convient à un grand propriétaire terrien. Il compte affecter à sa construction une somme de deux cent mille francs environ; c’est donc une affaire qui demande une étude sérieuse, d’autant que madame votre sœur et son mari tiennent au confort. J’ai été reçu chez eux, à Paris, et j’ai trouvé une maison admirablement tenue, mais où rien n’est donné à la vanité, au paraître. Nous pouvons donc partir de ces données.—Commençons par le plan du rez-de-chaussée... La pièce principale est le salon, le lieu de réunion de la famille. Nous ne pouvons lui donner moins de cinq mètres de largeur sur sept à huit mètres de longueur... Tracez d’abord le parallélogramme sur ces dimensions... Ah! mais non! pas comme cela, à vue de nez... Prenez une échelle[1].»
Sur ce mot, le petit cousin regarda son maître d’un air interrogateur.
«J’oubliais! vous ne savez peut-être pas bien ce que l’on entend par échelle? Je vois en effet que votre plan ne paraît pas en avoir tenu compte. Écoutez-moi donc: quand on veut bâtir une maison, un édifice quelconque, on donne à l’architecte un programme, c’est-à-dire une liste complète de toutes les pièces et des services qui sont nécessaires. On ne se contente pas de cela, on dit: telle pièce aura tant de largeur sur tant de longueur, ou occupera une surface de... afin de pouvoir contenir tant de personnes. S’il s’agit, par exemple, d’une salle à manger, on dira qu’elle doit contenir 10, 15, 20, 25 personnes à table. S’il s’agit d’une chambre à coucher, on dira qu’elle doit, outre le lit, bien entendu, contenir tels meubles ou occuper une surface de 30 mètres, 36 mètres, etc. Or vous savez qu’une surface de 36 mètres est donnée par un carré de 6 mètres de côté ou par un parallélogramme de 7 mètres sur 5m,15 environ, ou de 9 mètres sur 4. Mais dans ce dernier cas cette pièce n’aurait plus les dimensions convenables à une chambre, mais bien celles d’une galerie. Donc, indépendamment de la surface nécessaire à une pièce, il faut qu’il y ait, entre sa largeur et sa longueur, certains rapports indiqués par la destination. Un salon, une chambre à coucher, peuvent être carrés; mais une salle à manger, du moment qu’elle est destinée à contenir plus de dix personnes à table, doit être plus longue que large, par la raison qu’une table augmente en longueur suivant le nombre des convives, mais non en largeur. Il faut donc mettre des rallonges à la salle comme on en met à la table. Comprenez-vous? Bien... Dès lors, l’architecte, pour dresser son plan, ne fût-il qu’une esquisse, adopte une échelle, c’est-à-dire qu’il divise, sur son papier, une ligne en parties égales, figurant chacune un mètre. Et, pour économiser le temps ou pour simplifier le travail, on prend, pour chacune de ces divisions, le deux-centième ou le centième ou le cinquantième d’un mètre. Dans le premier cas on dit: échelle de cinq millimètres ou d’un demi-centimètre pour mètre, ou échelle au deux-centième; dans le second, on dit: échelle de un centimètre pour mètre, ou échelle au centième; dans le troisième, on dit: échelle de deux centimètres pour mètre ou échelle au cinquantième. Ainsi vous dressez un plan deux cents, cent ou cinquante fois plus petit que ne sera l’exécution. Il n’est pas besoin d’ajouter qu’on peut faire des échelles dans des rapports proportionnels, à l’infini; d’un, de deux, de trois millimètres pour mètre comme pour 10 mètres, pour 100 mètres et 1 000 mètres, ce qui se fait lorsqu’il s’agit de dresser des cartes. De même qu’on donne des détails à l’échelle de 50 centimètres pour mètre ou à moitié de l’exécution; de 20 centimètres pour mètre ou au cinquième de l’exécution, etc. L’échelle adoptée, l’architecte donne ainsi à chaque partie du plan les dimensions relatives exactes. S’il a adopté l’échelle de un centimètre pour mètre et qu’il veuille indiquer une porte de 1m,30 de largeur, il prend 0m,013. Comprenez-vous bien cela? Je n’en suis pas certain; mais la pratique vous mettra au fait en quelques heures. Pour vous bien indiquer l’utilité de l’échelle, je prends votre plan. Votre salon est un parallélogramme. Je suppose qu’il ait 6 mètres sur 8, c’est à peu près la proportion relative des deux côtés. Un huitième du grand côté pris avec le compas est un mètre. Je reporte cette dimension sur votre façade et je trouve que votre rez-de-chaussée a 9 mètres de hauteur. Or, vous figurez-vous ce que ce serait, je ne dirai pas votre salon, mais votre vestibule qui n’a guère que 4 mètres de côtés avec une élévation[2] de 9 mètres entre le pavé et le plafond? Ce serait un puits. Votre élévation n’est donc pas en rapport d’échelle avec votre plan. Prenez, pour le salon de votre sœur, vingt-huit millimètres sur cette règle graduée, ce qui donnera cinq mètres soixante centimètres à l’échelle de cinq millimètres pour mètre. Bien; voilà le petit côté du salon. Prenez maintenant quarante-un millimètres sur la même règle, ce qui donnera huit mètres vingt centimètres; ce sera le grand côté. Votre parallélogramme est tracé maintenant dans des dimensions relatives parfaitement exactes. Vous allez entourer cette pièce de murs[3], car on ne peut guère donner aux planchers ordinaires une plus grande portée; il faut donc des murs pour recevoir les solives [4]. Un mur en moellons dans lequel il faut faire passer des tuyaux de cheminée ne peut avoir moins d’un demi-mètre ou cinquante centimètres d’épaisseur. Votre salon se tiendra ainsi tout seul debout. Après le salon vient la salle à manger comme importance. Où allons-nous la placer? Il faut, surtout à la campagne, qu’on y entre directement du salon. Sera-ce à droite, sera-ce à gauche?... Vous n’en savez rien, ni moi non plus. Cependant le hasard ne peut trancher la question. Raisonnons donc un peu... Il est tout simple de mettre la cuisine à proximité de la salle à manger. Mais la cuisine est un service incommode. Quand on n’est pas à table, il ne faut ni sentir l’odeur des mets, ni entendre le bruit des personnes affectées à ce service. La cuisine doit donc être, d’une part, non loin de la salle à manger, d’autre part, assez éloignée de l’habitation pour qu’on n’ait point à en soupçonner l’existence. De plus, il faut, à proximité de la cuisine, la cour de service, les communs, le poulailler, un petit potager, des laveries, etc. Il importe aussi que la cuisine ne soit pas placée à l’exposition du midi. N’oublions pas que madame votre sœur, qui s’entend à diriger une maison, a eu la précaution de dire dans le programme laconique qu’elle envoie: «Cuisine, pas sous-sol!» Elle a raison, les cuisines en sous-sol sont malsaines pour ceux qui s’y tiennent, difficilement surveillées et répandent leur odeur dans les rez-de-chaussée. Nous la placerons donc de plain-pied avec la salle à manger, mais sans communication directe avec celle-ci pour éviter l’odeur et le bruit. Examinons notre terrain, son orientation, ses vues. L’orientation la plus fâcheuse pour l’habitation et celle qui, dans le cas présent, offre la vue la moins agréable, est celle du nord-ouest. Nous planterons donc le salon ayant son angle extérieur vers le sud-est, et à la droite, nous placerons la salle à manger; à la suite, la cuisine qui sera ainsi vers le nord. Ne vous pressez pas de tracer ces services, car il faut savoir dans quels rapports ils devront se trouver soit avec le salon soit avec le vestibule. On nous demande une salle de billard. Elle sera bien, en pendant, vers le sud-est, avec la salle à manger. Il nous faut aussi le vestibule, un cabinet pour votre beau-frère à proximité de l’entrée. Si nous plantons la salle à manger et la salle de billard qui doivent avoir à peu près la dimension donnée au salon, juxtaposées dans la longueur avec celui-ci, ce salon ne sera éclairé que par un de ses petits côtés, car il nous faut en avant placer le vestibule. Or, ce salon sera triste et n’aura qu’une seule vue directe sur la campagne. Traçons donc la salle à manger et la salle de billard perpendiculairement au salon, en laissant déborder celui-ci du côté de la bonne orientation. Donnons à chacune de ces deux pièces sept mètres de longueur sur cinq mètres cinquante centimètres de largeur. Ce sont des dimensions convenables. Puis tracez en avant du salon un vestibule dont nous fixerons tout à l’heure la surface.
«Cherchons maintenant à donner aux murs de ces pièces la position exigée par la construction. Du salon, nous devons entrer dans la salle à manger et dans la salle de billard,—qui est aussi un lieu de réunion.—Il faut donc que l’ouverture du salon dans la salle de billard soit assez large pour que les personnes placées dans chacune de ces pièces soient réunies sans se gêner. Mais il faut aussi que de la salle de billard on puisse sortir dans le vestibule sans passer par le salon, et de même pour la salle à manger. Nous avons dit qu’il fallait des vues latérales au salon, qui a 8m,20c de longueur. Si nous prenons 2m,40c pour les vues latérales, plus 0m,50c pour l’épaisseur du mur de la salle de billard ou de la salle à manger, il restera 5m,30c jusqu’à la cloison d’entrée du salon; notre salle de billard comme la salle à manger ayant 5m,50c de largeur, ces pièces déborderont la cloison d’entrée du salon de 0m,20c. Cela ne fait rien... Traçons le second mur, toujours de 0m,50c d’épaisseur. Voilà les trois pièces principales plantées. Dans l’axe de la salle de billard, nous ferons une ouverture sur le salon, de 2m,60c. Sur le côté du mur séparatif de la salle à manger, nous ouvrirons une porte de 1m,30c sur la salle à manger, à 0m,20c de la cloison séparant le salon du vestibule. Ainsi entrerons-nous dans cette salle à manger, non dans l’axe, mais latéralement, ce qui est plus commode; car vous savez que, lorsqu’on se dirige vers la table ou qu’on sort de dîner, les messieurs offrent le bras aux dames. Il est donc bon qu’en sortant ou en entrant on n’ait pas un obstacle qui puisse entraver la marche de ces couples. La porte donnant du salon sur la salle à manger ne sera plus dans l’axe de l’ouverture donnant du salon dans la salle de billard; mais cela m’est égal. Cette porte sera en pendant avec la fenêtre s’ouvrant de ce côté sur le dehors, et au milieu nous placerons la cheminée. Du vestibule, nous ouvrirons une porte centrale sur le salon.
«En avant, le long du mur de la salle de billard, plaçons le cabinet de votre beau-frère avec une petite antichambre où il pourra faire attendre les personnes qui ont affaire à lui sans les laisser vaguer dans le vestibule. Cependant, du côté de la salle à manger, nous placerons l’office. Il faut que le cabinet de travail ait au moins 3m,90c de largeur. Nous ferons déborder un peu le vestibule pour former avant-corps.
«Il est une grosse question dans toute habitation: c’est l’escalier. L’escalier doit être proportionné à cette habitation; ni trop vaste, ni trop exigu. Il faut qu’il ne prenne pas une place inutile, qu’il donne un accès facile aux étages supérieurs et qu’il soit apparent. Si, dans votre vestibule, qui est très grand: 4m,90c sur 5m,50c, nous prenions une partie de notre escalier, celui-ci serait très apparent et nous gagnerions de la place. Il faut que l’emmarchement d’un escalier, pour une habitation de cette importance, ait au moins 1m,30c de largeur... Mais il faut aussi que du vestibule nous puissions communiquer directement à la salle à manger, à l’office et à tous les services placés du côté droit du plan. Réservons un couloir de 1m,30c et posons la première marche. La hauteur du rez-de-chaussée entre les deux sols doit être, en raison de la dimension des pièces, 4m,50c; ce qui donnera de vide 4m,20c, en réservant 0m,30c pour l’épaisseur du plancher du premier. Les marches d’un escalier facile doivent avoir environ 0m,15c de hauteur. Pour monter 4m,50c, il nous faut donc compter trente marches. Chaque marche doit avoir 0m,25c à 0m,30c de pas. Il faut donc que l’escalier nous fournisse un développement de 7m,50c pour des marches de 0m,25c de pas ou de 9m,00 pour des marches de 0m,30c, puisque nous comptons trente marches. Prenons une moyenne: soit 8m,25c. Il s’agit de trouver ce développement de 8m,25c au moins. Nous établirons donc un pavillon à l’angle du vestibule, assez saillant pour qu’en gironnant autour d’un noyau [5],—qui sera dans la prolongation du mur de droite du salon,—nous arrivions au premier étage en débouchant dans l’antichambre de ce premier étage... Je vous trace cet escalier sur lequel nous reviendrons. Les quinze premières marches viennent dans l’alignement du noyau et du mur, et nous permettent de placer, au-dessous de la dernière partie du giron[6], les water-closets pour les maîtres à rez-de-chaussée.
«Sur le couloir à la suite, nous placerons l’office. Puis l’escalier de service en tour ronde; puis l’office de service, puis la cuisine en aile, un fournil et une laverie, une buanderie avec sortie pour la cuisine sur le potager. En retour, nous planterons une écurie pour trois chevaux, une remise pour deux voitures, une sellerie, et un petit escalier de service pour monter dans les logements du cocher, du palefrenier et dans le magasin à fourrages placés sous le comble. À côté de l’écurie, nous réserverons une descente directe à la cour et au garde-manger, puis des water-closets pour les gens.
«Nous allons séparer tous ces services de l’habitation par un mur d’appui avec treillage, au droit de l’escalier de service en tour ronde; ce qui nous donnera une cour pour la cuisine, l’écurie et les remises. En avant, nous allons réserver un espace pour la basse-cour, le poulailler, le trou à fumier...
«Maintenant que le plan de notre rez-de-chaussée est tracé, cherchons à l’améliorer dans ses détails.
«Il serait fort agréable d’avoir au bout du salon, sur le jardin, une loge fermée. Rien ne nous interdit d’en tracer une autre au bout de la salle de billard, avec un divan où les messieurs pourraient fumer, et une troisième au bout de la salle à manger, ce qui permettrait de recevoir les plats par un tour, de l’office de service, et de disposer les buffets et tables à découper.
«Nous utiliserons ces appendices au premier étage.
«Mais, du salon ou de la salle de billard, il faut pouvoir descendre directement dans le jardin. Je vous avoue que je ne suis pas très partisan de ces perrons, brûlants s’il fait soleil, et fort désagréables par le vent et la pluie; si donc, latéralement à la salle de billard, nous placions dans l’angle qu’elle forme avec le salon, une serre avec escalier intérieur, il me semble que ce serait là une assez bonne disposition? Ainsi, du salon ou de la salle de billard, on passerait dans cette serre où l’on pourrait prendre le café quand le temps est mauvais, et, à couvert, on descendrait dans le jardin. Quelques fleurs et arbustes placés le long de la partie vitrée donneraient de la gaîté à la salle de billard sans lui enlever du jour. Mais, en avant du vestibule, nous mettrons un vrai perron, que nous aurons le soin d’abriter; ce que la position de l’escalier nous permettra de faire en toute sécurité.
«Traçons tout cela, à peu près correctement; ce sera à revoir quand nous aurons étudié le premier étage dont les dispositions peuvent nous obliger à modifier quelques-unes de celles du rez-de-chaussée. (fig. 1)[7].